Fougères | Il viole sa fille pendant des années, est condamné à 10 ans de prison ferme mais n’en fait que trois

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“Elle m’a dit de continuer à faire ma vie comme depuis qu’il a été incarcéré et de l’oublier”
Élodie, violée par son père durant son adolescence. ©Rémi Charrondière / La Chronique Républicaine
En Bretagne, le père d’Élodie, vient de sortir de prison malgré sa condamnation à 10 ans ferme en 2020.

Elle reproche à la Justice de ne pas la tenir au courant.

« J’ai été violée par mon papa de mes 12 ans et demi à mes 14-15 ans. »

Avec une voix assurée, Élodie pose le cadre dès les premiers mots qu’elle prononce.

« Je ne veux pas que ce soit un tabou. »

C’est la séparation des parents de l’adolescente qui met fin aux abus sexuels qu’elle subit, la maman d’Élodie étant également victime de violences conjugales.

Plainte classée sans suite

« J’ai fini par porter plainte en avril 2011, quand j’ai eu 18 ans »

raconte celle qui habite aujourd’hui près de Fougères (Ille-et-Vilaine).

Mais débute alors pour elle un long combat.

Sa plainte est classée sans suite.

« Avec mon avocate, nous avons alors relancé la procédure, mais le dossier a été perdu et le juge d’instruction qui en était chargé est décédé. »

Entre-temps, Élodie commence un nouveau travail, à Rennes.

Elle est traumatisée et angoissée dès qu’elle est dans la rue pour s’y rendre.

« J’avais toujours une bombe lacrymogène dans la poche et j’avais besoin d’avoir mon mari au téléphone tant que je n’avais pas passé les portes d’entrée de mon lieu de travail » témoigne-t-elle.

Neuf ans d’attente avec un procès

En janvier 2020, neuf ans après le premier dépôt de plainte, un procès de trois jours se tient enfin, à la cour d’assises de Rennes. Le père d’Élodie refuse d’avouer les faits.

« Si encore il avait reconnu, que ce qu’il avait fait n’est pas normal.

Rien n’aurait été excusé mais cela m’aurait peut-être aidé à déculpabiliser »

écrira-t-elle par la suite.

Au lieu de cela, il a absolument tout nié en bloc. Me faisant passer, au passage, pour une menteuse, une allumeuse.

Quel parent peut accuser son enfant de l’avoir allumé ? Je n’avais que 12 ans !

Un corps de petite fille avec des formes timides.

Elodie, violée par son père durant son adolescence.

Aménagement de peine

Au terme de ce procès, le père d’Élodie est condamné à 10 ans de prison ferme, avec une obligation de soins de 5 ans.

C’est le soulagement pour sa victime.

Mais le 12 mai 2023, elle reçoit un courrier d’une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation.

« Elle m’a informée que mon père avait demandé un aménagement de peine et elle voulait connaître mon avis. »

Quelques jours plus tard, les deux femmes échangent par téléphone et Élodie s’oppose à une éventuelle sortie de prison de son père.

« Je n’étais pas prête. »

Elle ne se sent pas respectée, a l’impression qu’il s’agit surtout d’une formalité.

Audience interdite aux victimes

Arrive le mois de juin et l’affaire passe devant le tribunal d’application des peines.

L’audience est interdite aux victimes, qui ont tout de même le droit de demander à être représentées par un avocat.

Sauf qu’Élodie n’a été prévenue de la tenue de cette audience qu’une semaine auparavant.

Alors elle écrit une longue lettre au juge, dans laquelle elle se livre et s’adresse indirectement à son père, sachant qu’elle sera lue à l’audience.

« Ça m’a fait beaucoup de bien »

glisse-t-elle.

Une lettre poignante

Dans ces trois pages manuscrites, elle raconte, non sans émotion, son histoire et les raisons pour lesquelles elle considère que son agresseur ne doit pas sortir de prison.

« Lorsque notre maman a pris la décision de le quitter, nous avons dû vivre cachées, dans la peur et l’angoisse constante qu’il puisse nous faire du mal. […]

Aujourd’hui, l’incarcération nous permet de souffler »

écrit-elle alors.

Elle rappelle aussi que « jamais il ne s’est excusé de ce qu’il m’avait fait, de ce qu’il m’a pris, du bagage qu’il m’a donné à vie ».

Et qu’il est bien trop tôt, à ses yeux, pour lui rendre sa liberté.

J’ai l’impression qu’hier seulement nous étions le 27 janvier 2020. I

l m’a fallu du temps pour accepter ce qui m’était arrivé, du temps pour avancer avec, comme bagage, les viols de mon père, beaucoup de temps pour utiliser le mot « viol », du temps pour ne plus avoir peur de la nuit, du temps pour sortir de chez moi seule, du temps pour ne plus avoir peur de lui, du temps pour tellement de choses simples finalement.

Elodie, violée par son père durant son adolescence.

« Continuez votre vie et oubliez-le »

À l’issue de cette audience, dont le verdict est rendu en août 2023, alors qu’on lui avait indiqué qu’elle serait tenue au courant, on ne la prévient de rien.

Quand Élodie demande à en savoir plus, notamment la date de sortie de son violeur, elle ne reçoit qu’un bref courrier l’informant qu’il a été accordé à son père « le bénéfice d’une mesure de libération conditionnelle qui débutera dans quelques semaines ».

Cette lettre lui indique qu’il a reçu l’interdiction d’entrer en relation avec elle et de paraître dans le département d’Ille-et-Vilaine, sauf pour se rendre chez sa mère, à Saint-Malo.

Dans ce cadre, on l’invite à signaler toute constatation qu’elle ferait d’un non-respect de ces interdictions.

Puis, comme elle sollicite à nouveau le tribunal, elle reçoit un appel de la greffière.

« Elle m’a dit de continuer à faire ma vie comme depuis qu’il a été incarcéré et de l’oublier.

Que s’il sort, c’est que tous les voyants sont au vert et que la seule chose qu’elle pouvait me dire est qu’il part loin.»

Mais j’ai peur pour mes enfants ! Je ne sais pas en quoi consiste son aménagement de peine, s’il a un bracelet électronique, combien de temps il sera suivi par la justice…

Elodie, violée par son père durant son adolescence.

C’est pour toutes ces raisons qu’Élodie veut lancer un cri d’alarme :

« Comment une victime peut-elle se protéger si elle n’est pas informée ? »

Et si elle a réussi à retrouver un équilibre aujourd’hui, avec « un mari extraordinaire, un papa exceptionnel pour nos enfants », elle se répète que « ma plus belle vengeance est d’avoir réussi ma vie et d’avancer ».

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