Témoignage | À 15 ans, l’inceste a failli me tuer. Maintenant, je veux que mon vécu serve

Isabelle Aubry, presidente-fondatrice de l’Association Internationale des Victimes de l’Inceste ( AIVI )

Isabelle Aubry est la fondatrice de l’Association internationale des victimes de l’inceste.

Violée et prostituée par son père entre ses 6 et 15 ans, elle a dû mener de front une procédure judiciaire extrêmement éprouvante.

Dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre les violences faites aux enfants, elle explique sur Le Plus pourquoi les systèmes sanitaires et juridiques doivent être vigilants avec les victimes.

J’avais 15 ans lorsque mon père a été arrêté pour m’avoir violée et prostituée pendant des années.

Ce jour-là, a commencé la procédure judiciaire avec ses interrogatoires, confrontations, expertises gynécologiques et psychiatriques.

À chaque fois, je devais “raconter mon histoire” avec tous les détails sordides.

À chaque fois je retournais en enfer, mais personne ne s’en souciait.

Je n’étais qu’un témoin abreuvant la justice d’informations sur l’un des pires cauchemars qu’un enfant puisse vivre : l’inceste.

Personne n’a pensé que je pouvais avoir besoin d’aide et de soins.

La souffrance était insupportable.

Ma vie n’avait pas de sens.

J’avais été l’objet sexuel de mon père, je devenais l’objet de la justice.

Les interrogatoires chez la juge d’instruction me culpabilisaient, car même avec le flot de preuves matérielles et les aveux de mon père, je devais, encore et encore, raconter, expliquer, détailler, me souvenir…

La juge glissait de fausses informations pour vérifier si je disais la vérité.

Un jour, elle m’a convoquée, dans la salle d’attente, l’un de mes agresseurs était assis face à moi.

Elle voulait nous confronter.

 

“Alors, racontez-nous votre histoire”

Pour la première expertise psychiatrique, j’ai attendu dans une salle d’attente pendant une heure avec des malades mentaux hurlant et frappant sur la porte, comme au XIXe siècle.

Les trois experts se sont stratégiquement placés autour de moi, l’un en face, l’autre à ma gauche et le dernier derrière moi.

Leur première question : “Alors, racontez-nous votre histoire”.

Ça m’a fait exploser en vol.

Je leur ai hurlé d’aller lire les milliers de pages de procédure, car je n’en pouvais plus.

Je tremblais, j’étais à bout.

Le lendemain à l’école, j’étais très mal, ma souffrance était si intense dans ce monde qui ne se souciait pas de moi que j’ai perdu pied.

J’ai cherché un moyen d’étouffer ce mal insupportable et je l’ai trouvé : mourir.

Comme une automate, je suis rentrée chez moi et j’ai avalé tous les somnifères que j’ai pu trouver.

Je me suis endormie sereine.

La mort n’a pas voulu de moi, j’ai été hospitalisée, sauvée, personne ne m’a posé de question.

Mon avocate a suggéré de se servir de cet épisode pour montrer à la juge que j’allais mal, renforcer notre dossier, et l’on m’a envoyée voir quelqu’un qu’aujourd’hui je suppose être une psychologue.

Comme elle ne s’est pas présentée et ne m’a pas dit pourquoi j’étais devant elle, je n’ai rien dit, attendant les questions.

Je croyais que cela faisait partie de la procédure.

 

Un long chemin vers mon rétablissement

Un an plus tard, j’ai demandé à mon médecin si j’avais le droit à une aide compte tenu de ce que j’avais vécu.

Il m’a répondu “que oui, certainement”, mais cela s’est arrêté là.

Le temps a passé.

À 23 ans, lors d’une crise de mal-être plus forte que les autres, mon nouveau médecin généraliste m’a conseillé d’aller voir un professionnel spécialisé et il m’a donné un nom.

J’étais sauvée, le mot n’est pas exagéré.

Je ne le savais pas à l’époque, mais j’allais tellement mal que j’étais entre la vie et la mort à nouveau.

J’ai eu la chance de rencontrer un professionnel exceptionnel et de tomber enceinte le même jour.

J’avais une raison de vivre et l’aide pour m’en sortir, enfin.

C’était le début d’un long chemin vers mon rétablissement.

 

De la nécessité d’une prise en charge adaptée

Longtemps plus tard, j’ai appris qu’une victime de l’inceste sur deux en arrive à tenter de se suicider (enquête IPSOS pour l’AIVI 2010).

On sait maintenant, selon une projection, qu’il y a quatre millions de survivants de l’inceste en France.

On ne sait pas combien sont mort de l’ignorance de notre société face à ce fléau de santé publique.

C’est pourquoi je me consacre à combattre cette ignorance par tous les moyens à commencer par l’information.

J’ai créé l’Association internationale des victimes de l’inceste en 2000 pour militer en faveur des survivants et de leurs proches et pour que tous ceux qui peuvent aider les survivants disposent du savoir et d’outils à leur portée.

Aujourd’hui, avec le Docteur Gérard Lopez, fondateur du centre de victimologie, dans ce livre “L’inceste : 36 questions-réponses incontournables“, j’essaie de rassembler l’information qui je l’espère changera la donne pour les autres enfants, pour que mon vécu ait un sens, une utilité.

Isabelle Aubry

Source : L’Obs – Le Plus

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