Le témoignage de Nadège Beausson-Diagne qui réclame la levée de prescription pour les victimes de viol
Après un événement traumatisant, une victime peut oublier ce qui lui est arrivé pendant plusieurs dizaines d’années. La psychiatre Muriel Salmona nous explique ce phénomène aux côtés de l’actrice Nadège Beausson-Diagne qui se bat pour qu’il soit inscrit dans la loi et pris en compte dans le jugement des crimes sexuels.
Sommaire :
– Quand le cerveau “disjoncte” pour protéger la victime
– L’amnésie traumatique : un phénomène neurobiologique
– La “remontée brutale” des souvenirs
– Amnésie traumatique : le témoignage de l’actrice Nadège Beausson-Diagne
– “L’objectif : que le gouvernement lève la prescription pour les victimes”
– “Demander à une victime pourquoi elle n’a pas parlé avant est cruel et injuste”
“Nadège, violée à 9 ans, violée à 35 ans.”
Ces quelques mots, écrits sur une feuille blanche, l’actrice Nadège Beausson-Diagne les a postés au mois de juin dernier sur Instagram pour témoigner des viols qu’elle a subis dans l’enfance et à l’âge adulte.
Avec la danseuse et réalisatrice Andréa Bescond, la patineuse artistique Sarah Abitbol et des centaines d’autres victimes, elle a participé à la campagne #AmnésieTraumatique #StopPrescription pour demander l’imprescriptibilité des crimes sexuels et l’introduction de l’amnésie traumatique dans la loi française.
Mais qu’est-ce que l’amnésie traumatique ?
Quand le cerveau “disjoncte” pour protéger la victime
“L’amnésie traumatique est une forme particulière de trouble de la mémoire qui fait partie de l’état de stress post-traumatique, expose Muriel Salmona, psychiatre, psychotraumatologue et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. Ce qu’il faut d’abord comprendre, c’est qu’en cas de violences sexuelles, mais aussi d’attentat, de torture ou de crime de guerre, le cerveau met en place un mécanisme de sauvegarde pour permettre à la personne de survivre. Lors de ce qu’on appelle la ‘dissociation traumatique’, le circuit émotionnel disjoncte : la victime vit l’horreur mais ne ressent plus rien, elle est privée de sa capacité à réagir. Dans les affaires de viol, on entend souvent que les femmes se sentaient comme spectatrices de l’événement, hors de leur corps, comme si elles étaient mortes à l’intérieur… c’est de cela qu’il s’agit.”
L’amnésie traumatique : un phénomène neurobiologique
Après les faits, ce mécanisme de sauvegarde se prolonge à travers l’amnésie traumatique, c’est-à-dire l’impossibilité pour la victime de se souvenir de ce qui s’est passé ou de certains éléments-clés de l’événement.
La psychiatre précise :
“Plus le choc a été important, plus le traumatisme a eu lieu jeune, pendant longtemps, plus le cerveau va mettre en place des stratégies pour brouiller la mémoire”.
Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela est à distinguer du “refoulement”.
“En effet, l’amnésie traumatique n’est pas un phénomène psychanalytique mais un phénomène neurobiologique où l’on constate des atteintes médicales. Par exemple, un enfant peut perdre jusqu’à 30% du volume de l’hippocampe qui, au sein du cerveau, est le système d’exploitation de la mémoire.”
La “remontée brutale” des souvenirs
Les circuits de la mémoire ayant été endommagés, l’amnésie traumatique est totale ou partielle et peut durer plusieurs mois comme des dizaines d’années.
Lorsque les souvenirs reviennent, Muriel Salmona parle de “remontée brutale” :
“L’amnésie est souvent levée quand la personne n’est plus continuellement en danger, à distance de son agresseur. Chez les enfants, dans plus de la moitié des cas, les violences sexuelles sont commises par des membres ou des proches de la famille. C’est donc une fois devenu adulte que la personne, n’étant plus exposée à son agresseur, va sortir de cet état de dissociation et que la mémoire traumatique va l’envahir. L’élément déclencheur peut être un film, une odeur, un aliment, une date, un lieu, une grossesse parfois, tout type de situation qui va lui rappeler l’agresseur. Il se peut aussi que ce soit une nouvelle agression qui fasse rejaillir le souvenir de la précédente…”
Amnésie traumatique : le témoignage de l’actrice Nadège Beausson-Diagne
C’est ce qui est arrivé à Nadège Beausson-Diagne. L’actrice de 48 ans est à l’origine du #MeToo africain, le mouvement #MêmePasPeur.
Lorsqu’elle avait 35 ans, un réalisateur et producteur l’a violée, déclenchant le retour de souvenirs enfouis lorsqu’elle n’était qu’une petite fille.
“J’avais 9 ans, c’était l’ami d’une amie de ma mère, et c’est arrivé plusieurs fois, nous confie-t-elle. À cette époque, je n’ai rien dit du tout, ce qui a eu plusieurs conséquences psychologiques : anorexie, boulimie, conduites déviantes, et amnésie. Il m’a fallu environ 25 ans pour pouvoir faire le récit de ce qui m’était arrivé. Ce qui est terrible avec les psychotraumatismes, c’est qu’ils sont cachés très loin mais que votre cerveau veut tout de même que vous compreniez : il va y avoir une heure à laquelle vous vous sentez mal, des mots que vous ne supportez pas d’entendre. Quand ça remonte, j’appelle ça ‘mes vagues’, ce sont des espèces de flashs.”
“L’objectif : que le gouvernement lève la prescription pour les victimes”
Lorsque Nadège s’est souvenue de ce qu’elle avait vécu, il était trop tard.
“Je n’ai pas pu porter plainte car les faits étaient prescrits. Aujourd’hui, une victime a 30 ans après sa majorité pour le faire, mais à l’époque, c’était 20 ans. Ce qui m’a poussé à militer, c’est l’envie de protéger d’autres victimes. Il faut savoir que 70% des personnes qui ont été victimes pendant l’enfance le seront de nouveau au cours de leur vie. Pour nous, les victimes, la souffrance est à perpétuité. On m’a volé des temps d’enfance, on m’a pris mon innocence, et tout ça ne se rattrape pas. L’objectif de la campagne menée sur les réseaux sociaux est d’obtenir que le gouvernement introduise l’amnésie traumatique dans la loi, lève la prescription pour les victimes d’un même prédateur pédocriminel et rende imprescriptibiles les crimes sexuels sur mineurs.”
“Demander à une victime pourquoi elle n’a pas parlé avant est cruel et injuste”
Muriel Salmona, qui se bat pour la même cause, ajoute que l’amnésie traumatique est un obstacle insurmontable dont les agresseurs bénéficient :
“La plupart d’entre eux savent bien que les enfants vont oublier… Alors quand on dit aux victimes ‘mais pourquoi tu n’as pas parlé plus tôt’, qu’on met en cause leur crédibilité, c’est à la fois très cruel et très injuste. Il leur faut tellement de temps pour prendre conscience de ce qui est arrivé… Quand on voit l’ampleur de la pédocriminalité et de l’impunité de cette pédocriminalité, appliquer ce qu’on demande serait un geste fort de la part du gouvernement pour dire qu’on ne tolère plus ces crimes.”
Et Nadège Beausson-Diagne de conclure :
“Aujourd’hui, je me suis reconstruite, mais j’ai vécu des guerres dans mon corps. Je continuerai à parler. Pour que les victimes qui sont dans le silence entendent qu’on peut se reconstruire, même si la cicatrisation est longue. C’est important de leur dire : il n’y a pas de fatalité, vous pouvez récupérer votre vie.”
Source : doctissimo.fr
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