France | Témoignage d’une maman charentaise dont la fille a été victime d’inceste…

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Sa fille a osé briser le silence en dévoilant les viols dont elle a été victime enfant
photo d'une enfant au regard touchant baillonnée par la main d'un homme
« C’est tabou. On n’en parle pas. Soit parce qu’on a peur d’être ridiculisée. Soit parce qu’on a honte ».

Le témoignage assourdissant d’une maman charentaise

La sortie du livre sur la famille d’Olivier Duhamel a libéré la parole. A l’image de cette octogénaire charentaise. Sa fille, victime, a brisé le tabou en plein repas de Noël. Mais tout le monde continue de se taire.

Henriette (1) , 83 ans, dans le salon de son petit appartement charentais, souffle :

« Les choses comme ça, vous les étouffez ».

“Les choses comme ça”, c’est une histoire d’inceste. De viols. De son ex-mari, aujourd’hui décédé, sur leur fille. C’était il y a très longtemps. Plus de 40 ans.

En plein milieu du dernier repas de Noël, alors que la famille est rassemblée, la fille d’Henriette s’est levée. Et elle a parlé. Révélé ce que lui avait fait subir son père à plusieurs reprises.

Le plus incroyable, c’est le silence qui a suivi. Les membres de la famille sont restés stupéfaits. Silencieux.

Henriette :

« N’a rien dit. Personne n’a rien dit. Cela a jeté un froid. Je reste dans le mutisme ».

Pour Henriette, pourtant, sa fille « a bien fait. »

Encore plus étonnant, la semaine passée, l’octogénaire a décroché son téléphone et a appelé CL, parce qu’elle venait de lire notre dossier consacré à l’inceste. Elle a accepté de nous recevoir pour en parler. A une condition: rien ne doit permettre à sa fille de reconnaître son histoire.

Henriette veut vider son sac :

« Tout le monde se tait ! C’est pour ça qu’ils l’ont belle ces hommes-là. Parce qu’ils savent que personne ne parlera. Il ne faut plus se taire! »

Et pourtant, elle aussi continue de « se murer dans le silence ».

Elle explique que :

« C’est tabou. On n’en parle pas. Soit parce qu’on a peur d’être ridiculisée. Soit parce qu’on a honte ».

Henriette le concède :

« Je le savais. Je n’avais rien vu, mais je l’ai senti. »

Les abus sexuels auraient eu lieu lorsqu’Henriette allait « faire les courses au village ». Sa fille avait une dizaine d’années. Son mari, militaire, profitait de ses absences. Elle savait, mais n’a rien dit. Ne s’en est jamais ouvert à sa fille.

« Et je pense que je n’en reparlerai pas. Je me tairai. Elle se taira. Mais cela impacte quand même. »

Les deux femmes se voient pourtant quasiment tous les jours.

« C’est un fardeau que nous portons… »

Elle se souvient en revanche que sa fille :

« A toujours été bienveillante avec son père, comme s’il ne s’était rien passé. Elle s’en est très bien occupée ».

Henriette se rappelle « d’un homme généreux », ancien gendarme dans une brigade du département, toujours prêt à aider. Sentiment ambivalent, paradoxal. Prise en étau entre le doux souvenir de l’homme « très beau » dont elle est tombée amoureuse. Et celui du bourreau de sa fille, qu’elle n’a jamais pu, jamais su dénoncer.

Les yeux d’Henriette se perdent dans le vide.

« Peut-être qu’en arrivant là-haut, il a dû rendre des comptes… »

Peut-être aussi que cette demi-confession dans le journal est la seule manière que la vieille femme a trouvée pour tendre la perche à sa fille. Malgré nos précautions, il est probable qu’elle se reconnaisse. Peut-être se parleront-elles enfin?

(1) Le prénom a été changé

 

Faut-il supprimer la prescription ?

Cette vague de témoignages s’accompagne d’un débat : doit-il y avoir une imprescriptibilité en matière de crimes sexuels et donc d’inceste ?

L’avocate angoumoisine Marie-Géraldine Coupey a un avis tranché sur la question. «

C’est une nécessité. Aujourd’hui, c’est un vrai problème. De nombreuses victimes déposent plainte et il n’y a pas de condamnation. C’est injuste, absurde, un écrivain parle même de passeport pour l’immunité. C’est une situation qui ne peut pas garantir la protection de nos enfants. » Marie-Géraldine Coupey est aussi vice-présidente de l’Apide (L’association pour la Protection d’Information et la Défense de l’Enfance), qui défend très régulièrement des victimes d’inceste. « Cela arrive toutes les semaines », confie l’avocate, qui a déjà représenté une victime dénonçant des faits prescrits. « Une dame âgée », se souvient-elle. « Elle avait dénoncé l’inceste de son père. Mais les faits étaient prescrits. Je lui avait dit, mais on a vu avec le procureur et il a accepté qu’elle soit entendue par les policiers. Cela faisait partie de sa démarche de soins, de sa reconstruction. »

Tous les avocats ne partagent pas cet avis. Pour Me Bethune de Moro :

« Si l’allongement de la prescription d’abord à la majorité, puis 10,20 et maintenant 30 ans après celle-ci peut permettre aux victimes de porter plainte à très grande distance des faits, je ne suis pas favorable à l’imprescriptibilité qui tendraient à assimiler ces crimes d’inhumanité aux crimes contre l’humanité commis pendant le Seconde guerre mondiale. En outre, comment réunir des preuves si longtemps après, obtenir des témoignages fiables, se prémunir des erreurs judiciaires ? »Son confrère angoumoisin François Des Minières estime quant à lui que « sans prescription, il n’y a pas de paix sociale. » Il pointe lui aussi, la difficulté d’obtenir des preuves. « Je ne vois pas l’intérêt, car cela sera difficile d’avoir une condamnation, et très dur de se défendre. »

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