Madagascar | Un réseau de pédophiles français démantelé

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Seize ressortissants étrangers, la plupart de nationalité française, sont recherchés
Des retraités venus s’installer dans l’ancien protectorat français profitent de la misère locale pour exploiter sexuellement des enfants. 237 cas recensés.

Seize ressortissants étrangers, la plupart de nationalité française, sont recherchés par la police de Tuléar, dans le sud-ouest du pays.

Ils sont soupçonnés d’avoir abusé de filles de 8 à 14 ans.

Derrière les baobabs majestueux et sous le sable doré des plages du village de Mangily à Madagascar, ou dans le centre-ville encombré de Tuléar, 20 km plus au sud, sévissent des sexagénaires pervers.

Plusieurs sont des retraités venus s’installer dans l’ancien protectorat français, où une partie de la population parle encore la langue de Voltaire.

Certains se marient avec des Malgaches de trente ans plus jeunes et «vivent comme des rois» avec 1 000 euros de retraite dans ce pays parmi les plus pauvres au monde.

Une partie d’entre eux traque les très jeunes filles, «de préférence vierges», pour les déflorer.

Ravaka (1) en a fait la triste expérience.

La fillette de 10 ans mendiait dans la rue avec deux copines lorsqu’un vazaha («un blanc») leur a donné des biscuits et promis de l’argent si elles le suivaient dans un hôtel.

«A minuit, il est revenu de boîte de nuit et nous a forcées les unes après les autres. J’avais mal, je gémissais, il m’a donné de la pommade», raconte Ravaka, le regard éteint.

Le prédateur leur a donné l’équivalent de 7 euros.

Elle vivait dans la rue, abandonnée par ses parents, elle n’a eu d’autre choix que de recommencer :

«A chaque fois, avec des vazahas, pour m’acheter à manger et des sandales.»

«Des blocages» à tous les niveaux institutionnels

Madagascar est un spot international de tourisme sexuel, fréquenté par des Français, dont des Réunionnais (à une heure et demie de vol), et des Européens.

Depuis la pandémie de Covid, la pauvreté s’est encore accentuée dans le sud de la Grande Ile et la prostitution enfantine a explosé.

Des associations humanitaires, lassées de constater «des blocages» à tous les niveaux institutionnels, ont décidé d’unir leurs efforts au sein d’une plateforme civile de protection de l’enfance, créée en mai.

«Depuis, nous avons reçu les témoignages de 237 cas», comptabilise Haingo Randrianasolo, présidente de la plateforme et salariée de l’ONG Bel Avenir, très impliquée dans ce combat et qui scolarise, héberge ou nourrit près de 5 000 enfants par an.

Nivo (1), une ancienne prostituée dont les trois sœurs et la mère sont décédées, a été recrutée pour dépister les pédocriminels et aider à les surprendre en flagrant délit.

«Je sors le soir et la nuit, je connais tous les coins. Je me cache, je regarde les hommes discuter avec les filles et quand ils montent dans la chambre, j’appelle la direction», raconte timidement Nivo qui a commencé à vendre son corps à l’âge de 12 ans.

La plateforme aide même la police, complètement démunie, en guidant les forces de l’ordre sur les lieux et en participant aux filatures…

La méthode a porté ses fruits.

Le 19 novembre, seize ressortissants étrangers, dont une majorité de nationalité française, ont fait l’objet d’un mandat d’amener délivré par le juge d’instruction.

Quatre personnes ont été interpellées et incarcérées.

Les autres pédocriminels supposés sont activement recherchés, l’un d’entre eux serait actuellement à la Réunion.

«Notre action met à mal une microéconomie»

L’affaire fait grand bruit à Madagascar.

La première dame du pays, l’épouse du président Andry Rajoelina, va recevoir la semaine prochaine les représentants de la plateforme.

Le vice-président de l’Assemblée nationale a évoqué une nouvelle loi pour durcir les peines encourues.

En attendant, à Tuléar, les associations font face à la pression des femmes malgaches des suspects, qui leur reprochent d’avoir porté plainte.

«Notre action met à mal une microéconomie», soupire Stéphane Hamouis, membre de la direction exécutive de Bel Avenir.

La plupart des parents n’empêchent pas leur fillette de se prostituer, «car elle leur rapporte un peu d’argent», renchérit Haingo Randrianasolo.

Sans oublier les revenus des hôtels, des boîtes de nuit, et parfois des autorités à qui des pédophiles auraient pu proposer des dessous-de-table.

En août, un ressortissant suisse a été pris en flagrant délit, mais remis en liberté dès le lendemain.

Il a fallu des menaces de médiatisation pour interpeller à nouveau l’individu.

Un pédocriminel français, condamné lui à cinq ans de prison ferme, a pu obtenir en appel sa remise en liberté «pour raisons médicales».

Mais cette fois, prévient la plateforme, qui s’est adjoint les services d’un avocat, «nous irons au bout des procédures».

Mercredi matin, le juge d’instruction a reçu le témoignage de six mineures, sur les dix-neuf concernées par les derniers cas de pédophilie.

Les jeunes filles sont désormais prises en charge par Bel Avenir, où elles apprennent la couture.

Même si elle se dit «détruite», Ravaka se sent «enfin en sécurité» et espère démarrer une nouvelle vie.

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