Canada | La violence sexuelle s’étend à la petite école, l’enfance à l’ère du #Moiaussi

Un enfant de cinq ans qui embrasse le sexe d’une fillette au CPE. Un garçon de six ans agressé par trois copains qui tentent de l’obliger à faire une fellation dans la cour d’école… Longtemps banalisée, la violence sexuelle chez les tout-petits est de plus en plus visible et dénoncée, et l’accès à la pornographie montré du doigt.

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C’était au printemps dernier. Henri (nom fictif) avait six ans. Dans la cour d’école, au service de garde, un ami l’a emmené sous un module de jeux. Il l’a maintenu au sol pendant que deux autres petits garçons lui sautaient dessus.

L’un s’est assis sur son sexe, faisant des mouvements de va-et-vient sur lui, l’autre a baissé ses culottes — « des bobettes de Superman », a précisé l’enfant plus tard — et a tenté de lui enfoncer son pénis dans la bouche.

Henri s’est débattu pendant de longues minutes.

Lorsqu’un surveillant est enfin arrivé, Henri venait tout juste de réussir à s’échapper.

À la maison, l’enfant a raconté toute l’histoire à sa mère.

« Il était complètement troublé.

Il m’a dit : “Maman, ça ne va pas bien, il s’est passé quelque chose, il faut que je te parle.” »

L’école a banalisé la situation, selon la mère, qui a choisi d’aller chercher de l’aide pour son fils en consultation privée.

« Depuis, mon fils a peur d’aller à l’école.

Il fait des cauchemars.

La semaine dernière, j’ai dû l’amener encore à l’urgence parce que ses idées suicidaires étaient revenues… »

Arielle (nom fictif) a vécu sensiblement la même chose qu’Henri.

Plusieurs garçons du premier cycle du primaire l’ont clouée au sol dans un coin de la cour d’école, ils ont retiré ses vêtements et touché son sexe contre son gré.

D’autres enfants l’ont aidée à se libérer de ses agresseurs.

La fillette n’a gardé aucune séquelle de cet événement, vécu non pas comme une agression, mais plutôt comme une « expérience bizarre », selon sa mère.

« J’imagine que les enfants n’avaient aucune idée de la portée de leur geste, explique la maman.

À cet âge-là, ils ne savent pas c’est quoi, une agression.

Mais c’est difficile pour nous, les parents, à cause de l’imaginaire qu’on a comme adultes.

On nous a expliqué qu’il ne fallait pas transférer nos émotions d’adultes sur des gestes d’enfants, mais j’avoue que tout le monde a été pris par surprise de devoir intervenir avec des enfants en si bas âge. »

#MoiAussi

Les cas d’Henri et d’Arielle ne sont pas uniques.

« Les comportements sexuels problématiques en milieu scolaire, c’est quelque chose qui est très présent, et pas juste dans les écoles, mais aussi dans les garderies et les camps de jour », explique Annie Fournier, directrice des services professionnels à la Fondation Marie-Vincent, qui travaille avec les jeunes enfants.

« Ç’a toujours existé, mais avant, c’était banalisé.

On disait : ils jouent au docteur, ajoute Tatou Parisien, psychothérapeute au Centre d’intervention en abus sexuels pour la famille en Outaouais.

Aujourd’hui, il y a un mouvement social qui encourage la dénonciation, il y a une évolution des moeurs qui fait qu’on a désormais la capacité d’entendre cette réalité-là et de considérer l’impact que ça peut avoir sur nos enfants. »

Toutes deux voient une nette augmentation des dénonciations chez les enfants, liée à la vague #MoiAussi.

Pourtant, le mouvement n’a pas vraiment affecté les enfants, ni même les ados, qui ne s’associent pas à ces « histoires d’adultes », précisent plusieurs spécialistes consultés par Le Devoir.

Mais, assurément, cela a un impact sur les parents qui, eux, s’interrogent davantage sur la sexualité des enfants.

Même au CPE

Nathalie (nom fictif) a eu le choc de sa vie lorsque l’éducatrice de sa fille au CPE l’a prise à part à la fin de la journée pour lui parler d’une « situation » survenue au parc plus tôt dans la journée.

Sa fille avait été surprise « les culottes baissées » sous un module de jeu avec un autre enfant qui léchait son sexe.

« Quand l’éducatrice m’a raconté ça, je me suis mise à shaker de partout.

Il y a plein d’affaires qui me sont passées par la tête.

Je me disais : ça y est, ma fille fait partie des statistiques… à cinq ans ! »

Le soir, elle a interrogé sa fille.

« Maman, il a juste dit : je veux embrasser ton vagin », lui a raconté sa fille.

« Elle n’avait pas l’impression de faire quelque chose de mal.

Moi, le coeur m’a viré à l’envers.

Les enfants ne sont pas censés savoir ce que c’est, l’amour oral, à cet âge-là.

Il a pris ça où, cette idée-là ? »

Sa fille n’a pas été perturbée par cet événement.

En fait, elle ne s’en souvient même plus.

Mais Nathalie, elle, est restée troublée, notamment par la réponse du service de garde, qui minimisait la portée de ce qui s’était passé en arguant que la petite avait elle-même baissé son pantalon.

Nathalie n’avait plus confiance.

Elle a retiré ses enfants du CPE.

Agressions ou jeux sexuels entre enfants consentants ?

Où est la ligne ?

« Il n’y a pas de ligne, répond Annie Fournier.

C’est un ensemble de critères qu’il faut évaluer, des indices qui nous permettent de juger si le comportement est sain, inquiétant ou problématique. »

Un écart d’âge de plus de deux ans est un indice qu’il y a lieu de s’inquiéter.

S’il y a des menaces ou de la manipulation, c’est un autre indice clair.

Et ça n’a pas besoin d’être très développé, précise la spécialiste.

« La manipulation, à cet âge-là, ça peut être aussi simple que de dire : si tu ne me montres pas ton pénis, je ne suis plus ton ami ou je ne te prêterai pas mon jeu vidéo. »

Il faut également analyser le comportement en fonction de l’âge de l’enfant, explique Stéphanie Houle, sexologue à la Commission scolaire des Affluents, dans Lanaudière.

Selon elle, une relation orale génitale chez les tout-petits, « ça allume une lumière jaune ».

Mais, dans certains cas, il se peut que des enfants aient des « jeux sexuels très élaborés » et que cela se déroule comme dans un jeu et dans la normalité, ajoute-t-elle.

L’important, c’est d’aller voir ce qui se cache derrière pour comprendre si le comportement est normal, inapproprié ou problématique.

Et de recadrer au besoin.

Source : Le Devoir

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