Témoignage | Mon père m’a violé et mon beau-père a fini par tuer ma mère

Catherine m’a écrit à la mi-mars.

Par une chaude nuit d’été, le conjoint de sa mère l’a étranglée avec une ceinture.

Catherine, c’est pas son vrai nom.

Une façon de la protéger, puisque l’affaire, qui s’est produite récemment dans une banlieue près de chez vous, n’a pas encore été portée devant les tribunaux.

Il pleut des cordes.

Dans son coquet jumelé, Catherine accepte de raconter l’enfer vécu par sa mère avant d’être assassinée par l’homme qu’elle aimait.

Impossible de ne pas penser à la petite Daphné Boudreault et au nombre de femmes qui seront tuées cette année par leur chum ou leur ex sans que personne n’ait pu faire quoi que ce soit.

Près de la table de la cuisine, un bol à chat plein de croquettes.

Est-ce qu’il appartient aux chats de sa mère, extirpés de la maison où s’est déroulé le drame?

Catherine se fait un thé avant de venir s’assoir.

Elle est enfant unique.

Sa mère, c’est tout ce qu’elle avait.

«Ma mère a toujours été avec des hommes abusifs, mon père le premier.

Mon père, c’est un pédophile.

Il a abusé de moi pis de mes cousines à plusieurs reprises.

Quand ma mère l’a su, évidemment, elle était bouleversée.

Mais dans sa famille, ils ont manqué d’argent.

Elle avait peur de perdre la maison.

Ça fait qu’elle n’a pas porté plainte au criminel à cause de ça.

Elle a appelé la DPJ.

Fallait qu’elle surveille mon père tout le temps.

C’est ce que disait le jugement.

Je ne pouvais jamais être toute seule avec lui.

C’était un peu impossible.»

Dans sa petite cage derrière, la perruche virevolte.

«Cet oiseau-là est fou», se contentera de dire Catherine.

Les mains accrochées à sa tasse en porcelaine, elle raconte comment sa mère, après avoir quitté son agresseur de père, a enchaîné les relations abusives.

«Tous les chums qu’elle a eus après ont été violents physiquement ou verbalement.»

C’est en 2012 que la mère de Catherine rencontre celui qui l’assassinera.

Elle tombe tout de suite follement amoureuse de lui.

«Il lui disait qu’elle était la femme de sa vie, qu’il allait pendre soin et d’elle et qu’ils déménageraient ensemble en Floride à leur retraite.»

Catherine n’avait jamais vu sa mère aussi heureuse.

«Je me suis dit enfin, elle a rencontré le bon.

Il avait l’air d’un gars normal.»

Comme souvent dans les histoires de violence conjugale, la lune de miel est de courte durée.

Catherine constate rapidement que le nouvel amoureux de sa mère est contrôlant et jaloux.

«Fallait qu’elle fasse tout avec lui.

Elle n’avait pas le droit de venir chez moi sans lui.»

Quand on est en couple, faut toujours être ensemble.

C’est ça qu’il lui disait.

«Sur Facebook, ma mère a dû enlever tous ses amis masculins, même son beau-frère.

Ma mère laissait passer ça, mais elle m’en parlait.

Ça la fâchait.

Je lui disais que ça n’avait pas d’allure, qu’il y avait de quoi de bizarre avec ce gars-là.

Elle se contentait de me répondre qu’il était comme ça.»

Moins d’un an après le début de leur relation, le couple décide d’emménager ensemble.

La mère de Catherine met en vente la maison qu’elle habite depuis 35 ans.

Elle venait de la rénover et évoque brièvement l’idée de la louer au lieu de la vendre.

Son conjoint refuse.

Pour lui, c’est le signe qu’elle refuse de s’engager véritablement avec lui.

La mère de Catherine se résout à se débarrasser de la maison.

Le conjoint de sa mère devient de plus en plus contrôlant.

«Ils se chicanaient beaucoup.

Ma mère ne pouvait plus s’habiller comme elle voulait.

Il l’insultait et la traitait de pute.

Il l’accusait de vouloir attirer l’attention des hommes sur elle.

C’était rendu qu’il fermait les rideaux de la maison pour que personne ne la voie.»

Catherine voit bien que les choses dérapent.

Elle en discutera souvent avec sa mère.

Chaque fois, elle explique à sa fille qu’elle ne peut pas partir.

Son chum lui répète que si elle le quitte, elle va perdre tout l’argent qu’elle a investi dans la nouvelle maison.

Catherine comprend qu’elle est dépendante financièrement et émotionnellement de cet homme-là, comme de tous les autres avant lui.

Elle lui propose en vain de l’accueillir chez elle et de la soutenir financièrement.

L’année du meurtre, le conjoint de la mère de Catherine, décide de vendre la nouvelle maison.

Sa mère n’est pas d’accord, mais elle a tellement peur de lui qu’elle le laisse faire.

«Je lui disais qu’elle n’était pas obligée de signer.

Elle me répondait que si elle ne signait pas, il allait devenir fou.

Elle en avait peur.

Elle m’a avoué qu’il l’avait déjà brassée.

Mais ça voulait dire quoi, pour elle, brasser?

C’était pas clair.»

La mère de Catherine a de plus en plus peur.

Mais elle ne veut pas partir.

Elle s’accroche.

«À son âge, elle approchait de la retraite.

Il devait aussi être fin des fois, lui promettre des choses.»

Catherine précise que sa mère était une femme forte en apparence.

«Elle le savait que ce n’était pas correct.

Elle avait l’air de savoir où elle s’en allait pis d’avoir les choses sous contrôle.

Je me suis laissée convaincre par ça même si une partie de moi savait que ça marchait pas.»

Par une chaude nuit d’été, donc, la mère de Catherine veille dans un Tim Horton avec ses amies de femme.

Comme toujours, son conjoint l’accompagne.

Ce sont ces femmes-là qui ont raconté la suite.

Une chicane à propos de la vente de la maison.

Le chum qui aurait quitté le restaurant, enragé, suivi de la mère de Catherine.

«Pis là supposément que c’est arrivé dans la nuit vers deux heures du matin.

Il l’a étranglée.

C’est pas clair pourquoi.

Tout ce que je sais, c’est qu’il l’a étranglée avec une ceinture pis qu’il avait coupé les lignes de téléphone pis d’internet avant.»

Catherine avait parlé à sa mère la veille.

«Elle m’a dit: «Là je suis tannée, il est malade, il m’a menacée de me laisser sur le bord de la route pis de me péter la tête.

Elle voulait qu’on se trouve une maison bigénérationnelle.

C’est la dernière fois que je lui ai parlé.»

Le lendemain du meurtre, deux policiers se présentent chez Catherine.

«Quand je les ai vus, j’ai pensé qu’il était arrivé quelque chose à ma fille.

J’ai jamais pensé à ma mère.

Jamais j’aurais pu penser que ça se rendrait jusque là.

C’est des affaires que tu lis dans les journaux pis qui arrivent à quelqu’un d’autre.»

Catherine fait une pause.

Deux larmes roulent sur ses joues.

«J’essaie de voir s’il y avait des signes pis ce que j’aurais pu faire.

Je me dis: “pourquoi j’ai pas fait ça, pourquoi j’ai pas dit ça, pourquoi je l’ai pas forcée à s’en aller?”

C’est facile de dire après que c’était évident, mais quand t’es dedans, tu penses pas à ça.»

Catherine parle du salon funéraire, de la marque bleue autour du cou de sa mère, toujours là malgré les multiples couches de maquillage.

«La famille me demandait pourquoi je ne faisais pas fermer le cercueil.

Je ne pouvais pas.

C’était ma mère.

Des fois, dans un moment de folie, je me dis qu’elle est peut-être cachée quelque part pis qu’elle va revenir.

J’imagine qu’elle cogne à ma porte, comme dans un film.»

J’aborde avec Catherine le meurtre sordide de Daphnée.

Son visage se crispe.

«On dirait que ça n’arrête pas ces drames-là.

C’est la même régie de police qui s’est occupée de ma mère et qui ont comme pas trop voulu l’accompagner.

Ma mère a déjà porté plainte à la police contre un autre de ses chums.

Mais y font rien quand tu portes plainte.

Moi, la première affaire que la police m’a dit après le meurtre de ma mère:

«vous dites que ça fait longtemps qu’il y a de la violence, mais comment ça se fait que votre mère n’a jamais porté plainte?»

C’est clair que c’est parce qu’elle avait peur.

La police m’a dit que si elle avait porté plainte, ça les aurait aidés à monter le dossier.

Mais ma mère, elle voulait pas les aider à monter leur maudit dossier, elle voulait rester en vie.»

L’entrevue se termine.

Dehors, il pleut encore à boire debout.

Sur le pas de la porte, Catherine insiste.

Elle a un message pour les proches de victime de violence conjugale.

«C’est difficile de se sortir de ce type de relation.

Il faut accompagner la personne, lui dire qu’elle n’est pas toute seule, que si elle a besoin d’aide, vous serez toujours là.

Moi, à un moment donné, j’ai arrêté de dire à ma mère de laisser son conjoint.

J’avais peur qu’elle arrête de me parler.

Il faut maintenir les ponts à tout prix et souhaiter que la personne se décide à partir.

Je pense que ma mère était rendue à ce point là.»

En refermant la porte du jumelé, la phrase à la fin d’Un tueur si proche résonne dans ma tête :

«Et si un tel drame se déroulait près de chez vous, sauriez-vous le voir venir?»

Je ne peux pas m’empêcher de penser que le drame de la mère de Catherine, on l’a vu venir à cent mille à l’heure.

Sauf que ni sa fille et ni la police n’ont pu faire quoi que ce soit pour sauver cette femme de son bourreau.

Et ça, c’est une véritable tragédie.

Source: Journal de Montréal

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