Les réseaux pédocriminels n’existent pas | Round 56 | Réseau Percowicz
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
non
- 25/08/2022
- 11:41
Catégories :
Mots clés :
- Adolfo Perez Esquivel, Allicia Arata, Angel Ureña, Ariel Lijo, BA Group, Bill Clinton, Carlos Corach, Carlos Menem, Carlos Ruckauf, Clínica CMI Abasto, Council on Hemispheric Affairs, Deolindo Felipe Bittel, Edolphus Towns, El Angel, Escuela de Yoga Buenos Aires, Federico Sisrro, Hugo Omar Curto, Jesse Jackson Sr., Jorge Daniel Pirozzo, Juan Percowicz, Marcela Arguello, Marcela Sorkin, Marcelo Guerra Percowicz, María Susana Barneix, María Valeria Llamas, Martín Sommariva, Pablo Salum, Pavon Pereyra, Pérez Esquivel, Placido Domingo, Raul Granillo, Ricardo Juri, Robert A. Underwood, Villa Crespo
Le podcast complet de cet article est téléchargeable ci-dessous (clic-droit puis “enregistrer la cible du lien sous”) ou à retrouver sur notre chaine Youtube.
Podcast – Réseau Percowicz Argentine (15′)
Juan Percowicz et 18 complices sont en prison, et les victimes commencent à parler de pratiques de sexe en groupe, de pédopornographie, et de prostitution de mineurs auprès de gens assez riches pour se payer ces viols, ou utiles pour la secte.
Et ses liens très étroits et anciens avec les autorités US interrogent : même Bill Clinton s’est mouillé pour la défendre.
Il a été arrêté avec 18 membres du groupe le 12 août 2022, il est poursuivi pour avoir séquestré des personnes pour les soumettre à l’exploitation sexuelle et au travail.
Ses lieutenants, 9 hommes dont le n°3 de la secte Federico Sisrro et 9 femmes dont l’avocate María Susana Barneix qui jouait le rôle de comptable et fiscaliste de l’organisation, ont été arrêtés en même temps que lui.
Mais des dizaines de personnes, dont des clients, sont dans la ligne de mire. Et certains qui avaient fui commencent à être retrouvés, mais d’autres semblent être partis aux États-Unis [1].
Une secte pyramidale à la recherche d’influence
La secte, qui avait la façade d’une gentille école de yoga un peu New Age (appelée “Escuela de Yoga Buenos Aires”), a commencé ses activités à Buenos Aires au milieu des années 80.
Les premières plaintes sont arrivées en 1993.
Le groupe de Percowicz était expansionniste : il poussait ses “élèves” à recruter de nouveaux adeptes auxquels il promettait le bonheur, la guérison etc.
Si bien qu’il y a rapidement eu plus de 1000 membres.
Ils ne seraient pas loin de 2000 aujourd’hui dont beaucoup sont complètement soumis et sous emprise.
Si on en juge par la page Facebook de l’école, beaucoup des “élèves” sont des jeunes femmes plutôt jolies.
L’ “école” de Percowicz prône une sorte de mélange de yoga et de philosophie, avec beaucoup de sexualité, encourageant le sexe en groupe, l’échangisme et les parents à “initier” sexuellement leurs enfants.
Les autorités ont mis les moyens devant les caméras : Une cinquantaine d’interventions de police a été menée la semaine du 12 août et les biens de plusieurs dizaines personnes ont été saisis.
L’opération en Argentine a été menée après avoir informé l’ambassade US, dont le bureau de sécurité diplomatique a transmis des informations à la police argentine.
Mais comme on va le voir, les US sont très impliqués dans la défense des droits de la secte…
Mais 23 personnes qui devaient être arrêtées en même temps sont toujours en fuite, ce qui représente plus de la moitié des suspects.
Dont le “prince héritier” de Percowicz, Marcelo Guerra Percowicz (56 ans) qui est en fait son fils adoptif et le n°2 de la secte.
Sans lui, disent des membres, “rien ne se passerait”.
On peut supposer qu’il a repris les rênes de l’organisation [2].
En 1995, il s’est déjà retrouvé mêlé avec Barneix à une procédure pour fraude, une extorsion de biens appartenant à une adepte décédée par une fausse reconnaissance de dettes) qui s’est conclue par un acquittement grâce à la prescription (l’affaire devait être rejugée en 2008).
Au cours de la perquisition dans un des bâtiments de la secte la villa Crespo, un million de dollars en liquide, deux millions de pesos argentins et du matériel pédopornographique ont été retrouvés.
De nombreuses écoutes ont aussi été réalisées depuis des semaines, et ont fait apparaître un réseau pyramidal.
Impliquant des personnalités.
Le premier enfant à rejoindre ce groupe était Pablo Salum, âgé de 8 ans, dont la famille était entrée dans la “communauté” en 1986.
Il était hébergée dans un de ses bâtiments, avant d’être séparée : la mère d’un coté qui est montée dans la hiérarchie de la secte, le père de l’autre, les enfants séparés.
Il s’est enfui il y a longtemps et explique avoir été forcé à regarder une vidéo dans laquelle sa mère et sa sœur mineure étaient livrées à des hommes dans des orgies, apparemment “volontairement”.
Il dit que progressivement l’ambiance est devenue plus sinistre, que les enfants étaient forcés à assister à ces partouzes, et à y participer y compris avec leurs propres parents, en tant qu’ “exercice”.
Les membres de la secte étaient aussi prostitués, forcés de participer à des orgies pendant les “cours de philosophie” collectifs [3], et aussi en-dehors de la secte par exemple à l’hôtel Sheraton où on faisait aussi venir des invités au portefeuille bien garni, ou intéressants pour Percowicz.
Certains membres obtenaient plus de responsabilités, mais
“au fur et à mesure qu’ils gravissaient les échelons de la hiérarchie, ils étaient contraints de subir des châtiments physiques, mentaux et sexuels.
Nous, les enfants, avons tout vu“, explique Pablo Salum.
Les principales tâches à accomplir étaient trouver de l’argent et de nouveaux adeptes.
L’objectif était financier, mais aussi la recherche d’influence et de protections.
Des gens riches ou puissants étaient donc ciblés. La secte s’était étendue dans plusieurs pays, dont l’Uruguay et les États-Unis où elle avait des groupes d’”étudiants prostitués” à Las Vegas, New-York ou Chicago.
Son siège serait d’ailleurs aux États-Unis, sous le nom de BA Group.
Mais ce n’est pas la seule source de revenus de Percowicz, qui faisait aussi dans les séjours de désintoxication ou autres dans sa Clínica CMI Abasto et les versements mensuels des “élèves”, d’environ 200 $.
Via la société BA group, une “école de philosophie”, la secte récupérait de l’argent et de nouveaux adeptes (1700 personnes y auraient suivi des cours).
Les revenus estimés atteindraient ainsi les 500.000$ par mois.
Dans cette clinique ouverte en 2009 sans autorisation qui appartient semble-t-il au fils adoptif, il semble que des adeptes un peu récalcitrants ont été retenus et drogués pendant plusieurs jours d’affilée pour des “cures de sommeil” punitives afin de les calmer, ou bien dans le cadre de “formations”.
Et, comme on le fait avec nos hôpitaux psychiatriques quand des gens y sont envoyés de force, on leur faisait payer la note du “séjour”.
7 membres de la secte arrêtés sont accusés d’être impliqués dans la gestion de la clinique, notamment des “thérapeutes”, et d’autres sont encore recherchés.
Celle-ci était dirigée par une pharmacienne et biochimiste à la retraite, Allicia Arata alias “Doqui”, qui en serait aussi co-propriétaire.
Des ordonnances vierges signées de sa main ont été retrouvées lors de la perquisition.
La police a aussi mis la main sur des sex toys, et sur une note concernant une “patiente”, mentionnant qu’il ne fallait lui donner qu’une demi portion de nourriture par jour, et rien le week-end où elle était censée dormir.
CMI ABasto est liée à deux autres structures aux États-Unis, dans lesquelles
“l’organisation a transféré des médicaments psychotropes et des antidépresseurs aux États-Unis d’Amérique.
Pour cela, ils plaçaient la drogue dans les valises de ceux qui faisaient les voyages“, appelés “casalitos” dans le jargon de la secte.
Les drogues semblaient d’utilisation courante dans cette secte, puisque des psychotropes et des seringues ont été retrouvées un peu partout lors des dizaines de perquisitions réalisées.
Chantage et prostitution de mineurs
Juan Percowicz qui en toute modestie se faisait appeler “el Angel”, a commencé à avoir des problèmes avec son école de Yoga, devenue un réseau pédocriminel aux ramifications dans plusieurs pays dont les États-Unis, en 1993 déjà.
Des accusations d’agressions sexuelles sur mineurs et vol qui se sont transformées au fil de 6 ans de procédure en “réduction à la servitude”.
Sous la contrainte, les enfants étaient envoyés dans des hôtels ou chez des clients “riches”, en tout cas des classes supérieures, contre de l’argent.
Il y a aussi des millionnaires, des patrons d’entreprises, des politiciens, des célébrités probablement.
Les médias ont parlé du chanteur Placido Domingo dont les enregistrements d’une discussion avec une des sous-fifres de Percowicz appelée Mandy montrent qu’il était client ou allait le devenir puisqu’il voulait rencontrer la dénommée Mandy en vue d’un business sexuel avec une jeune femme (dont l’âge n’est pas précisé).
Il avait déjà été accusé de harcèlement sexuel par une vingtaine de femmes en 2019 et avait nié, mais passe encore pour une victime sur certaines chaines.
Cette Mandy, âgée de 59 ans, jouerait le rôle de maquerelle, cherchant des victimes pour intégrer le groupe d’adeptes appelé “geishao VIP,” qui étaient certes proches de Percowicz, mais qui étaient prostituées
“auprès d’hommes riches, avec un appartement dans la rue Corrientes et des voyages trimestriels aux États-Unis“, explique la presse.
Elle a été arrêtée le 12 août aussi ; comme sa copine Marcela Arguello qui se trouvait avec des passeports et des carnets de notes.
Pablo Salum expliquait en 2018 sur Twitter :
“Il était normal de voir comment les personnes puissantes ciblées par la secte entrainaient par la main des filles ou des garçons contraints de livrer leur corps en échange de faveurs.
J’ai personnellement vu des célébrités, des juges, des politiciens, des ministres, des syndicalistes et plus encore“.
Il parle de mineurs de 10–12 ans obligés d’avoir leur premier rapport sexuel de force, dans la secte.
Une amie de la secte qu’il avait croisée en train de mendier, au début des années 90, lui a dit qu’elle était envoyée chez des types pour des relations sexuelles contre de l’argent, qui était remis à Percowicz.
Vu les protections qu’a pu s’acheter ou corrompre Percowicz et ses sbires, on peut douter que cette clique-là soit un jour renvoyée devant un tribunal.
Peut-être une ou deux célébrités en déclin et déjà bien carbonisées, mais ce sera probablement tout.
D’ailleurs, quand l’enquête de 1993 a été lancée, suite à la plainte de Pablo Salum après qu’il ait fui la secte, les juges ont réagi : ils ont mené plus de 80 perquisitions au cours desquelles du matériel pédopornographique impliquant, déjà, des personnalités a été embarqué.
Des types avaient même été arrêtés pendant un moment.
Dans cette “affaire de l’Académie du prosti-yoga” comme un journal l’a appelée, les voisins qui trouvaient qu’il y avait beaucoup de femmes dans cette école de yoga dénonçaient carrément des
“fêtes noires avec des femmes et des hommes totalement nus qui dansaient entre eux”,
deux anciens adeptes de la secte avaient déclaré que des mineurs étaient prostitués, et il était déjà question de
“personnes très importantes“, de “figures politiques et d’entrepreneurs“,
selon la presse : “il y a un maire bien connu de l’agglomération, deux anciens secrétaires d’État, un ancien ministre, un actuel ambassadeur et un ancien maire de la capitale fédérale”, Buenos Aires [4].
Tous profitaient du “geishado”, ce groupe d’adeptes prostituées choisies par Percowicz, et formatées pour satisfaire les clients.
On soupçonnait d’ailleurs l’existence d’une secte, derrière cette école de “prosti-yoga”.
Les mineurs étaient apparemment contraints moralement plus que physiquement, mais tout adulte sait qu’il n’est pas très compliqué de manipuler un enfant.
L’un d’eux expliquait alors à la presse avoir été envoyé au Sheraton pour un client, avec pour seule mission de faire tout ce qu’il lui demandait.
En tout cas, Percowicz ne s’est pas laissé faire et a rameuté le ban et l’arrière ban du gratin local pour défendre les “droits” de son école et de ses adeptes, comme le prix Nobel de la paix Adolfo Perez Esquivel qui l’a défendu sans relâche dans les années 90.
Mais tout cela aurait été accompli avec “bonne foi” selon une association dont le prix Nobel est président d’honneur.
Mais la procédure n’a évidemment pas abouti et Percowicz a eu les mains libres encore 30 ans.
La secte pédocriminelle avait même pignon sur rue, et avait l’appui d’institutions et de personnalités pour ses événements publics [5] :
- représentation du secrétariat général de l’Organisation des États américains à Buenos Aires ;
- le président Carlos Menem ;
- le ministère de la culture et de l’éducation ;
- la municipalité de la ville de Buenos Aires ;
- le secrétariat de la programmation pour la prévention de la toxicomanie et la lutte contre le trafic de drogues ;
- l’évêché de Morón ;
- la direction de la Bibliothèque nationale ;
- le Comité national de l’UCR ;
- la Chambre de commerce argentino-uruguayenne ;
- le sénateur Deolindo Felipe Bittel ;
- le maire du 3 de Febrero, Hugo Omar Curto ;
- la Confédération générale du travail.
Quand ils sont interrogés sur leurs liens avec l’école, ils disent qu’ils sont seulement venus une fois ou deux à une conférence, et qu’ils ne connaissent pas vraiment Percowicz.
Aux États-Unis, Clinton avait publiquement apporté son soutien à la secte, et victime selon lui d’un traitement “injuste“ en Argentine.
En avril 1999, il a outrageusement minimisé les faits, a qualifié la procédure contre l’organisation de “harcèlement“, et l’affaire fut close dans la durée.
Il s’étonnait que le ministre de la justice Raul Granillo (qui fréquentait la secte évidemment) n’ait pas tenu sa promesse de protéger l’école de Yoga.
Clinton a même envoyé une délégation d’une ONG US, le Council on Hemispheric Affairs (COHA), pour s’assurer que les autorités politiques et judiciaires respectaient les droits civils des membres de l’école de yoga…
Idem avec le groupe du Congrès US sur les droits de l’homme, qui s’est insurgé contre la procédure à l’encontre de Percowicz et sa clique, qui était “persécutée” d’après les propos tenus lors d’un discours public par le député démocrate Edolphus Towns.
Une lettre signée par 28 députés US demandait à Carlos Menem de laisser la secte tranquille, et une délégation du Capitole est venue en Argentine pour se renseigner sur l’affaire.
“Elle a notamment rencontré des membres de la Cour suprême de justice, le ministre de l’Intérieur Carlos Corach, le ministre de la Justice Raúl Granillo Ocampo,
et des représentants d’organisations tels que Pérez Esquivel et le responsables du Centre d’études juridiques et sociales“, explique le journal Clarin.
Bref: il s’agissait d’une affaire relevant de la haute diplomatie.
Pourquoi ?
Certes, les US sont toujours prompts à défendre leurs sectes à l’étranger comme on l’a vu avec la Scientologie par exemple, mais cette affaire sentait le souffre à 10.000 kilomètres.
Le climat US est donc favorable, voire très favorable, et on comprend pourquoi les membres en fuite s’y sont probablement rendus.
Il avait aussi une adepte qui travaillait auprès du ministre de l’Intérieur Carlos Ruckauf, et apparemment la secte cherchait à s’infiltrer au plus haut niveau, jusque dans le gouvernement de Carlos Menem (président de 1989 à 1999), et aux États-Unis aussi elle avait su développer des contacts importants.
Ses activités avaient même été reconnues d’intérêt national, avant l’affaire de 1993.
Pas les orgies : le yoga-“philo”.
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On reviendra sur cette affaire qui ‘n’en est pas à ses premiers rebondissements, car la procédure judiciaire va durer des années.
Il sera utile d’éclaircir certains aspects, car cette secte ressemble à NXIVM, qui visait spécifiquement les lieux de pouvoir à travers une secte sexuelle, dont on est censés croire qu’elle n’exploitait que des adultes crédules.
Quels arrangements a pu mener Percowicz?
Quels appuis s’est-il assuré ? Comment ?
C’est le fond de l’histoire et il n’y a aucune chance que la justice aille jusque là.
Mais les lanceurs d’alerte existent et le public veut enfin les écouter.
[1] Au moins deux individus de la bande, Marcela Sorkin et Federico Sisrro, ont été attrapés le 12 août dans un petit aéroport, alors qu’ils tentaient de partir aux États-Unis.
[2] Selon la presse, il est sous le coup de plusieurs poursuites : le juge Ariel Lijo a lancé un mandat d’arrêt international, gelé ses comptes et saisi ses biens.
Il est poursuivi pour avoir prostitué des étudiants avec des hommes riches, blanchi de l’argent en Argentine et aux États-Unis après avoir volé ses adeptes et falsifié leurs certificats de décès et leurs testaments pour garder leurs héritages.
[3] Pablo Selum explique qu’on le menaçait de l’interner s’il n’y allait pas.
[4] Cf. « Politicos y funcionarios entre los clientes del bordel », dans La Prensa du 16 avril 1994.
[5] Des conférences, rencontres etc. apparemment bien loin de réflexions philosophiques, avec des exhibitions sexuelles qui ont même choqué l’ancien secrétaire à la Culture.
C’est pourtant un de ses prédécesseurs, le secrétaire à la Culture Enrique Pavon Pereyra qui a donné l’homologation à l’école de Percowicz et trouvait son action formidable.
Actualisation 2024
Les 19 membres de la secte pédocriminelle “Escuela de Yoga de Buenos-Aires” ont été libérés de leur prison préventive.
Une décision absurde car ils restent inculpés des charges lourdes et graves que sont : le blanchiment d’argent, l’exploitation d’êtres humains et association illicite.
Pablo Salum, une de leurs victimes alors qu’il était enfant, a publié ce 11 octobre 2024, un coup de gueule lors duquel il dénonce le gouvernement actuel et son président Javier Milei qui pourtant avait été élu en promettant de combattre la pédocriminalité.
Et pour cause, un conseiller juridique du gouvernement est… un des avocats de la secte.
Lisez ci-dessous l’article du New-York Times (traduction automatique) pour voir en détail les problèmes dans l’avancée de l’enquête judiciaire notamment le vide juridique autour de la traite d’être humains en Argentine…
Elle s’appelait une école de yoga. Le parquet argentin affirme qu’il s’agissait d’une secte sexuelle.
L’école de yoga de Buenos Aires promettait le salut spirituel, mais d’anciens membres et procureurs affirment qu’elle a poussé certaines femmes du groupe à se prostituer tout en cultivant de puissantes amitiés.
Juan Percowicz était un comptable avec un passe-temps inhabituel : il donnait des cours d’auto-assistance dans tout Buenos Aires avec une forte dose de philosophie ancienne et de spiritualisme nouvel âge.
Il a connu du succès et, grâce aux dons de ses partisans, il a créé une organisation appelée École de Yoga de Buenos Aires ou EYBA.
Pendant plus de 30 ans, il a dirigé l’organisation qui promettait le salut spirituel à travers des conférences et des cours d’auto-assistance.
Mais maintenant, Percowicz, 85 ans, et plus d’une douzaine d’autres membres de l’EYBA font face à des accusations, accusés de diriger une « secte » sexuelle, et non une école de yoga, qui a contraint certaines de ses membres féminines à se prostituer et à blanchir les bénéfices en achetant de l’immobilier notamment.
Les procureurs affirment que l’organisation a exploité et drogué certaines de ses membres féminines, les forçant à vendre leurs corps et générant des centaines de milliers de dollars par mois auprès de clients en Argentine et aux États-Unis.
L’EYBA dirigeait également une clinique illégale où des drogues étaient administrées à ses membres pour les inciter à dormir longtemps à titre de punition ou de traitement, selon les procureurs.
Il y a des sectes ici, mais nous n’en avons jamais vu qui opéraient à ce niveau
a déclaré Ricardo Juri, l’enquêteur qui a supervisé la perquisition dans les propriétés d’EYBA en août 2022.
Les accusations contre l’EYBA ont horrifié l’Argentine, mais pour certaines personnes, elles semblaient aussi étrangement familières.
Dans les années 1990, Percowicz et son école ont acquis une certaine notoriété après qu’une famille argentine ait accusé l’organisation de manipuler leur fille.
Au cours de cette enquête, certains membres du groupe ont déclaré qu’ils avaient été contraints de travailler comme esclaves et que l’école encourageait la prostitution.
Mais l’affaire est bloquée devant le tribunal.
L’Argentine ne dispose pas encore de lois sur la traite des êtres humains ou le blanchiment d’argent, selon les chercheurs.
Le système judiciaire du pays était encore en transformation après la fin de la dictature militaire, plus d’une décennie plus tôt, au cours de laquelle des dizaines de milliers de personnes avaient été assassinées.
Un rapport du Département d’État de 1999 notait que la justice argentine était
gênée par des retards excessifs, des embouteillages procéduraux, des changements de juges, un soutien administratif inadéquat et l’incompétence.
Une méfiance à l’égard du gouvernement et du système judiciaire persistait également, et certains défenseurs d’EYBA ont utilisé ce sentiment, comme Adolfo Pérez Esquivel, lauréat argentin du prix Nobel de la paix, et les Mères de la Place de Mai, dont les enfants avaient été « disparus » par le régime autoritaire.
Ils ont accusé le système judiciaire argentin de corruption et de violations des droits humains liées à cette affaire.
Au fil du temps, le dossier contre EYBA n’a pas avancé.
Aujourd’hui, avec de nouvelles lois et de nouvelles poursuites pénales, les procureurs ciblent à nouveau Percowicz et ses partisans dans une nouvelle enquête examinant les opérations d’EYBA remontant à 2004.
Les gens sont les mêmes, les décisions sont les mêmes, les activités sont similaires,
mais il existe désormais deux lois très importantes avec des sanctions très lourdes qui interdisent les deux activités centrales de ces personnes,
a déclaré Ariel Lijo, l’un des juges qui a supervisé la première étape de l’affaire.
En mars, le président Javier Milei a proposé Lijo à la Cour suprême de justice d’Argentine.
Lors des perquisitions de l’EYBA en 2022, les enquêteurs ont déclaré avoir trouvé plus d’un million de dollar en espèces, cinq lingots d’or, des cachettes de films pornographiques, des chéquiers de banques américaines et des dossiers sur des personnes fortunées, dont certaines résident aux États-Unis.
Les autorités américaines ont coopéré à l’enquête, selon les enquêteurs argentins.
Le ministère américain de la Justice a refusé de commenter.
Les procureurs affirment que les sept femmes désignées comme victimes ont été amenées à l’EYBA par leurs parents alors qu’elles étaient mineures ou que, lorsqu’elles étaient jeunes, elles ont rejoint l’organisation et ont finalement été contraintes à se prostituer.
Mais les femmes impliquées dans cette affaire ont nié avoir eu des relations sexuelles en échange d’argent ni avoir été victimes d’un quelconque crime.
Les avocats de Percowicz et des membres actuels de l’EYBA ont nié toutes les allégations, arguant que personne au sein de l’organisation n’a été exploité.
Au lieu de cela, ils affirment que les accusateurs – dont l’identité est protégée dans cette affaire – veulent se venger de l’organisation pour des raisons personnelles.
Il s’agit d’une affaire de traite des êtres humains sans victimes de la traite,
a déclaré Jorge Daniel Pirozzo, avocat représentant Percowicz et cinq autres membres de l’EYBA.
Parce qu’il n’est pas prouvé que quiconque ait été exploité sexuellement.
Percowicz et les membres de l’EYBA ont refusé de commenter.
Bien que la prostitution en Argentine ne soit pas illégale, il est illégal de promouvoir ou d’exploiter économiquement la pratique de la prostitution par la tromperie, les abus ou l’intimidation.
Les procureurs affirment qu’ils visent à montrer que les victimes ne se reconnaissent pas comme victimes parce que Percowicz et ses alliés ont manipulé psychologiquement les femmes pendant des années.
Alors que les deux parties se préparent au procès, l’organisation continue de compter sur des alliés de premier plan, notamment aux États-Unis.
En octobre 2022, le révérend Jesse Jackson Sr. a envoyé à Lijo, le juge, un e-mail qui a été examiné par le New York Times.
Le message indiquait que les membres de l’EYBA étaient « victimes de violations brutales et atroces des droits humains par des éléments du système judiciaire argentin ».
On ne sait pas pourquoi Jackson, 82 ans, a envoyé l’e-mail.
Il n’a pas répondu aux multiples demandes de commentaires.
“Ils ont amélioré son estime de soi”
Caterina Sanfelice était coiffeuse dans la quarantaine lorsqu’un ami l’a invitée pour la première fois à une conférence de l’EYBA, vers 1993.
C’était, dit-elle, « comme si vous alliez à un café-concert avec un conférencier ».
Percowicz a parlé de trouver la force intérieure, se souvient-il, en attirant les gens avec des promesses de réponses lors de la prochaine séance.
Sanfelice a déclaré qu’il avait commencé à assister aux pourparlers au moins une fois par semaine avec sa famille.
En fin de compte, dit-il, il est devenu clair que quelque chose n’allait pas.
Sanfelice a déclaré que Percowicz lui avait dit qu ‘«il croyait qu’il était Dieu».
Ses disciples les plus proches ont commencé à l’appeler « ange » ou « maître ».
Plus tard, lors d’une soirée EYBA, Sanfelice a déclaré que deux femmes avaient proposé son mari tandis que d’autres membres se déshabillaient pour se préparer à une orgie.
Il a quitté les lieux.
Lorsque Sanfelice a dit à son mari qu’elle ne voulait pas revenir, il a répondu que l’école voyait en lui ce qu’elle ne voyait pas : un grand architecte.
Ils ont amélioré son estime de soi, a-t-il déclaré.
Et c’est à ce moment-là qu’il a commencé à se sentir important.
Et là, j’étais la sorcière.
Sanfelice a déclaré que son mari, qui n’a pas pu être joint pour commenter, l’a quittée en 1993 et est resté impliqué dans l’EYBA.
Elle a dit qu’elle était exaspérée et avait l’impression que personne ne la croyait.
Puis vint une validation : la première affaire pénale contre EYBA, qui a attiré l’attention internationale.
Au centre de l’affaire se trouvait María Valeria Llamas, âgée de 20 ans et au chômage lorsqu’un ami de la famille lui a proposé de l’emmener à une conférence de l’EYBA en 1990.
Il y a eu un moment où cela a été perçu comme une question positive,
a déclaré Martín Sommariva, le demi-frère de Llamas.
“Nous sommes passés de cette Valeria qui ne sortait pas, qui était tout le temps coincée dans la pièce, à la Valeria qui montait dans un bus, qui avait un intérêt.”
Mais dans les années qui ont suivi, l’école a consumé sa vie, a déclaré sa famille.
Llamas a rompu avec son petit ami et a perdu contact avec ses amis.
Il a arrêté d’aller aux réunions de famille.
Il a commencé à travailler dans une pharmacie gérée par des membres de l’EYBA.
Peu de temps après, selon sa mère, elle a appris que l’école avait fait pression sur les lamas pour qu’ils avortent illégalement.
Interrogée par sa famille, Llamas a répondu que Percowicz était « un ange immortel ».
Le lendemain, deux membres de l’EYBA se sont présentés au domicile, escortés par des policiers, selon les archives familiales et judiciaires de l’affaire.
Ils ont déclaré qu’ils poursuivaient les parents pour privation illégale de liberté.
La police a transféré les affaires de Llamas dans un appartement appartenant à l’organisation, selon la famille.
Les lamas ont ensuite accusé son beau-père de l’avoir agressée sexuellement, selon les archives judiciaires.
Soudain, le monde s’est effondré sur nous, se souvient sa mère, Elena.
Et nous avons dit : qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
Des accusations de viol n’ont jamais été portées contre les membres de la famille.
Les lamas n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
La famille a déposé une plainte pénale en 1993, accusant l’école d’être une secte ayant soumis leur fille à un lavage de cerveau.
L’accusation s’est retrouvée au rôle de Mariano Bergés, un jeune juge qui commençait sa carrière.
Dans le système judiciaire argentin de l’époque, les juges pouvaient enquêter sur les affaires et superviser les procédures judiciaires.
Dans le cadre de l’enquête, Bergés a déclaré dans une interview qu’il avait autorisé une perquisition au siège d’EYBA et dans quelques autres propriétés.
Il a déclaré que les perquisitions ont permis de découvrir des boîtes de lettres montrant que des membres payaient Percowicz pour accéder à un rang spirituel plus élevé au sein de l’organisation.
Ce n’était pas illégal, mais, combiné aux témoignages d’anciens membres, a conduit les enquêteurs à croire qu’il y avait une activité illégale en cours.
Bergés a ensuite ordonné la mise sur écoute de Percowicz et de ses principaux collaborateurs, ce qui, selon Bergés, indiquait un plan visant à voler les biens d’un membre décédé de l’EYBA.
Dans des déclarations examinées par le Times, plusieurs anciens membres de l’EYBA ont témoigné plus tard que Percowicz et son entourage avaient forcé les jeunes adeptes à devenir « esclaves » des membres plus âgés, les obligeant à effectuer des tâches, telles que des tâches ménagères, sans rémunération.
D’anciens membres ont également affirmé que l’organisation encourageait la prostitution, comme le montrent les dépositions, même si aucun n’a affirmé s’être prostitué.
En tant que juge de la première enquête de l’EYBA, dans les années 1990, Mariano Bergés a ordonné une mise sur écoute du leader du groupe, ce qui, selon son récit, a révélé un projet de vol des biens d’un membre décédé de l’organisation.
Mais comme il n’existe pas de lois sur la traite des êtres humains ou le blanchiment d’argent en Argentine, Bergés a expliqué qu’il a dû monter un dossier basé sur la fraude, la promotion de la prostitution et une accusation fragile connue sous le nom de corruption d’adultes.
Fin 1995, Bergés s’est retiré du dossier après avoir été menacé d’immunité par le Congrès argentin.
Dans une interview, il a déclaré que le Congrès et la Cour suprême, ainsi que des groupes de défense des droits de l’homme, avaient fait pression sur lui pour qu’il se retire de l’affaire en affirmant que ses méthodes d’enquête, telles que le recours à l’écoute électronique et aux perquisitions, violaient les droits civils des citoyens.
Bergés nie ces accusations.
À l’extérieur de sa maison, il a déclaré :
Tous les murs étaient recouverts d’affiches et d’autres choses contre moi.
Au milieu des années 1990, EYBA avait ouvert des sociétés de bien-être et une fondation à Chicago, Las Vegas et New York.
Il avait acquis une réputation de centre de pensée philosophique et de bien-être dont les membres comprenaient des universitaires, des professionnels et des musiciens.
L’EYBA avait également cultivé des partisans au Congrès américain, même s’il est difficile de savoir comment les législateurs ont appris l’existence de l’organisation ni si l’un d’entre eux avait réellement connaissance du groupe ou avait des liens avec celui-ci.
En Argentine, le procès contre l’organisation a continué de faire son chemin devant les tribunaux.
Plus de 50 membres du Congrès ont envoyé des lettres au gouvernement demandant la clôture de l’enquête, selon le dossier de la Chambre.
(Il n’y a aucune preuve qu’un homme politique américain ait été membre de l’EYBA ou ait fait l’objet d’une enquête de la part des autorités argentines.)
Edolphus Towns, un membre du Congrès représentant une partie de Brooklyn, a déclaré lors d’un témoignage à la Chambre que des membres de l’EYBA avaient été illégalement emprisonnés et soumis à l’antisémitisme.
Percowicz et certains de ses hauts dirigeants sont juifs.
Towns, 89 ans, a pris sa retraite en 2013 et n’a pas répondu aux demandes de commentaires.
Robert A. Underwood, un ancien membre du Congrès de Guam qui a signé l’une des lettres adressées au président de l’époque, Bill Clinton, lui demandant d’intervenir, a déclaré que de telles lettres étaient courantes.
La vérité est que personne n’y pense beaucoup, parce que vous signez toujours des lettres, a-t-il déclaré dans une interview.
Au cours de sa dernière année de mandat, Clinton a répondu aux membres du Congrès en septembre 1999, affirmant que les responsables de l’ambassade américaine à Buenos Aires avaient « récemment réitéré aux hauts responsables argentins l’importance de résoudre cette affaire le plus rapidement possible » selon une lettre fournie au Times par la bibliothèque présidentielle Clinton.
La réponse écrite de la Maison Blanche au Congrès “reflète le degré d’implication du président Clinton dans cette affaire”, a déclaré Angel Ureña, porte-parole de Clinton.
En Argentine, l’affaire pénale contre l’EYBA a finalement été classée sans condamnation au début des années 2000.
J’essaie de gagner 1 milliard de dollars
Au cours des deux décennies suivantes, et avec peu d’attention de la part des autorités argentines, l’EYBA a prospéré.
Pendant ce temps, Percowicz a fait preuve de transparence quant à son intention de gagner de l’argent.
“Si ce que nous voulions faire ici était, disons, écrire un livre sur la vie de Jésus, nous ne pouvons penser qu’à la vie de Jésus”, a déclaré Percowicz à ses adeptes dans une vidéo de 2006 obtenue par les chercheurs.
Mais ici, ce que nous devons faire, c’est gagner 1 milliard de dollars, un putain de 1000 millions de putains de millions de dollars !
Au fil du temps, l’EYBA a de nouveau rencontré des problèmes.
En 2021, le parquet de traite et d’exploitation des êtres humains a ouvert une enquête sur l’organisation.
Les enquêteurs ont mis sur écoute les téléphones de Percowicz et de certains de ses alliés, capturant des conversations qui, selon les procureurs, témoignent du travail de gestion d’une opération de prostitution.
Les transcriptions présentées au tribunal montrent que lors d’un appel, Percowicz examine la logistique de la coordination de ce que les enquêteurs considèrent comme une relation sexuelle.
Dans un autre enregistrement, un responsable d’EYBA explique à Percowicz qu’une femme ne gagne que 6 000 dollars par mois, une somme insuffisante, ce qui implique qu’elle devrait générer davantage pour l’organisation.
Les écoutes téléphoniques ont également enregistré des conversations avec un homme qui, selon les procureurs, est Plácido Domingo, l’un des chanteurs d’opéra les plus célèbres au monde et qui, ces dernières années, a été accusé de harcèlement sexuel.
Lors d’un appel, l’homme parle avec une femme que l’accusation a identifiée comme un membre important de l’EYBA afin de planifier comment l’emmener jusqu’à sa chambre d’hôtel à Buenos Aires sans se faire remarquer.
Les procureurs argentins n’ont pas porté plainte contre lui dans le cadre de l’affaire EYBA.
Dans un communiqué, son porte-parole a indiqué que le ténor n’avait pas été inculpé et qu’”il n’avait aucun lien avec l’enquête”.
Les procureurs estiment que la plupart des revenus d’EYBA provenaient d’activités de trafic à des fins d’exploitation sexuelle, qui étaient ensuite blanchies grâce à des biens immobiliers en Argentine et aux États-Unis.
Ils ont estimé qu’en décembre 2020, l’actif total d’EYBA s’élevait à près de 50 millions de dollars.
Les procureurs se disent convaincus que les preuves et les nouvelles lois leur permettront de traduire Percowicz et les autres accusés en justice.
L’affaire est actuellement devant les tribunaux. La date du procès n’a pas encore été fixée.
Pablo Salum a grandi à l’EYBA et l’a quitté lorsqu’il était adolescent. Il a dit que la justice arrive trop tard.
Pour Pablo Salum, que sa mère l’a emmené à l’EYBA alors qu’il n’avait que 8 ans, la justice arrive trop tard.
Il a quitté l’organisation à l’âge de 12 ans et n’a plus aucun lien avec sa mère et sa sœur, qui continuent de participer à l’EYBA.
Cela aurait pu se terminer il y a 20 ans, a-t-il déclaré.
Tout ce qui arrive n’aurait pas dû arriver, et j’aurais même pu récupérer ma famille.
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