Abus sexuels | L’entraîneur et l’enfant, révélations sur un système pervers

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La course aux médailles et au profit crée les conditions pour taire ces affaires.
Depuis douze ans, Pierre-Emmanuel Luneau-Daurignac enquête sur les abus sexuels dans le sport. Dans un ouvrage référence, «L’entraîneur et l’enfant», qui paraît aujourd’hui, le journaliste décrypte les mécanismes favorisant les dérapages. Un sportif sur sept en a été victime.

De l’Angleterre aux États-Unis, en passant par la France, pas un pays n’a pas été secoué par des scandales d’abus sexuels dans le sport. Pierre-Emmanuel Luneau-Daurignac explore ces affaires qui ont modifié le regard de l’opinion publique.

Elles remettent en cause l’organisation même du sport, où les enjeux ont trop souvent poussé les dirigeants à fermer les yeux.

Elles racontent, aussi, combien il est plus difficile pour un athlète de parler et de briser l’omerta.

«L’entraîneur et l’enfant» (1), disponible ce jeudi dans les librairies, s’impose comme un livre référence.

A force de témoignages, mais aussi d’études et de rencontres avec des psychologues, il décrit parfaitement les mécanismes facilitant les dérapages. Il raconte aussi comment le sport est un terrain à risques, combien la relation entraîneur-entraîné contient les ingrédients de possibles abus.

Comment a débuté votre enquête ? Y a-t-il eu une affaire déclic ?

En 2008, je découvre le livre d’Isabelle Demongeot. On l’a oublié, mais on a vécu à cette époque le même tremblement que celui provoqué par le témoignage de Sarah Abitbol l’an dernier. En travaillant sur le sujet, j’ai compris que cette affaire ne pouvait être isolée.

Le sport est un terrain propice. Les corps sportifs sont érotisés, la nudité et les contacts physiques sont présents. Ce n’est donc pas un moment où la sexualité se met entre parenthèses comme par magie. Il faut imposer des règles de comportement.

Qu’a changé le témoignage de Sarah Abitbol ?

Une prise de conscience nationale. Le grand public a ressenti ce que les victimes éprouvaient et il a compris l’ampleur des dommages. Il s’agit d’un problème systémique.

Et c’est le sport qui est malade. La culture de l’endurance à la douleur, du résultat à tout prix, du secret, de l’éloignement des parents, mais aussi la culture de la soumission à l’autorité, tout cela doit être revu.

La machine produit des athlètes soumis et des entraîneurs surpuissants, dans un contexte de silence et de pression. Toutes les victimes rencontrées m’ont confié qu’elles ne s’appartenaient plus. Que se passe-t-il pour que le sport produise cela ?

Avez-vous une idée de l’ampleur des victimes dans le sport ?

En 2015, Tine Vertommen a réalisé une enquête sur 4 000 personnes en Belgique flamande et aux Pays Bas. Selon elle, un sportif sur sept de moins de 18 ans a connu une forme de violence sexuelle. Au regard du nombre de pratiquants dans le monde, ce sont des dizaines de millions de personnes concernées. C’est vertigineux.

« Les sportifs sont habitués à faire souffrir leurs corps »

Vous écrivez que plus les sportifs approchent de la réussite et plus ils sont en danger. C’est-à-dire ?

La dépendance au système est alors plus grande, ils ont donc beaucoup plus à perdre. C’est une jeune femme qui raconte s’entraîner depuis dix ans, elle est à l’orée d’une sélection olympique, elle a connu des blessures gigantesques, possède un corps meurtri et n’a pas le temps d’avoir des amis. Ses parents ont misé des fortunes sur elle, ont consenti des efforts d’emploi du temps et croient en elle. Comment peut-elle tout remettre en cause ?

Dans le monde du sport, le rapport à la douleur peut-t-il brouiller la perception de ce qu’on a le droit d’endurer ?

Ils sont habitués à faire souffrir leur corps, qui est un outil de leur réussite. Ils sont entraînés à taire la douleur, mais jusqu’où ? Si le sport est devenu un spectacle rapportant beaucoup d’argent, il ne doit pas tout permettre.

Là, on est dans une spirale dans laquelle l’athlète est un pion jetable et corvéable à merci. Et ce qui est tragique, c’est qu’il est lui-même volontaire.

En quoi la position de l’entraîneur contient-elle les germes du dérapage ?

Les parents ont une confiance aveugle envers l’entraîneur et elle augmente avec le haut niveau. Il possède une image sacrée, on le considère comme le magicien qui va transformer l’athlète. Il se retrouve dans une position de toute puissance.

Cela s’ajoute à la difficulté des victimes de parler.

Elles ont tout à perdre. Parler, c’est un tremblement de terre pour leur famille, un combat contre la fédération et l’auteur des abus, qui vont se défendre et démentir. Je plains les victimes qui n’arrivent pas à parler, mais il ne faut pas les culpabiliser. Ce sont des vies brisées, avec des souffrances qui dépendent de la gravité des actes.

« Le sport doit montrer patte blanche »

En France, des évolutions récentes ont eu lieu. Favorisent-elles une parole libérée ?

Il faut être capable d’en parler avec ses enfants tout en sachant, et c’est tragique, que s’ils se passent quelque chose, ils ne le diront pas.

Aujourd’hui, c’est très désagréable d’aller demander à un président de club s’il a vérifié les casiers judiciaires des personnes qui vont encadrer son enfant.

Ce n’est pas aux parents d’affronter ces questions, mais aux clubs d’y répondre. Le sport doit montrer patte blanche. Le problème, c’est que les clubs ne le font pas car ils ont peur d’être ostracisés.

Vous croyez à des changements durables ?

Le fond des questions, c’est le respect de l’athlète. Il fait du sport pour lui, pas pour les autres. Il doit donc être au centre des politiques. Ça sera long et difficile de changer le fonctionnement des fédérations, tant les mécanismes sont profondément ancrés.

La course aux médailles et au profit crée les conditions pour taire ces affaires.

Mais je suis optimiste quand je vois ce qu’il se passe dans le reste de la société. C’est une pression et une lutte qu’il faut maintenir car les gens qui organisent le sport sont issus d’un système qui date de 40 ans.

Votre enquête évoque aussi la relation amoureuse de Roxana Maracineanu avec son entraîneur, lorsqu’elle était à Mulhouse. Pensez-vous que la ministre est la plus à même pour impulser des changements dans la relation de pouvoir entre l’entraîneur et l’entraîné ?

Je ne doute pas une seconde de sa compassion absolue pour les victimes, ni qu’elle fasse tout ce qui est en son pouvoir pour faire bouger des fédérations très puissantes et lentes à réagir.

Mais dans cette relation avec son entraîneur, qu’elle présente finalement comme l’exception qui confirme la règle si l’on peut dire, comment comprendre qu’elle ne voit pas qu’elle recèle des éléments communs à des milliers d’histoires qui ont mal tourné ?

Roxana Maracineanu est arrivée de Roumanie en France à 9 ans, sans grandes ressources, parlant à peine français, ses parents la poussaient à la réussite sportive depuis toute petite et l’entraîneur à qui ils l’ont confiée très jeune a raconté l’avoir aidée matériellement en dehors du sport.

Cet homme issu de la famille peut-être la plus puissante de la natation française avait sa carrière et une bonne partie de sa vie entre ses mains !

Je m’attendais à ce que la ministre, qui connaît ces questions par cœur désormais, reconnaisse que ces éléments étaient des facteurs de risque. Elle ne se déconsidérerait pas en tant que ministre à en parler publiquement, ne serait-ce que pour expliquer comment elle a su gérer cet énorme déséquilibre entre entraîneur et entraîné, un déséquilibre source de tant d’abus…

(1) « L’entraîneur et l’enfant », par Pierre-Emmanuel Luneau-Daurignac. Éditions du Seuil, 325 p. 19 €.

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