Besançon | Le parcours sordide d’un professeur de français en Thaïlande
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 24/10/2019
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- Doubs, 25 | Doubs, Abus Sexuel sur Mineur, Asie, Bourgogne-Franche-Comté, Condamnation, Décision de Justice, Dérives Réseaux Sociaux, Détention Provisoire, Enseignant, Europe, Exploitation Sexuelle, France, Interpol, Jean-Christophe Marie Georges Quenot, Jugement, Pédocriminalité, Pédocriminels, Pédopornographie, Prison Ferme, Professeur, Prostitution de Mineurs, Réseaux Pédocriminels, Thaïlande, Tortures sur mineur, Viol sur Mineur
Accusé de dizaines de viols sur mineurs en Asie, Jean-Christophe Q. a passé près de deux mois en cavale avant d’être arrêté à Besançon. Pour ceux qui luttent contre l’exploitation sexuelle des enfants, il représente l’exemple type du prédateur «itinérant», qui s’attaque à des proies fragiles dans des pays instables
Le 4 février dans la soirée, une équipe de policiers thaïlandais fait irruption dans la chambre 806 de l’hôtel Rachada, un bloc anonyme de standing moyen, doté de discrets escaliers de service à l’arrière, dans un quartier populaire de Bangkok. Ils y trouvent Jean-Christophe Marie Georges Quenot, un professeur de français de 51 ans, avec deux enfants de 13 et 14 ans, dont l’un est à demi nu.
Deux caméras, une grande sur pied en face du lit, une petite sur la tête de lit, des préservatifs, des plaquettes de Viagra générique.
Sur l’ordinateur de l’homme, des centaines d’images pédopornographiques, viols et agressions réalisés par lui et par d’autres. «Le contenu des clips ne laisse aucun doute», estime le capitaine de police en charge de son interrogatoire au commissariat de Sutthisan.
Moyennant une caution de 8 600 euros, Jean-Christophe Q. est libéré en attendant son procès, son passeport confisqué pour qu’il ne puisse pas quitter le territoire. Jusque-là, rien à signaler, le code de procédure est respecté.
Mais quelques jours plus tard, retournement de situation, le suspect parvient à négocier auprès du tribunal la récupération de son passeport et de son ordinateur, pour une somme équivalente à celle de sa caution. Autrement dit, il est libre.
En parallèle, son nom est sorti dans la presse, il ne peut donc pas reprendre son travail dans un prestigieux centre de langues singapourien.
«Très calme, sans aucune émotion»
Commence alors une cavale de près de deux mois. Il passe discrètement la frontière terrestre au sud, vers la Malaisie, un pays qu’il connaît bien. Il y possède un appartement et se rend souvent en week-end dans la ville touristique de Malacca, dont l’hôpital central déclarait fin 2016 traiter en moyenne trois enfants par semaine pour abus sexuel.
Il est bien parti pour se faire oublier mais, pressé par des membres de sa famille, qui sont au courant, il décide fin mars de prendre un avion pour la Suisse afin de rejoindre Besançon, où réside sa sœur. Signalé par une notice bleue d’Interpol, il est attendu sur place par une brigade de l’Office central pour la répression des violences aux personnes.
Depuis, Jean-Christophe Q. est en prison, mais l’enquête pourrait durer des années : d’après le contenu de son ordinateur, des dizaines d’enfants victimes sont à identifier, en Thaïlande, en Malaisie, en Inde, aux Philippines.
Jean-Christophe Q. incarne l’exemple type du «pédocriminel itinérant», un homme qui, afin de minimiser les risques pris en abusant d’enfants dans un environnement familier, voyage pour assouvir ses fantasmes.
«Certains se déplacent ponctuellement pendant leurs vacances, d’autres cherchent à s’établir plus longuement, le plus souvent dans le milieu des ONG et des systèmes éducatifs», explique Marie-Laure Lemineur, directrice des programmes de l’association internationale Ecpat, qui lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants.
Au cours des trois décennies qu’il a passées en Asie du Sud-Est, l’homme a enseigné le français à Penang en Malaisie, en Thaïlande, à Singapour… Il parlait assez bien plusieurs langues locales, se déplaçait dans la région lors de chacun de ses congés et quasiment tous les week-ends. Ses cibles : des garçons de 11 à 15 ans, abordés dans des lieux publics et avec lesquels il restait en contact entre deux séjours via les réseaux sociaux.
A Bangkok, ses victimes viennent du quartier de Huai Khwang, l’un des plus pauvres du centre-ville, où on voit encore des enfants sniffer de la colle dans les rues. Rencontré chez lui, au fond d’une ruelle insalubre, le petit Nong Pet, malingre, les bras et les jambes constellés de cicatrices, s’inquiète de savoir ce qui va arriver à son «ami J-C» qui est «généreux et s’occupe de nous».
Il recevait 25 euros pour une fellation subie, 50 si c’était lui qui s’exécutait. La première fois que Jean-Christophe Q. l’a fait monter dans sa chambre, il avait 11 ans. Puis, à la demande du Français, il a entraîné trois copains dans la combine. Déscolarisé, il raconte : «Mon père m’a tabassé et m’a interdit de sortir de la maison.»
Le type d’enfants choisis, appartenant à des familles déstructurées, l’attitude de Jean-Christophe Q. pendant l’interrogatoire, «très calme, sans aucune émotion» selon les enquêteurs, suggèrent un bon niveau de préparation. Enseignant, il n’a eu aucun mal à réunir la somme en liquide nécessaire à sa caution et à son évasion (près de 20 000 euros), disponible sur ses différents comptes en banque.
«Il existe des petites communautés atomisées de pédocriminels qui échangent beaucoup d’informations sur les forums, explique Marie-Laure Lemineur. Comment approcher les enfants, s’assurer de leur silence, que faire en cas d’arrestation… Ce sont de véritables manuels.»
Comme l’anonymat garanti par le réseau Tor ne permet pas une surveillance systématique, les enquêteurs spécialisés en sont réduits aux bonnes vieilles méthodes pour suivre l’activité de ces plateformes, notamment l’infiltration.
Avec un obstacle de taille : l’accès aux forums très fermés de «producteurs» exige souvent de pouvoir montrer des images pédopornographiques originales. «Les pédocriminels sont de grands collectionneurs, explique Bruno Desthieux, policier français du réseau Interpol. Les producteurs les plus aguerris connaissent absolument toutes les séries en circulation.»
«Destination de prédilection»
Les récents progrès des techniques visuelles d’animation permettent d’utiliser des appâts virtuels : créé en 2013 par l’association Terre des hommes, le personnage de «Sweetie», une fillette philippine de 10 ans, avait aidé les enquêteurs à recueillir les données de milliers de délinquants sexuels.
Les pédophiles voyageurs s’informent aussi sur la situation de chaque pays, les peines encourues, le niveau d’équipement de la police sur place, ce qui les rend souvent bien plus au fait des réalités économiques et politiques locales qu’un touriste ordinaire.
L’Asie du Sud-Est, avec son tourisme de masse, ses frontières poreuses et le faible coût de la vie, reste pour eux une destination de prédilection. Longtemps réputée havre de pédophiles, la Thaïlande, dont l’économie est l’une des plus avancées du sud-est asiatique, a vu migrer de nombreux criminels vers les pays voisins, comme le Laos ou le Cambodge, à la législation plus souple et à la pauvreté plus pressante. Récemment, la Birmanie, ouverte aux étrangers après des décennies de fermeture, a émergé comme une destination de tourisme pédophile.
«Plus une zone est en crise ou a de forts besoins dans le domaine de l’éducation, plus ses enfants sont vulnérables», rappelle Bruno Desthieux. Ceux des zones de conflits ethniques, les réfugiés, les déplacés, les minorités apatrides des montagnes, les régions les plus pauvres, sont en première ligne. Depuis leur récent exode, les enfants réfugiés Rohingyas, aujourd’hui du côté du Bangladesh, sont particulièrement menacés.
Les évolutions technologiques permettent aussi de nouvelles cruautés. L’amélioration de la qualité de connexion en Asie et l’effervescence des tchats vidéo (Skype, Facetime, WeChat…) ont abouti à l’émergence du phénomène d’abus par live-streaming : un échange vidéo entre un pédocriminel resté dans son pays d’origine et un intermédiaire sur place qui réalise ses fantasmes sur un enfant, parfois jusqu’au viol.
Avec une infinité de scénarios possibles, il s’agit donc de «commanditer le viol d’un enfant depuis le confort de son canapé, à l’abri derrière son écran d’ordinateur», résume le commissaire français Yann Le Goff, basé à Singapour.
L’intermédiaire est souvent une femme, parfois une mère. Les échanges sont en direct, cryptés, et il est difficile d’en avoir une preuve une fois la connexion coupée. Le live-streaming qui met en scène des mineurs explose, notamment aux Philippines, où participent des familles entières, parfois plusieurs par quartier.
«banalisation des images»
Depuis le mois de janvier, une quinzaine de dossiers impliquant des ressortissants français sont en cours. «Il faut faire évoluer la législation si nous ne voulons pas perdre la course contre ces pratiques», continue Yann Le Goff. Pour l’instant, le visionnage en direct d’un abus sexuel est considéré comme complicité de viol. Pour les policiers spécialisés, «il doit être jugé comme un viol».
La distance physique, culturelle, émotionnelle avec ces enfants de contrées lointaines permet de déshumaniser et de grimper dans l’horreur, comme l’a récemment démontré l’affaire Peter Scully aux Philippines.
L’homme d’affaires australien de 56 ans réalisait des films «hurtcore», un marché de niche qui se spécialise dans la souffrance physique d’enfants très jeunes. Le film «la Destruction de Daisy», qui montrait des tortures sexuelles extrêmes sur un bébé de 18 mois, était vendu sur les réseaux jusqu’à 10 000 dollars (9 000 euros). Il faisait réaliser ces tortures par ses «petites amies», deux ados qui vivaient avec lui et qu’il violait régulièrement. Scully se procurait des enfants auprès de mères célibataires sur la promesse d’une bonne éducation pour leur progéniture. Au cours de ces tournages, une petite fille de 11 ans est morte sous les tortures.
Son corps a été retrouvé près de la maison de l’Australien, les membres coupés : l’une des ados affirme qu’il a filmé l’assassinat mais la vidéo n’a jamais été retrouvée. Très marqués par cette affaire, les enquêteurs philippins craignent une réitération de ces actes.
«Il faut poser la question de la banalisation des images», estime Yann Le Goff.
La surabondance, l’omniprésence et la violence ordinaire des images pornos adultes dans nos sociétés ouvriraient «une spirale du “toujours plus”», qui contribue à modifier nos seuils de tolérance et «à brouiller les frontières du jeune majeur à l’ado, de l’ado à l’enfant».
De leur côté, les policiers et les associations constatent à l’unisson que la cruauté augmente et que les âges baissent.
Source : liberation.fr
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