Analyse de la proposition de loi du Sénat “pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles”.

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Voyons ce qu’il en retourne
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Le 12 février dernier est paru la proposition de loi du Sénat “pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles” suite à la publication du rapport du groupe de travail sur “les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs”.

 

Cette proposition de loi comporte deux parties :

  • La première succincte avec les 5 modifications des lois existantes dont nous feront une analyse détaillée
  • La seconde dite “loi d’orientation et de programmation” qui est un ensemble de bonnes intentions censées avoir une influence sur les arbitrages budgétaires des années à venir sur le sujet. En réalité ce n’est pas chiffré et rien n’oblige le gouvernement actuel ou celui d’après à suivre les “préconisations” qui y sont inscrites. Cela peut tout à fait rester lettre morte. Du coup nous ne nous appesantirons pas sur cette partie qui reprend les bonnes intentions du rapport précité (voir l’article qui y a été consacré).

 

Ce texte sera présenté, débattu, amendé (modifié) et voté dans les deux chambres parlementaires (sénat et assemblée nationale).

La séance public filmée se déroulera le 27 mars après-midi en direct ou en replay sur le site du Sénat :

https://videos.senat.fr/index

Visiblement le gouvernement souhaite en parallèle travailler à un “projet de loi” qui traitera de manière plus large du viol et qui ne sera donc pas exclusivement focalisé sur les abus sexuels sur mineurs (voir l’autre article qui y a été consacré).

Il sera débattu en conseil des ministres le mercredi 21 mars 2018.

 

Analyse des 5 modifications des lois

Allongement du délai de prescription pour les crimes et délits sexuels sur les mineurs

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

Le deuxième alinéa de l’article 7 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’action publique des crimes mentionnés aux articles 222-23 à 222-26 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers. » ;

Aux deuxième et troisième alinéas de l’article 8, la référence :
« 222-29-1 » est remplacée par les références : « 222-27 à 222-30 ».

Actuellement l’article 7 et l’article 8 du code de procédure pénale disaient que la prescription pour les crimes et certains délits sexuels sur mineurs étaient de 20 ans à partir de la majorité de la victime.

Cette modification porte ce délai à 30 ans à partir de la majorité de la victime et l’étend aux atteintes sexuelles.

L’association Wanted Pedo soutien cette modification même si elle milite pour l’imprescriptibilité des crimes et délits sexuels sur mineurs.

Nous proposons donc la formulation suivante des articles 7 et 8 du code de procédure pénale:

Article 7

L’action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

L’action publique des crimes mentionnés aux articles 706-16, 706-26 et 706-167 du présent code, aux articles 214-1 à 214-4 et 221-12 du code pénal et au livre IV bis du même code se prescrit par trente années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

L’action publique des crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 dudit code et aux articles 222-23 à 222-26 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs sont imprescriptibles.

Article 8

L’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, à l’exception de ceux mentionnés aux articles 222-27 à 222-30 et 227-26 du code pénal, se prescrit par vingt années révolues à compter de la majorité de ces derniers.

L’action publique des délits mentionnés aux articles 222-12, articles 222-27 à 222-30 et 227-26 du même code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, sont imprescriptibles.

L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-167 du présent code, lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement, ainsi que celle des délits mentionnés aux articles 706-16 du présent code, à l’exclusion de ceux définis aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du code pénal, et 706-26 du présent code et au livre IV bis du code pénal se prescrivent par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

 

Présomption de contrainte morale

Après le premier alinéa de l’article 222-23 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La contrainte morale est présumée lorsque l’acte de pénétration sexuelle est commis par un majeur sur la personne d’un mineur incapable de discernement ou lorsqu’il existe une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur des faits. »

Nous trouvons que cette présomption de contrainte est symbolique, n’apporte que peu de choses à la situation existante et surtout ne se substitue en rien au nécessaire “seuil d’âge de non-consentement automatique” qui empêchera les magistrats “indélicats” de chercher du consentement sexuel chez un mineur de 15 ans (= de moins de 15 ans).

Pour autant cette présomption de contrainte morale n’est pas du tout incompatible avec le dispositif de seuil d’âge de non consentement.

Elle peut s’y superposer et le compléter avantageusement sur la tranche d’âge des 15-18 ans.

Ainsi, avant 15 ans la question du consentement ne se pose pas, entre 15 et 18 ans la contrainte est présumée.

Pour nous la différence d’âge est fallacieuse alors que le discernement doit être selon nous consubstantiel à l’état de mineur en ce qui concerne les abus sexuels.

Pourquoi ne traiter que le viol ?

L’atteinte sexuelle doit aussi pouvoir être requalifiée en agression, sinon quelle la cohérence avec la modification précédente ?

Nous proposons donc la formulation suivante pour l’article 222-23 du code pénal:

« La contrainte morale est présumée lorsque l’acte de pénétration sexuelle ou d’atteinte sexuelle est commis par un majeur sur la personne d’un mineur. »

Nous conservons cette formulation couvrant les mineurs de 0 à 18 ans au cas où le non consentement ne passe pas (retoqué devant le conseil constitutionnel notamment).

 

Extension de l’inceste aux victimes majeures

L’article 222-31-1 du code pénal est ainsi modifié :

Au premier alinéa, les mots : « sur la personne d’un mineur » sont supprimés ;
Au dernier alinéa, les mots : « le mineur » sont remplacés par les mots : « la victime ».

Effectivement une fille de 19 ans (ou 39 ans d’ailleurs) se faisant violer par son père est tout aussi victime d’inceste qu’une fille de 17 ans.

Wanted Pedo soutien cette modification.

 

Aggravation des peines pour les atteintes sexuelles

L’article 227-25 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 227-25. – Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. »

Actuellement la peine maximale encourue est de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.

On passerait sur 7 ans et 100.000 euros.

Sachant que dans l’immense majorité des cas les accusés d’atteinte sexuelle sur mineurs ne prennent que du sursis et qu’en dessous de 3 ans ferme les condamnés ne vont pas physiquement en prison.

Sans compter les remises de peine qui sont exceptionnellement généreuses dans le cas des abus sexuels et peuvent aller jusqu’au deux tiers de la peine.

Wanted Pedo a bien conscience que cette modification n’est qu’une compensation maladroite de l’absence de seuil d’âge de non consentement dans la proposition de loi qui requalifierait automatiquement cette atteinte sexuelle sur mineurs en agression sexuelle sur mineurs qui elle, est passible de 10 ans et 150.000 euros (article 229-29-1 du code pénal).

Pour nous l’atteinte sexuelle sur mineur avec contact physique n’a pas lieu d’exister (du fait de la surprise), néanmoins dans l’état actuel des choses nous soutenons cette modification qui couvre d’autres atteintes sexuelles notamment sans contact physique : exhibitionnisme (devant les écoles), prise de photos, etc.

 

Date de début du délai de prescription

L’article 434-3 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le délai de prescription de l’action publique court à compter du jour où tous les éléments constitutifs de l’infraction ont cessé. »

Cela permet de faire démarrer la prescription pour non dénonciation une fois seulement que la victime ne subi plus les abus sexuels.

Il est extrêmement rare de voir des personnes “ayant eu connaissance des abus” ciblées par une plainte pour non dénonciation.

Néanmoins nous soutenons cette modification car bien souvent d’autres gens que l’agresseur sexuel sur mineur savent et se taisent.

Souvent ils se taisent par peur de la menace d’une plainte pour diffamation ou dénonciation calomnieuse si ils n’ont pas de preuves autres que la parole de l’enfant.

C’est vrai pour les proches mais c’est hélas encore plus vrai pour la mère.

 

Exemple classique :

Une fillette de 7 ans raconte à sa maman que son père la viole.

On imagine mal la fillette venir à vélo au commissariat pour porter plainte.

Mais c’est ce que la justice attend d’elle (sans rires) et qui éviterait le soupçon (délirant mais hélas très fréquent) de mère aliénante/manipulatrice.

Imagine-t-on une fillette de 7 ans pouvoir assumer un processus judiciaire toute seule ?

La maman est donc la seule à pouvoir de manière réaliste porter plainte contre le père sur les dires de sa fille.

Si les faits ne sont pas validés par une condamnation en justice (parole de l’enfant contre parole de l’adulte, vive la France post-Outreau !), alors la mère peut voir une plainte portée contre elle par le père pour dénonciation calomnieuse alors qu’elle ne fait que rapporter et transcrire en justice les dires de son enfant.

Pourquoi peut-elle être accusée de porter la parole de son enfant ?

Alors qu’elle-même se situe dans une situation très grave si elle a connaissance de telles révélations et qu’elle décide de se taire.

Il est crucial de revoir complètement cet amalgame judiciaire scandaleux entre l’adulte “protecteur” et l’enfant victime d’abus sexuel.

Conclusion

Au final il n’y a rien de bien transcendant dans cette proposition de loi.

Wanted Pedo soutien quelques timides avancées (allongement du délai de prescription) qui ne font à coup sûr pas du tout trembler les réseaux pédocriminels.

Voyez plutôt nos revendications qui ne sont que du bon sens :

Cette proposition de loi sera  débattue le mardi 27 mars 2018 à 14 h 30 puis à 17h45 et le soir.

Nous n’avons pour l’instant pas eu accès aux amendements de commission déposés.

  • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 19 mars à 12 heures
  • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 21 mars matin
  • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 26 mars à 12 heures
  • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 27 mars matin
  • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
  • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 26 mars à 15 heures

 

Nous vous invitons à écouter attentivement vos élus le mercredi 21 mars matin en commission et le mardi 27 mars (matin en commission et après-midi en séance) sur le site du Sénat:

https://videos.senat.fr/index

 

Écrivez à Marie MERCIER la rapporteuse du groupe qui a travaillé sur cette proposition de loi et aux autres sénateurs impliqués sur le sujet :

p.bas@senat.frm.mercier@senat.fr, a.de-belenet@senat.fre.benbassa@senat.frfn.buffet@senat.frm.carrere@senat.frf.gatel@senat.frmp.delagontrie@senat.fr, d.wattebled@senat.fr

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Actualisation du 24 mars 2018

La commission des lois a examiné le 21 mars 2018 (sans traces vidéos ou audios) les amendements déposés par les sénateurs sur ce texte.

Amendements en lien ici.

Rien de bien extraordinaire, des ajustements techniques (ex: mise à jour du numéro de la loi) ou sémantiques (ex: “victime” remplace “mineur”, ce qui est bien puisque cela élargi la définition de l’inceste à des victimes adultes par exemple).

Mme De la Gontrie a proposé un âge de consentement à 13 ans qui a été rejeté.

On ne va pas s’en plaindre et c’est dans la logique fallacieuse des sénateurs qui laissent penser que le cœur du débat est “le fait de fixer un seuil d’âge de non consentement” dans l’absolu alors que c’est l’âge lui-même qui conditionne le fait que ce seuil œuvre pour l’intérêt général ou pas.

Deux amendements (portés par Mme Brigitte LHERBIER et Mme Anne-Marie BERTRAND pour le groupe LR) portaient sur le renforcement de l’obligation légale de dénoncer des crimes sexuels sur mineurs y compris en situation de secret professionnel ou de personnes “astreintes au secret” ce qui couvre des situations plus larges encore.

(Le) code pénal protège les personnes soumises au secret professionnel sans préciser, (…) si un crime commis sur mineur fait obstacle à l’application de la disposition.

et

« Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. ».

Cette disposition fait ainsi obstacle à la dénonciation de mauvais traitements ou d’agressions sexuelles infligés à un mineur ou à une personne en état de faiblesse, lorsque la personne qui en a connaissance est astreinte au secret.

Mais ils ont été “retirés” par les sénatrices qui l’avait déposé.

On aurait bien aimé entendre les justifications du retrait de ces amendements qui pourtant paraissaient de bon sens.

Mais non vous n’y aurez pas droit bon peuple de France, la démocratie audiovisuelle à ses limites…

Pour aller plus loin sur le sujet, nous avons même connaissance de plusieurs affaires de pédocriminalité de réseau où le “secret défense” fait obstacle.

Venant du Nord et du PACA (régions sinistrées) les sénatrices savent bien de quoi il retourne.

Mais visiblement ça n’a pas été possible.

Universitaire, Brigitte LHERBIER a écrit le livre “La Protection de l’enfant maltraité : protéger, aider, punir et collaborer” aux éditions de l’Harmattan (collection Logiques Juridiques).

A priori elle sait de quoi elle parle.

Mme BERTRAND quand à elle est issu du milieu agricole.

N’hésitez pas à leur poser la question pour savoir de quoi il retourne vous aurez peut-être plus de réponses que nous.

 

b.lherbier@senat.fr  am.bertrand@senat.fr

 

La proposition de loi complète (et amendée en commission)

 

Actualisation de mai 2018:

Le texte a été transmis à l’assemblée nationale en première lecture le 28 mars et a été renvoyé en commission des lois qui devra donc travailler en parallèle sur le projet de loi du gouvernement et sur la proposition de loi du sénat.

Vous pouvez suivre l’avancée législative de ce texte :

Sur le site du Sénat

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-293.html

Sur le site de l’assemblée nationale

http://www.assemblee-nationale.fr/15/dossiers/meilleure_protection_victimes_infractions_sexuelles.asp

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