Témoignage | Galiane, victime d’un «ogre»

Vous avez décidé de raconter votre histoire dans un livre «Les enfants des ogres» (Ed. du Dauphin), paru en avril dernier et vous êtes à l’origine de l’une des affaires en cours signalées par l’archevêché de Toulouse, concernant un prêtre qui aurait commis des abus sexuels dans plusieurs paroisses de la région ?

Auteur : Galiane
Editions du Dauphin

J’ai voulu réagir à l’article que vous avez fait paraître sur la cellule d’écoute pour les victimes d’abus sexuels dans le diocèse et des affaires citées qui sont en cours. Je suis Toulousaine, issue d’une famille catholique et je suis allée très jeune aux scouts et à l’église.

À cette époque-là, j’étais en relation avec l’aumônier des scouts qui était un prêtre avec beaucoup de charisme, très proche des jeunes et des enfants. Il est devenu peu à peu dans ma vie quelqu’un d’important, un deuxième papa que j’ai connu à l’âge de 7 ans. Et que j’ai fréquenté jusqu’à mes 19 ans. Je le fréquentais chez les scouts et puis il a été muté à la paroisse des Minimes. Où, il s’est mis à héberger des jeunes adolescents, souvent issus de la DDASS et en rupture avec leur famille.

J’allais très souvent chez lui, par fascination, mais aussi parce qu’il y avait des jeunes de mon âge. Adolescente, je suis tombé amoureuse d’un garçon qui avait 3 ans de plus que moi et qui était aussi très proche de ce prêtre, chez qui il avait séjourné plus jeune.

Un garçon très malheureux, qui avait perdu son père dans un accident de voiture, et tombé dans l’alcool, la drogue. En 2012, dans une fête à Madiran (Gers), je tombe sur ce prêtre que je n’avais pas vu depuis longtemps et qui m’apprend que mon ancien amoureux, Raphaël, s’est suicidé en 2005.

En plus, me dit-il, la famille m’a accusé de pédophilie. Quelque chose a éclaté en moi, les souvenirs me sont remontés. Notamment un souvenir, lorsque j’avais 12 ans, d’avoir dormi nue à côté de ce prêtre, nu aussi.

Je lui ai rappelé que quand on dort avec des enfants, il ne faut pas être surpris d’être soupçonné de pédophilie. À partir de ce moment, il s’est fermé. Il m’a dit qu’il ne se souvenait de rien.

Puis, il est parti chez lui où il hébergeait encore un jeune. Quand je suis rentrée chez lui, j’ai commencé à correspondre avec ce prêtre, en essayant de le faire avouer, car j’étais persuadé de sa pédophilie. En lui posant clairement des questions. Au final, j’ai commencé à écrire ce texte qui est devenu «Les enfants des ogres». Qui au départ était juste mon histoire avec Raphaël, la déchéance de ce jeune. C’est un récit qui n’accuse pas, mais qui fait remonter les souvenirs.

En l’occurrence, les faits que vous évoquez seraient sous le coup d’une prescription, qu’en pensez-vous ?

D’une manière générale, dans les violences sexuelles faites aux enfants et aux femmes, beaucoup d’associations réclament la levée de cette prescription. Comme le disent les pédopsychiatres, l’enfant qui a subi des violences les occulte. Il ne s’en souvient pas. On observe des amnésies. Très souvent, les choses resurgissent à l’âge adulte, comme ça a été le cas pour moi lors de mes 40 ans.

Ces souvenirs reviennent d’une manière brutale qui vous plonge dans une situation de choc post-traumatique. Malheureusement, il faut un long délai pour trouver un déclencheur. On découvre donc ces traumatismes vingt ans plus tard, et il faut vraiment avoir un débat sur ce délai de prescription. Pour la société, il est important qu’un pédophile soit signalé, sinon il peut continuer.

Quels sont vos rapports avec le diocèse de Toulouse dans l’affaire qui vous concerne ?

J’ai finalement écrit cette histoire avec mon intime conviction, mais personne ne m’a appelée. Je n’ai pas porté plainte mais j’ai informé le procureur de la République de tout ce que je savais. Quand mon livre est sorti, des Toulousains qui me connaissent et connaissaient ce prêtre sont allés voir l’évêque de Toulouse. On a découvert énormément d’éléments qui ont fait l’objet d’alerte de la part de plusieurs personnes.

Repères

1985 > Première alerte aux USA. Des scandales publics éclatent à partir des années 1950, mais ils restent peu nombreux. En 1985, Thomas Patrick Doyle, prêtre catholique et spécialiste de droit canon rédige un rapport sur les nombreux abus sur mineurs commis par des membres du clergé aux États-Unis.

1990 > Au Canada. Des milliers d’Amérindiens ayant séjourné dans des pensionnats religieux attaquent en justice le Gouvernement du Canada et les Églises Catholique, Anglicane, Unie et Presbytérienne pour «abus sexuels», maltraitance et «génocide culturel» commis entre 1880 et 1984

1995 > En Europe. Le cardinal Hans Hermann Groër, archevêque de Vienne, est publiquement accusé d’abus sexuels par deux de ses anciens élèves.

2016 > Affaire de Lyon. Dans l’affaire du Père Bernard Preynat, accusé d’avoir commis des agressions sexuelles sur des dizaines de scouts lyonnais dans les années 1970 et 1980, l’Eglise est soupçonnée d’avoir étouffé les agissements de ce prêtre et de n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour l’écarter des enfants.

2016 > En Haute-Garonne. En avril, Médiapart révèle qu’un prêtre condamné à cinq ans de prison en 2006 pour un viol sur mineur dirige aujourd’hui la paroisse de Fronton-Bouloc -Castelnau. «J’ai examiné le jugement qui ne comprenait pas d’interdiction d’exercer son ministère avec des enfants et des adolescents», déclare l’archevêque de Toulouse aux médias.

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