Le goût du sel : Un témoignage sur l’inceste qui explique comment réagissent les enfants
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 11/01/2025
- 22:19
Je vais en présenter de larges extraits qui permettront à tous de mieux comprendre la réaction des enfants, car ce récit est écrit au présent et décrit très bien ce qu’il se passe dans sa tête même lorsqu’elle était enfant.
Le texte intitulé “Le goût du sel” est un récit autobiographique, qui raconte l’enfance et l’adolescence de l’auteure, Zoé (c’est un pseudonyme). Ce qui est très intéressant dans ce récit détaillé, c’est qu’elle prend le temps d’expliquer comment elle réfléchissait, pourquoi elle avait telle ou telle réaction. Il y a dans ce texte de nombreux éléments qui peuvent faciliter l’identification des enfants victimes par un adulte, un proche, un entraîneur sportif, un enseignant, le parent d’une copine…
Je tiens à remercier l’auteure pour avoir écrit et voulu diffuser ce texte très riche, qui pourra surement faire l’objet d’un livre. Zoé souhaite montrer la double peine de nombreuses victimes d’inceste et de pédocriminalité, car aux violences sexuelles s’ajoute la violence sociale. Merci à Zoé d’avoir écrit et envoyé ce texte : elle veut qu’il soit utile à d’autres et je suis certaine qu’il le sera. C’est un témoignage important à mon avis.
Contactez Donde Vamos pour un projet d’édition du manuscrit.
Petite enfance
Je suis née dans une ville du Nord, à la fin du mois d’août, sous le signe de la vierge.
Une chose assez ironique étant donné que mon père s’est révélé rapidement incestueux envers ma grande sœur et moi.
En général, lorsqu’il y a de l’inceste dans une famille, il n’y a pas que des mauvais traitements sexuels, il y a aussi d’autres formes de maltraitance. Dans mon texte, je ne parlerai pas uniquement de ma vie familiale dysfonctionnelle, mais aussi de ma vie tout court.
(…) Malgré l’apparente qualité de vie, ma mère n’a jamais aimé cette ville, et au fil des années, moi non plus. Elle ne voulait pas y vivre. C’était loin de sa famille et de son travail. Surtout, la maison nécessitait beaucoup de travaux.
Mon père tenait absolument à habiter dans cette commune. Cela le rapprochait de son travail et de toute sa famille. Il lui avait promis d’en faire un château, qu’elle n’aurait plus à travailler, et que tous les week-ends, ils iraient voir sa famille. Choses qu’il ne fit jamais. Ma mère avait économisé de l’argent pour faire des travaux, mais mon père prétexta de les faire lui-même, chose qu’il ne fit jamais, car il avait dépensé l’argent pour s’acheter un 4X4 d’occasion. Ma mère était contre, mais il l’avait harcelée tous les jours en répétant sans cesse les mêmes choses.
Ce ne fut pas le seul 4X4 d’occasion qu’il acheta au fil des années. Lorsque j’étais en CM2, il en acheta un second, qu’il ne garda pas longtemps, et acheta un autre lorsque j’étais en quatrième. Celui ci il le conserva pendant des années. Nous avions donc deux 4X4 en même temps plusieurs fois.
(…) Je ne sais pas pourquoi ils se sont mariés, car je sais qu’ils ne s’aimaient pas. Jamais je ne les ai vus avoir un acte de tendresse ou d’affection entre eux. Je ne les ai jamais vu s’embrasser ou être doux l’un vers l’autre. Lorsque mon père interpellait ma mère, il ne l’appelait pas par son prénom, mais “Eh !”. “Eh ! Qu’est-ce qu’on mange ce midi ?”. Je sais que ma mère voulait quitter sa famille, elle n’était pas heureuse. Son père était dominant et macho. Il était autoritaire avec ses fils, et s’ils n’obéissaient pas, il les frappait. Ses filles il ne le frappait pas, mais il leur faisait des attouchements. Je pense que ma mère voulait fuir sa famille et être libre. Elle a dû croire trouver sa liberté auprès de mon père, qui était plus âgé qu’elle de six ans, ce qui fait beaucoup.
À l’époque, il était doux et gentil. Il s’entendait bien avec le fils de sa grande sœur et il avait déjà travaillé auprès d’enfants. Ce n’est que quelque temps après le mariage, et après la naissance de ma sœur, qu’il avait commencé à être violent. Il l’était par des paroles “vulgaires”, mais aussi physiquement. Ma mère ne s’attendait pas à un tel changement de comportement de sa part.
Pour beaucoup de personnes, c’était un homme doux et calme, car il avait plutôt tendance à se laisser faire. Mais chez nous, il était tout l’inverse : c’était un homme dominant, autoritaire et violent, surtout par la parole. Rapidement, il n’a plus eu besoin de s’imposer par la force, car on savait ce qu’on risquait. Ma mère avait lutté au début, mais à force, elle avait baissé les bras.
Le premier vrai souvenir que j’ai de lui ce n’est pas de l’inceste, mais qu’il m’avait frappé. J’étais petite et j’avais fait tomber des bouteilles en verre posées dans un panier, sur une chaise. Je voulais m’asseoir sur la chaise et j’avais renversé et cassé toutes les bouteilles. Il était en colère et il m’avait giflée, si violemment que ma mère avait réagit en criant. La joue en feu, je m’étais réfugiée en pleurs sur ma petite chaise en bois.
(…) De l’extérieur nous étions une famille calme et sans problèmes. Je ne suis pas née dans une famille bête ou pauvre. Mes parents avaient à l’époque un revenu moyen. Le chômage et la précarité nous ont fait sombrer, mais c’est surtout notre père qui a sabordé notre famille. Avant même que le chômage frappe notre famille, il dépensait égoïstement l’argent dans ses loisirs et pratiquait régulièrement l’inceste.
Malheureusement, comme un tiers des enfants abusés, je l’ai été par plusieurs personnes. Alex fut pire que mon père.
(…) Depuis toute petite j’ai de l’asthme. Une infirmière venait chez mes parents pour me faire des piqûres dans les fesses, pour me désensibiliser. Je l’aimais bien que, malgré le fait que que je n’aimais pas les piqûres. Elle me donnait un bonbon après si j’avais été sage. Lors de la dernière injection, elle m’offrit un plus gros bonbon. J’étais très contente. Elle me disait que j’étais un enfant sage et pas douillette. Malgré ce traitement, la principale source de ma gêne n’a jamais cessé : mon père fumait énormément. Souvent, il y avait un nuage de fumée lorsqu’il était là. Il ne s’est jamais soucié de ma santé malgré ma gêne.
J’étais très contente d’aller enfin à la maternelle. Ça me permettait de voir des autres enfants de mon âge et c’est là que je me suis fait mes premières copines.
(…) C’est en maternelle que j’ai ressenti la première fois l’injustice, dans le sens accuser a tort. Ce n’est pas une chose bien grave ce qui s’est passé, mais enfant cela marque. Nous devions dessiner avec des stylos rangés dans un pot. La maitresse nous avait averties de faire bien attention et de ne pas les abimer. Innocemment j’en pris un qui était déjà abimé, l’extrémité avait été mordillée. Une fille de la classe l’avait dit a la maitresse en disant que c’était moi.
Habituée petite a ne pas répondre a un adulte, je ne dis rien et et me suis laissée accuser et réprimander. Ça n’a eu aucune conséquence, mais je n’avais pas aimé d’être accusée pour une faute que je n’avais pas commise et être disputée pour cela.
Ce fut lors d’une visite chez la mère de ma mère, vers 5 ans, que j’ai dit la première fois à quelqu’un que mon père me touchait. Je ne l’ai dit que deux fois enfant, l’autre en CP, mais j’en reparlerai. Il y avait une sorte d’oncle qui était venu chez ma grand-mère. Je ne sais plus pourquoi, mais j’étais partie seule avec lui faire quelque chose et il m’avait tripotée. Je n’étais pas choquée par son action car j’étais habituée à cause de mon père. Je pensais que c’était normal.
Au retour, alors que tout le monde était dans la cuisine, il me parla seul dans le séjour en se baissant à ma hauteur. Il m’avait demandé gentiment de garder le secret. Mon père, lorsqu’il me parlait, était souvent autoritaire et désagréable avec moi. J’étais contente et touchée qu’un homme adulte me parlât gentiment. Je lui fis la promesse de ne le dire à personne. D’ailleurs, je lui avouai que j’avais l’habitude avec mon père. Par la suite, les rares fois où je l’ai revu, il ne m’a plus touchée, mais il n’en avait plus l’occasion.
J’ai appris bien plus tard, que dans sa jeunesse, il avait aussi touché sa sur plus jeune que lui. Certaines personnes de la famille doutaient en disant que c’était faux, comme ma mère par exemple, mais moi je l’ai toujours cru. Elle n’est pas au courant de ce qu’il m’avait fait, seule ma sœur le sait. De toute façon je n’en veux pas a cette sorte d’oncle, car ça n’a pas été bien méchant comparé a ce que je vivais.
Souvent, un agresseur fait plusieurs victimes. Leur nombre dépend de sa facilité à en trouver et non pas parce qu’il s’en empêche. Il ne s’arrête que si le risque de se faire prendre est trop important ou s’il est arrêté par la justice.
Comme je l’ai dit avant, un tiers des enfants abusés le sont par plus d’une personne. Il y a aussi eu Alex plus tard qui m’a touchée.
Mon premier beau souvenir est celui d’un cadeau d’anniversaire offert par ma tante et ma grand-mère paternelle. Elles m’avaient offert le camping-car Playmobil qui me faisait rêver.
D’ailleurs à cette époque, lorsque nous fêtions notre anniversaire, notre grand-mère paternelle nous montrait notre âge avec ses doigts. Je me disais que lorsqu’elle passerait à la seconde main, je serais devenu grande et si elle n’aurait plus assez de ses deux mains, que j’étais devenu vieille. J’étais très contente et heureuse d’avoir ce Playmobil. Malheureusement, je n’ai pas pu beaucoup jouer avec, moins d’une semaine. Comme il fallait faire des travaux dans notre chambre, qui n’ont jamais été finis, il avait été rangé quelque part et je n’avais plus le droit d’y jouer.
Sous domination d’un père abusif et pédocriminel
Régulièrement, le soir, nos parents se disputaient. Ma mère, qui avait une longue route pour se rendre à son travail, devait prendre des bus et un train en se levant à 5H30 du matin et rentrait fatiguée à 20H, alors que mon père, qui avait moins d’une demi-heure de route, n’allait pas nous chercher à l’école ou chez notre grand mère. Il laissait notre mère s’en charger, alors que lui rentrait à la maison tranquillement. Il ne voulait pas s’embêter avec nous.
Le soir, ma mère devait faire le repas, et ensuite la vaisselle. Alors que ma sœur et moi aimions les frites, mon père interdisait à ma mère d’en faire. Il en mangeait déjà à la cantine de son entreprise et il ne voulait plus en manger le soir.
Souvent mes parents se disputaient, sans que j’en comprenne les raisons. Ma sœur et moi avions peur, car notre père pouvait devenir violent physiquement. Il était tellement énervé que nous avions peur qu’il la tue. Mais en général, lorsque mon père devenait trop agressif, notre mère montait nous coucher. Depuis notre chambre, nous entendions leurs cris et des objets se casser, souvent de la vaisselle. Nous ne trouvions le sommeil que lorsque cela cessait.
Depuis toute petite, notre père faisait des photos de nous pour rien. Par exemple, lorsqu’on mangeait à table ou lors d’une sortie familiale en train de marcher dans la rue. Si bien que j’étais habituée à être prise en photo, et même agacée en vieillissant. La photo était sa passion.
(…) Lorsque notre mère travaillait, il aimait faire des photos de nous nues. En gros, c’était de mes 4 à 6 ans. Il les faisait toujours les volets ou les rideaux fermés. Les séances se déroulaient souvent debout dans le séjour ou le salon, ou en étant assise sur la table, dans le canapé ou dans un fauteuil en osier qui était surnommé Emmanuelle. Le nom de se fauteuil venait d’un très vieux film porno ou une femme nue pose assise sur un fauteuil en osier.
Les séances se déroulaient souvent sous forme de jeu afin que l’on rie. Il nous demandait d’imiter des animaux, comme la grenouille ou un petit chien ou chat, pour que l’on prenne des poses par exemple. D’ailleurs, il nous a aussi filmées.
Obéissantes, nous écoutions notre père et essayions de suivre au mieux ses instructions pendant les séances. Des fois, je ne comprenais pas exactement ce qu’il voulait. Il reconnaissait de lui-même que j’étais encore trop jeune pour bien comprendre ses demandes vicieuses. Notre père était détendu avec nous contrairement à son habitude. Il essayait de nous faire rire et de nous amuser. Il avait certainement constaté, que même si nous obéissions aux ordres qu’il nous donnait, notre attitude et notre visage trahissaient notre tristesse. Il voulait obtenir des photos avec des enfants souriants, partageant une complicité entre eux.
Je ne comprenais pas la nature des situations et des attitudes. Ce qui nous dérangeait, était le temps de pose. Tenir telle positon ou faire telle chose devient vite lassant et fatiguant si cela dure. Enfant on se lasse vite d’être immobile. Si bien qu’il faisait les séances sous forme plus ou moins ludiques. J’étais contente de voir mon père gentil avec nous, et pas désagréable comme à son habitude. Si bien que j’essayais de lui plaire et de répondre au mieux à ses demandes. J’étais contente de la bonne entente avec lui. Comme tous les enfants, je souffrais de l’absence de mon père.
Stupidement, je souriais ou riais sur les photos alors que mon père me demandait des comportements inappropriés. Du fait de mon jeune âge, je n’avais pas conscience de la nature des photos. J’étais si heureuse de voir mon père gentil avec moi, que je riais de bon cœur de ses plaisanteries. Malgré tout, selon ce qui se passait, je ne riais pas a tout. On voit sur les photos que je suis triste, malheureuse ou absente.
Les images ont cela de trompeur. Elles peuvent montrer une réalité faussée car regardée hors contexte. Ce n’est pas parce que sur une photo, ou une vidéo, le modèle est souriant, qu’il est content de poser et de faire les choses qu’on lui a demandé. Les photos n’étaient pas de simples clichés innocents ou artistiques. Comme je le disais, nous étions souvent nues, des fois dans des positons obscènes ou des moments incestueux. Nous le faisions sans avoir conscience exactement de ce qu’il se passait. Lorsque nous sommes pris en photo, nous ne voyons pas ce que l’objectif capture. Nous n’avons pas conscience du rendu final, encore plus à cet âge.
Dans ce genre de production d’images, les “modèles” ne sont pas forcement nus. Ils peuvent porter des vêtements courts, moulants ou/et sans dessous, et avoir des attitudes lascives. Par exemple, être photographiée assise en robe, sans dessous, et en contre plongée.
Sinon, régulièrement, il aimait aussi nous tirer en photo lorsqu’on se lavait. Cela me gênait, mais je n’osais rien dire. Il a arrêté en début de primaire. Lorsque j’ai revu ces images, ça m’a fait drôle. Bien que je sache que c’est moi, on dirait que c’est une autre personne sur les photos et je me suis trouvée écœurante. A l’époque, je n’avais pas conscience des images recherchées.
Il s’agissait vraiment d’une sexualisation de l’enfant que j’étais, mais avec des codes sexuels “enfantins”. Lorsque j’entends des personnes affirmer que maquiller une petite fille, comme une femme, ça va donner des envies à des pédophiles, ça me semble inexact. Ce qui les attire, c’est l’enfance, pas une “mini femme”. Après certainement que certains aiment ca, mais de mon “expérience” ce n’était pas le cas. Dans ce genre d’abus, c’est l’enfance et non la “féminité” qui attire les pédophiles/pédocriminels.
Mes premiers souvenirs d’inceste remontent à cette période. Pour être précise, j’ai l’impression que j’ai toujours été touchée depuis que je suis née, mais cela est impossible. Je me rappelle que toute petite, je voyais mon père toucher ma sœur. Par exemple, il se baissait à son niveau et lui relevait sa chemise de nuit pour toucher son pubis. Il pouvait aussi lui demander de la maintenir relevée pour pouvoir aussi toucher ses fesses. Il me faisait pareil, et tout comme elle, je lui obéissais s’il me demandait de faire quelque chose.
(…) Ce fut vers cet âge-là que j’ai commencé à trouver étrange certains des comportements de mon père.
Avant mes 5 ans, mon père a eu besoin de commencer de toucher mon pubis avec sa bouche. Bien avant il s’était mit à me lécher le ventre. C’était plus gênant qu’avec sa main. J’avais de la salive sur la zone et j’étais toute mouillée. Je ne l’ai dit que la troisième fois a ma mère, car elle était arrivée dans la pièce d’à côté alors que c’était fini. Ce fut la seule fois que je lui ai parlé de l’inceste.
Ma mère avait été en colère et agressive contre lui, et il me semble même choquée. Elle lui avait dit de ne pas faire cela et de ne jamais recommencer. À l’époque je ne voyais pas la dimension sexuelle. Le nom et l’existence de cette pratique m’étaient inconnus. Il lui avait répondu qu’il m’avait embrassé le ventre. Il avait arrêté, mais seulement quelque jours. Je ne l’ai plus redit à ma mère par la suite. Lorsque mes parents se disputaient mon père pouvait être violent avec ma mère. Je ne voulais pas qu’il soit méchant avec elle surtout que ça n’avait rien changé. Je ne voulais pas être la source de leur dispute.
Alex aussi a fait pareil, me lécher le ventre pour ensuite lécher ailleurs durant un même abus. Je ne sais pas pourquoi ils procédaient de la même façon. Avec le temps, on ne nous lèche plus le ventre mais directement la zone visée. Mon père pouvait aussi nous lécher la joue et l’oreille. Il le faisait pendant les actes incestueux, mais pas uniquement. Par exemple, nous rendions visite à de la famille et il pouvait nous lécher la joue “discrètement” sans nous toucher.
Il l’a continué cela jusqu’à la fin du collège. Le plus désagréable, c’est de se faire lécher l’oreille, car on a de la salive dedans. C’est un peu comme lorsqu’on va à la piscine et qu’on a de l’eau dans les oreilles. C’est gênant.
Ce qui me dérangeait aussi à l’époque, c’était d’être vue comme un objet. Je jouais et mon père, sans rien me demander, m’attrapait en m’allongeant sur la table pour pouvoir me faire cela. J’avais l’impression d’être un peu comme un objet. On ne nous demande rien et on ne nous explique rien. Une fois qu’il était satisfaisait, il me reposait au sol et s’en allait à ses activités. Moi, je pouvais reprendre les miennes, comme si que c’était normal. D’ailleurs, à l’époque, je le pensais.
En maternelle, ça n’allait pas plus loin que cela. Ça restait des attouchements sur l’avant ou l’arrière du corps, surtout avec les mains et parfois avec la bouche. Je n’imaginais pas, et je ne pensais d’ailleurs même pas, qu’il pouvait exister des autres façons. Pourtant, je ne le savais pas encore, mais dans quelques mois, il allait vouloir d’autres actes. Le pire, c’est que je ne me rendais même pas compte que tout cela n’était pas normal.
L’inceste m’a appris une chose. Que toute situation aussi dramatique ou violente qui nous arrive, peut toujours s’aggraver dans le temps. Prier Dieu ne change pas notre situation. Il n’y a que nous qui pouvons agir si on veut changer quelque chose.
Grandir avec les violences sexuelles
Ma sœur et moi partagions la même chambre et le soir, allongées dans notre lit, nous parlions longuement avant de dormir. Les sujets étaient divers et variés, surtout en fonction de l’âge. Mais nous ne parlions pas de nos mauvais traitements incestueux. Si on devait les évoquer, on employer le terme “embêter”, sans rentrer dans plus de précision. Plus tard, en grandissant, nous utilisions le terme “emmerder” ou “faire chier”.
On a toujours su pour les abus de l’une et de l’autre puisqu’il nous touchait l’une devant l’autre, ou en même temps. Si bien que j’ai vu ma sœur, et elle inversement, se faire toucher. Je ne dis pas cela pour me plaindre, mais étant plus jeune qu’elle, lorsqu’il y avait des “nouveaux ” actes, ils nous les faisaient au même moment. Si bien que j’ai commencé plus tôt qu’elle certaines choses. Mais par contre, pour elle, ça a duré plus longtemps.
(…) Vivant avec notre père, nous comprenions à ses humeurs et à ses comportements si on risquait quelque chose. Si par exemple il était super énervé et en colère, il ne nous touchait pas. Mais nous ne nous sentions pas pour autant en sécurité.
Il avait besoin de déverser sa colère sur quelqu’un, surtout sur notre mère. Donc ce n’était pas mieux.
En grandissant, je n’aimais pas rester en pyjama ou devoir porter un survêtement. Je n’en porte jamais, sauf pour le sport. Cela peut sembler ridicule, mais avec de genre de vêtement, il est très facile de glisser les mains dessous. Avec un jean, on a une ceinture et une braguette. Il faut les desserrer si on veut faire cela. C’est moins désagréable de se faire toucher sur les vêtements que sous les vêtements.
La maison était délabrée et n’avait pas de salle de bain, nous devions nous laver dans la cuisine. Mon père avait aussi la manie de tout conserver, au cas où il en aurait besoin un jour.
On avait en partie conscience que cela n’était pas normal, mais nous nous disions que c’était certainement dû à notre précarité. Nous avions honte de vivre comme ça et ne le racontions à personne. On faisait celles qui avaient des vies normales. Aucune de nos copines ne le savait, et nous avions l’avantage que personne ne pouvait imaginer tout cela.
Surtout que nous étions propres. Notre maison, bien que modeste était propre aussi. Le jardinet devant notre maison était entretenu et il n’y avait pas d’objets qui trainaient. L’extérieur ne trahissait pas l’intérieur, comme pour certaines maisons dont le jardin ressemble à une décharge sauvage.
Nous n’avions pas le droit d’être nous-mêmes chez nous. On devait toujours étouffer nos émotions. Il nous était interdit de crier, sauter, pleurer… Si on exprimait trop nos émotions, on se faisait réprimander ou moquer. On ne devait pas faire de bruit ou gêner.
Nous étions dans sa main. On riait lorsqu’on en avait le droit. Sinon on devait rester calmes et tranquilles.
Nos difficultés il fallait plutôt les cacher, les oublier, mais ne pas les résoudre.
Si on avait un problème à l’extérieur, en général, la solution cherchait n’était pas que l’on obtienne justice, mais que le problème s’arrête rapidement. Pour s’en débarrasser et être tranquille. On n’était pas soutenues.
Je n’ai jamais pensé que mon père pouvait me protéger. Je ne me sentais pas protégée par ma famille. Je me suis souvent sentie seule et démunie lorsque j’avais des soucis. Je n’avais personne qui me soutenait. On ne devait pas ramener de problème a la maison. C’est aussi pour cela, que Alex a put abuser de moi impunément.
On nous avait inculqué la culture du secret pour notre vie familiale, en raison de nos conditions de vie et de notre pauvreté. Nous ne parlions jamais à personne de ce qui se passait dans la sphère intime de notre vie familiale. Notre père ne nous a jamais interdit de parler de l’inceste : il n’en parlait jamais. Notre mère nous a simplement demandé de ne pas raconter que nous n’avions pas de salle de bain. Mais même sans cela, nous savions que nous ne devions pas dévoiler et raconter ce qui se passait chez nous. Notre honte étant la meilleure garantie de notre silence. Ce que j’ai subi avec Alex en est aussi une illustration.
J’avais quelques copines, mais jamais trop proches. C’étaient des filles que j’avais connues en classe de primaire, venant toutes de milieu modeste. Notre mère nous disait de ne pas accepter de rentrer chez nos amies quant on se promenait ensemble. La raison de cette interdiction était fort simple. Notre mère avait honte de notre demeure délabrée, défraîchie et rempli du bordel de notre père. Alors elle nous ordonnait de refuser de rentrer chez nos copines pour que nos copines n’aient pas envie de rentrer chez nous. Cela donnait parfois lieu à des situations cocasses où je refusais de rentrer malgré les invitations de mes amies ou des parents de ceux-ci.
Cela va surprendre, mais d’une certaine façon, j’ai eu plus honte des conditions de vie que de l’inceste, car cela pouvait être vu, que les abus sexuels restent invisibles. Surtout que mes abus je le vivais en parallèle de ma vie avec mon esprit. Mais cette affirmation devrait être plus détaillée. Je devrais plutôt dire, j’ai plus honte de certaine choses de mes anciennes conditions de vie que de l’inceste, mais dans l’inceste, j’ai subi des choses plus honteuses que tout ce que j’ai put subir dans mes conditions de vie.
Si je devais établir une échelle, il y’ aurait un mélange dans les conditions de vie et l’inceste, mais en haut seraient certains actes pédocriminels. J’ai toute de même plus honte de certain actes incestueux de mon père ou pédocriminels d’Alex.
À partir de la primaire, mes abus sexuels sont devenus plus violents. C’est pour cette raison que je vais moins les évoquer, et que je parle si peu d’Alex aussi. Alex est une personne qui a abusé de moi de nombreuses fois. Ma période la plus violente fut entre mes 5/6 ans et mes 12/13 ans, entre les deux, c’était principalement des attouchements et des réflexions déplacés, comme je l’ai déjà raconté.
Sous les radars
(…) A l’école primaire, les visites médicales scolaires ne sont pas réalisées avec beaucoup de sérieux. Le personnel enchaîne les enfants sans s’intéresser vraiment à eux. Ils ont un temps défini par personne et ils ne dépasseront pas cette limite. De toute façon, des maltraitances sexuelles ne se voient pas si elles sont faites avec “intelligence”.
J’ai déjà parlé à une fille qui en plus était tapée. Elle savait cacher ses marques en faisant exprès de parler beaucoup. Cela faisait traîner la visite et elle n’avait pas besoin de se déshabiller. Étrangement, les enfants abusés sont complices de leur maltraitance. Nous faisons souvent tout pour les cacher.
Peut-être avons-nous peur d’être vus comme différents ou alors pour ne pas trahir sa famille. En fait, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai participé à aussi les dissimuler. En tout cas, personne n’a jamais rien vu, ou voulu voir. Pourtant, avec le recul, je pense qu’on aurait pu deviner des choses.
En primaire, il m’est arrivé quelques fois d’avoir des démangeaisons au niveau du pubis. Je me grattais au sang. Mon père me le reprochait en disant que ça faisait moche et sale. Je suis allée des fois voir le médecin et il me prescrivait une sorte de talc. D’ailleurs, lorsqu’il m’auscultait, quand j’ai un peu grandi, il m’avait dit que c’était à moi de le mettre. J’étais tellement habitué à être touché, que j’attendais qu’il le fasse.
Ma sœur aussi souffrait des fois de cela, mais moins fréquemment. Jamais personne n’a fait le lien.
Comme je le disais avant, j’ai signalé deux fois dans l’enfance que mon père me touchait. La première fois, c’était avec cette sorte d’oncle alors que j’étais en maternelle. La seconde, c’était à 6 ans en CP à une camarade de classe, qui n’était même pas l’une de mes meilleures copines. J’avais dit que mon père me touchait mon pubis sans vouloir dénoncer ce que je vivais. Mais en pensant que je racontais une chose normale qu’elle devait peut-être vivre aussi. Voyant son étonnement, j’ai pris peur et je lui ai dit que c’était faux. Je n’ai plus jamais osé reparler à qui que ce soit de cela par la suite.
Je crois que c’est à partir de là que j’ai compris que tout le monde ne vivait pas cela avec son père.
Ce furent donc les deux seules fois où j’en avais parlé à quelqu’un enfant. À l’époque, je ne connaissais pas les termes de pédocriminalité ou d’inceste.
Déjà à l’époque, les autres enfants me disaient des fois que j’étais bizarre. Car différente d’eux et souvent calme. Je riais peu comparé à eux. J’avais tendance à rester dans mon coin. J’étais moins pleine de vie qu’eux. J’étais, en général, plus dans la retenue.
A 6 ans, je faisais un cauchemar régulièrement, que je faisais déjà en maternelle. J’arrivais dans une pièce en ouvrant la porte. Je découvrais soit des jouets ou des adultes tout nus qui me regardaient. Ensuite, les jouets ou les adultes se transformaient en monstres. J’avais très peur et je me sauvais en courant. Souvent, ça me réveillait.
C’est jusqu’à mes 6 ans que j’ai fait pipi au lit. Alors que j’ai été vite propre en journée, et que j’allais bien uriner avant d’aller me coucher, je n’arrivais pas à ne pas salir mes draps de temps en temps. Il parait que c’est lié aux mauvais traitements. Que mes cauchemars, qui me faisaient vraiment peur, me faisaient uriner. Je ne sais pas si cela est vrai.
(…) Au début d’année de CE1, mon institutrice m’envoya à un entretien avec une psychomotricienne. D’ailleurs durant ma scolarité en primaire, comme on me trouvait bizarre, j’ai vu plusieurs fois en entretien des psychomotriciennes, avant que j’en fasse régulièrement. Ma mère m’y emmenait et je voyais cela comme un examen auquel je devais apporter les bonnes réponses. Être seule avec cette personne, me faisait un peu peur. J’avais une crainte de me retrouver seule face à un adulte inconnu.
Les questions qu’elle me posait portaient sur ma vie. Si j’avais des copines, ce que j’aimais dans la vie, comment je m’entendais avec ma sœur… Et on me demandait aussi de quel pied je tapais dans un ballon. Comme mon père nous interdisait qu’on fasse le moindre bruit, on n’avait pas le droit de jouer au ballon. Je ne savais alors quoi répondre. Me voyant sans réponse, elle posait un capuchon de stylo à terre et je devais donner un coup de pied dedans. Un geste absolument pas naturel puisque je savais que mon choix orientait la réponse.
Lors d’une visite, la psychomotricienne m’avait trouvée étrange. Elle avait questionné ma mère indirectement pour savoir si je n’avais pas vécu un traumatisme, comme avoir vu quelqu’un mourir devant moi. Pour mes parents, nous n’avons rien vécu de terrible ou de traumatisant. Notre vie familiale n’étant pas l’origine de nos problèmes.
Ils n’avaient pas tout à fait tort, car nous n’avions pas vécu un traumatisme. Nous vivions des traumatismes quotidiennement.
Dans mon souvenir, on ne m’a jamais demandé comment je m’entendais avec mon père. Je pense, mais je peux me tromper, que petite si on m’avait demandé s’il me touchait, je l’aurais avoué. D’ailleurs on ne m’a jamais questionnée sur mes conditions de vie. On devait croire que je vivais d’une façon normale, malgré mes quelques troubles.
(…) C’est en primaire que j’ai commencé à me plaindre et à me rebeller pour l’inceste, même si je le faisais un peu avant. Honnêtement, ça ne changeait rien, le résultat était identique. C’est aussi à partir de cette période que nous avions trouvé des méthodes pour nous protéger. Il y avait celle en étant assise ou nous croisions doublement les jambes. Cette position protégeait nos fesses et notre pubis, mais il pouvait défaire le croisement de nos jambes.
Sinon on pouvait aussi se coller dos au mur, ou devant une table. Mais dans ce cas seule une partie du corps était inaccessible et c’était loin d’être vraiment efficace. Pour la table, cela ne fonctionnait qu’en dessous d’un certain âge. Il faut que notre bassin ne dépasse pas de la table. Mais la technique du mur ou celle-ci était assez peu efficace. Il suffisait qu’il nous tire dessus pour qu’on soit accessible.
À cette époque, il y a eu un basculement dans les violences sexuelles. Je ne pouvais plus être passive. Je n’expliquerai pas plus, même si je sais que l’on va comprendre.
À cause de mon asthme, je respirais à l’époque plus par la bouche que par mon nez. Bien que j’avais fait petite de la kiné respiratoire pour améliorer ma respiration. Lorsqu’on m’obstruait ma bouche, ça me gênait rapidement pour respirer. Respirer par le nez me demandait un vrai effort. Ça devenait vite gênant et pénible à faire. Je sentais mon cœur battre plus fort et je m’étouffais. Je ne pouvais vraiment plus respirer.
Mais je ne sais pas si c’est lié à mon asthme, à mon âge ou les deux à la fois. J’explique cela, car c’est peu évoqué lorsqu’on l’on parle de ce genre d’abus chez l’enfant s’il est jeune.
Évidemment, il y a aussi toutes les autres choses dégoûtantes, mais ça, c’est évident. À l’époque, je trouvais déjà écœurant un baiser avec la langue.
C’est vers cet âgé la que j’ai commencé a être écœurée par certaines nourritures, comme par exemple les oignons en morceau dans les plats. Je trouvais leur aspect en bouche écœurant, chaud et gluant. Si j’en avais dans un repas, je les mettais en tas dans un coin de mon assiette pour éviter de les manger. Au début, ma mère était en colère et me reprochait d’être difficile et me forçait à les manger. C’était pénible, car j’étais obligé d’en manger plusieurs à la suite. Ça m’écœurait et ça me demandait un vrai effort. Heureusement, que plus tard, elle ne m’obligeait pas.
Quand l’esprit n’a plus la place pour l’école
Chez moi, je ne bénéficiais pas de bonnes conditions familiales pour étudier. Le fait de ne pas avoir de chauffage et de lumière dans notre chambre, nous empêchait de faire nos devoirs dedans lorsqu’il faisait trop froid ou trop sombre.
Nous les faisions sur la table de la salle à manger avec le bruit de l’écran de notre père et envahies par son nuage de tabac. Si nous devions chercher un livre dans notre chambre l’hiver, nous devions y aller avec une lampe pour éclairer la pièce et le trouver parmi les autres livres rangés dans notre tiroir. C’est inconfortable de tourner les pages d’un manuel scolaire froid, on a l’impression qu’il est mouillé. Il faut attendre un peu qu’il se réchauffe si on veut le consulter.
Ne pas avoir certaines choses courantes crée des inconforts qu’on n’imagine pas. Comme je ne disposais pas de certaines choses que mes camarades avaient, j’avais moins de facilité qu’eux pour faire mes recherches et réaliser certains travaux scolaires. Je n’en parlais pas par honte.
Surtout que devoir étudier dans un climat incestueux, c’est être dans une ambiance stressante, qui gêne la concentration et nos efforts. Si par exemple en primaire, j’avais une récitation en deux parties à apprendre. Alors que j’étais en train d’apprendre la seconde partie, car la première, je la connaissais par cœur, mon père pouvait arriver pour m’imposer de l’inceste.
Lorsque c’était fini, j’étais incapable de me souvenir de la première partie et d’apprendre la seconde. Si ma mère m’interrogeait, elle pensait que je n’avais rien apprit et me reprochait mon manque de travail en me disant “Apprendre ce n’est pas avoir son cahier ouvert devant soi et regarder les mouches voler”.
Ça pouvait aussi m’arriver à l’école ce “phénomène” d’oubli ou de manque de concentration. À cause de ce que j’avais subi avant ou que je pensais que j’allais subir prochainement. D’ailleurs, c’est simple de faire rater un contrôle ou d’empêcher une personne de bien se concentrer. Il suffit d’abuser d’elle avant.
Lorsque ça se produisait, j’étais triste et malheureuse. J’avais passé mon temps à apprendre, je savais bien la leçon, mais le jour de l’épreuve, je la ratais à cause de cela. Je trouvais, et je trouve toujours, cela fort injuste. Je faisais tout pour arriver à réussir, et une personne égoïstement pour satisfaire des désirs pervers, va tout nous faire échouer malgré le travail que j’avais entrepris.
J’avais l’angoisse de ce qui arrivait chez moi, mais aussi à l’extérieur à cause d’Alex.
Des fois aussi, il suffisait que mon père ou Alex m’agresse pour que mon envie d’étudier disparaisse. J’avais perdu toute volonté d’apprendre, et même si je me forçais, je n’arrivais à rien retenir. Mon esprit n’était pas encore assez “stable”.
Il faut une certaine volonté et espérance dans le système pour étudier. Il faut croire que l’effort et le travail seront récompensés. Cela est évidemment faux, c’est l’origine sociale de l’individu qui détermine son avenir.
Lorsque j’ai intégré au collège ou au lycée des classes d’élevés défavorisés, je n’ai jamais rencontré des enfants de “riches”. Hormis la primaire et la maternelle, il n’y a aucun brassage social dans nos écoles.
S’il existe des écoles privées, et que des personnes payent pour y placer leurs enfants, c’est qu’il y a bien une raison. On ne dépense jamais d’argent pour avoir moins bien que ce qu’on a déjà gratuitement.
(…) En CE2, j’ai fait des exercices de psychomotricité. J’aimais bien me rendre là-bas et faire des activités physiques. C’était pour moi comme aller dans une salle de jeu, car les exercices étaient ludiques. En petite fille bien éduquée et obéissante, je m’appliquais aux demandes de la psychomotricienne. Je ne comprenais pas trop la raison de ses exercices et le but d’aller là-bas, mais je faisais toujours ce qu’on me demandait. La psychomotricienne, Je l’aimais bien, elle était gentille avec moi. Elle disait beaucoup de bien de moi à ma mère, j’étais contente.
En réalité, je n’étais pas gentille avec les adultes, juste soumise. Ils pouvaient me demander n’importe quoi, je leur aurais obéi. Je ne discutais jamais les ordres qu’on me donnait, surtout ceux de mes parents, qui venaient en général de ma mère car mon père brillait par son absence éducative.
Elle avait dit à mère que j’étais une petite fille douce et calme, mais que je ne parlais pas si on ne m’adressait pas la parole. Elle avait voulu que je continuais, mais ma mère a refusé rétorquant qu’elle devait aussi ma sœur et mon père à s’occuper et que se devenait lourd pour elle de devoir me conduire ici régulièrement.
(…) En CM2, notre instituteur nous avait expliqué que personne n’avait le droit de nous toucher. Alors que je vivais l’inceste, je ne me sentais pas concernée par ce qu’il nous disait. En fait, je n’avais pas conscience de ce que je subissais, mais surtout, je croyais que je n’avais pas le droit de refuser cela. Que c’était un droit que mon père disposait sur moi et que je ne pouvais pas aller contre, et même n’importe quel adulte, comme Alex, avait ce droit là sur moi. Je devais obéir.
En plus, dans mon esprit, certains actes étaient “moins graves”. Si j’avais juste une main sur les fesses au-dessus de mes vêtements, je trouvais cela anodin, car je savais qu’il pouvait exister pire.
Nous avions aussi lu un texte ancien, se déroulant au début du vingtième siècle. Un garçon prenait seul le train et il rencontrait pendant son voyage un homme qui lui offrait des bonbons, qui étaient drogués. Il se réveilla ensuite dans le train, mais l’homme lui avait volé son porte-monnaie. C’était pour nous dire de se méfier des inconnus. Dans la classe, nous le savions tous et avions trouvé particulièrement stupide ce garçon. On nous répète souvent de nous méfier des inconnus, de refuser si on nous donne des bonbons ou de monter dans une voiture.
Les violences sexuelles au quotidien
Avec mon père, nous étions toujours sous pression chez nous. À tout moment, il pouvait venir nous tripoter ou nous faire plus. Ce qu’il aimait nous faire depuis que nous étions toutes petites, c’était de nous toucher notre pubis a même la peau ou le regarder en ouvrant ou baissant notre pantalon. Ce genre de comportement était aussi partagé par Alex. Lui aussi aimait regarder et toucher cet organe, plus que les autres. Pourtant un sexe, qu’il soit masculin ou féminin, c’est vraiment laid. Mais ils trouvaient cela “beau” vu ce qu’ils disaient dessus. Les gestes étaient souvent accompagnés de descriptions.
Je ne sais pas pourquoi ils avaient un tel attrait pour cet organe. Vouloir observer, toucher et faire certaines choses avec le pubis d’un enfant n’est pas normal. Déjà faire ce genre de chose avec un adulte, qui n’a rien demandé, n’est déjà même pas normal.
En plus, on nous touche comme si nous étions leur femme, mais qu’on ne respecte pas beaucoup vu leurs comportements. Les attouchements ne sont pas de simples “caresses légères” en règle générale. Ceux sont des actes sexuels. Comme je le disais, à partir de la primaire les actes sont devenus plus violents. C’est pour cela que je n’en parle plus et que je préfère prendre toujours des exemples les plus “soft” possibles.
C’est à cette période que j’ai découvert deux nouvelles choses horribles vis à vis de mes abus. La première, que je ne nommerais pas et n’expliquerai plus en détails, mais qui est facile à comprendre : j’ai appris qu’une personne pouvait avoir beaucoup de plaisir dans des actions qui feront très mal à une autre. Le lubrifiant ne sert pas a faire moins mal, mais juste à rendre possible l’action. La personne continue malgré notre douleur qui se voit physiquement et aussi qui s’entend à nos plaintes et à nos cris. Elle n’a aucune compassion malgré nos larmes et notre sang.
À l’époque je n’imaginais pas que l’on pouvait me faire ça. Je connaissais évidement ces pratiques, mais n’imaginais pas devoir les subir. Je croyais, naïvement, en être à l’abri.
Les auteurs de violences sexuelles, comme Alex, ne sont pas des fous contrôlés par des pulsions irrépressibles. D’ailleurs, ça n’existe pas des personnes esclaves de ses pulsions. Elles sont toujours responsable de leurs actes, c’est juste qu’a des moments opportuns, elles s’autoriseront ou non à agir.
Jamais un pédophile n’agresse un enfant devant la police, ou un parent incestueux tripoter ses enfants dans la rue ou au milieu d’une fête. Ceux sont des gens normaux qui choisissent délibérément de détruire une personne.
Comme je le disais auparavant avec les photos avec mon père, les images sont trompeuses. Ce n’est pas parce que l’on voit parfois l’enfant abusés sourire, qu’ils sont contents ou satisfaits. Ils sont simplement soulagés d’avoir évité pire.
Pour moi, c’était inévitable. Je n’étais pas fière de moi, ni heureuse d’avoir fait cela. J’étais morte et dévastée. Je me sentais comme une merde. Pensant que n’importe comment je devais subir cela, j’avais une forme de soulagement que ce soit fini et que j’avais évité de subir pire que ce que je pouvais imaginer. J’étais obéissante, et surtout soumise, par la peur et la contrainte. Ma “satisfaction” était du par l’évitement du pire et d’être débarrassée de cette “corvée”.
Je me disais que cela était inévitable et que si j’avais simplement le minimum, je pensais que c’était déjà pas mal. Lors des abus, je me dissociais. C’était ma façon pour y faire face. J’étais une sorte de petit robot soumis. J’obéissais, faisais ce qu’on me demandait et restait stoïque à ce qu’on me faisait. Bien que nous sommes la corporellement, notre esprit est ailleurs.
On comprend rapidement ce que veut l’autre par ses mots, ses gestes ou tout simplement ses injonctions. Je n’avais pas envie, mais je ne pouvais pas refuser. Je savais que si je n’obéissais pas, il pouvait devenir agressif et que n’importe comment je serais contrainte de le faire. Je risquais uniquement de subir des violences supplémentaires s’y je m’y opposais.
Je n’avais pas le choix et devais faire ce qu’il exigeait de moi. Lui, je pense, estimait que j’étais à lui. Il pouvait me faire et me demandait tout ce qu’il voulait. Si je m’y étais opposée, il m’aurait vue comme une enfant désobéissante méritant une “remontrance”. Le pire, c’est que je le pensais aussi à l’époque et que je croyais qu’il avait le droit de me faire tout cela.
C’est pour cela que je faisais du mieux que je pouvais, pour éviter de me faire disputer si je faisais mal la chose. Je souhaitais que la fin arrive rapidement. Lorsqu’elle arrivait, j’étais contente, ou plutôt soulagée. La chose finie, il ne se souciait plus de moi. Je devais me “nettoyer” et me rhabiller.
La seconde découverte, je ne dirais pas l’âge exact, car c’est déjà malsain d’en parler, fut pour moi aussi terrible. Le plaisir sexuel.
Il existe deux types de plaisir physique que je désignerais par le corporel et le sexuel. Avant, j’avais déjà eu du plaisir corporel. Par exemple une caresse normale par ma mère. Ça fait plaisir. Mais il n’y a rien de sexuel. C’est aussi arrivé que mon père m’en procure, même si c’était plutôt rare. Mais il peut arriver parfois qu’on ressent du plaisir sexuel pendant certains actes, différents de ceux dont je parlais avant.
Alors qu’on déteste de tout notre être ce qu’on subit, le corps répond favorablement. Cela est très dérangeant, on se sent trahi par lui. Ce n’est pas du plaisir plaisant, mais un plaisir contraint. Ce n’est pas agréable. Surtout que l’on vit un moment de mort.
La première fois que j’ai ressenti cela, j’avais honte de moi. Je me détestais encore plus que d’habitude. Comment pouvais-je avoir une telle sensation alors que ça me dégoutait ? Déjà que je me sentais nulle lorsque je subissais tout ça, si en plus je commençais à éprouver du plaisir pour une chose qui m’écœurerait de tout mon être…
Je ressentais de la haine et de la colère envers moi. Je m’en voulais de n’avoir aucune résistance et ressentir ce genre de chose.
Au début, on essaie de résister, mais l’action prolongée nous fait “céder”. La contradiction entre notre corps et notre esprit nous perturbe du plus profond de notre être.
Si même notre corps nous trahit, comment peut-on l’aimer ? Comment peut-on d’ailleurs aimer un corps qui attire toujours sur nous des actes horribles ? Être moins qu’un objet, trahi par soit même, se sentir une vraie marionnette. On se déteste et on se hait. On se jure de ne jamais plus éprouver de telles choses.
Surtout que l’on est jeune, on ne connaît pas notre corps. L’adulte si, il sait plus de choses que nous sur notre anatomie ou sur le sujet. Je ne connaissais rien à tout cela. Je ne me touchais pas, cette sensation m’était donc totalement inconnue. Même si je connaissais son existence.
J’étais décontenancée, et je ne savais pas comment gérer cela. C’était une sensation nouvelle que je découvrais et que je rejetais. Lui l’avait remarqué, bien que je ne sache pas comment, et il était content. Je pense qu’il savait ce qu’il faisait et le faisait délibérément.
Par la suite, j’ai appris à mieux gérer cela et à ne plus rien ressentir en me dissociant encore plus. Pourtant, le corps est ainsi fait . Il réagit parfois positivement aux stimuli qu’on lui fait subir. Un adulte sait ce qu’il fait à un enfant, alors que celui-ci ne sait pas et ne comprend pas la “manœuvre”.
Mais quoi qu’il en soit, je voyais la sexualité comme une activité contrainte et déplaisante, et aussi, écœurante et douloureuse. Lorsqu’on me touchait, je n’étais même pas en colère, car ça m’anéantissait.
J’avais toujours l’espoir que cela ne se produise plus. Comme si que la fuite et l’acceptation étaient la seule possibilité pour y faire face. Je ne voyais rien qui pouvait l’empêcher.
Bien que cela va paraître ridicule, ca me faisait peur. Je ne savais pas comment réagir et espérais stupidement que c’était la dernière fois. Mais ce ne fut jamais le cas.
Mes abus, j’en avais encore pour des années à devoir les subir. N’ayant connu que cela, je ne pensais même pas qu’il pouvait exister des autre façons de vivre pour moi. Mais, malgré tout, j’en avais vraiment marre de tout cela.
Perdue dans la foule
(…) À partir du collège, j’arrivais à mieux éviter mon père. J’avais élaboré des stratégies, mais malheureusement, il parvenait à me toucher plusieurs fois dans la semaine. Si j’arrivais à m’en sortir avec juste une main aux fesses au dessus de mes vêtements, c’était déjà pour moi une petite victoire.
Mais quel que soit l’acte, ce n’est jamais anodin. Pendant une agression, on n’est plus nous. On doit se couper du moment et être un bon petit robot obéissant. En aucun cas, il n’y a d’actes légers. Il existe uniquement des actes graves ou très graves. Chaque expérience nous abîme plus à chaque fois.
À cet âge je n’ai plus découvert de nouvelles pratiques sexuelles. Pour être plus précise, c’est à la fin du primaire. Mon père ou Alex m’avaient déjà imposé tout avant le collège de ce qu’ils voulaient me faire. La différence notable, c’est que Alex était plus agressif ou violent dans ses actes, et le deviendra plus par la suite, comme lorsque j’étais en cinquième et qu’il me gifla sans raison.
Au collège, l’ambiance est plus sexuelle. On vient de primaire et on arrive dans une ambiance où les élèves plus âgés, en troisième, ont parfois un copain ou une copine. Surtout qu’en CM2, de nombreuses “légende” circulent avant que nous rentrions au collège. Des garçons nous avaient prévenus que si on nous demandait si on avait déjà baptisé nos baskets, il fallait dire oui, car sinon on allait cracher dessus. Chose qu’on ne m’a jamais demandée, ni même fait.
(…) Le collège fut un dépaysement pour moi. Alors qu’en primaire on connaît plus ou moins tous les élèves des autres classes, là, on découvre un nouvel environnement avec des centaines d’élèves différents juste par section.
(…) Une chose qui est peu abordée dans les abus dans l’enfance, c’est le fait qu’on est conditionné à obéir aveuglement devant des ordres et nous croyons que cela est normal.
Si un individu est habitué à répondre face à une injonction, il le fera comme un robot. C’est aussi pour cette raison que certaines menaces verbales peuvent nous faire plus peur que a d’autres personnes, car nous pensons que l’acte va suivre la parole, ou même que nous avons l’obligation d’obéir, à cause de notre vécu.
Par chance, vu mes âges à l’époque, peu d’adultes ne m’ont pas donné ce genre d’ordre, hormis Alex. Je pense que c’est ce qui a facilité mes abus avec lui.
J’avais vu un reportage qui se déroulait dans un pays en Asie du Sud. Des filles très pauvres, d’environ 12 ou 13 ans, abandonnées par leurs parents, devaient se prostituer pour survivre. D’ailleurs, l’un d’elles avait son père qui venait lui réclamer de l’argent pour lui, tout en sachant comment elle devait le gagner. Je n’avais pas réagi plus que cela a ce documentaire et on me l’avait reproché. On me disait que j’étais “dure” et “froide”. On m’avait même posé la question “imagine que ça t’arriverait ?”.
Je n’avais pas besoin de faire un grand effort d’imagination. Je ne me prostituais pas, mais je savais en partie ce qu’elles vivaient. La seule chose qui m’avait choquée, et plutôt rendu triste, c’était que la plus jeune sœur de l’une d’elles, d’environ 8-9 ans, était obligée de commencer à devoir faire cette activité.
Je savais la souffrance qu’elle allait devoir endurer. J’étais malheureuse pour elle.
On voyait que la police intervenait et arrêtait des clients. Pour se dédouaner, il disait que c’était la fille qui voulait faire cela et qu’il avait acceptée pour leur faire plaisir. Même certains se revendiquaient “généreux” et “altruistes”. Ils se défendaient, en prétextant qu’ils venaient en aide à ces filles, grâce a l’argent qu’ils leur donnaient en échange de cela.
Mon père avait aussi vu ce reportage. Il disait que c’était honteux, ce qu’il arrivait à ces pauvres gamines. Il ne faisait pas de la comédie, car nous étions réunis en famille. Lui-même était contre la pédophilie, alors qu’il la pratiquait régulièrement.
En sixième, je connaissais la définition de pédophilie ou l’inceste. Mais je ne me sentais pas concernée par ces mots. J’interprétais la définition différemment. Pour l’inceste je pensais que la relation était comme avec des petits amis ou dans un couple. Que les partenaires étaient amoureux de l’un et de l’autre. Comme je n’aimais pas mon père et que je me voyais plus comme une enfant, je ne me sentais pas concernée par ses termes.
Occasionnellement, mon père venait me rechercher le midi. Comme je n’avais pas l’habitude, je croyais la première fois qu’il s’était passé quelque chose de grave chez nous. Je ne sais pas pourquoi il faisait cela. Je pense que c’était selon son humeur.
Je faisais souvent la route à pied pour retourner manger avec Fanny et une autre copine, si bien qu’il les raccompagnait parfois aussi chez elle. Volontairement, je préférais m’asseoir à l’arrière afin de ne pas faire le trajet à côté de mon père.
Lorsqu’il les avait déposé, il m’invitait a m’asseoir a côté de lui, mais je refusais. S’il insistait, j’obéissais. Assise a côté de lui, il avait toujours besoin de me caresser la cuisse et de toucher mon pubis au-dessus du jean. Je le savais évidemment, d’où mes refus, et je serrais les jambes. Mais lorsqu’il caressait ma cuisse, il me l’écartait, et si je n’obéissais pas, il enfonçait ses doigts et ses ongles dans ma chair pour que je le fasse. Il pouvait me faire cela alors que nous attendions à un feu rouge alors qu’il y avait des voitures autour de nous.
Le pire, c’est lorsque j’avais sport, je portais un jogging. Le tissu est moins épais et il pouvait glisser sa main facilement dans mon pantalon. Pendant qu’il roulait, ça restait toujours au-dessus des vêtements. Lorsqu’il me le faisait, c’était tout naturellement, sans rien me dire. Sauf si je m’opposai un peu, il me sermonnait. Les quelques mots qui sortaient de sa bouche, c’était pour me parler de mon anatomie, mais jamais de moi ou ce que j’avais fait a l’école.
Ça peut sembler ridicule, mais maintenant lorsque je monte à côté d’un homme conducteur qui a l’âge d’être mon père, ou plus, j’ai toujours la crainte, pendant une fraction de seconde, qu’il me touche.
En 5e, bien que je pensais être devenue grande, je me suis mise à avoir une passion pour les peluches, qui avait commencé en sixième. En primaire, je collectionnais les gommes fantaisies. Ma modeste collection de peluche était composée de quelques d’animaux “réalistes”. Je cherchais à obtenir des animaux originaux, comme un rhinocéros ou un chameau. Je ne voulais pas avoir des animaux que tout le monde avait, comme le chat ou le chien.
Je me considérais grande alors que j’étais encore gamine et par certains aspects innocente. Je n’étais jamais sorti avec un garçon, cela ne m’intéressait pas et je n’y pensais même pas. La sexualité, c’était pareil, je ne m’y intéressais pas. Pourtant, je connaissais déjà beaucoup de choses sur le sujet et je n’étais plus vierge depuis plusieurs années. Mais cela, je n’en avais même pas conscience et je n’avais pas tort. Je n’avais jamais fait l’amour, et je n’en avais pas envie. Je ne m’imaginais même pas le faire. Ce que je vivais, et que j’avais vécu, me présentait la sexualité comme une chose, entre autres, de désagréable et de contraignant. Je n’avais connu que des abus.
Beaucoup de gens affirment que si on subi un viol, on ne perd pas sa virginité, car ce n’est pas cela la sexualité. Je ne sais pas si cela est vrai, même si j’en doute, mais si on en subit plusieurs, on la perd. Disons que cela nous impose de connaître la sexualité, surtout certains domaines.
Mais en aucun cas, l’inceste ou la pédophilie, ne sont une initiation aux activités sexuelles. On ne nous apprend rien, on nous impose tout. Évidemment, à force de subir, on comprend ce qu’il va se passer et arriver. On a une connaissance dans le sujet sans rien comprendre au but de tout cela.
Il y a des tas de choses dont il me serait impossible de dater les premières fois, surtout pour les pratiques que je définirais de passives. Je ne saurais dire, par exemple, la première fois où j’ai vu du sperme. J’étais si jeune, que je ne savais pas ce que c’était et la raison de l’apparition de cette chose. L’aspect me faisait penser à du blanc d’œuf. D’ailleurs, c’est drôle de se dire que c’est en partie cette substance qui m’a donné la vie.
En plus de cela, mon premier “vrai baiser” Alex me l’avait volé depuis longtemps, ou plutôt imposé. Ca peut sembler ridicule et anodin, mais devoir embrasser une personne qui est en train de nous abuser est très compliqué. J’avais l’impression de devoir le remercier et l’encourager à continuer.
Je ne pense pas être romantique, mais j’aurais préféré que mes premiers baisers soient nés d’un désir et d’une volonté de ma part. Ca peut paraitre léger à coté du reste, mais c’est aussi destructeur et ca me rend triste. Je détestais devoir l’embrasser, notamment lorsqu’il me touchait en même temps, surtout qu’il avait une mauvaise haleine. C’était si humiliant et rabaissant à la fois.
En plus de subir, je devais aussi lui donner une preuve d’amour et d’affection, alors qu’il ne le méritait pas. J’étais à lui, son objet. Un robot soumis et obéissant. Mon père, au moins, ne m’a jamais embrassé sur la bouche, et heureusement.
(…) Alors que nous étions dans notre chambre, notre père était venu nous voir et il avait glissé sa main dans notre culotte. Il avait demandé à ma soeur si un garçon lui avait déjà fait cela. En toute franchise, elle répondit que non. Nous pensions que nous devions toujours lui répondre à ses questions sincèrement, même si elles étaient déplacées. À moi, il ne me posa pas la question. Mais j’aurais aussi répondu en toute honnêteté.
En plus de mon père, je “voyais” Alex à l’époque. Bien que je n’ai pratiquement pas parlé de lui. Je l’ai plutôt suggéré. Alors que nous étions à deux, il avait eu besoin de me parler d’une pratique sexuelle violente, douloureuse, et écœurante en la détaillant. Gênée par cette conversation, je voulais qu’il cesse. J’avais aussi peur que cela lui donne des envies d’abus, surtout de ce genre. Je le suppliais d’arrêter, mais il continuait en insistant sur des détails intimes, malgré ma gêne visible.
Souhaitant qu’il en finisse au plus vite, je répondais mécaniquement à ses questions en espérant qu’il cesse au bout d’un moment. Mais à chaque nouvelle réponse, une nouvelle question arrivait, ou une description, que je ne voulais pas entendre. J’étais très mal a l’aise et triste. Me sentant perdue et à bout, je m’étais mise à pleurer devant lui. Mais il n’arrêta pas pour autant. Il continuait comme satisfait de ma réaction.
Le fait qu’il avait réussi à me faire pleurer m’avait “étonnée”. Ça faisait longtemps que je n’étais plus vexée ni touchée par ce genre de propos. Mais la peur, l’écœurement, la tristesse et la sensation d’être perdue, sans défense, seule et isolée, m’avait fait craquer.
Cette souffrance et cet abandon avaient dû sortir de moi, je n’arrivais plus à les garder en moi, et j’ai du les faire sortir en les exprimant. J’avais honte de pleurer devant lui. Je ne voulais plus lui offrir ce “spectacle”.
Quelques temps plus tard, il a eu besoin de me gifler. Je voyais des garçons qui s’amusaient à sauter pour arracher les branches et les feuilles des arbres et je lui avais que c’était des gogols. Je trouvais cela stupide et pas bien, car ils faisaient “mal” aux arbres. Il avait alors arraché une feuille et m’avait fait répéter ce que je venais de dire. Naïvement, je lui répétai et il me gifla à cause de l’insulte. J’avais voulu réagir, mais il me l’avait interdit, en me disant que je n’avais pas le droit de me “rebiffer”. Lorsqu’un adulte me donnait un ordre, j’obéissais. Je reçus la seconde sans protester.
Je ne m’attendais pas à recevoir ces deux gifles et je ne sais pas pourquoi il a eu besoin de le faire. J’ai évidemment compris qu’il m’avait fait répéter pour avoir une raison de m’en donner une, et la seconde, à cause de ma protestation. Ce fut la seule fois où il m’a frappée, même si dans ses autres “actions” il me manipulait avec “fermeté”, lors des abus, il ne me “frappait” pas.
Il aimait des fois me saisir par le cou, parfois durant les abus, mais aussi lorsqu’il cherchait à me “convaincre” en me parlant. D’ailleurs, si je vois dans un film une scène ou un homme pendant qu’il embrasse la femme, la prend par le cou, cela peut me stresser, même si ce n’est qu’une caresse. On m’a déjà demandé pourquoi je n’ai jamais essayé de me venger à l’époque, par exemple en crachant dans son verre. L’idée ne m’a jamais traversé la tête et je ne sais pas cracher de molard. Cracher ma salive dans son verre me parait ridicule. Surtout qu’il me semblait ne pas en être écœuré.
Sincèrement, j’espérais qu’il comprenne que je n’aimais pas cela et qu’il arrête enfin. Me venger, simplement pour lui nuire ou lui faire mal, je n’avais pas l’envie, et même pas l’idée. Je voulais juste qu’il arrête de “m’embêter”.
Le collège, banalité des violences sexuelles
En quatrième et en troisième, je me suis retrouvée dans des classes d’élèves défavorisées. Ils étaient issue beaucoup de milieu précaire et certains venant de structure sociale plus ou moins proche de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance).
Les élèves venant de l’ASE sont en général pas très bons en classe et certain sont agités. Quelques professeurs, connaissant leur origine, se permettaient d’avoir des comportements qu’il ne se seraient pas permis avec d’autres élèves. Cette année-là, notre professeur de techno avait séparé de la classe un garçon de l’ASE, en raison de son comportement, et l’avait disputé jusqu’à le faire pleurer. Il avait eu besoin de le dire devant toute la classe afin de l’humilier encore plus. Il ne se serait pas permis de le faire avec d’autres élèves qui avaient leurs parents et qui étaient plus turbulents que lui en classe.
J’intégrai donc une classe où l’on regroupait tous les élèves venant de milieu modeste. En cours, je me mettais toujours avec Jeanette, et Fabienne allait avec Nicole. Mais si on pouvait être assise à quatre, nous nous asseyions toujours ensemble. On le faisait déjà en cinquième.
Ces classes étaient les plus agités du collège, mais il n’y avait aucun élève qui maltraitait un autre. Notre collège regroupait dans ses différentes sections les élèves selon les origines. Il y avait donc des classes avec des élèves forts et ça allait en décroissant.
Tom et Gaëlle, qui avaient été avec moi en sixième et en cinquième, venaient d’un milieu plutôt aisé. Leurs parents travaillent dans la grande entreprise de notre ville. Ils n’ont pas rejoint ma classe de quatrième, mais une autre plus calme. Je n’ai plus jamais été dans leur classe et je n’ai plus eu jamais d’enfants venant de ce milieu, sauf dans ma seconde troisième.
(…) Les vacances d’été, je les avais surtout passées avec Jennyfer à se promener ensemble.
Nous étions allées voir le feu d’artifice du 14 juillet sur la plage. Là-bas, j’ai eu le plaisir de croiser Alexya. Ce qui me fit bizarre, c’est qu’elle parlait un peu de garçons et d’une certaine manière de sexualité. Je ne m’intéressais ni à l’un ni a l’autre. Nous avions été très proches en primaire et je croyais naïvement retrouver, plus ou moins, la même fille. Mais nous avions toutes les deux évolué, différemment.
En primaire, on est encore des enfants, au collège plus vraiment. En quatrième ou en troisième, toutes les filles sont réglées et sont plus ou moins formées. Ça va peut-être sembler étrange, mais je n’aimais pas que mon corps change. Pourtant, c’est ce qui me permit de subir moins d’abus.
J’aurais aussi préféré que mes copines restaient pareilles mentalement. Distantes avec tout cela.
(…) Depuis la primaire, je trouvais que Jennyfer avait une vie heureuse et plus libre que la mienne, et je l’enviais. Elle était sympa et ouverte sur les autres. Je me sentais un peu nulle comparée à elle. Malgré tout, je n’aurais pas voulu lui ressembler, car elle avait deux gros défauts à mes yeux. Elle mentait et elle était assez hypocrite. Mais je ne savais pas, à l’époque, que c’était des comportements sociaux normaux. On ne peut pas être toujours honnête et on doit savoir flatter les personnes dans la vie. Sinon on est vexante et méchante.
(…) J’avais constaté jeune que si un homme avait éjaculé, son désir sexuel disparaissait ou du moins s’estompait énormément. C’est pour cela que je préférais pratiquer certains actes à d’autres. Je ne les aimais pas pour autant, mais ils étaient moins coûteux pour moi. Comme la masturbation, qui est définie par la loi comme un attouchement.
On ne “privilégie” pas cela parce qu’on a envie de le faire, mais pour éviter pire. C’est juste que l’on sait qu’on ne pourra pas échapper à une situation et essaye de la rendre le moins pénible possible. Je n’étais pas fier de moi, je me sentais vraiment nulle, un peu comme une merde. Mais entre tous les “choix”, celui si était le moins néfaste et lourd.
On voit nos violences quotidiennes comme une chose obligatoire, à laquelle on ne peut pas échapper. On pense qu’il n’y a aucune autre alternative et on essaye de rendre les choses moins violentes/douloureuses possibles. Si bien qu’au quotidien, si on s’attend à subir des violences d’un certain niveau et qu’on subit moins que “prévu”, on va penser qu’on a eu de la chance. On pourra même se dire qu’on a passé une “bonne journée”.
Néanmoins, cela n’est pas anodin. On n’a absolument pas de la chance en subissant moins, car quels que soient les actes, cela nous détruit plus à chaque fois.
Ce qui marque souvent l’arrêt de l’abus, c’est l’éjaculation. J’ai toujours trouvé écœurante cette substance lorsque j’ai compris ce que c’était. En maternelle, je ne le savais pas encore et n’avais pas le rapprochement avec son “arrivée”. En grandissant, j’avais remarqué que ce genre de substance tachait les vêtements, mais pas la peau. Il suffit d’un mouchoir en papier ou de l’eau pour l’enlever, mais sur du tissu, ça imprègne. C’est comme le sang.
Une fois Alex m’avait sali ainsi un sweat vert que j’aimais bien. Bien que je l’avais lavé “rapidement” la tache avec de l’eau et du savon à main, elle était restée. La tache, bien que petite, était sur une pièce de tissu sombre, située sous le col, représentant des silhouettes d’animaux et d’arbres. Elle n’était pas très visible au premier coup d’œil grâce au motif, mais je savais ce que c’était et comment elle était arrivée là.
Ma mère l’avait vue en lavant mon linge et m’avait demandé ce que j’avais fait. Je ne lui ai pas avoué et il a fini en chiffon. Je ne pouvais/voulais plus le mettre de toute façon. J’étais déçue, car je l’aimais bien.
On subit souvent des doubles peines dans ce genre de vécu. Comme l’abuseur n’a aucune considération pour nous, il ne se soucie pas s’il abime des choses auquel on tient. Si bien qu’une personne extérieure va trouver absurde la colère d’une victime, par exemple énervée parce que son sweat a été abîmé lors d’un viol.
Un viol, c’est pire, mais nous avons une vision tronquée lorsqu’on subit cela régulièrement. On a en partie comme intégrer nos viols réguliers à notre vie, mais un vêtement abîmé est une chose imprévue qui se rajoute à nos violences régulières. C’est une petite peine se rajoutant à une grosse peine, qui nous fait craquer, car étant arrivé à nos limites.
Comme on dit, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Pornographie et pédopornographie
(…) À force de consommer ce genre de film, le public aura des désirs sexuels qui ne seraient jamais apparus si la personne ne regardait pas ce genre de cinéma. L’exemple étant certains types de pratiques sexuelles jugées comme dégoutantes et écœurantes par tout le monde, mais qui à force d’être vues donne l’envie de le faire a certaines personnes. Surtout que dans la réalité, la chose est douloureuse et sale lorsqu’elle est pratiquée.
Les acteurs travaillant là-dedans doivent le faire surtout par obligation financière. Je ne peux pas imaginer qu’ils aiment leur métier. Ce sont surtout des personnes abîmées par la vie qui sont dans une précarité économique et sociale. C’est pour cela qu’ils acceptent, en échange d’une somme d’argent, en général pour les femmes entre 150 € pour le soft et 450 € pour le hard, et beaucoup moins, voir même rien du tout, pour les hommes, d’être filmés pendant des actes sexuels, souvent violents, dégradants, exagérés et/ou fantaisistes.
Un film pornographique qui dure, en général 30 minutes, a mis plusieurs heures pour être tournée.
Beaucoup d’acteurs sont aussi des anciens enfants maltraités, souvent sexuellement. Ce qui doit aussi expliquer en partie “leur choix” de carrière.
(…) Mon père a fait des photos de moi et ma sœur lorsque nous étions en maternelle et en début du primaire. Si sur certaines, j’ai le regard triste ou indifférent, sur d’autres, je suis contente et souriante. Pourtant, ce que l’on voit est malsain, et ce sont tout simplement des actes criminels qui étaient filmés.
Ce n’est pas que j’aimais ce que je faisais, mais j’étais “contente” parce que j’échappais à pire que ce que je subissais d’habitude, et aussi, que je ne comprenais pas tout ce qu’il se passait.
J’étais soulagée que la fin arrive et non satisfaite de ce que j’avais subi. Parfois il m’arrivait de ne pas “bien faire” tout ce qu’il me demandait. Il me disait alors que j’étais encore trop jeune pour comprendre.
Les photos, ou les films, peuvent nous tromper. Ils montrent une fausse réalité et nous font croire à un monde différent.
Lorsque j’ai eu “la possibilité” de les revoir, j’avais l’impression, sans savoir pourquoi, que ce n’était pas moi sur les images. Évidemment, je me reconnaissais et je savais que c’était moi, mais j’avais l’impression que c’était une autre personne, ou un autre moi. Je pense que cela est du aussi aux cloisonnements de mes différentes “vies”.
(…) Les films pédopornographiques sont des films violents. Certains actes filmés sont par nature douloureux. D’ailleurs, quand on y pense, on dit qu’un pédophile est une personne qui aime faire mal aux enfants.
Quelqu’un qui regarde ce genre de spectacle est donc un sadique. Il a une excitation et une gratification sexuelle en voyant des enfants maltraités.
D’où l’interdiction des films pédopornographiques. Surtout qu’au minimum 10 % des personnes regardant de la pédopornographie passent à l’acte et beaucoup de pédocriminels sont consommateurs de ce genre de film.
Dans ce genre “d’industrie”, que je ne détaillerai pas, on retrouve les mêmes fantasmes que dans la pornographie autorisée comme le fétichisme, voir un enfant fumé ou boire, ou les webcams, qui sont souvent dirigées par le spectateur en échange d’argent. Il y’ a aussi des films combinant plusieurs paraphilies et fantasmes.
La pédopornographie ce n’est pas uniquement des images pornographiques. On peut aussi avoir des enfants qui se font tapés dessus, avec ou sans violences sexuelles. Etant réalisé sans cadre légal, ils peuvent être sans limite dans les violences.
La pédopornographie c’st donc des films pornographiques avec un ou des mineurs de 0 à 17 ans.
La pornographie légale propose aussi des films dont le thème devraient être interdit, comme le viol ou l’inceste par exemple. C’est aussi souvent raciste, est représenté des communautés selon des clichés. Soit pour les femmes qu’elles sont soumises ou qu’elles doivent être humiliées par exemple, et pour des hommes, qu’ils sont juste des obsédés sexuelles guidé par des pulsions.
Il y a aussi tout ce qui flirte avec l’illégalité. Ils choisissent volontairement des actrices/acteurs jeunes et menus, car ressemblant à des mineurs, et exagère le trait par divers artifices.
Je critique la pornographie, mais j’aurais pu en faire tout autant sur la prostitution, qui ont certainement en gros les mêmes maux.
Je pense que dans sa globalité la prostitution est encore pire, bien que ça reste similaire dans le principe. Dans les deux cas, on paye une personne pour coucher avec une autre personne qu’elle ne connaît pas, qu’elle n’aime pas et ne désire pas. Ce n’est pas de l’argent facile, mais de l’argent rapide.
Les personnes qui vendent leur corps sont des gens brisés et miséreux. Souvent ils souffrent de dépendance. Les drogues leur permettant aussi de faire “leur métier”.
En France l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 ans et plus de 90% des prostituées sont forcées. Je ne vois pas comment on peut défendre la prostitution en sachant cela. C’est accepter l’esclavage sexuel des individus.
Actuellement, environ entre 7 000 à 10 000 mineurs, un chiffre approximatif et probablement en deçà de la réalité, se livrent à la prostitution. Il s’agit en général de jeunes filles française, âgées de 13 à 17 ans, tombées dans les griffes de réseaux plus ou moins structurés selon les données relayées par le gouvernement en 2022.
Les premiers clients des prostitués sont tous des pédocriminels, vu qu’elles commencent à 14 ans en moyenne, voir bien plus jeune.
La fin du collège : l’étau pédocriminel se desserre
J’ai commencé mon entrée en troisième pas de la meilleure façon qu’il soit.
Le jour où j’ai le plus pleuré de ma vie fut quelques jours avant mon entrée en troisième, le jour de mon anniversaire. Mon père avait été particulièrement méchant et violent. Je ne rentrerais pas dans les détails, mais ce n’était pas des violences sexuelles. Il s’en était aussi pris à ma sœur et ma mère lorsqu’elle nous a défendue.
Depuis ce jour-là, il ne m’est plus jamais arrivé de pleurer de tristesse.
Mais à partir de cet âge, il me touchait moins, bien qu’il nous parlait mal et nous voyait comme deux idiotes. Nous ne subissions plus que des attouchements “légers”. Il nous tripotait sur tout le corps, mais en général au-dessus des vêtements et moins prononcé. Pour nous, il y avait un progrès. On se sentait plus libres avec un poids moins lourd sur nous.
Bien qu’il nous tripotait moins, il avait encore besoin de venir, s’il avait l’occasion, nous voir lorsqu’on se lavait. D’ailleurs, cette année-là, il était venu alors que je ne portais que mon t-shirt et rien d’autre sur moi. Il avait décidé de se laver avec moi. Je ne voulais pas, mais il me reprochait de faire des comédies. Je tirais alors sur mon t-shirt pour cacher mon intimité, mais comme je ne m’étais pas encore lavée à cet endroit-là, je me disais, stupidement, que je ne pouvais pas porter ma culotte propre. J’aurais mieux fait de la mettre, mais je ne pensais pas ainsi.
J’avais évidemment arrêté de me laver et j’avais dû attendre qu’il finisse pour reprendre. Le pire, c’est qu’il prenait son temps.
Le matin, moi et sœur faisions toujours attention de nous lever avant mon père pour qu’il ne vienne pas m’embêter lorsque nous nous lavions.
Par précaution, je me lavais en deux étapes, tout comme ma sœur. Je commençais par retirer mon haut de pyjama pour nettoyer le haut de mon corps, puis je mettais un t-shirt.
Ensuite, j’enlevais le bas de mon pyjama, pour laver le reste de mon corps.
Cela me permettait d’être plus réactive en cas d’intrusion de mon père dans la pièce. Même si cela ne changeait rien au résultat, juste le retarder.
S’il avait décidé de me voir, je ne pouvais pas l’empêcher, quoi que je fasse.
En fait, tout simplement pendant la journée, j’écoutais ses déplacements pour deviner ses intentions et me préparer à ce que je risquais. Je ne pouvais jamais être détendue chez moi et j’étais toujours dans l’angoisse de ses agissements. J’étais un peu comme une “proie” qui guette son “prédateur”, afin de réagir tout de suite en cas d’alerte. J’étais souvent sous pression.
Malgré une amélioration, notre père conservait sur le palier nos fournitures scolaires depuis toujours. Si nous avions besoin de la moindre chose, nous devions lui demander.
Nous allions les chercher avec lui et à chaque fois, il nous tripotait. C’est pour cela que je n’aimais pas donner des affaires à mes camarades de classe, car je les avais “payées” avant. Pour être honnête, je redoutais de devoir en demander, surtout qu’il donnait les fournitures au compte-gouttes. Je pense que c’était volontaire.
Mon premier rendez-vous, je ne pourrais jamais l’oublier. Il avait eu lieu un dimanche après-midi devant l’entrée d’un cimetière. Ce n’était pas des plus romantiques, mais à mi-chemin entre nos deux domiciles. Je craignais souvent que l’on se moque de moi et je me demandais s’il était sincère.
Malheureusement, à mon premier rendez-vous, il ne vint pas. Je ne le savais pas encore, mais il était aussi d’une famille défaillante. Il n’avait pas pu venir à cause d’une contrainte familiale.
Le lundi à l’école, je ne voulais pas lui montrer qu’il m’avait vexée. Je faisais l’air de rien pour faire semblant que je m’en foutais. Bien que j’étais distante et froide avec lui, il s’excusa et me demanda un autre rendez vous. Méfiante au début, je fus convaincue de sa sincérité et j’acceptai.
C’était sympa au début d’avoir un petit copain, ça me changeait des sorties avec mes copines ou avec ma sœur. Mais je trouvais que les sujets de conversation d’un garçon n’étaient pas très intéressants. Nos sorties étaient sages. De simples promenades discrètes dans des parcs environnants à s’asseoir sur un muret ou dans l’herbe à discuter de tout et de rien… Mais je sentais que je n’éprouvais rien pour lui, hormis de l’amitié.
Ce qui était difficile pour moi, c’était de comprendre ses sentiments, je n’étais pas sûre qu’il soit sincère, et donc je soufflais le chaud et le froid. J’étais inquiète de voir que quelqu’un pouvait me désirer. Il était chaste et n’a jamais été incorrect avec moi, mais j’avais cette crainte, si bien que j’ai rompu pour cette raison. J’étais dans le flou et dans le doute régulièrement. J’étais perdue dans ma tête et n’arrivait pas à savoir où j’en étais dans mes sentiments. Je le voyais plus comme un copain, que mon copain.
L’école, miroir aux alouettes
(…) Bien que j’aie obtenu mon brevet des collèges, mon professeur principal me fit redoubler ma troisième. J’avais demandé de passer en seconde générale, mais il m’en empêcha car il ne le voulait pas. Lors de ma demande de vœux, il m’avait dit que je n’avais pas le niveau nécessaire. Je ne pouvais y prétendre que si j’obtenais une certaine moyenne. Il me faisait comprendre que cela dépendait de moi et de mon travail uniquement. Il m’avait aussi dit que je ne devais pas aussi espérer obtenir mon brevet.
Cette nouvelle m’inquiéta, ainsi que ma mère. J’avais un objectif et je n’aurais pas pu l’atteindre dans une filière professionnelle. Heureusement, mon père travaillait à l’époque dans un lycée général et il leur avait montré mes bulletins scolaires. Ils nous avaient rassurés en disant que j’avais le niveau pour rentrer chez eux. Malheureusement, il me fit redoubler tout de même, comme de nombreux autres élèves de ma classe. En fait, tous ceux qui avaient demandé d’aller en général, comme Jennyfer ou Nicole par exemple.
Ça peut sembler ridicule, mais ce redoublement fut pour moi comme un échec personnel, une rupture dans ma progression.
Dans ma vie, je voyais l’école comme une chose importante, qui me permettrait de réussir et d’avancer dans ma vie, et aussi, d’échapper à mon quotidien et à ma condition. Si j’étais studieuse et appliquée, c’était aussi pour ces raisons.
Ce n’est pas que je n’ai pas pu aller en seconde générale qui fut pour moi dur, mais le fait de m’avoir fait croire possible d’atteindre une chose qui allait m’être n’importe comment refusée. J’avais fait les efforts nécessaires et espéré, au pire, continuer mes études dans une autre filière.
J’avais trouvé cela fort injuste, surtout que je n’avais pas d’autre alternative. Ce professeur principal avait fait les conseils de classe à la dernière minute. Si je n’avais pas accepté pas ce redoublement, je me serais retrouvée sans école et j’aurais intégré celle où il y avait des places vacantes, c’est à dire celle où il y avait le moins de demandes. Ça ne me faisait pas du tout envie ce genre de choix pour la suite de mes études, sans parler du stress de la situation.
C’était la première fois que le système éducatif me trahissait et me maltraitait injustement aussi directement. Quel que soit mon travail, mes efforts ou mes désirs, je n’avais pas le droit de faire ce que je voulais, seulement faire ce qu’on m’imposait. C’est comme dans la pédocriminalité. L’agresseur nous impose tout et on doit tout accepter. Même s’il nous promet autre chose, il ne respecte rien. C’est lui le maître. En gros, c’est comme j’ai déjà entendu “La main qui nous frappe ou nous caresse”. En fonction de notre comportement de soumission, on nous punit si on n’obéit pas.
À l’école, les élèves ne sont pas orientés selon leur niveau, leur travail, leurs envies ou leurs compétences, mais uniquement par leurs origines sociales. C’est grave, car nos diplômes et nos études vont orienter nos vies futures. Une partie des élèves sont sacrifiés, vus comme des inutiles invisibles.
C’est injuste, déjà qu’on doit faire plus d’efforts que les autres pour atteindre un niveau équivalent, si en plus on nous interdit d’obtenir ce que l’on mérite et qu’on est puni si on demande notre dû. Ça signifie bien que l’on doit se soumettre sans rien revendiquer.
Au-delà de mon cas, une partie des élèves sont abandonnés par l’éducation nationale. J’ai eu souvent dans mes classes des élèves, souvent des garçons, très mauvais en cours et aussi très indisciplinés. Ils passaient de classe en classe alors qu’ils étaient derniers, sans avoir le niveau et en n’ayant pratiquement rien appris dans l’année. L’école veut simplement s’en débarrasser et les faire partir le plus vite ailleurs.
Mais jamais l’école ne se pose la question de l’origine de leur comportement et de leurs lacunes. On les punit s’ils ne savent pas, mais on ne se demande pas pourquoi ils n’étudient pas et les raisons de leurs difficultés.
Ceci dit, ses élèves ne sont pas de saints et se comportent souvent très mal. Pour les maintenir en cours, ça devient vite un rapport de force. Si le prof ne les contrôlent pas, ils deviennent ingérables. Mais avant qu’ils deviennent comme ça, ils ont été abandonnés, oubliés et trahis par le système.
Moi, avant qu’on m’apprenne à lire et à écrire, je connaissais déjà des actes sexuels. On avait remarqué que j’étais différente dans ma façon d’être. J’étais plutôt en retrait, introvertie, et souvent dans ma bulle. Mais personne ne s’est posé de questions.
Alors que la plupart des élèves finissent l’année en étant contents et en se projetant dans l’avenir, moi, je la finissais déçue, sans projet et déprimée. Les derniers jours de classe furent dans le questionnement sur mon avenir et pour ma prochaine année scolaire. Je me sentais nulle d’avoir échoué.
Je n’étais pas la seule à redoubler, mais j’étais celle qui avait cru aux promesses, qui avait fait les efforts et joué le jeu. Je ne pensais pas que j’aurais pu redoubler, je voulais continuer de poursuivre ma vie, mon projet d’étude. Pas qu’on m’empêche d’avancer et qu’on me fasse stagner pendant une année. Ma progression s’était arrêté brutalement.
Pendant les vacances, j’ai préféré ne pas penser à cela pour ne pas les gâcher, mais j’avais tout de même de temps en temps cela en tête.
J’étais assez triste et en colère. C’est à partir de là que j’ai commencé à déprimer et à devenir une personne plutôt sombre et distante des autres.
Abus, conséquences et pédocriminalité
Selon des études, il y aurait dans une classe au moins deux élèves qui subissent des violences sexuelles. Cela signifie que durant toute ma scolarité, de la primaire au lycée, je connaissais au moins l’un d’entre eux.
Mais à l’époque, je n’avais pas vraiment conscience de l’inceste. Je ne me sentais pas vraiment concernée par cela. Cela avait commencé si tôt, que j’ai l’impression que ça a toujours existé. Évidemment on ne fait pas les même choses lorsqu’on 4 ans ou 9 ans.
D’ailleurs, l’inceste, je pensais que c’était normal lorsque j’étais petite. Une chose qui se pratiquait dans “l’intimité” du foyer. Je voyais ma sœur abusée depuis que j’avais les yeux ouverts et je l’étais moi-même. Je pensais que c’était ma destinée et que l’on ne pouvait rien y changer.
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Au niveau judiciaire, lorsqu’il y a des agressions sexuelles sur mineurs, il n’y a aucune condamnation dans plus de 90 % des cas. Cela est dû à plusieurs facteurs. Déjà, il faut que la victime puisse porter plainte. Le frein de l’argent étant une des barrières. Sans argent, en France, on n’a pas de droit. Il existe bien les aides juridiques, qui ne sont là que pour donner l’illusion aux pauvres d’avoir accès a la justice, car ne couvrant nullement les coûts d’un procès (frais d’huissiers, d’avocat, examens médicaux…) et tous les avocats ne l’acceptent pas.
Le faible montant plafonné de l’aide juridictionnelle rend ce type de dossier très peu attractif, et quand certains acceptent, cela se traduit souvent par un désinvestissement de leur par dans la défense de l’affaire. En plus si la victime veut se constituer partie civile, tant que le jugement n’a pas été rendu, elle doit payer une sorte de caution appelée “consignation”. Elle est rendue à la victime à la fin de l’enquête, qu’il y ait ou non un procès (Elle allait de 1 500 à 3 000 € en 2022.).
Sans vouloir détailler plus, car ce n’est pas le sujet, les personnes modestes sont exclues du système judiciaire en raison des différents coûts liée a une procédure.
Ensuite, il faut que le tribunal accepte la plainte, car souvent elle est rejetée, et enfin, s’il y a un procès, il faut prouver qu’il y a bien eu agression (plus de 75 % des plaintes pour viols sont classe sans suite, seule 10% aboutisse a un procès, et environ la moitié de ses 10 % aboutissent à une condamnation). Le gros problème n’est pas de déterminer le consentement, ou l’âge du consentement, mais de prouver l’abus sexuel, c’est-à-dire qu’il y a bien eu une agression sexuelle.
Souvent, les procédures judiciaires ont lieu des années après voir des décennies, en moyenne douze ans, et il n’y a plus de preuve. Pourquoi la victime ne porte-t-elle pas plainte dès le lendemain ? Parce qu’elle ne le peut pas. Par exemple, elle vit avec son agresseur ou elle doit se remettre de son agression. Elle doit aussi au minimum bénéficier d’une certaine stabilité dans sa vie.
Mais en général, la majorité des viols ont lieu sur des mineurs. Ils n’ont donc pas la capacité pour de telles actions tout simplement.
Malheureusement, lorsqu’il y’a une condamnation d’un agresseur, les peines sont régulièrement ridicules. Au mieux quelques milliers d’euros et un peu de prison, dont la peine aura de grandes chances d’être réduite d’un tiers.
La justice n’en porte que le nom. Elle n’est pas là pour punir les crimes, obtenir une réparation ou une vengeance. Elle est là uniquement pour maintenir la paix sociale. Comme disait Nicole Belloubet : “Le système judiciaire punit plus un voleur de voiture qu’un voleur de vie.”
Pour mon expérience, quasiment toutes les victimes que j’ai connues, et certain ont vécu des choses vraiment terribles, n’ont jamais put porter plainte pour ces différentes raisons, en particulier pour des raisons financières ou psychologiques. Si la victime n’a pas une base saine, elle n’a pas la force physique et mentale pour se lancer dans une procédure qui sera épuisante psychologiquement et financièrement, avec un résultat des plus incertains (Moins de 1% des auteurs de viols seront condamnés par la justice.).
Selon des études, le travail de reconstruction est rendu plus difficile pour les victimes de viol quand celui-ci n’est pas reconnu par la justice.
(…) Si une personne a subi des abus sexuels, elle sait qu’elle peut en subir un autre. Ce qui la met dans un état de veille permanent pour la prévenir d’un danger éventuel. Observer son environnement, l’analyser, devient vite pour elle une habitude fatigante qui l’empêche de vivre. Elle ne peut pas se laisser aller et vivre. Elle a toujours une forme d’angoisse et de peur en elle, car craignant que cela puisse se reproduire.
(…) On n’a pas besoin de taper ou de menacer l’enfant pour arriver à ses fins. J’étais une enfant obéissante et j’écoutais mon père ou l’adulte “responsable”. Enfant, on obéit à ses parents et nous sommes sensibles à leur jugement. S’il nous affirme une chose, nous pensons qu’elle est vraie et qu’il faut obéir. Nous écoutons et suivons leurs conseils même lorsque nous devons réaliser des choses que nous n’aimons pas. Pareils pour les adultes dont nous pensons qu’il faut leur obéir.
On nous apprend à l’école qu’il faut être sage et obéissante avec les adultes, et surtout avec ses parents, c’est ce que je faisais. En plus, on nous enseigne que c’est mal de se battre et d’être violente. Si bien que lorsqu’un adulte nous maltraite, on croit qu’on a fauté. Alors on ne se défend pas, car pensant que cela augmenterait encore plus nos torts et qu’on “mérite” cela.
D’ailleurs, c’est aussi pour cela qu’on ne veut pas faire mal à son agresseur. On nous apprend que ce n’est pas bien de faire mal aux autres. On souhaite simplement qu’il arrête. De toute façon, nous n’avons pas la capacité physique pour lutter contre un adulte. De toute façon, si j’exprimais un refus ou un mécontentement, mon père me répondait que “je râlais” ou que j’étais “une petite râleuse”. D’ailleurs, souvent, avant de commencer, il me disait “qu’il allait encore me faire râler”.
Sinon, il pouvait aussi me dire, lors de la pratique de certains actes, que je n’avais pas à me plaindre. Car là, “il ne me faisait pas mal” où “je n’avais pas mal”. Mais ce n’est pas parce qu’une chose ne fait pas mal, qu’on a envie de la faire ou qu’on aime la faire.
Avec le recul, il y a un côté presque grotesque et comique dans cette situation. C’est la victime qu’on accuse d’être embêtante et agaçante. Elle n’a pas le droit de dire non, et si elle exprime un refus, on l’accuse de gâcher le moment.
De toute façon, je savais que si je m’y opposais plus fermement, je n’aurais obtenu que des violences supplémentaires. Comme je souhaitais avoir le moins de souffrance possible, j’obéissais. Je savais que m’y opposer n’allait rien changer, juste m’apporter plus de tourment.
Je n’avais pas la volonté, la force, le courage ou la détermination pour m’y opposer.
De toute façon, qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Mon “non” n’était jamais écouté et seul ce qu’il désirait aller m’arriver. C’est pour cela que je pense que des autres personnes, comme Alex, ont eu tant de facilité pour me toucher. J’étais déjà habituée, ou “éduquée”, à tout cela. Je devais me soumettre et on m’avait appris à penser que s’il m’arrivait un “problème”, c’est que l’origine venait de moi.
L’un des problèmes de l’inceste, ou des violences sexuelles dans l’enfance qui sont régulières, c’est qu’on n’est pas considéré comme une personne, mais comme un objet.
On doit être disponible et obéissante lorsque le moment arrive. Quoi qu’on soit en train de faire, il faut arrêter immédiatement pour devoir faire ce qu’on exige de nous.
Au-delà de l’aspect sexuel, et les douleurs physiques des activités, le fait est qu’on est pas/plus considéré comme une personne, mais comme “une chose”, est très destructeur pour son image. On n’est pas/plus vue comme un individu, mais comme une poupée sexuelle disponible pour assouvir des vices sexuels.
La normalité de la chose fait que l’on est “habituée”. On croit que la vie est ainsi et qu’on n’a pas d’autres façons de vivre.
Mon père me faisait tellement peur, et petite, il m’avait montré que si je désobéissais, j’étais puni violemment, que je savais que je devais lui obéir. Ce qu’il demandait allait se produire. Si je m’y opposais, je n’aurais obtenu que des violences supplémentaires à ce qu’il allait m’arriver. Voulant souffrir le moins possible, je préférais obéir.
Pourtant, je lui tenais tête sur des détails ou des actes. Pas au début, mais plus tard, avec le temps. Étrangement, malgré ses propos vexant et rabaissant, il n’était pas violent pour m’imposer ces choses là. Mais en soit il obtenait les choses qu’il désirait avec juste des éléments en moins.
Les actes pédocriminels me font penser à de la sexualité “BDSM”. On n’est pas attaché ou enchaîné physiquement, mais on l’est mentalement. On est comme un objet, une sorte de poupée, qui est là pour obéir et satisfaire l’autre. On abandonne son corps et on obéit comme un petit robot soumis.
Souvent, pour ne pas dire toujours, savoir qu’on se fera agresser nous fait mal au ventre. Je ne sais pas pourquoi, mais on ne se sent pas bien avec un mal au ventre, certainement provoqué par l’angoisse de ce qui va nous arriver.
Si bien que lorsque les violences se produisent, on n’est pas en super forme. On est plus faible qu’autrement. Mais d’autres fois, je ne sais pas pourquoi aussi, on est tellement dissocié, qu’on est comme un petit robot obéissant. On vit cela en étant coupé de notre environnement, et surtout de notre corps.
Comme si on abandonne à l’autre notre corps et notre volonté.
Sinon, je pense que toutes les victimes l’ont vécu, il y a aussi ces moments où on abandonne totalement notre corps et notre environnement, avec la dissociation corporelle. Pendant une dissociation corporelle on a l’impression d’être sortie de notre corps. On voit la scène comme si on était une autre personne, ou plus exactement ailleurs : à côté ou même au-dessus, comme si on planait/flottait au niveau de la scène.
On abandonne totalement son corps, qui est devenu un simple objet inanimé dont on ne se soucie plus. On pouvait me couper un doigt, où même me crever un s’il, que ça m’aurait rien fait sur le moment. On cherche juste a préserver notre esprit.
Notre corps n’est devenu qu’une carcasse.
Lorsqu’on subit une dissociation corporelle, on abandonne notre corps. On ne ressent plus la douleur, ni le dégoût, l’angoisse ou la peur. On est sans réaction. Comme si notre corps ne nous appartenait pas, comme si que son avenir ne nous touchait plus. On est léthargique, sans réaction, comme un objet.
Pour résumer, violer une personne pendant qu’elle est en dissociation corporelle, c’est comme si l’on couchait avec un mort. On ne peut nous faire subir que des actes passifs, et pas actifs. Pour être plus clair, c’est comme si un homme utiliserait une poupée gonflable. Il a à sa disposition un corps inerte pour faire ce qu’il veut. Mais ce corps reste passif.
Mes dissociations corporelles, je ne les ai jamais vécues avec mon père. Ça toujours était avec Alex.
Pour mon expérience, les agressions sexuelles, en excluant mes dissociations corporelles, étaient des moments à part, hors du temps. Il y avait ma vie et ces moments-là. On faisait cela et après je reprenais ma vie normale, comme si c’était une activité anodine et banale.
Je subissais cela et ensuite, je devais ne plus y penser, ou du moins j’essayais de l’oublier. Car même si je cloisonnais mes “vies”, ce n’est pas totalement étanche et les conséquences de mes violences contaminent mes autres vies. Durant les actes, que ce soit avec mon père ou Alex, on n’est pas vue comme une personne, mais comme un objet pour assouvir leurs désirs. Une carcasse vide disponible pour le plaisir de l’autre, au détriment de nos souffrances et de notre détresse.
On appartient à l’autre, comme un objet. D’ailleurs pendant les abus, mon père ou Alex employaient uniquement des pronoms possessifs (ma, mon, mes) pour designer certaine partie de notre corps, celle qu’ils aimaient toucher.
Pendant les années où l’on subit nos abus, on nous “montre” que notre corps n’est pas à nous. Il est à la disposition de l’autre. Si bien que l’on n’aime pas notre corps voire même, on le déteste, car il est à l’origine de nos souffrances.
Mais il y a une chose qui reste toujours à nous, quoi que l’on puisse subir. C’est notre esprit.
Le corps de n’importe qui est très simple à avoir, il suffit de le violer. Mais l’esprit d’une personne, on ne peut pas y accéder comme ça.
Évidemment, sous la douleur, on peut dire à quelqu’un tout ce qu’il veut entendre. Mais il faut une relation de confiance pour ouvrir et offrir son esprit à une personne.
Notre esprit est notre “jardin sacré” que personne ne peut nous voler, à l’intérieur duquel personne ne peut s’imposer. D’ailleurs, la dissociation corporelle, où l’esprit et le corps se séparent, prouve bien que si notre corps, on peut l’abandonner par moments, cela ne se produira jamais avec notre esprit.
C’est ce qui est toujours à nous. C’est vraiment la chose la plus personnelle et intime que l’on possède. L’offrir à quelqu’un est bien plus intime que notre corps, car il renferme notre être.
Pour revenir sur le corps, je pense que c’est pour cela que de nombreuses anciennes victimes se font faire des tatouages comme pour se le réapproprier. Elles doivent se dire qu’il est à eux maintenant et, qu’enfin, elles font ce qu’elles veulent avec. Mais toutes ne le font pas aussi, comme moi par exemple.
***
Lorsque l’on évoque l’inceste, la plupart des gens pensent immédiatement aux maltraitances sexuelles. Pourtant, les enfants subissant cela ont aussi d’autres formes de mauvais traitements. Mon père était un tyran au sein de notre famille. Il accusait souvent notre mère d’être à l’origine de ses échecs. Dès qu’il avait une contrariété, il avait toujours besoin de l’évacuer en s’énervant et devenant violent verbalement, surtout envers notre mère. Il aimait déverser sa colère sur elle, et parfois sur nous.
C’est pour cela que les gens qui ont été agressifs avec lui, je les méprise. C’était nous qui subissions ses représailles.
Dans l’inceste, au-delà de l’aspect sexuel, on nous apprend à nous soumettre, à devoir se laisser faire et obéir à l’autre. On a beaucoup de mal ensuite à savoir s’imposer, à savoir dire non et à identifier lorsqu’une situation est abusive ou pas. On ne sait pas ce qui est normal ou non.
L’inceste, ou la pédocriminalité sont des moments hors de notre vie. Vivre cela, c’est se retrouver régulièrement sous une pression et une peur. Je ne pouvais pas être détendue chez moi et me laisser aller à vivre.
En fait, je me rappelle que dans l’enfance, j’avais déjà des envies de mourir. Je ne voyais pas d’issue à ma situation et avec aucune amélioration possible. Je souhaitais sortir de là. Sachant qu’il m’était impossible de m’en échapper de mon vivant, j’espérais y parvenir par ma mort. Le soir dans mon lit, je priais Dieu pour qu’il me tue. Au début, mes prières étaient de demander que mes violences s’arrêtent. Mais il est resté toujours sourd à mes demandes et j’ai fait la promesse de ne plus croire en lui.
Pourtant, malgré mon désir de mourir, j’étais lâche au point de ne rien faire pour me sortir de ma condition. Je savais très bien que la mort était mon unique porte de sortie si je souhaitais mettre un terme à tout cela.
Si on n’est pas libre dans sa vie, au moins, on l’est en choisissant sa mort.$
La mort n’est pas la fin de la vie, mais le début d’une nouvelle. Celle de l’apaisement qui nous délivre de cette souffrance sans fin.
C’est l’unique solution qui nous permet de retrouver notre apaisement et de mettre un terme à nos souffrances.
De toute façon tôt ou tard on meurt tous. Ne dit-on pas que le plus lâche des suicides, c’est celui où on l’attend sans rien faire ?
(…) Je suis dissociée et je ressens mal mon corps. C’est comme si mes sensations, plaisantes ou douloureuses, sont atténuées. J’ai des fois l’impression que la vie est comme un film, ne pas être vraiment dedans.
Je n’aime pas qu’on me touche et être peu vêtue devant des gens. Je n’aime pas la sexualité, je n’y comprends rien et n’y connais rien, tout en sachant de nombreuses choses dessus.
Des pratiques, j’en connais depuis longtemps. Même pour certaines, j’ai l’impression de les avoir toujours connues, surtout celles des attouchements. Plus tard, on m’imposa des façons plus violentes. D’ailleurs, si on utilise du lubrifiant, ce n’était pas pour rendre la pénétration moins douloureuse, car ça fait super mal et on saigne. Mais juste pour la rendre réalisable. Lorsque c’est fini, on a encore mal et ça peut durer longtemps.
En dessous d’un certain âge, on ne peut pas violer un enfant avec le sexe, et donc la personne utilise son doigt. Je ne comprends pas le but de cette démarche, car si l’agresseur a du plaisir avec son sexe, il n’en a pas avec son doigt. La victime a mal et il le voit, au sang et aux cris, est ce ça son plaisir ? De faire souffrir la personne.
Ce qui me rend malheureuse et triste, c’est cette souffrance psychique qui est en moi. La douleur physique est partie depuis longtemps. Je ne me sens pas comme une poubelle, mais plutôt comme un déchet d’un produit trop utilisé. Je me sens vieille et pourrie. Je sers à rien. Je suis inutile.
Je n’ai jamais aimé mon corps, bien qu’il n’ait rien de particulier en soi. Il est même d’une consternante banalité.
Mais je vivais dans une ambiance tellement sexualisée que moi et ma sœur devions faire attention à nos comportements. Nous ne pouvions pas être à l’aise chez nous.
Bien que je n’ai jamais été une enfant battue, je pourrais faire cette comparaison. Si enfant un adulte vous donnes tous les jours deux coups de poings, et qu’un jour vous en avez qu’une ou que deux claques, vous penserez avoir passé une bonne journée, pensant que la norme, c’est deux coups de poings par jour. Si bien que l’on compare notre vie à ce que l’on vit habituellement. Si l’on subit des choses moins violentes que celles de d’habitude, on trouve avoir passé une journée plutôt positive.
Les actes pédophiles nous font mal deux fois. La première fois, lorsqu’on les subit et la seconde lorsqu’on les comprend, quant on se “sexualise”. Avant un certain âge, on ne sait pas ce qu’est le sexe, et même si on le sait jeune, on n’a pas la même vision de tout cela. Beaucoup de “concepts” nous échappent.
Lorsque j’ai pu écouter des passages audio de moments malsains de mon enfance, ça m’a fait bizarre de m’entendre parler de sexe comme d’une chose normale avec ma petite voix de fin de primaire. J’employais des mots familiers, non parce que j’étais grossière, mais parce que je ne connaissais que ces termes, ceux que j’entendais. C’est au collège que j’ai connu les termes “corrects”, comme “érection”, avant je disais “bander”.
La pédophilie ne s’arrête évidement pas qu’à des paroles, ou un abus par un adulte sur un enfant. Ca peut être aussi un adulte avec deux enfants. Soit ils touchent les deux enfants en même temps ou alors ils les regardent en leur disant ce qu’ils doivent faire entre eux.
Avec le temps j’ai pardonné mon père, mais en réalité ce n’est pas lui que j’ai pardonné, mais moi. Par contre, je n’ai pas vraiment pardonné Alex et d’autres personnes qui ont été mauvaises avec moi, je leur en veux encore parfois aujourd’hui. Mon passé et mon incapacité d’avoir justice/vengeance a un effet négatif sur ma personne. J’ai une colère et une haine en moi qui s’exprime de temps en temps après des évènements négatifs. C’est très mauvais, car ça me ronge.
Comme avait écrit Max Twain, en mieux que cela : “La colère est un acide qui détruit plus son contenant que n’importe quelle surface sur laquelle elle se répand.”
Ça me détruit moi et non pas les responsables. Je vis avec les conséquences, eux non. La justice est inexistante en France, du moins pour les gens comme moi, et je ne suis pas unique.
J’ai subi plusieurs crimes et je ne peux pas porter plainte. Non pas parce que je ne veux pas, mais parce que je ne peux pas en raison de ma situation.
C’est pour cela qu’il faut savoir “pardonner”. Ca permet d’être en paix avec soi même pour continuer de progresser et d’avancer dans sa vie. Notre passé ne peut pas être changer. C’est ce que l’on fait maintenant qui nous permettra d’avoir un avenir meilleur.
(…) Je suis sûre que les réseaux existent. J’ai rencontré une fille qui en avait fait partie. De plus il suffit de se rendre dans des associations d’ancienne victimes pour rencontrer parfois des anciennes victimes de réseau de pédoprostitution et/ou de films pédopornographiques, originaire toute, à ma connaissance, de familles défavorisées et dysfonctionnelles.
Sinon il suffit de s’intéresser à l’actualité internationale qui, de temps en temps, parle de réseau pédocriminel. Étrangement, ils ont toujours lieu hors de nos frontières. Elles doivent être certainement hermétiques à ce genre de criminalité.
Un regard vers le passé
(…) Pour la suite de mes études, comme je le disais précédemment dans mon texte, je n’ai pas été orienté selon mes projets, mes envies ou mes compétences, mais selon mes origines sociales et ce qu’on me proposait. On ne tenait pas compte de mes vœux et de mes souhaits.
Je me suis retrouvée dans un lycée professionnel faisant partie des réseaux d’éducations prioritaires. Le nom prioritaire porte à confusion. En aucun, l’éducation est une priorité dans ce genre d’établissement.
Les profs envoyées sont souvent des nouveaux sans expérience, mais avec plein d’idéaux. Ce qui fait que certains ne savent pas gérer une classe et ils sont vite dépassés.
(…) Notre père nous expliquait qu’un homme victime de viol hétérosexuel était pire que si c’était une femme (C’est-à-dire un phallus pénétrant un vagin). Selon ses propos, une femme violée à côté, c’était de la rigolade. Nous l’avions écouté sans rien dire, comme à notre habitude. Je ne connais pas la réponse et je ne pense pas qu’on peut réaliser une échelle du pire.
Son affirmation montre une perception qu’on beaucoup de personne sur le viole. Ils ne voient que les conséquences des blessures physiques et non celle qui sont psychologiques.
Vivant des abus régulièrement, nous mettons en place des mécanismes pour nous en prémunir. Cela devient notre façon de vivre. Au lieu d’être insouciante et légère, nous vivons sur le qui-vive et la peur d’une éventualité d’une agression, car nous savons que c’est possible. C’est une vie plus stressante et angoissante que pour une personne n’étant pas sur la défensive et voulant se prémunir d’un danger. Surtout que l’on se sent plutôt seule et abandonné dans notre lutte au quotidien.
Comme tout le monde, nous avons aussi les problèmes que tout le monde rencontre, mais se rajoutant a ceux que nous avons déjà et dans une situation de plus grand faiblesse que la majorité des personnes.
(…) J’ai dû aller ensuite dans un autre lycée professionnel, qui se trouvait à la campagne. J’espérais ne pas le rejoindre, mais je n’ai pas eu le choix. Cela était du a plusieurs raisons dont celle qu’on m’avait imposée en troisième. Si je voulais continuer mon projet d’étude, et rattraper ce redoublement injuste, je devais intégrer ce lycée.
Ce choix de mon professeur principal, qui n’a pris même pas deux minutes dans sa vie et qui n’avait aucune conséquence pour lui, en a eu des années sur moi. Si j’ai tenu, c’est grâce à ma volonté et à l’espoir de m’en sortir. Sans cela, j’aurais abandonné comme certains élèves et je n’aurais eu aucun diplôme.
(…) Je me levais tous les jours a 6H00 et le mercredi, je rentrais à 14H30 alors que je finissais à 12H00 et je n’avais toujours pas mangé ni fait mes devoirs. C’était le mercredi après midi et le week-end que je pouvais faire mes devoirs ou apprendre mes leçons. Les autres jours, je rentrais à 19H30 et je n’avais pas le temps ni l’énergie pour les faire. Ça me bouffait la vie et c’est pour cela que je n’aimais pas le lycée. Je partais lorsqu’il faisait nuit et je rentrais lorsqu’il faisait noir. Je ne voyais pas la lumière du jour, sauf a l’école.
Ma vie, c’était l’école et je n’avais pas le temps pour faire vraiment autre chose. C’était usant, déprimant et pas épanouissant. Certaines filles qui avaient mon trajet ont arrêté d’y aller à cause de cela.
(…) Zoé revient ensuite sur les personnes qui ont eu un impact positif sur son enfance. Elle évoque ainsi en premier Sedna qui était la petite chienne de la famille, un bichon).
Bien qu’elle ne nous ait jamais protégées directement, ce fut la seule personne qui nous a protégées de l’inceste.
(Elle évoque ensuite Léa, sa sœur.)
J’étais proche de ma sœur, surtout en primaire et au collège, maintenant un peu moins. Nos parents étaient fiers de notre bonne entente. Évidemment, on se disputait et on se battait lorsqu’on était petite et encore maintenant, on aime se chamailler. Mais le fait d’avoir été souvent ensemble, de partager la même chambre, d’avoir des problèmes similaires et les mêmes violences, nous a rapprochées. Il y a des choses qu’on a jamais eux besoin de se dire ou d’expliquer, car nous les avons vues et vécues ensemble. En primaire, c’était mon idole.
(…) Malgré notre proximité durant cette période, nous ne parlions jamais entre nous de nos abus. Nous disons juste que notre père nous embêtait, puis en grandissant, qu’il nous faisait chier ou nous emmerder, sans rien dire de plus, car nous avions honte.
Nous savions pour l’une et l’autre depuis toujours, car souvent, il nous touchait ensemble.
J’ai malheureusement vu de nombreuses fois ma sœur abusée et elle m’a vue aussi.
Je pensais avant, jusqu’au lycée, que toutes les fratries étaient si proches que nous, mais en fait non. Notre vie nous obligeait à être solidaires. Si l’une de nous avait fauté (c’était souvent pour des choses bien légères) et que notre père voulait connaître la responsable, nous ne lui disons jamais. De toute façon, il allait gueuler n’importe comment sur nous deux et cela ne changeait rien.
Ceci dit, je n’aime pas trop parler d’elle. Sa vie la concerne et je n’ai pas à la raconter. Donc je n’en raconterais pas plus, hormis qu’elle a vécu des mêmes choses que moi.
Malgré mon affection pour Léa, en primaire, j’aurais aimé avoir une petite sœur. Cela peut sembler égoïste, car elle aurait aussi subit l’inceste et les autres mauvais traitements, mais je n’avais pas conscience de tout cela à l’époque. Je pensais que c’était inévitable.
Je pense que si nous aurions été trois ma relation avec Léa aurait été différente. Ce sont toujours les duos, et non les trios, qui s’entendent bien dans la vie.
(Zoé parle ensuite de sa mère et de sa relation avec elle)
Ma mère avait voulu fuir sa famille et pensait trouver un soutien grâce a mon père. Lui n’avait pas les mêmes projets et a changé, d’après ce que m’a dit ma mère, lorsqu’ils se sont mariés. Il est devenu violent.
Au début, notre mère luttait contre lui, mais ensuite elle a baissé les bras et elle a abandonné.
Elle devait gérer la famille seule.
(…) Notre mère nous élevait strictement et nous imposait beaucoup d’interdictions. On trouvait cela injuste et elle nous répondait qu’elle avait peur qu’il nous arrive quelque chose. Qu’elle préférait nous tenir par la main fermement plutôt que l’on puisse aller courir ou jouer.
C’était totalement absurde. On ne pouvait pas vivre notre vie d’enfant et se défouler. En plus, vu que chez nous notre père abusait de nous régulièrement, ça n’avait aucun sens, et cela ne m’a pas protégé d’Alex
(…) Notre mère cherchait à ce qu’on ait une bonne image familiale et faisait attention à notre habillement et a notre comportement. Elle ne voulait pas non plus qu’on pense du mal de notre père et ne nous disait jamais du mal de lui. Notre père, par contre, ne se gênait pas pour dire du mal d’elle dans son dos. Il aimait nous dire qu’elle était folle.
On me demande parfois pourquoi ma mère ne voyait rien pour l’inceste. C’était simplement qu’il y avait tellement de choses à voir que c’était noyé dedans. Devant elle, il lui arrivait parfois qu’il nous tape sur les fesses au-dessus des vêtements. Elle lui reprochait en disant qu’on était trop grande pour cela. Comme si qu’il y avait un âge en dessous duquel on pouvait le faire.
Moi et ma sœur cherchions à protéger notre mère des colères de notre père. C’est aussi pour cela que nous gardions secret l’inceste. Je me disais que c’était comme ça, que l’on ne pouvait rien y changer. Je me rappelle qu’en primaire lorsque ma mère avait mal, je priais Dieu le soir dans mon lit pour qu’il me transmette sa souffrance, ou une partie d’elle, afin qu’elle moins mal. Je n’aimais pas la voir souffrir.
En plus l’inceste, ou la pédophilie, ce sont des actes sexuels. On ne fait pas ce genre de chose devant tout le monde. Comme pour la sexualité non déviante, il faut une intimité pour la pratiquer.
Je savais interpréter les attitudes de mon père et arrivais plus ou moins a déterminer les situations à risques. Avec Alex, pas trop. Cela m’angoissait bien plus. Je ne savais pas ce que je risquais et jusqu’à quel niveau.
Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ma mère n’a pas divorcé. Vivre à trois aurait été bien mieux qu’avec lui. C’était un poids dans la famille. Il la parasitait en prenant ce qui l’intéressait et en ne nous aidant pas. On ne pouvait pas compter sur lui, mais par contre on devait être immédiatement disponible pour lui.
Tout comme ma sœur, je n’aime pas trop parler d’elle et raconter sa vie.
(Zoé revient ensuite sur les personnes négatives dans sa vie, elle commence bien-sûr par son père.)
Ma sœur et moi avons toujours trouvé mon père vieux, même tout petite nous pensions cela. Il avait de nombreux défauts, mais il n’était pas alcoolique, je ne l’ai jamais vu saoul une seule fois dans ma vie. Il buvait pour le plaisir et avec modération. Lorsqu’il agissait avec violence, c’était toujours dans un état “normal”, mais énervé et en colère.
Pour l’inceste, il était toujours “calme”.
C’était un homme assez distant et sérieux, pas dans le sens noble du terme. Il ne chantait jamais, ne riait presque pas et ne souriait qu’exceptionnellement. Il était plutôt froid, réservé et austère, mais tout en étant très présent dans notre vie par ses règles qu’ils nous imposaient.
Il ne s’intéressait pas à nous. Jamais il n’a signé un bulletin scolaire ou un papier quelconque pour l’école. Il n’est jamais allé voir un enseignant pour notre scolarité ou un médecin lorsque nous étions malades. Nous faisions tout cela avec notre mère. Nos études, nos projets, ne l’intéressaient pas. Je pense qu’il n’avait pas voulu être père. Avoir des enfants était une charge pour lui qu’il espérait oublier en ne s’en occupant pas.
Lorsque j’allais avec ma mère voir des spécialistes, comme l’orthophoniste ou la psychomotricienne, nous y allions toujours à pied. Il ne nous a jamais conduit en voiture, même s’il pleuvait ou qu’il faisait froid.
Lorsqu’on savait que nous devions aller l’aider. Nous devions attendre dans le séjour, assises sur une chaise dans son nuage de tabac, prête à l’aider dès qu’il nous appellerait. Lui était devant ses écrans, ou des fois somnolait dans le canapé. Souvent, il dormait et devait reporter au lendemain sa tache, en prétextant une cause extérieure, comme la météo par exemple.
Cela était déplaisant, car nous avions attendu, sans rien faire, dans l’angoisse et apprenions que c’était remis à demain. Nous aurions préféré être débarrassées de cette corvée, surtout que ça tombait toujours les jours sans école et nous ne pouvions pas sortir avec nos copines.
De temps en temps, il sortait de son salon, pour boire ou manger un truc, mais surtout pour venir glisser ses mains dans nos dessous. Il ne demandait qu’à l’une de nous deux pour l’aider à chaque fois, en général plutôt moi. Je ne sais pas pourquoi.
(…) Au-delà de son côté égoïste et radin envers nous, il était autoritaire et plutôt tyrannique dès que nous étions au domicile. Pourtant, il passait auprès des gens pour un homme doux et réfléchi. Il cultivait cette image au détriment de sa famille. Pour le Noël de ses neveux, il pouvait leur acheter des plus beaux cadeaux à eux qu’à nous. Cela peut sembler ridicule, mais voir nos cousins avec des jouets mieux que les nôtres ça fait mal, surtout qu’ils n’étaient pas soigneux et qu’ils en avaient beaucoup.
Pourtant, je ne pense pas qu’il le faisait pour nous faire mal, mais juste parce qu’il n’en avait rien à faire de nous. Il ne nous estimait pas comme des personnes, mais plus comme des objets. Par exemple, il disait que chauffer notre chambre revenait cher et que c’était inutile. Nous n’avions donc jamais eu de chauffage dedans. Ce n’est pas qu’il avait la méchanceté de nous le couper, c’est juste que nous n’avons jamais eu de meuble de chauffage. Donc il ne pouvait pas nous le couper.
Pour aller nous coucher l’hiver, nous devions nous habiller avec un gros pyjama en coton et des grosses chaussettes. En boule sous les couvertures, nous respirions pour réchauffer notre lit. Ensuite, lentement, nous pouvions détendre notre corps pour pouvoir dormir.
Petite, lorsqu’il faisait bien froid et que de la fumée sortait de notre bouche, nous appelions cela faire le “dragon”.
Je ne raconte pas cela pour me plaindre, mais juste pour expliquer à quel point il nous estimait peu et ne nous voyait pas comme des personnes. Nous avions des conditions de vie précaires et spartiates. La honte nous empêchait de les raconter. Ni ma sœur et moi, nous lui en voulons pour l’absence de chauffage dans notre chambre. Bien que nous n’avions pas certains conforts de base, cela nous a permis de nous renforcer et d’être plus fortes dans la vie. Ce genre de chose, bien que pénible, nous a pas traumatisé.
Bien qu’il était distant et peu investi dans la vie de la famille, il était aussi rabaissant. Il nous trouvait plutôt stupides et aimait dire qu’on n’apprenait rien à l’école. Il s’amusait parfois lors des repas à nous poser des questions dont on n’avait pas la réponse. Il était content de voir notre manque de connaissances et nous le reprochait. Notre mère lui disait des fois qu’il posait des questions qu’on ne pouvait pas savoir à notre âge. Mais cela ne l’empêchait pas de continuer. Parfois, il nous surnommait les petites débiles. Il utilisait différents surnoms, dont certains de nature sexuelle étaient réservés pour l’inceste.
C’était un homme distant. On ne partageait quasiment rien ensemble, on avait aucune “intimité” et complicité avec lui. Lorsqu’il nous parlait, c’était souvent sur un ton désagréable et autoritaire. On ne devait pas le contredire et faire tout ce qu’il nous disait.
Lors des repas familiaux, il parlait en faisant des leçons de vie et nous n’avions pas le droit de l’interrompre. Il expliquait les raisons des problèmes et des maux de la société, selon sa vision.
Petite, il me faisait peur, vraiment peur. Surtout lorsqu’il nous punissait, il frappait pour nous faire mal. On était des petites filles toujours sages et obéissantes, car on était soumises.
Devant les gens, on employait un double langage. On nous disait une chose, mais il fallait comprendre l’inverse. Par exemple, une personne voulait nous donner quelque chose. On savait qu’on devait refuser, mais devant la personne, nos parents nous disait de le prendre. Plus on insistait en nous disant “Mais si prends-le”, plus cela voulait dire “Surtout ne le prends pas”. Donc nous refusions. Je pense qu’à notre tête la personne devait voir qu’on en voulait, surtout que c’était des choses dont nous étions privées.
Clore le chapitre de l’inceste
(…) Si aujourd’hui, j’ai pardonné mon père, c’est simplement parce qu’il est mort. Ça n’a aucun sens d’avoir une rancœur envers quelqu’un de décédé. Il a assez détruit ma vie de son vivant, je ne veux pas qu’il continue même mort.
Je ne lui ai pas pardonné à lui. Je me suis pardonné à moi-même. Je n’ai pas pleuré sa mort, ça faisait bien longtemps qu’il était déjà mort pour moi, mais j’ai eu l’impression que c’était comme si un “rocher” de ma vie était parti, car il a été très présent dedans. Maintenant, il ne l’est plus. Il a toujours été absent pour m’aider ou m’épauler dans la vie, mais très présent lors des violences. Il n’avait plus besoin d’ordonner, il savait qu’on allait le faire. Nos vies étaient basées sur ses règles et ses contraintes.
Lors de son enterrement, je ne savais pas quel comportement adopter. Alors j’ai pris des gens de ma famille dans mes bras, car je ne savais pas ce que je devais faire.
De son vivant, je lui en ai voulu énormément. Lorsque j’ai quitté ma famille, si je le croisais dans le bus de ville, je ne le regardais pas. Je faisais comme si que je ne le connaissais pas. Lui aussi faisait de même. Il avait dû comprendre que je n’étais plus son enfant, sa chose, son jouet, que je n’étais plus à lui désormais.
Nous étions deux étrangers.
J’ai pu lui reparler de l’inceste avec lui une fois. J’étais allé chez mes parents lors de l’absence de ma mère. Il ne s’attendait pas à ma venu et il était content de me voir lui rendre visite. Au début, il m’a dit que c’était faux, mais il a reconnu, en partie, tout de même. Il m’a dit qu’il n’avait pas à s’en vouloir et qu’il n’était pas pédophile.
Pourtant, je ne l’avais pas accusé de l’être, simplement que c’était de l’inceste.
Je sais que j’ai eu de la chance de pouvoir discuter de cela avec lui. Beaucoup d’anciennes victimes ne le peuvent pas. Mais la conversation a été décevante. Surtout qu’il a eu besoin de me rappeler des actes que j’avais, ou préférais, oublié.
J’aurais aimé qu’il s’en veuille, ou quelque chose comme ça, mais ça n’a pas était le cas.
Il m’a simplement répondu sur un ton de reproche “Tu veux que je m’en veux?”. Ce n’était pas cela que j’espérais entendre, mais juste qu’il comprend. En plus, il a eu besoin de dire du mal de ma sœur en disant qu’elle était “légère” et “facile”. C’est comme ça qu’il nous voyait depuis toutes petites.
Sa mort m’empêche d’avoir accès à la justice, mais comme je ne suis pas bien riche, je n’avais déjà pas la possibilité d’y accéder. Il existe bien des aides, mais plafonnées avec des sommes modeste. Les seuls avocats qui les acceptent sont ceux sans aucun contrat et se limitant à faire le strict nécessaire. Ils ne donnent aucun conseil.
De plus, un procès coûte plus cher que ce que l’on peut espérer “gagner” en dommage et intérêt. Ça décourage et enlève toute volonté de porter plainte. Surtout qu’on est obligé de devoir tout raconter en détail, tout en sachant que l’on aura peu de chance d’obtenir un procès.
S’il y a un procès, il y a plus de chances d’avoir un acquittement. Et même s’il y a une condamnation, en général, c’est une indemnité modeste, qui ne couvre pas les couts du procès, et quelques mois de prison avec sursis. C’est pour cela que je ne ferai rien, et que je ne peux rien faire, contre Alex. J’ai déjà assez payé comme ça. Mais au fond de moi, j’aurais bien aimé me venger, mais je sais que c’est impossible et je préfère passer à autre chose que d’être rongé par mon passé.
Mon père, à cause de ma description, semble un monstre ou un salaud, mais il n’était pas que cela. Des fois, il se comportait normalement, et je pense, qu’avec le temps, il a eu une forme d’affection pour nous. Petite, je ne le pense pas.
(…) J’ai aussi connu Alex. Un homme tellement “bien” qu’il abusa aussi de moi. C’est un délinquant sexuel qui a commis de nombreux crimes, puisqu’en droit le viole est un crime. Je pensais stupidement à l’époque que c’était normal. Mon père me faisait aussi cela, donc c’était normal qu’un autre homme me le fasse. Ma façon de penser était ridicule.
Je n’ai jamais vraiment dit “non “, et même parfois facilité ses actions, car je croyais qu’il en avait le droit. Que c’était normal qu’un homme mette sa main dans ma culotte ou fasse d’autres choses avec moi. J’avais un raisonnement bien bête.
Lorsque je devais “aller à la rencontre” d’Alex, je pensais que la route que je prenais pouvait influer sur ce qui allait m’arriver. J’avais constaté que des fois, il ne se passait rien, sans que je sache pourquoi. Croyant que je pouvais influencer la dessus, lorsque je devais aller le voir, je me disais que si je passais par la rue de droite ou celle de gauche, cela pouvait influencer ma “journée” avec lui. Et donc des fois choisir ma route pouvait être un choix difficile, mais en réalité totalement ridicule.
Étant “proche” de mon père, je savais mieux anticiper ses actions et ses envies qu’Alex. Je “savais” interpréter son humeur et sa façon d’être, qu’Alex pas trop.
Avec le recul, je pense qu’il agissait en fonction de ce qu’il devait faire ensuite dans sa journée. S’il avait du temps, il en profitait pour faire ses trucs dégueulasses avec moi. Sinon il me laissait “tranquille”.
Ayant eu une “éducation” où l’on m’enseignait que si on se comportait mal, on serait puni, et si on agissait bien, on allait éventuellement être récompensé. J’essayais pas divers stratagème, tous aussi ridicules et lamentables les uns que les autres, d’échapper à cela.
Lorsque j’étais petite, vis-à-vis de ma vie, je pouvais aussi demander de l’aide, et raconter mes “misères”, a mon âne en peluche le soir dans mon lit. N’étant qu’un objet inerte, il ne fit jamais rien. Mais au moins, j’avais une, même deux oreilles, attentives. Plus tard, je parlais aussi à Dieu ou à moi-même pour réfléchir sur la situation et trouver des solutions.
Alex, avait un comportement différent que celui de mon père, même si la finalité revenait plus ou moins a la même chose, mais en moins “dominant” pour mon père. Alex pouvait me saisir par le cou en le serrant ou en faisant comme une pince avec sa main lorsqu’il me parlait ou qu’il m’abusait. C’est avec Alex que j’ai vécu mes dissociations corporelles, jamais avec mon père.
Il employait aussi un vocabulaire plus vulgaire que mon père. Il m’a dit, demandait ou fait des choses que mon père ne m’a jamais fait.
Je pense qu’il devait estimer que je lui appartenais. Je n’étais pas une vraiment personne à travers son regard, mais à lui, comme une sorte d’objet. Appartenir à quelqu’un, c’est ne plus être une personne. C’est pour cela que je préfère vivre difficilement que sous la coupe ou la dépendance de quelqu’un ou d’une institution. Je sais comme cela est mauvais.
Lors des abus, il m’a montré que si je m’opposais à ce qu’il voulait me faire, il me ferait encore pire. Si bien que si je voulais le moins souffrir possible, je devais accepter sans protester. Je devais être obéissante, disponible, soumise, et obéir aveuglement à ses injonctions. Je savais qu’il existait pire que ce qu’il voulait que je fasse.
Pourtant, à cause ou grâce, à mon père, j’avais eu une connaissance dans les “déviances”. Ce qui me permit de mieux encaisser certaines choses, mais aussi plus mal d’autres. Je crois qu’Alex avait dû le remarquer à mon comportement et cela facilita son “approche”. Il n’a jamais été “violent” avec moi, si le terme violent est défini comme violence physique. Malheureusement, ses envies devenaient plus “prenantes” et “déviantes” avec le temps.
Ce fut avec lui que je découvris, qu’un visage souriant et content de me voir, pouvait signifier un comportement “malveillant” envers moi.
Ma nature stupide faisait son jeu vu que je ne disais rien et gardais secret ce qu’il me faisait. C’était vraiment “ironique” comme situation. Je participais indirectement à mes violences et en devenais complice.
(…) Alex, est la seule personne à laquelle je souhaite une mort dans la souffrance. Je n’aurais aucune tristesse si j’apprenais cela un jour. Je suis peut-être méchante, mais je ne peux pas aller contre cela. Je pense que je serais contente s’il souffrait, lui n’a jamais eu de peine ou de compensation pour moi lorsqu’il me faisait mal. C’est pour cela que face a certains criminels, quand on dit qu’il faut savoir pardonner et faire preuve d’humanité vis a vis d’eux, je trouve que ces personnes très naïves. Car ses criminels n’en ont pas, et n’en auront jamais pour leurs victimes.
Malgré ce que je dis, je suis contre la peine de mort ou la torture. Bien que j’en veuille à Alex, je pense que lui faire mal pour lui faire mal n’a aucun sens. Quelqu’un qui ferait délibérément du mal par vengeance, a une personne comme Alex, je la comprendrais, mais ce n’est pas pour autant que j’accepterais. Je lui en veux, je peux lui souhaiter du malheur, mais jamais je ne serais active dans ce genre de démarche.
C’est un ressenti, car tout en même temps, je sais que j’aurais pitié de lui. Mon sentiment est complexe à expliquer car contradictoire à la fois. Moi-même, je ne suis pas claire dans mon esprit.
Sans m’y attendre, j’ai déjà recroisé Alex dans la rue. De loin, je l’ai tout de suite reconnu alors que je pensais à autre chose. Une haine et une colère en moi s’éveillèrent et je n’ai pas pu m’empêcher de le regarder de travers. Je ne sais pas s’il m’a reconnue, car j’ai changé depuis, mais je ne pense pas qu’il a dû m’oublier. Lui n’avait pas vraiment changé, juste vieilli.
***
Ce qui est dommage, c’est lorsque l’on représente sur les écrans ou dans les livres un violeur qui s’en prend a des adulte ou à des enfants, le personnage est totalement caricatural, il est rempli de défaut : physique affreux, raciste, autoritaire, …
Le viol n’est malheureusement pas une chose rare, mais une chose ordinaire réalisée par des personnes ordinaire. Les violeurs ressemblent à tout le monde et se noient dans la masse. Rien d’extérieur n’indique qu’ils le sont. Ils peuvent être des personnes “douces”, “honnêtes” et “ouvertes” pour les gens qui ne savent pas qui ils sont.
Conclusion
Une chose qui va certainement surprendre, c’est que j’ai vu un psy alors que je vivais chez mes parents. Ce n’est pas une chose facile que d’aller en voir un car c’est reconnaître qu’on a un problème qui vient de nous, de notre comportement. Avoir une grippe, on ne l’a pas choisi, on le subit. On prend des médicaments et c’est ensuite terminé. Voir un psy, c’est reconnaître implicitement que nous avons un problème “mental”. Je l’avais fait en cachette, comme tout ce que je faisais dans ma vie, et je n’y allais pas au début pour mes sévices, mais simplement pour un mal-être “persistant”.
Je n’ai dit que la troisième fois au psy que j’avais été touchée enfant. Enfin, dit, même pas. Je l’avais écrit sur une feuille tellement que je n’arrivais pas à l’exprimer. J’avais essayé lors de la seconde séance, mais j’étais totalement muette. Je n’arrivai pas à parler, mais réellement, je n’arrivais pas. Aucun son ne sortait de ma bouche.
Mon message était court, composé de quelques mots. Il m’a demandé ce que je voulais dire par cette phrase succincte, et lorsqu’il a eu la confirmation, il m’a dit que je devais porter plainte. Pourtant, j’avais raconté une situation plus “soft”, des attouchements “légers” et se déroulant sur quelques années, sur trois ou quatre ans, je crois.
Au début, lui parler me permettait de voir mieux dans ma vie et de prendre de bonnes décisions, comme quitter mes parents. J’en avais déjà eu l’idée, mais je pensais ne pas en avoir la possibilité.
Rapidement, j’ai constaté que le psy avait parlé, même s’il a toujours dit l’inverse. Au début, ça ne me gênait pas. Je me disais que si mon passé pouvait servir à de la prévention ou qu’il y a un sens, je n’aurais pas vécu tout cela vainement. Mais malheureusement, ce n’était pas le cas.
Je le voyais aux institutions qui changèrent de comportement, mais ils n’ont jamais changé leur façon d’agir, mais simplement dans leur écoute. Par exemple, même si ce n’est pas le plus parlant, mon médecin traitant. A l’époque, j’en avais encore un, qui me voyait depuis longtemps. J’étais allée le voir parce que j’étais malade. Il m’a auscultée en détaillant tout ce qu’il allait faire, comme avec une femme violée.
Avant, il ne m’avait jamais fait cela, et à l’époque, je ne lui avais pas encore dit, mais j’ai compris qui le savait à son comportement. Ceci dit lorsque je vais voir un médecin, je sais d’avance les parties de mon corps que je vais dévoiler. Cela ne me gêne nullement, car je sais comment ça va se passer. Mais je n’irais jamais voir certains spécialistes.
Actuellement, comme de nombreuses personnes, je n’ai plus de médecin réfèrent et ce genre de situation ne risque plus d’arriver. Il y a bien une médecine à deux vitesses, les gens sans relation n’ayant même plus accès à la médecine.
Nous sommes obligées de nous rendre à la maison médicale de garde, faire la queue pendant plusieurs heures, payer plus de 50 € la visite, en sachant qu’ils ne font pas tous les actes médicaux, comme les vaccins ou les certificats médicaux, si on souhaite faire partie d’une association sportive par exemple.
En plus, les places sont limitées et ils refusent l’accès si nous ne sommes pas dans notre secteur. Dans ses deux cas, ils nous disent d’aller aux urgences de l’hôpital.
Le psy m’avait donc conseillé d’aller voir des institutions pour être aidée. Je ne voulais plus en rencontrer certaines car ayant refusé auparavant ou simplement faire leur mission. Certains même avaient été loin d’être polis et corrects avec moi, comme mon maire de l’époque. Mais je ne vais pas rentrer dans les détails, ça serait trop long. Mais je voulais résumer ces injustes et inacceptables comportements de certains élus.
Le psy m’avait aussi recommandé de porter plainte. Cette démarche est importante pour une reconstruction. Je m’étais renseignée pour le domaine judiciaire, plusieurs fois auprès de la maison de la justice et d’anciennes victimes, et sans argent, en France, on n’a pas de droit. Ça permet à des personnes d’être dans une impunité totale. En France, il y a des gens au-dessus des lois, tant qu’ils s’en prennent à des personnes venant de milieux défavorisés. Les enfants victimes de pédocriminalité comme avec Alex, et non d’inceste, sont à ma connaissance, souvent issus des mêmes milieux.
En plus, cela me fait vivre des situations absurdes. J’ai des images de mes abus en ma possession, mais je ne peux pas porter plainte puisque mon père est décédé. Lorsque je le pouvais, je n’avais pas les revenus et une situation stable pour me le permettre. D’ailleurs actuellement, je ne l’ai toujours pas. Ce genre d’images est interdit par la loi, mais comme c’est moi dessus, c’est toléré. Ce qui m’agace, c’est qu’on exige de moi de pardonner, mais ce genre d’images, même après ma mort sera toujours illégal. J’ai le sentiment qu’on m’oblige de me taire et d’accepter tout cela, mais tout en reconnaissant la violence de ce vécu.
Comme écrivait Jean de La fontaine :”Que tu sois puissant ou misérable, la justice te fera innocent ou coupable.”
Ce qui m’agace aussi, bien que je ne vais pas m’exprimer la dessus dans une conclusion, c’est que des personnes très malhonnêtes et malveillantes ont une forme de “pouvoir”. Ils sont ainsi protégés et peuvent vivre leurs vices sans problème. Je me demande même si la quête de pouvoir de certaines personnes n’a pas pour objectif de bénéficier de protection, en plus des autres avantages, comme l’argent.
Un pédocriminel, c’est-à-dire une personne pédophile qui a commis des agressions sexuelles, ne va pas s’arrêter lorsque sa victime a grandi et n’est plus a son goût, elle va juste chercher de nouveaux enfants.
Les victimes pourront se débattre pour s’en sortir, mais elles seront jugées selon leur origine et non sur ce qu’elles ont fait, sans que l’on se demande pourquoi elles ont agi ainsi. Ce qui me dégoûte, c’est ce que malgré ce j’ai fait pour m’en sortir, cela n’a servi a rien.
***
Tout ce que je raconte dans mon texte, et aussi d’autre chose que je n’ai pas raconté, les institutions le savent plus ou moins. Donc “l’Etat” sait pour mon passé puisque le psy l’a dévoilé sans mon accord. Même si je pense que certaines choses ne les intéressent pas. Mais j’ai tout de même eu la prudence, ou l’intelligence, de ne pas tout lui raconter.
Au lieu de m’aider, on l’a juste raconté. Si mon père et Alex ont abusé de mon corps, le psy et la société ont abusé de mon esprit, la seule chose qui restait encore intacte. Pourquoi ils ont été aussi intéressés pour ne pas agir, je ne sais pas. Je suis trahie et humiliée par tout cela. Le peu que j’avais, je ne l’ai même plus. On m’a demandé de raconter alors qu’on savait que parler de mes traumatismes me ferait mal. On m’avait dit de ne pas me soucier pour mes problèmes de précarité, car j’allais être aidée. Mais je n’ai jamais rien eu, même pas ce que l’on me doit, et je sais que je ne l’aurai jamais.
Pendant la période ou j’étais “aidée”, ce fut celle ou je volais dans un magasin de la nourriture pour manger et aussi ou je me suis retrouvé 100 € dans un mois pour vivre. C’est très compliqué de vivre avec si peu, rien que pour manger, il me faut au minimum le double. Heureusement, j’ai la chance de n’avoir aucune addiction, comme le tabac, l’alcool ou le cannabis par exemple.
Si j’ai fait des efforts dans ma vie et que je me suis battue, c’est que déjà, je n’en avais pas le choix, mais aussi que je pensais naïvement que l’effort était récompensé. En France, c’est surtout l’origine sociale qui détermine l’avenir d’un individu, un peu comme dans certain pays avec les castes.
Je pense qu’écrire ce texte et le partager est une façon pour moi d’avoir l’impression de reprendre le dessus sur cette trahison. Que c’est moi qui raconte mon vécu et non pas, une autre personne, qui va mettre un jugement et des leçons de morals dans mes actions.
Pourtant, mon texte raconte juste sommairement ma vie, je ne parle pas de certains sujets et ni de certains abus qui sont violents. Je ne dis pas cela pour ma plaindre, mais mon récit raconte plus un passé idéalisé qu’une réalité. Je fais l’impasse sur de nombreux évènements. Si je voulais, il aurait pu faire plus du double, surtout que je n’ai pas parlé de certaines choses, et pas seulement d’Alex que j’ai peu développé.
Mon texte est plutôt sobre. Je n’ose pas raconter la réalité et détailler des violences, qui ne sont pas forcément que des abus sexuels, même si je pense que certains ont une connotation sexuelle.
(…) Souvent, lorsque j’affirme des choses sur les abus qui existent, c’est que tout simplement, je les ai subies. Je sais qu’ils existent à cause de mon expérience. J’ai commencé ma vie dans un environnement violent et sexuel, alors que je ne me retrouvais pas dans ce genre de chose.
C’est pour cela que lorsque j’entends des gens s’exprimer sur de sujets, par exemple la pédocriminalité, souvent, ils ne savent rien et n’ont pas conscience de la réalité. Que les lois existent bien, mais elles ne s’appliquent pas à tout le monde déjà.
(…) Je sais que je n’ai qu’une vision parcellaire et déformée de ce problème, car je suis loin de connaître le sujet et je n’ai vu que peu de choses. Mais aujourd’hui bien que j’en veille à Alex, j’en veux bien plus aux institutions qui m’ont trahie et m’obligent à rester dans cette situation tout en sachant ce qu’il c’est passé. Pourquoi m’a-t-on demandé de dire et de faire des choses en n’agissant pas envers les auteurs et en me laissant sombrer dans mes problèmes ?
La société n’agira pas contre ce genre d’individu s’ils s’en prennent uniquement à certains types de population.
Ceux qui m’ont fait le plus mal, ce sont les institutions qui prennent des choix destructeur envers les victimes et protecteurs envers certains agresseurs. Ça ne concerne pas que la pédocriminalité, toutes les formes de crimes sont aussi concernées, enfin, je suppose.
Mon texte veut juste témoigner de l’injustice sociale avant de parler de la pédocriminalité. C’est un sujet qui choc, mais parler juste de l’injustice scolaire, social, médicale…. C’est assez complexe à expliquer. Je pense que si j’avais eu une autre situation, je n’aurais pas été abusée, ou si je l’avais été, ça aurait été moins long, que j’aurais été aidée et les coupables condamnés.
Je sais très bien aussi que je ce que j’ai vécu n’est pas rare. Malheureusement beaucoup de personnes subissent cela sans que cela ne soit jamais condamner ou réprimer, mais tant que ça touche que certains milieux, cela ne fera jamais agir les autorités.
Enfant, je n’ai jamais été protégée. On m’a abandonnée seule à mes agresseurs et je devais subir sans pouvoir me plaindre. Je n’avais même pas le droit de pleurer ou d’être triste, car sinon on se moquait de moi. Je devais encaisser les choses sans rien dire et sans rien faire, “La souffrance, c’est pour les faibles“.
“Adulte”, ou plutôt majeure, c’était pareil. J’ai été trahie et abandonnée par la France. Elle a voulu connaître mon passé, m’a laissée aller mal pour que je dévoile et n’a rien fait pour m’aider, me protéger ou arrêter les auteurs. Pourtant, on m’avait promis de l’aide ou simplement obtenir ce que l’on me doit. La France a préféré m’abandonner et continue de me trahir tous les jours.
Il m’est difficile, voir impossible, d’accepter certaines choses lorsque je vois la vie de certaine personne.
J’ai voulu aussi rencontrer le maire de ma nouvelle commune, après de nombreuses demandes et supplications, j’ai pu le rencontrer, enfin son représentant. J’ai été obligée de supplier et de forcer pour obtenir ce rendez-vous, en allant quémander régulièrement à la mairie.
Lors de la rencontre, j’ai volontairement parlé de ma situation de précarité, que j’ai déjà volée pour manger et que des fois, je ne mange pas à ma faim, et qu’enfant, j’ai été abusé. Ce représentant m’a dit qu’il me verrait toutes les semaines et qu’il allait m’aider. D’ailleurs, il s’est mis à me tutoyer et à me parler avec un ton de pitié.
Sur le moment, j’ai eu l’impression qu’il avait envie de m’aider. La semaine d’après, j’ai rencontré une autre personne, qui m’a donné rendez-vous avec un autre, une semaine après, et déjà les principes d’aide étaient oubliés. Ils n’ont rien fait, comme toujours. Ils m’ont juste écoutée, mais certainement pas entendue.
Pourtant un maire, qui est le premier magistrat d’une ville et aussi officier de police judiciaire en raison de son mandat, doit agir contre les crimes. Ils auraient dû intervenir sur la pédocriminalité que j’ai dévoilée, ou au minimum, sur ma précarité. Une commune doit, normalement aider ses citoyens à ne pas mourir de faim. Actuellement, c’est cela ma plus grande souffrance et non mon passé abusif. Le temps permet d’atténuer les souffrances, mais ne les répare pas.
J’en veux beaucoup aux institutions, plus qu’à Alex, car après ce que j’avais vécu, je me reconstruisais et j’avais des objectifs, mais je ne savais pas que je n’allais pas pouvoir les atteindre à cause de mes origines sociales.
Je suis certainement jalouse et geignarde, comme m’a jugée mon ancien maire, mais j’estime que je ne mérite pas la vie que l’on m’impose. Du moins, par cette expérience, je sais que l’état n’agit pas même si on lui dévoile des crimes et ne fait sa mission, pour laquelle nous payons des impôts, d’empêcher les gens d’être en vulnérabilité économique. Celle-ci m’a amenée à faire de nombreux choix qui continuent à m’être imposés tous les jours.
Comme on me disait ne pas agir, c’est agir, car c’est un choix. Je peux me fatiguer à quémander de l’aide ou réclamer ce que l’on me doit, cela ne changera rien. Je n’aurai rien.
Aujourd’hui, je ne mange pas tous les jours à ma faim, mais j’ai un toit au-dessus de ma tête et je ne subis plus certaines violences. Malheureusement, je suis comme je le disais, en vulnérabilité économique, mais aussi sociale et judiciaire.
Je ne sais pas suis je suis parvenue a expliquer pourquoi je trouve que même Alex, qui est vraiment quelqu’un de mauvais, et moins pire que les institutions à mes yeux. S’il a pu me faire tout cela, c’est que le système le permet tout simplement.
Cette conclusion est plus à fleurs de peau, mais reflète mon sentiment et surtout ma réalité, ou la réalité, sur ce qui concerne ce genre de chose en France.
(…) J’ai honte d’avoir vécu tous cela, ce qui fait que je n’ose même pas tout raconté, faisant le jeu de mes agresseurs en plus.
***
J’avais aussi envie de développer d’autres sujets, comme la mémoire et les souvenirs. Je trouve que mes expériences en ce domaine sont intéressantes à partager.
Par exemple, lorsque j’ai revu les photos pédophiles de mon père qu’il faisait de nous, certaines en les voyant, je m’en suis rappelé, alors que j’en n’avais plus le souvenir. Par exemple, celle ou nous étions chez nous nues dans une piscine pour enfants. Je me rappelle qu’il nous avait dit de ne pas avoir trouvé nos maillots de bain. Par contre, il y en a d’autres dont je n’ai nullement le souvenir.
(…) C’est pour cela lorsque j’entends une personne affirmer se souvenir de tous ses mauvais traitements qu’elle a subis, je ne le crois pas, c’est impossible. S’ils sont réguliers, ils trop nombreux pour s’en rappeler. Une habitude se crée, et seuls les actes les plus violents, et certains nouveaux actes qui vont débuter, vont nous marquer.
Je pourrais encore écrire et écrire sur de nombreuses choses, mais je vais arrêter là, car c’est une conclusion et non un nouveau chapitre. Du moins, comme je le dis, j’en veux plus à la société qu’aux pédocriminels qui ont abusé de moi, car s’ils sont libres et ont pu commettre leurs crimes, c’est grâce à la société, surtout qu’elle est au courant, a cause du psy, mais aussi grâce à moi lorsque je l’ai dévoilé aux institutions.
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