Un prêtre pédophile : «Je me suis soigné, mais je ne suis pas guéri»

Jacques*, curé condamné, réduit à l’état laïque, se confie, en exclusivité pour le journal Le Parisien.

Il répète que « le travail sur soi est difficile ». « Je me méfie toujours de moi-même. Je me suis soigné, oui, mais je ne suis pas guéri. Parce qu’on ne guérit pas de la pédophilie. Il faudra que je vive avec, comme je le fais depuis ma petite enfance », confie Jacques*, sans dévoiler « les origines » de cette « maladie », encore « confuses » dans son esprit.

Après des échanges par mail, il a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat et de nous rencontrer pour évoquer sa « reconstruction », montrer qu’il est « plus que ses actes condamnables » et sa « part sombre ».

Il y a quelques années, ce curé de province alors très populaire a été condamné pour attouchements sexuels sur mineurs. Une peine de prison avec sursis et obligation de soins.
Rome l’a ensuite réduit à l’état laïque. Jacques n’est donc plus prêtre. Après quelques mois à toucher le RSA, ce sexagénaire, toujours logé par le diocèse, est aujourd’hui salarié d’une association caritative. S’il ne peut plus dire la messe, il a conservé « quelques activités pastorales » qui le « nourrissent spirituellement ».

Il officie en dehors de toute paroisse. « Je suis aux périphéries de l’Eglise. Je participe à des groupes d’études de la Bible. Je fais de l’accompagnement personnel, je reste une oreille pour certains fidèles », décrit-il. Il se rend parfois à la messe, là où il n’est pas connu. « On peut être en faute et toujours aimé de Dieu, et aussi l’aimer. Ce n’est pas parce que je suis coupable que je ne suis plus humain », défend-il.

Il a vécu « la révélation des faits », les plaintes, comme « une libération ». « Cela m’a aidé à prendre conscience de ma maladie », insiste-t-il. Pendant plusieurs décennies, il n’avait pas réussi à mettre un mot — pédophilie — sur ses attirances. « J’éprouvais un mal-être. A l’époque du séminaire, j’avais consulté un spécialiste, mais il n’est pas parvenu à l’identifier », se souvient-il. Une fois ordonné, il n’a « pas pu, pas su » évoquer ses déviances à son conseiller spirituel.

« J’avais fait ma propre prévention en décidant de ne plus assurer le catéchisme », explique-t-il. Puis il y a eu les passages à l’acte. « Sur le coup, j’ai conscience que c’est mal, mais aussi que c’est passager, fugitif, comme quelque chose qui m’échappe. Je ne me dis pas que je peux tout perdre. Vous savez, on ne fait pas ça de gaieté de cœur, personne ne peut imaginer à quel point j’étais en lutte avec moi-même », répète-t-il.

«Quand l’Eglise dit “Dehors !” c’est pour sauver la face»

 

Avant d’être mis en examen, il avait commencé à « en parler » à un psychiatre. Le même qu’il a consulté durant des mois dans le cadre de sa mise à l’épreuve.

Même s’il reconnaît qu’il a été « un délinquant », il semble minimiser la gravité et les blessures à vie provoquées, évoquant « une rupture de la distance générationnelle », « un raté ». Il met sur un pied d’égalité la douleur de ses anciennes proies et la sienne, celle du bourreau. « La pédophilie nous a détruits, elles comme moi », constate-t-il. Il aimerait savoir ce que deviennent les innocents qu’il a abusés. « Mais les proches des victimes m’ont demandé de ne pas les contacter. J’espère que leur vie n’est pas brisée. » Il a « conscience d’avoir donné une image négative de l’Eglise ». « Mais l’Eglise n’est pas le refuge des gens biens, c’est le rassemblement des pécheurs », observe l’ancien curé. Il trouve « injuste » la sanction du Vatican, faisant valoir que des confrères plus lourdement condamnés ont conservé leur statut.

« J’ai perdu mon identité. Quand l’Eglise dit Dehors ! c’est pour sauver la face, pour répondre à la pression sociale et médiatique », lâche-t-il, soudain offensif, tout en constatant qu’elle « a pris ces derniers mois à bras-le-corps le fléau de la pédophilie ». Pour éviter que de nouveaux scandales ternissent le clergé, il suggère la création de lieux pour pouvoir parler. « Les quelques fois où j’ai tenté de le faire, je n’ai pas eu de retour. »

Il estime avoir eu beaucoup de chance de ne pas sombrer. Sa famille l’a soutenu. « Je ne suis pas un homme seul. J’ai toujours le même réseau de relations, sauf avec l’institution. Je n’ai jamais eu de courriers haineux, assure-t-il. Ce qui m’a sauvé, ce sont mes paroissiens. Aucun, à ma connaissance, ne m’a tourné le dos. Après le procès canonique, ils ont fait le siège du diocèse pour qu’on ne me lâche pas et qu’on me trouve une solution. »

Vincent Mongaillard

* Le prénom a été changé.

 

Source : Le Parisien

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