Flavie Flament violée à 13 ans | « Avec ce livre, j’espère libérer la parole »

L’ex-présentatrice de télé publie un livre dans lequel elle révèle avoir été violée par un célèbre photographe à l’âge de 13 ans. Elle nous raconte comment ce traumatisme est remonté à la surface. Interview.

© Jérôme Bonnet
© Jérôme Bonnet

La « petite fiancée de la télé » s’est retirée des écrans en 2009. Trop d’exposition, trop de course à l’audience. Elle s’est installée sur un créneau plus discret, une émission quotidienne, l’après-midi, sur RTL.

La vraie raison de cette diète télévisuelle, elle la révèle aujourd’hui dans un livre coup de poing,
« La Consolation » : elle vivait alors une explosion volcanique intérieure, la remontée, par flashs, de souvenirs si douloureux qu’elle les avaient refoulés.

Ceux d’un après-midi où se rendant chez un photographe mondialement connu pour faire des photos, dans une résidence au cap d’Agde pendant l’été 1987, elle a été violée. Elle avait 13 ans.
Ce n’est qu’à 35 ans, en retombant sur un Polaroid qu’il avait pris d’elle cet été-là que les images de ce traumatisme lui sont revenues, en entraînant d’autres.
Ce cliché fait la couverture de son livre. En guise d’accusation. Alors que le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes demande que les victimes de viol soient mieux entendues et défendues, Flavie Flament se confie à nous.

ELLE. On referme « La Consolation », sonné par les agressions sexuelles dont vous avez été victime, alors qu’à l’écran vous aviez l’air d’être une femme bien dans sa peau. Était-ce une façade ?

Flavie Flament. Pas tout à fait car, d’une part, l’amnésie traumatique qui empêche d’accéder aux souvenirs les plus douloureux m’a en quelque sorte protégée pendant des années.
D’autre part, j’ai toujours eu au fond de moi une flamme minuscule de joie qui m’a permis d’aller de l’avant. Cela dit, j’avançais, comme un bon petit soldat dans le brouillard.
Même quand tout aurait dû aller bien, une partie de moi était en souffrance. Une tristesse, comme un fond de décor, teintait tout : les moments de bonheur, les projets d’avenir, ma façon de voir l’existence. J’avais l’impression de ne pas être honnête, de me mentir à moi-même, mais sans comprendre pourquoi.

ELLE. Comment est-ce que cela a basculé ?

F.F. Garder un secret, même quand on ne sait pas lequel, c’est épuisant. Je cherchais la lumière, la popularité, j’avais besoin d’amour, d’être réchauffée par le public, par des audiences tout en ayant le sentiment d’être dans l’imposture. Tout cela me coûtait. J’ai résisté. Jusqu’au jour où mon corps a lâché. J’ai été saisie de crises de panique n’importe où, n’importe quand.
J’avais des flashs : un mur blanc et un ciel bleu, une serviette verte, une fenêtre verrouillée par un petit loquet. Ces images me revenaient mais d’où ? Pourquoi ? J’avais l’impression de devenir folle. Je me suis profondément inquiétée de ce qui m’arrivait. J’ai commencé à m’isoler et à ne plus voir personne, pour me protéger.

ELLE. Ces crises sont apparues à la mort de votre grand-père. Pourquoi ?

F.F. C’est grâce à lui que j’ai survécu. C’est sur la constance de son amour que je me suis reposée toutes ces années. Rien n’est plus structurant que d’avoir dans son entourage une personne qui vous aime sans condition. Il était la figure de ma résilience. Le jour où il est décédé, je n’ai plus eu personne pour me soutenir. C’est souvent comme cela que se réveille la mémoire traumatique : lorsque l’équilibre instable sur lequel on s’est posé s’effondre.

ELLE. Comment sont revenus ces souvenirs, plus de vingt ans après ?

F.F. Quand j’explique le fonctionnement de la mémoire traumatique à mes enfants, je leur dis que c’est comme une boîte, que j’avais au fond de moi et qui s’est entrouverte à la mort de mon grand-père. Comme des petites bulles, les souvenirs ont commencé à s’échapper. Dans le désordre.
Comme un feu d’artifice fou, incontrôlable, qui explose à la figure. C’est d’une violence incroyable car ces souvenirs cachés sont aussi intacts que lorsqu’on les a vécus, non polissés par le temps.
Il a fallu que j’accepte de revivre la terreur que j’ai ressentie à 13 ans. Les odeurs, les sensations physiques, l’effroi et le besoin éperdu d’amour, de consolation. À partir du moment où j’ai été accompagnée par un psy, j’ai accepté de laisser les souvenirs me traverser. Et tout est revenu. Ensuite, il a fallu classer, trier, remettre de l’ordre pour réécrire l’histoire.

ELLE. Les flashs dont vous parlez étaient les seules images qui vous restaient du moment où vous avez été violée par ce photographe. vous ne donnez jamais son nom : pour quelle raison ?

F.F. Parce que, en raison de la prescription des faits, ce criminel est hors d’atteinte de toute condamnation. En France, un mineur victime de viol peut porter plainte jusqu’à l’âge de 38 ans.
Mes souvenirs ont ressurgi alors que j’avais entre 35 et 38 ans. Le temps que j’assimile tout ça, que je trouve la force de le raconter, il était trop tard pour moi. Je ne peux donc ni prononcer son nom ni l’écrire. En revanche, je suis persuadée que je ne suis pas sa seule victime. Ce que je ne peux pas faire, j’espère que d’autres le pourront encore. C’est ma façon de consoler la petite fille que j’étais et de restaurer la position de victime qui lui a toujours été niée. Si on m’avait écoutée, comprise, soutenue, je n’aurais pas eu besoin d’écrire un livre. J’espère que d’autres prendront la parole.
Et que nous pourrons nous consoler les unes les autres.

ELLE. Comment vous êtes-vous retrouvée à l’âge de 13 ans à faire des photos chez cet homme ?

F.F. J’étais en vacances au cap d’Agde avec ma famille. Nous étions à la terrasse d’un café un soir, sur le port, à manger un banana split. Je n’ai pas vu le prédateur arriver. Quand il a proposé à ma mère que je fasse des essais, elle a été ravie. Tout le monde savait qui il était. Il y avait cette sensation de toucher à l’extraordinaire pour une famille de province. Ma mère m’a ensuite emmenée, tous les après-midi chez lui, faire des photos. J’ai senti rapidement que les essais étaient un rite de passage pour être la « nouvelle élue ». C’était une façon de prendre l’ascendant sur moi. Mais je n’aurais jamais imaginé ce qu’il allait faire.

ELLE. À un moment, vous avez pressenti qu’il se passait quelque chose d’anormal. Comme lorsqu’il vous a obligée à regarder les sexes de femmes nudistes sur la plage. mais vous n’avez pas pu réagir. savez-vous pourquoi ?

F.F. Quand, enfant, on n’est pas entouré d’adultes qui nous protègent et repèrent les signaux de danger pour nous, on doute de sa propre perception. Si, en plus, on ne peut pas exprimer son inquiétude, car on sait que personne ne nous écoutera, alors on courbe l’échine et on espère que ça passera. Après coup, en parler est encore plus difficile à cause de la honte, du secret imposé, de la culpabilité de croire qu’on y est pour quelque chose. Alors on se tait. Il y a des parents qui ne comprennent pas leur devoir de protection envers leur enfant.

ELLE. Votre mère vous a laissée seule avec ce photographe qui ouvrait la porte nu. dans le livre, la petite fille pense que sa mère va l’engueuler et lui dire : « tu ne pouvais pas faire attention ? après tout le mal qu’on s’est donné pour faire ces photos. »

F.F. C’est tellement ancré en elle qu’elle est la raison pour laquelle ça ne va pas à la maison !
Elle est bâillonnée par ce sentiment d’être celle qui dérange, qui perturbe, qui apporte « les emmerdes ». Elle perçoit les signaux d’alerte, mais elle doute d’elle.

ELLE. Votre mère a passé son temps à vous dire que vous étiez « moche », « conne », « mauvaise ». Vous, vous étiez prête à tout pour lui faire plaisir, même à vous mettre en grave danger.

F.F. On cherche l’amour ! Il y a des enfants battus qui vont toujours revenir vers leurs parents, des enfants traumatisés en quête de bras. Les bras de ma mère, de mon père m’ont terriblement manqué. En ce qui concerne l’éducation humiliante que j’ai subie, c’était une stratégie inconsciente d’emprise. Mais c’était aussi un temps où on dressait les enfants en les rabaissant.
On pensait que cela provoquerait un sursaut d’estime de soi. C’est tout le contraire. Mon estime de moi était réduite à… [elle réfléchit] néant.

ELLE. Ce viol a ouvert la porte à d’autres agressions sexuelles. Comme si vous étiez chaque fois dans la même sidération.

F.F. Je ne mets pas le viol à 13 ans sur le même plan que ce qui m’est arrivé par la suite.
Ce qui est sûr c’est que, sur ce balcon, quand le photographe a abusé de moi, j’ai essayé de barricader mon corps de l’intérieur. La sidération empêche de crier, de fuir. Elle vous transforme en statue. Alors, la seule façon d’échapper à l’horreur est de s’enfuir par la pensée. On abandonne cette enveloppe. C’était une question de survie. Par la suite, recourir à la dissociation est devenu un mode de fonctionnement. Il y avait en moi quelque chose de formaté à courber l’échine, qui m’empêchait de dire non. J’avais un sentiment de devoir : devoir de soumission, devoir de plaire, devoir de jouer le jeu…

ELLE. Au fil des pages, on se dit que cela ne va jamais finir car votre mère, plus tard, vous a poussée dans les bras d’autres hommes, jusqu’à vous obliger à aller le week-end coucher avec un monsieur en banlieue.

F.F. C’est souvent le cas avec les victimes de maltraitance, le schéma se reproduit. La victime est repérable pour les prédateurs.
Je suis persuadée que j’étais repérable.

ELLE. Avez-vous informé votre mère de l’écriture de ce livre ?

F.F. Je ne peux pas répondre. Depuis ce drame, j’ai été obligée de me consoler seule. De gravir la montagne seule, avec personne pour m’assurer dans la cordée. Je suis protégée aujourd’hui par mon entourage et une famille nouvelle, mais j’ai dû couper les liens avec ceux qui m’entraînaient vers le fond.

ELLE. Le choix de faire de la radio, c’était pour pouvoir écrire ?

F.F. Je savais que le chemin qui m’attendait ne pouvait pas fonctionner avec l’image que je renvoyais à la télé et qui n’était pas du tout en adéquation avec ce que je suis profondément.
Je craignais que l’on ne m’accorde pas une crédibilité d’auteur alors que j’en rêve depuis toute petite. Cette retraite médiatique a été salvatrice pour moi car je fais l’émission qui me convient, en dialoguant avec les auditeurs. Et, avec ce livre, je suis enfin dans la vérité. On ne se ment pas.
C’est difficile de s’entendre dire : « Votre vie est formidable », « Quelle chance vous avez », quand vous souffrez.

ELLE. Vous avez trouvé la paix ?

F.F. Je n’ai pas tourné la page car on ne tourne pas ce genre de page. Mais je suis animée par l’idée que cela va aider d’autres femmes qui ne peuvent pas parler. Et faire bouger la prescription.
C’est épouvantable de vivre cette remontée des souvenirs, de comprendre qui on est, de trouver la force de parler et de s’entendre dire que c’est trop tard. Vous avez souffert toute votre vie. Mais ceux qui ont commis de tels actes peuvent dormir tranquilles.

ELLE. En 2014, le délai de prescription a failli être prolongé de dix ans. mais le projet a été rejeté par l’Assemblée nationale. s’il avait été voté, auriez-vous porté plainte ?

F.F. Oui, je l’aurais fait. Avec ce livre, j’espère libérer la parole. C’est ma façon d’abolir la prescription.

Source : http://www.elle.fr/

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