Sylvie Le Bihan | « Le viol est un massacre »

C’est son troisième livre et sans doute le plus bouleversant. Sylvie Le Bihan raconte comment un viol peut fracasser la vie d’une femme. Rencontre.

ELLE. Votre roman s’inspire-t-il de votre propre histoire ?
Sylvie Le Bihan. Comme mon héroïne, j’ai été violée très jeune, j’allais avoir 17 ans.

Comme elle, j’étais monitrice de colonie de vacances et j’ai été violée dans des douches par trois inconnus.

Comme elle, je n’ai pas porté plainte.

Comme elle, j’ai été abattue en plein vol.

On était en 1983, l’époque était à la fête, des corps, de la liberté sexuelle.

Je sortais, j’avais des petits copains, je venais d’avoir mon bac avec mention très bien, j’allais passer le concours de Sciences-Po.

Moi qui étais libre, j’ai été enfermée dans le silence.

J’ai mis plus de vingt ans à pouvoir en parler, en dehors de mes amis proches.

ELLE. Pourquoi prendre la parole aujourd’hui ?
Sylvie Le Bihan. Un viol, c’est un massacre, physique et psychologique.

Plus nous serons nombreuses à en témoigner et plus nous ferons bouger les choses, en particulier sur la question des délais de prescription.

J’ai choisi la forme du roman, du thriller, qui me semblait la façon la plus pudique de raconter.

Mon premier roman sur les pervers narcissiques et les violences conjugales est inspiré de ce que j’ai vécu dans mon premier mariage.

Il a fallu que je commence par là pour m’autoriser à écrire sur le viol.

Mon éditrice, et surtout mon mari formidable, Pierre Gagnaire, m’ont beaucoup soutenue.

ELLE. Aviez-vous refoulé ces souvenirs ?
Sylvie Le Bihan. Non, j’ai toujours su que j’avais été violée.

Mais j’ai mis un voile dessus. Mon esprit ne pouvait digérer toute cette horreur…

C’est comme si je l’avais mise à la consigne, le temps de grandir, de me fortifier, d’avoir le courage d’aller la chercher où je l’avais laissée.

Le livre a failli s’appeler « La Femme parallèle », car on grandit parallèlement à ce que l’on est vraiment, à savoir cette jeune fille violée.

On arrange autour, on décore, on contourne…

Mais on fait une tentative de suicide, des cauchemars toutes les nuits jusqu’à 39 ans, on n’entre plus dans une salle de bain carrelée de blanc sans trembler de peur.

On se jette dans les excès : les sorties, l’alcool, la provoc, les mecs.

Et un jour, cela vous rattrape.

ELLE. A quel moment cela vous a-t-il rattrapée ?
Sylvie Le Bihan. A la sortie de mon livre sur les pervers narcissiques, sur un plateau télé, un avocat m’a dit : vous avez été victime parce que vous aviez une faille.

Une faille, moi ?

Je ne voyais pas ce que cela pouvait être.

Et il y a deux ans, cela m’a frappée : il fallait que j’y revienne, que je m’y confronte.

J’ai fait une thérapie, j’en ai bavé.

ELLE. Avez-vous regretté de ne pas avoir porté plainte ?
Sylvie Le Bihan. Comme dans le roman, un jeune gendarme m’a conseillé de ne pas le faire car on ne retrouverait peut-être pas les violeurs et je passerais ma vie à attendre une réparation qui ne viendrait pas…

J’ai considéré que c’était un accident de parcours.

J’étais au mauvais endroit, au mauvais moment.

On n’en a plus parlé.

C’était une erreur.

Sachant ce qui m’est arrivé par la suite – le pervers narcissique, les violences, l’enfer conjugal -, je ne peux exclure que j’aurais eu une autre vie.

Ni m’empêcher de penser que cela aurait peut-être protégé d’autres femmes, parce que je les ai laissés courir…

ELLE. Si les faits n’étaient pas prescrits, auriez-vous porté plainte plus tard ?

Sylvie Le Bihan. Ils n’ont pas été identifiés, mais on les aurait peut-être retrouvés s’ils ont commis d’autres crimes.

Et oui, j’aimerais les avoir face à moi, et leur dire ce qu’ils ont détruit en moi et combien cela a été dur de devoir faire la bravache, la forte, la grande gueule.

Excusez-moi… (Elle a les larmes aux yeux)

Moi, j’avais envie d’avoir des enfants et d’aimer, j’ai sans doute fait du mal autour de moi, car j’étais incapable d’aimer.

Quand je suis tombée amoureuse de Pierre, j’avais peur tout le temps qu’il arrive quelque chose de terrible.

C’est lui qui m’a aidée à me reconstruire, par son amour.

ELLE. Faut-il allonger les délais de prescription pour les viols ?
Sylvie Le Bihan. J’ai vécu pendant douze ans en Angleterre, les viols y sont imprescriptibles.

Parce que les conséquences sont à vie.

Avez-vous vu ces joueurs de foot anglais, ces armoires à glace, en larmes, parce qu’ils ont subi des sévices sexuels enfants ?

Ils n’en parlent que maintenant, à plus de 40 ans, alors qu’ils sont pères.

La prescription, c’est comme si on disait à un enfant :

Je compte jusqu’à 20 (vingt ans après la majorité pour les viols sur mineurs), et si tu n’as pas parlé, tu ne seras pas protégé.

Tant pis pour toi.

C’est inacceptable !

ELLE. Si on se retrouve parole contre parole, et la justice ne peut pas trancher, est-ce important de la faire quand même ?
Sylvie Le Bihan. Je travaille avec des femmes victimes de violences conjugales, violées par leur mari, elles mettent quatre à cinq ans pour se remettre de ce qu’elle ont vécu, il faut ensuite le temps de se reconstruire, de trouver le courage d’agir.

Dans mon cas, j’ai mis plus de 20 ans à pouvoir en parler, publiquement.

Pour nous toutes, il est trop tard.

Si nous pouvions dire à la justice « nous sommes victimes », même si cela débouche sur un non lieu faute de preuve, ce serait symboliquement une forme de réparation.

Car on met toujours en doute notre parole.

Regardez Flavie Flament, on a dit qu’elle accusait David Hamilton pour faire parler d’elle !

C’est inadmissible.

ELLE. Vous êtes une personne connue, responsable de la communication internationale de votre mari, est-ce compliqué de prendre la parole sur ce sujet ?
Sylvie Le Bihan. Je suis mariée à un personnage public qui m’a toujours soutenue dans mes projets créatifs.

C’est lui qui m’a aidée à me reconstruire, par son amour.

J’assume totalement cette prise de parole.

Je connais beaucoup de femmes, grandes gueules elles-aussi, qui ont été violées.

Nous sommes des survivantes et nous ne voulons plus jamais nous laisser faire.

Avec le bonheur que je vis actuellement, je pourrais me dire : tu as un mec formidable, des enfants en bonne santé, tu écris des romans…

Qu’est-ce que tu vas chercher ? Ferme-la !

Mais puisque je ne peux pas faire justice à cette jeune fille violée, je voudrais éviter aux autres de perdre autant de temps dans leur vie de femmes, dans leur reconstruction.

« Qu’il emporte mon secret », de Sylvie Le Bihan (éd. Seuil).

Source: Elle

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