Gravelines | Le spectre de l’affaire Outreau

Moins de trois ans après l’affaire Outreau, une affaire très similaire éclate à Gravelines. Mais avec ce sulfureux précédent, quel crédit accorder à la parole des enfants ?

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Les faits ont été révélés en 2008, mais l’affaire a été jugée ce lundi par le tribunal de Dunkerque.

Les faits :

Septembre 2005 : Les services sociaux signalent pour la première fois une suspicion de maltraitance au sein d’une famille gravelinoise. Mais celle-ci, « très fuyante », ne coopère pas.

2007 : La protection de l’enfance est alertée sur le cas du fils aîné, mais l’évaluation ne diagnostique pas de danger.

15 décembre 2008 : Le CHD signale au parquet de Dunkerque des soupçons de maltraitance sur l’aîné (bleus, contusions et une fissure anale).

19 décembre 2008 : Le parquet place quatre des enfants dans une famille d’accueil. Le père, la mère, l’oncle, la tante, le parrain sont accusés de viol aggravé. Le père est emprisonné préventivement en mai 2010.

Septembre 2011 : La cour d’appel de Douai juge illégales une partie des garde à vue et de l’enquête préliminaire, au cours de laquelle les suspects avaient avoué les faits sous la pression. Le père est remis en liberté sous contrôle judiciaire.

27 juin 2016 : Les cinq prévenus comparaissent devant le tribunal correctionnel pour violences, atteintes sexuelles et/ou corruption de mineurs.

« Ils s’amusaient à nous jeter contre les murs »

Des mots simples et terribles car enfantins agitent le tribunal de Dunkerque. Un gamin – quatre ans au moment des faits – raconte avoir

« fait le zizi avec papa »

Un autre décrit le prix à payer pour obtenir une pomme, selon les curieuses règles d’un jeu sexuel familial.

Et les punitions, à genoux sur un manche à balai, deux boîtes de conserve dans les mains. Si l’un d’eux avait le malheur de s‘endormir pendant qu’il était au coin, il était réveillé par une taloche monumentale.

« Les grands s’amusaient à nous jeter contre les murs. »

Enfance volée

On est dans l’épouvantable, le sordide au dernier degré, et même les estomacs bien accrochés des magistrats sont mis à rude épreuve. Sur le banc des prévenus, il y a le père, laconique et maladroit quand on en vient à l’éducation qu’il prodiguait à sa progéniture :

« Il est arrivé que je le pousse dans un fauteuil, il se faisait mal, mais c‘était pour jouer ! »

Explique t-il benoîtement. La mère, elle, est la plus acharnée à nier :

« C’est rien que des conneries! »

siffle t-elle en coulant un long regard hostile à l’avocat de ses propres enfants. Elle admet très difficilement certaines punitions, mais explique

 « qu’il n‘y a que comme ça qu[’elle] les calmai[t] ».

Sous la pression, elle aussi commet quelques impairs, comme quand elle reconnaît avoir donné des fessées.

« Mais je ne laissais pas de traces. »

L’oncle, lui, est le mieux disposé à répondre aux questions des juges. La punition du balai et des conserves, il est le seul à l’assumer, expliquant qu’il subissait lui-même ce châtiment dans sa jeunesse et que c’était le moyen le plus sûr d’occuper les mains de ces gosses turbulents.

La tante, qui après avoir accusé sa sœur et son beau-frère au cours de la longue enquête, s’est désormais ravisée et consacre son audition à les couvrir, plutôt maladroitement. Ces quatre-là sont prévenus d’agressions sexuelles, de violences habituelles et de corruption de mineurs sur quatre enfants, entre décembre 2007 et décembre 2008 à Gravelines. Le dernier, un grand échalas endormi, n‘est poursuivi que pour la corruptions de mineurs…

Alerte au CHD

Tout a commencé par une alerte du CHD, qui constate en 2008 des blessures révélatrices de mauvais traitement sur le fils aîné. À l’école, les enseignants avaient remarqué un certain absentéisme de ces enfants, mais personne n‘avait vu les violences. Sitôt placés en famille d’accueil, les enfants parlent de ce qu’ils ont vu et vécu.

C‘est là-dessus que s’appuient les avocats des parties civiles, dénonçant

« l‘absence totale de remise en cause des prévenus, leurs demi-aveux, leur absence abyssale d‘empathie».

L‘avocat des enfants raconte les dégâts sur ses jeunes clients

« violents, déviants, hyper-sexués pour leur âge».

La représentante du parquet estime aussi que le témoignage, voire le seul comportement de ces gosses brisés, suffit à établir la culpabilité des prévenus :

« Ces cinq personnes devaient être des repères de confiance pour ces enfants. Or, ils ont brouillé tous leurs repères… »

Et alors que des aveux se font toujours attendre, elle assène :

« Tout le monde plane. Tous ces éléments ne sont pas vrais, pour eux ? »

Et de réclamer de lourdes peines, surtout pour le père,

« à la hauteur des actes cruels et odieux dont il s‘est rendu coupable. »

Défense en nuances… et en vain

« Ce dossier n’est pas si simple, sinon, il n’aurait pas pris huit années d’instruction ! »

S’exclame Me Cortier, un des avocats de la défense. Vu la gravité des faits, chacun des avocats préfère nuancer les accusations plutôt que de les rejeter en bloc. Me Rey Quesnel donne l’exemple :

« Oui, ce sont des gens frustres qui ont reproduit sur leurs enfants les violences qu’ils subissaient. Moi, chez les sœurs, on nous obligeait à poser nos genoux sur le rebord d’une estrade, ce sont des punitions d’une autre époque… »

Mais puisque l’enquête repose surtout sur les confidences des victimes auprès de leurs familles d’accueil, c’est à la crédibilité de ces dernières que les avocats s’attaquent :

« Quand la PJ est défaillante, on se reporte aux assistantes maternelles et leurs petits carnets ? »

Demande Me Perot. Me Rey Quesnel ne dit pas que les enfants mentent sciemment, ce qui serait du plus mauvais effet vu ce qu’ils ont subi… Juste que leurs récits ont pu être « enjolivés ou améliorés par leurs nourrices, leur famille d’accueil et leurs proches ! » Sur les bancs du public, les assistantes maternelles ont un ricanement de dérision, l’air écœurées…

Trois mandats de dépôt

Le tribunal semble partager ce sentiment à l’égard des prévenus. Il va même plus loin que les peines requises par le parquet : le père écope de quatre ans de prison ferme avec mandats de dépôt. Sa femme et la tante écopent de deux ans ferme avec mandat de dépôt également.

Seuls l’oncle et le parrain échappent à l’incarcération immédiate, avec deux ans pour le parrain et six mois ferme pour l’oncle. Tous doivent respecter un suivi socio-judiciaire et sont inscrits au fichier des auteurs de délits sexuels. Et même si leurs enfants leur ont été retirés depuis près d’une décennie, le père et la mère se voient retirer leur autorité parentale. Les quatre enfants reçoivent des sommes totales allant de 2 000 à près de 10 000 euros pour leur préjudice.

Source : http://m.lepharedunkerquois.fr

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