Fort-Nieulay | Procès en cours d’un père incestueux, un parcours pénible pour une fille courageuse

Courage d’une fille et honte d’un père

Sur le banc des parties civiles (à droite) la victime a fait face à son père, gardé dans le box (à gauche). 

Il y a deux ans, une famille du Fort-Nieulay explosait suite aux révélations de l’aînée des filles, qui disait avoir été violée, de ses neuf ans à ses quatorze ans, par son père.

La cour d’Assises de Saint-Omer continue de se débattre dans des conditions matérielles pénibles. Cette fois-ci les radiateurs fonctionnent, mais un peu trop bruyamment : chaque témoignage se fait dans un brouhaha de claquements métalliques.
Alors l’huissier reste près du chauffage et tente de lui faire fermer son clapet, sans grand succès…

Mots crus, faits graves

Rien n’est plus pénible, cependant, que l’histoire que raconte Camille*, sa mère, ses frères, les psychologues et psychiatres. Les formules journalistiques creuses -enfance volée, cauchemar incestueux, désespérance sociale et autres fadaises- n’ont pas cours ici. Les mots sont rares, difficiles à sortir pour des gens qui de leur propre aveu « ne savent pas comment dire ». Quand ils y parviennent, poussés par la cour ou les avocats, c’est cru, et brutal, comme la victime qui raconte à la barre un des viols dont elle accuse son père :

« Je suis descendue boire un verre d’eau, il m’a suivie, attrapée par le bras. il m’a emmenée dans le cagibi, m’a poussée sur le congélateur et il a baissé mon pyjama… »

On vous épargne la suite.

« C’est moche ce qu’il a fait, mais je l’aime et ça reste mon père. (…) Je veux qu’il s’excuse et qu’il dise pourquoi et comment il a fait ça… »

La victime

Pour la justice, le récit commence en février 2016. Camille est alors plus connue comme une terreur que comme une victime dans son collège calaisien. Une prof la décrira comme « la pire du collège, elle fume, elle fait ce qu’elle veut, elle choisit les cours où elle va -quand elle y reste… » Non sans concevoir, curieusement, une certaine tendresse pour cette gosse ingérable :

« Elle m’a fait tout voir, cette gamine, mais elle me touche. J’arrive à la faire travailler, elle est intelligente, même si elle a été déscolarisée deux ans… »

On sait alors vaguement que la vie n’est pas rose pour elle à la maison : sa mère, son père et son frère aîné ont tous été incarcérés pour des histoires de stups, de violences ou de défaut de permis. Les résultats scolaires de Camille sont en chute libre, alors elle suit des sessions de rattrapage scolaire.

C’est là que le rideau de fumée se dissipe : une intervenante se rend compte que sous les manches du pull de Camille, il y a des marques de scarifications. Ensuite, ça va très vite : Camille rencontre l’assistante sociale, les psychiatres, et finit par raconter qu’elle subit des « trucs » de la part de son père depuis cinq ans. Elle en a alors quatorze.

La double peine pour la victime

L’énormité de la révélation met un peu de temps à filtrer. La mère de Camille est informée par le collège, où on lui demande de venir seule. Dans la foulée, elle contacte le commissariat et est auditionnée avec sa fille. Mais quand la convocation du père devant la brigade des mineurs tombe dans la boîte aux lettres, la mère la dissimule un peu, pour gagner du temps, explique-t-elle :

« Je ne voulais pas qu’il se sauve ou qu’il se suicide… »

Quand le père est finalement entendu et incarcéré, Camille se retrouve soumise à la double peine que connaissent souvent les victimes de violences sexuelles : la famille du père et ses propres frères ne la croient pas et l’accusent de les priver de leur père -et des sous qu’il rapportait à la maison. La seule qui la croit alors, c’est sa mère, qui explique simplement :

« Mes enfants, ils n’ont pas beaucoup d’éducation, mais ils ont le respect et l’honnêteté. Elle ne raconterait pas ça si ça n’était pas arrivé. »

La situation se dégrade tellement que Camille se retrouve placée, fait des fugues, se retrouve dans un foyer qu’elle saccage à l’occasion…

Aujourd’hui, la famille semble relativement réunie. Le seul qui manque, c’est le frère aîné, mais Camille est sur le banc des parties civiles, ses frères et sœurs avec leur mère du côté des témoins, et le père dans le box des accusés. Ce dernier est un cas un peu particulier, de l’avis des experts :

« Il reconnaît globalement les faits, il y a une sincérité, une souplesse psychique, à l’inverse des pervers. Il s’exprime de façon très émue, ce qui est assez rare dans ces dossiers. »

La distinction entre ce père incestueux et les « pédophiles habituels », explique l’un d’eux, c’est que ce père est capable de se remettre en cause et d’éprouver de l’empathie pour la victime, sans rejeter la faute sur elle.

Alors, vers la mi-journée d’hier, il y a eu un début d’explication entre le père et la fille, aujourd’hui âgée de 16 ans :

« C’est moche ce qu’il a fait, mais je l’aime et ça reste mon père. (…) Je veux qu’il s’excuse et qu’il dise pourquoi et comment il a fait ça. »

Elle tente bien de regarder l’accusé, mais celui-ci a disparu sous la vitre du box, mort de honte ou de culpabilité. La présidente aimerait qu’il ait le cran de sa fille :

« C’est plutôt rare, c’est même exceptionnel qu’une victime de tels faits parle de son père comme elle. Vous voulez lui répondre ? »

« Un peu… plus tard, s’il vous plaît »,

croasse-t-il difficilement. Plus tard donc, il parviendra à lui dire qu’il s’en veut, qu’elle a très bien agi tout au long de la procédure et que le jour où avec l’aide de ses psys, il saura ce qui lui a pris, il lui écrira. Dans la cour, le silence est total : même le radiateur a fini par se taire…

*Le prénom de la victime a été changé pour protéger son anonymat.

Source : nordlittoral

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