Violences sexuelles | « Témoigner pour venir en aide »

Céline Torres a aujourd’hui 30 ans. Victime de violences sexuelles à l’âge de 8 ans, de la part d’un grand-oncle condamné à Brest en octobre dernier, elle a décidé de rejoindre une association et de témoigner. Une forme de thérapie et l’envie d’aider à combattre les secrets les plus insoutenables.

Quelques jours après la condamnation de son agresseur, Céline Torres a rejoint l’association « Rico Lamour » pour témoigner auprès des collégiens. Elle raconte son parcours et les 19 ans d’un lourd secret familial.

À quand remontent les faits ?

Maintenant, à plus de 20 ans. J’avais huit ans lorsque le mari de la marraine de ma mère a procédé à des attouchements et m’a contrainte à des fellations à son domicile, pendant des visites familiales. Pendant que ma mère prenait le café, il m’emmenait « voir les poussins »…

Pourquoi avoir gardé pendant des années ce secret et cette souffrance ?

J’en avais parlé à l’époque mais mon récit avait été balayé par mes proches. On m’avait dit : « On ne va pas faire des histoires pour ça ! ». Je n’en ai plus parlé. J’avais peur de faire exploser la structure familiale. J’ai fait avec cette douleur qui a gâché mon enfance et m’a empêchée de dormir tous les soirs. Aujourd’hui, ma mère, ma grand-mère et ma tante regrettent de n’avoir rien fait à l’époque.

Quel a été l’élément déclencheur pour décider de porter plainte ?

J’en ai reparlé à une de mes tantes qui, 19 ans plus tôt, m’avait entendue. Cette fois-ci, mes parents m’ont incitée à demander justice. « Tu as suffisamment souffert, il faut déposer plainte », m’a encouragée mon père.

Près de 20 ans après les faits, vous avez poussé la porte d’un commissariat…

À Colbert, auprès d’un officier très compétent qui a su me rassurer, m’expliquer la procédure et m’écouter avec attention. Il m’a demandé de laisser ce poids derrière mois, de « lâcher la caravane » selon ses termes. Les faits étaient presque prescrits. C’était la dernière limite avant les 20 ans (la prescription est passée à 30 cet été).

Qu’avez-vous ressenti à l’approche du procès ?

J’ai eu encore plus de mal à dormir que d’habitude. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être crue, de perdre mes moyens devant les juges. Et que les choses s’inversent, qu’on me prenne pour une menteuse 20 ans après les faits. Finalement, j’ai pu expliquer et on m’a écoutée. Il a été condamné à 30 mois de prison dont 12 mois ferme et 18 mois avec sursis.

Regrettez-vous d’avoir tant attendu pour dénoncer votre agresseur ?

Énormément. Je l’avais pourtant fait à 8 ans, mais personne n’a bougé. J’en ai beaucoup voulu aux membres de ma famille. Je suis entrée en conflit avec mes parents. Il a gâché mon enfance, modifié profondément ma personnalité. Je me suis renfermée sur moi-même et ai complètement gâché ma scolarité. J’en suis sortie sans aucun diplôme et j’en paye encore aujourd’hui les conséquences.

De quelle manière cela a-t-il changé votre personnalité ?

Je n’avais plus confiance en moi, plus confiance dans les adultes et dans mes propres parents qui m’avaient conduite dans la gueule du loup. Je me suis effacée, je suis devenue timide et réservée, incapable de lire un texte en classe devant les autres élèves. Très vite, j’ai souhaité rompre le cordon. J’ai quitté l’école, j’ai eu un enfant à 17 ans. C’était une manière pour moi de me décentrer de ce problème, d’aimer et de me faire aimer pour de vrai. Personne n’a compris à l’époque ce choix de vie. Aujourd’hui, ma fille a 12 ans et elle va très bien.

Le procès vous a-t-il aidée ?

Depuis, je me sens mieux, je poursuis la reconstruction entamée auprès de mon compagnon. Je suis enceinte depuis quelques mois. J’ai aussi décidé d’aller dans les écoles pour témoigner.

Vous n’aviez jamais consulté de psychologue ?

J’avais tenté d’en parler à l’école, mais sans trop de résultat. À l’infirmerie, je n’étais pas allée au bout de ce je voulais dire. Mes amies ont été mes premières confidences vers 14-15 ans. Même aujourd’hui, après la condamnation, les séances auprès d’un ou d’une psychologue sont trop onéreuses pour moi. En demande d’emploi, je ne peux pas me les payer. Elles n’ont pas non plus été prévues après la décision de justice. Alors j’ai décidé de mener cette sorte de thérapie en expliquant mon parcours.

J’aimerais que mon parcours puisse servir à d’autres. J’ai tellement perdu de temps et gâché de chances. Céline Torres.

Quel est le message que vous adressez aux jeunes que vous rencontrez ?

De ne surtout pas garder au secret ces violences sexuelles, comme toutes les violences d’ailleurs. De ne pas se laisser détruire par le non-dit et cet incroyable sentiment de culpabilité qui touche les enfants victimes de violences sexuelles. Il faut prendre garde aux changements de personnalité des enfants, s’intéresser à ce qu’ils disent et, surtout, ne disent pas, leur apporter une épaule. Et, surtout, ne pas minimiser ce qu’ils ont à dire. Ne pas oublier les petits garçons, également victimes d’abus sexuels.

On sent aujourd’hui que la petite fille timide et effacée que vous étiez a complètement changé de visage.

C’est la force d’une mère. J’ai bien l’intention de continuer à témoigner pour venir en aide à ceux qui, dans leur univers familial, ou en dehors, détiennent un secret insoutenable. J’ai souffert de ce silence de 20 ans mais je me reconstruis véritablement aujourd’hui. Je veux aussi dire qu’il n’est jamais trop tard pour faire éclater la vérité. Heureusement que la prescription des agressions sexuelles est passée à trente ans pour des faits de viol. J’ai vu combien le chemin était compliqué pour faire tomber ce genre de secret.

On vous sent déterminée pour continuer d’alerter sur les violences sexuelles et leurs conséquences.

Je continuerai à intervenir dans le cadre de l’association Rico Lamour, qui lutte contre toutes les sortes de violences. J’aimerais que mon parcours puisse servir à d’autres. J’ai tellement perdu de temps et gâché de chances. Le procès s’est tenu la veille de mes trente ans. C’était comme une renaissance !

Pratique
Céline Torres intervient dans les établissements scolaires par le biais de l’association Rico Lamour, asso.ricolamour.free.fr, une association qui parle de toutes les formes de violences.

Source : letelegramme

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