Canada | Affaire Incestueuse : Où était la DPJ ?
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 28/02/2016
- 00:00
Catégories :
Mots clés :
Ça ne se passe pas dans le fond d’un rang ou au creux de la forêt. Ça se déroule en pleine ville. Dans une famille bien connue de la DPJ. Un homme viole sa belle-fille adolescente, lui fait cinq enfants et personne ne se rend compte de rien.
L’homme en question a reconnu mardi au palais de justice de Chicoutimi avoir agressé sexuellement la fille de sa conjointe de 1993 à 2013. Donc de l’âge de 14 à 35 ans environ.
À 17 ans, l’adolescente a accouché d’un premier enfant de son beau-père. Elle en a eu quatre autres. Tous ont été placés en jeune âge par la Direction de la protection de la jeunesse.
Premier étonnement dans cette incroyable affaire : comment expliquer que la DPJ – ni personne – n’ait rien vu ? Puisque les dossiers des enfants étaient connus, quelqu’un a bien dû réaliser que le premier enfant était né du beau-père et de l’adolescente.
Si elle n’était pas majeure à l’accouchement… elle a eu au moins une relation sexuelle en tant que mineure avec son beau-père, donc en position d’autorité…
De quoi poser quelques questions, non ?
L’avocat de cet homme, Jean-Marc Fradette, me dit pourtant que l’identité du père était connue à la naissance des enfants. Ces enfants allaient à l’école, étaient suivis par des travailleurs sociaux…
Ce n’est finalement que quand l’un des enfants s’est plaint d’avoir été frappé par son père que la police a enquêté plus en profondeur.
Et qu’on a découvert en 2013 ce qui, pourtant, était une évidence : cette jeune mère avait subi de multiples agressions physiques et sexuelles.
Une évidence… biologique, même, si quelqu’un a compris qu’elle était la belle-fille.
Deuxièmement : comment se fait-il que la mère de la victime ne soit pas accusée ?
La femme a admis avoir eu connaissance des agressions sexuelles.
Plus : elle avoue même y avoir participé.
« Je m’interroge », admet Me Fradette. Le ministère public s’est dit dans l’impossibilité de l’accuser, mais ne s’en est pas expliqué devant la cour.
D’autres laissent entendre que son quotient intellectuel rend toute accusation illusoire – ce avec quoi l’avocat de l’accusé n’est pas du tout d’accord.
Le ministère public a une discrétion et choisit souvent de ne pas accuser dans des affaires semblables. Même si la mère a manqué à son obligation légale de protéger ses enfants – ce qui revient en pareil cas à de la négligence criminelle.
Manque de preuves, situation familiale pathétique, enfants à protéger, entente pour obtenir la collaboration de la mère à témoigner contre le père : il y a toutes sortes de considérations quand vient le temps de décider d’accuser ou non.
Mais ici ? Rien de tout ça ne saute aux yeux. Les enfants sont tous placés, la poursuite n’a pas besoin de son témoignage : l’accusé a tout avoué… et elle aussi. Il a plaidé coupable, il n’y aura donc pas de procès. L’homme et la femme sont toujours des conjoints, soit dit en passant.
Je conçois bien qu’en dessous d’un certain seuil, un accusé souffrant d’un retard mental ne soit pas apte à être jugé. Mais on a fixé ce seuil très bas, pour que ça ne puisse pas servir pas de prétexte.
Pour qu’un faible quotient intellectuel soit considéré comme un « trouble mental » et permette d’échapper à la responsabilité criminelle, il faut que l’accusé soit incapable de communiquer avec son avocat ou avec qui que ce soit, qu’il ne comprenne absolument pas ce qui lui arrive – généralement un quotient intellectuel de 50 ou moins.
En attendant d’avoir des explications convaincantes, ça fait désordre.
On envoie un étrange message de laisser-faire devant ce qui est bien pire que l’aveuglement classique des cas d’inceste : une participation active, criminelle, avouée.
Si c’est un cas psychiatrique, qu’on invite les psychiatres à s’en occuper. Mais la justice a une obligation ici de tracer une ligne claire dans le public. Quitte à ce que la cour éventuellement déclare un non-lieu ou inflige une peine symbolique.
Pour ce qui est des gens censés protéger les enfants, eux portent en ce moment le fardeau de nous expliquer pourquoi ils n’ont rien fait pendant toutes ces années, vu qu’ils devaient « savoir ».
Ou alors, comment expliquer qu’ils n’aient pas su.
Cinq enfants maltraités, identifiés, placés… et personne n’a compris ce qui s’était passé ?
Ça n’a aucun sens.
Par Yves Boisvert
Source: La Presse
Source(s):