France | Témoignage frappant d’Arnaud Gallais concernant les viols subis dans son enfance

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« Jamais mes agresseurs ne parviendront à me faire mourir »
Photo - DAMIEN MEYER - AFP
L’inceste est une quasi condamnation à mort pour la victime et pourtant en France, les pédocriminels vivent dans l’impunité.

Je m’appelle Arnaud Gallais.

J’ai 39 ans.

Mon histoire peut sembler terrible mais au regard des nombreux témoignages survenus ces dernier jours avec la déferlante #metooinceste, elle est tristement banale.

J’ai grandi dès mon plus jeune âge dans un environnement violent. Mon père. Des violences physiques, psychiques, des humiliations.

Des coups de ceintures, des coups de chausse-pied, des fessées bien entendu. Mon père a même été jusqu’à me braquer avec une arme. J’ai su il y a quelques jours que ma mère avait assisté à la scène. Sidéré, j’étais bien incapable d’alerter des personnes de mon environnement.

Banal.

Banal dans un pays comme la France où un enfant meurt tous les 4 jours sous les coups de ses parents.

Où en 2015, 14 400 enfants âgés de 0 à 9 ans et 40.600 enfants âgés de 10 à 17 ans ont été enregistrés par les services de police et de gendarmerie comme victimes de violences physiques, soit 55 000 mineurs –150 plaintes par jour.

Combien ne déposeront jamais plainte?

Cet environnement de violence m’a exposé, j’en suis convaincu, à être la proie de pédocriminels, car tout était réuni pour que je ne parle pas.

À l’âge de 8 ans un grand-oncle, prêtre missionnaire en Afrique, m’a violé.

À l’époque, il passait une nuit ou deux chez mes parents car nous habitions non loin de l’aéroport. Les faits se sont répétés à chacun de ses passages entre 8 et 11 ans.

À l’époque, je faisais de l’énurésie, qu’on appelle communément “pipi au lit”.

C’est un symptôme que connaissent de nombreux enfants victimes de violences physiques, psychiques et d’humiliation.

Mon grand-oncle me faisait alors venir dans son lit alors que j’étais souillé. Il m’expliquait alors comment mon sexe fonctionnait. Il prenait ma main pour toucher son sexe pour m’expliquer comment cela se passait chez les adultes.

Puis il passait à une forme d’éducation sexuelle, me montrant que mon sexe pouvait servir à autre chose. J’ai compris plus tard qu’il me masturbait et qu’il prenait ma main pour le masturber. Puis il me mettait un doigt dans l’anus pour me montrer qu’il y avait d’autres endroits où on pouvait ressentir du plaisir. Puis il me sodomisait.

Difficile mais banal.

À l’âge de 12 ans, ce sont deux de mes cousins qui m’ont violé. Ils avaient respectivement 13 et 15 ans. Nous nous livrions alors à la préparation d’un spectacle, comme le font de nombreux enfants en vacances dans leur maison familiale.

Il s’agissait de la cantatrice chauve. Je jouais la cantatrice. Au cours d’une répétition, l’aîné m’a dit:

“Je vais te montrer comment je ferais si tu étais une femme”.

Il s’est alors jeté sur moi. Son cadet m’a tenu les mains pendant que son frère s’est assis à la hauteur de mon cou pour me forcer à lui faire une fellation.

En France aucune loi ne dit explicitement qu’un.e enfant n’est jamais consentant.e à une relation sexuelle avec un adulte, et ce malgré le fait que la majorité sexuelle soit à 15 ans.

Tristement banal dans un pays où 1 Français sur 10 est victime d’inceste, où 165 000 enfants par an, 130 000 filles et 35 000 garçons sont victimes de violences sexuelles chaque année.

Alors comment réagir aux annonces du Premier Ministre quand ce dernier dit qu’il ne faut pas réagir dans l’émotion suite au mouvement #MeTooInceste?

Quand il se limite à ne voir en cela qu’une simple libération de la parole…

Pourquoi je libère ma parole? Est-ce seulement pour susciter de l’émotion, même si les nombreux messages de soutien me font chaud au cœur?

La prise de parole du Président de la République est historique. Ses engagements sont forts. Nous attendons qu’ils se concrétisent par des actions et des évolutions législatives qui protègent les victimes et non les agresseurs.

Je prends la parole non pour m’exposer comme certain.e.s peuvent l’imaginer mais bien pour exposer les pédocriminels, pour exposer les dysfonctionnements familiaux et le silence assourdissant de l’ensemble d’une société, pour exposer la justice de notre pays qui permet aujourd’hui aux pédocriminels d’agir en toute impunité.

Savez-vous que seuls 4% des enfants victimes de viol déposent plainte et que 0,3% de ces plaintes aboutissent aux Assises? Ce sont les chiffres du Ministère de la Justice, et non d’une association qu’on pourrait tenter de discréditer.

Cela signifie que c’est une impunité quasi-totale qui permet aux pédocriminels d’agir sans limite.

Savez-vous qu’en France aucune loi ne dit explicitement qu’un.e enfant n’est jamais consentant.e à une relation sexuelle avec un adulte, et ce malgré le fait que la majorité sexuelle soit à 15 ans.

Ceci permet de requalifier de manière incessante les crimes des pédocriminels et de les correctionnaliser.

L’instauration d’un seuil d’âge de non consentement à 15 ans était pourtant une promesse du candidat Emmanuel Macron durant la campagne précédant son élection.

Il n’existe pas non plus de seuil d’âge spécifique pour l’inceste. Les associations demandent 18 ans.

Pour ma part je suis même favorable au fait qu’il n’y ait pas d’âge car l’inceste est l’interdit des interdits!

La France compte parmi les 3 pays d’Europe à rendre légale la naissance issu d’un inceste à partir du moment où seul l’un des parents reconnaît son enfant.

Savez-vous qu’en France l’amnésie traumatique n’est pas reconnue, tout comme les conséquences psychotraumatiques des victimes, inhérentes au syndrome de dissociation traumatique que toutes les victimes connaissent pour pouvoir survivre lorsqu’elles sont confrontées à l’impossible.

Combien de témoignage d’amnésie traumatique étaient présents dans les messages signés du #MeTooInceste.

Il y a un réel déni des traumatismes des victimes.

Alors si on ne peut que saluer le fait de mettre tout en œuvre pour que la parole se libère le plus tôt possible pour permettre aux victimes de se reconstruire, qu’en est-il des victimes qui vivent avec une amnésie traumatique, qui ne prévient pas du moment où le traumatisme resurgira.

Qu’en est-il des victimes qui, aux prises de mécanismes multiples de violences vécues, ne parviennent pas à déposer plainte même au terme des 30 années de prescription.

Elles, qui sont aux prises avec un continuum de violences, qui peut être l’exposition au silence d’une famille ou de l’entourage lorsqu’elles annoncent ce qu’elles ont vécu.

Ces victimes qui comme moi ont pu connaître d’autres formes de violences dans leur enfance, et qui, vivant dans un environnement insécurisant, ont été la proie de pédocriminels.

Doit-on permettre à certains agresseurs ou complices de ne pas avoir à dénoncer et de pouvoir clamer comme le Cardinal Barbarin:

“Grâce à Dieu les faits sont prescrits”?

Ainsi la loi profite aujourd’hui aux agresseurs, aux pédocriminels, qui usent d’une emprise sur l’enfant et son environnement pour parvenir à leurs fins.

Je suis admiratif de la prise de parole courageuse de Camille Kouchner dont le frère a été victime d’inceste.

Mes parents ont eu pour première réaction:

“on s’est fait avoir”.

Alors si ce n’est pas la première réaction que j’aurais pu attendre, je peux dire aujourd’hui que je la comprends au regard du nombre de réactions similaires que j’ai pu lire ces derniers jours.

Quand j’ai annoncé à ma mère ce qui était arrivé avec mes cousins, sa première réaction a été de me dire:

“n’en parle pas à ton père, je lui en parlerai plus tard”.

Mon père étant violent, elle avait peur qu’il explose. Elle a mis 8 mois à lui en parler. Il n’a jamais explosé. Il n’a pas su comment s’y prendre.

C’est grâce au courage de ma compagne de l’époque, qui a osé l’affronter et le mettre face à l’évidence:

“regardez comment Arnaud va mal, quand est-ce que vous allez agir?”

Mes parents ont mis entre 1 an et 18 mois pour convier la mère de mes cousins, leur père étant décédé. Ceux-ci ont reconnu les faits tout en les banalisant, en parlant de jeux d’enfants. Ils avaient 13 et 15 ans.

J’ai déposé plainte en juillet dernier. 21 ans après ma majorité. 31 ans après les premiers faits. Et pourtant je suis un acteur de la protection de l’enfance. Je connais les procédures à suivre.

Mais j’en étais incapable avant. Tout comme j’étais incapable de prononcer le mot inceste et encore moins double inceste…

J’ai été reçu par une brigadière formée. Ceci m’a permis de déposer plainte.

C’est aussi pour tous les invisibles, celles et ceux qui n’osent pas parler, pour les victimes collatérales de l’inceste, des violences sexuelles et de toutes les formes de violences faites aux enfants que je me bats aujourd’hui.

Comme d’autres, je suis démasqué. Avec ces autres je me battrai jusqu’au bout pour que les masques tombent.

Car face à l’horreur que j’ai vécue, je me suis toujours fait une promesse, même si je peine à revoir le visage que je pouvais avoir: jamais mes agresseurs ne parviendront à me faire mourir.

C’est pour toutes ces raisons que nous demandons notamment:

  • L’instauration d’un seuil d’âge de non consentement à 15 ans et à 18 ans en cas d’inceste
  • L’introduction de l’amnésie traumatique dans la loi
  • L’imprescriptibilité pour toutes les violences sexuelles
    commises sur un.e mineur.e
  • La non correctionnalisation des crimes sexuels sur mineur.e
  • La formation pour les professionnels dans les rangs de la police et de la magistrature et de la prévention dans les écoles dès la maternelle
  • Un meilleur suivi des agresseurs pour prévenir la récidive malheureusement trop fréquente
  • Un contrôle des sites pornographiques qui diffusent des vidéos de viols sur leur plateforme

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