Témoignage | Naomi, 11 ans : J’ai été violée par mon frère, à plusieurs reprises

Naomi a subi des agressions sexuelles à répétition par un ami de son frère d’abord, puis par son frère lui-même. Des années après, elle a réglé l’histoire au niveau familial, mais reste en colère contre son premier agresseur.

 

Des histoires d’agressions sexuelles dans l’enfance, ça peut se produire entre camarades de classe. Entre co-équipièr•es d’activités sportives. Entre copains et copines.

Mais ça peut aussi se produire entre cousin•es, frères et sœurs, au sein d’une famille en somme.

L’histoire de Naomi* recouvre plusieurs de ces cas de figures. Sa première agression remonte à ses 7 ans.

Un climat malsain installé par l’agresseur

Sa mère venait d’engager une nouvelle nounou pour les garder, elle et ses frères.

« Cette dame avait un fils, Alan*, qui avait environ 3 ans de plus que moi.

Ma mère trouvait ça injuste de demander à la nounou de faire garder son fils pendant qu’elle nous gardait, elle l’a donc autorisée à garder son fils avec nous à la maison. »

Plus vieux, cet enfant en profitait pour faire la loi, selon Naomi. Sans se souvenir du moment précis où tout a commencé, un événement a auguré de la suite.

« Je me rappelle d’Alan nous racontant à mon grand frère et moi qu’il avait vu un film porno, détaillant les choses et les scènes.

Jusqu’ici, rien de nouveau pour mon frère et moi, mes parents ne nous avaient jamais menti sur la sexualité et on savait ce qu’était faire l’amour. »

Le problème, c’est que cela ne s’est pas limité à quelques conversations.

« Au fur et à mesure des semaines, Alan a commencé à vouloir « jouer ».

Il m’a demandé de me mettre nue, pour qu’il puisse venir se frotter à moi. J’ai refusé. Il a ensuite tout fait pour que sa mère me punisse, allant raconter des mensonges sur mon frère et moi. »

On peut commencer à identifier ici ce que Laure Salmona, coordinatrice de l’enquête Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte commandée par l’association Mémoire Traumatique, qualifie de stratégie de l’agresseur :

« Le présenter comme un jeu ça permet d’amener la victime à un consentement contraint. Ça permet de minimiser la gravité des faits. »

C’est un mécanisme qu’elle m’avait déjà expliqué à propos du le premier témoignage publié, J’ai été agressée sexuellement tous les soirs à l’école pendant 6 ans.

La première agression de Naomi

Naomi raconte que les semaines passant, Alan s’est montré de plus en plus agressif.

« Il a recommencé à insister pour « jouer aux adultes », m’a menacée d’une fourchette (il me griffait le dos pour que je cède), et a enfin eu ce qu’il désirait.

J’ai 7 ans, je suis nue, couchée sur la moquette, et je regarde Alan enlever son slip et venir se frotter contre moi.

On pourrait croire que cela lui a suffi, mais non. Plusieurs jours après, j’ai droit au même scénario, sauf qu’en plus cette fois, il demande à mon frère ainé de faire semblant de filmer avec une caméra en plastique.

Je ne sais pas combien de fois ni combien de temps cela a duré, mais cette image de « tournage » reste gravée dans ma tête. »

Le porno, un facteur de risque pour commettre une agression ?

Ce qui m’a interloquée, à la lecture de ce témoignage, et de beaucoup d’autres, c’est que régulièrement, le lien était fait avec la pornographie. Passages choisis :

« Avec son copain, ils ont trouvé des images et des films pornographiques, qu’il m’a montrées aussi. […] Un jour, mes parents ont trouvé le CD où il y avait les images pornos, et il a arrêté. »

« Il avait vu ça dans une cassette porno que son père avait laissé traîner. »

« J’ai su par la suite en grandissant que ce garçon était tombé sur des films pornographiques (c’est sûrement de là que viennent ces gestes). »

Le porno serait-il un facteur contribuant à pousser un enfant à passer à l’acte ?Pour beaucoup des expertes interrogées, cela peut y contribuer. Catherine Brault, avocate de l’antenne des mineurs du Barreau de Paris, témoigne :

« Souvent les auteurs mineurs de violences sexuelles ont été exposés à des situations particulières : pornographie, comportements de leurs parents qui font l’amour devant eux… »

On parle ici d’enfants qui ont un véritable comportement d’agresseur, comme identifié par exemple dans le cas d’Alan ou de Louis dans le témoignage d’Axelle.

Pour Sonia Lebreuilly, socio-sexologue et éducatrice en santé sexuelle, c’est probablement le signe d’une exposition à une sexualité d’adulte :

« Des enfants qui commettent ça, c’est qu’ils reproduisent sur un copain et une copine ce qu’ils ont vu et subi avant, donc il faut se poser la question de ce dont ils ont été victimes avant.

Ça veut dire qu’on les a exposé•es à une sexualité d’adulte, que c’est mêlé dans leur tête. Ça va heurter leur développement car ils n’ont pas les clés pour comprendre de quoi il s’agit. »

Emmanuelle Piet, présidente du Collectif Féministe contre le viol, tempère cependant l’influence du porno :

« J’ai étudié 119 agresseurs mineurs. 90% étaient maltraités grave, 30% avaient été agressés sexuellement, 60% avaient vu Papa taper Maman… Tous avaient subi quelque chose à un moment ou à un autre.

Pour devenir agresseur, le porno ne suffit pas, il faut avoir vécu un truc en vrai. »

Le problème de l’inceste

Pour Naomi, cet épisode de sa vie n’est pas le seul à être marqué du sceau de l’agression sexuelle.

« Trois ans plus tard, mon frère aîné a commencé à me tourner autour et à me proposer ce type de jeux. Si bien qu’il a fini par abuser de moi à plusieurs reprises : cuni, fellation, sodomie. »

Ce qui pose, cette fois, la question des agressions sexuelles d’un « type » particulier, puisqu’il s’agit alors d’inceste.

J’ai pu échanger avec Isabelle Aubry, la fondatrice de l’Association Internationale des Victimes de l’Inceste (AIVI), qui m’explique qu’en termes d’incestes, statistiquement, le frère est le 2ème agresseur derrière le père.

Mais il est compliqué d’aller plus loin, à l’échelle de la France en tout cas, car « il n’y a aucune recherche sur le sujet ».

Même les organismes traitant spécifiquement de la question de l’inceste abordent assez peu les agressions qui ont lieu au sein de la fratrie, comparé à celles qui sont le fait d’un adulte.

Pourtant, c’est un phénomène bien réel et répandu, à en juger par les témoignages que j’ai reçus, ainsi que ceux compilés par l’AIVI sur son site :

« On est à 181 témoignages pour des agressions frères/sœurs, 8 pour des agressions sœurs/sœurs, et 24 pour des agressions sœurs/frères sur le site de l’AIVI. »

Dans le cas de Naomi, seule la famille est au courant :

« Aujourd’hui, l’histoire est réglée au niveau familial, mais j’ai toujours la gorge serrée quand je pense à Alan, j’ai toujours envie de lui faire du mal comme il a pu m’en faire.

D’autant que l’on a appris par la suite qu’il avait aussi agressé mon plus petit frère. […]

Je me considère comme une survivante du viol, j’ai mis des années à remonter la pente, à reprendre confiance en mon corps, en les gens (même ceux qui doivent nous protéger). »

Mais si Naomi a pu en parler au sein de sa famille, il est souvent très difficile pour l’enfant de prendre la parole, m’explique Isabelle Aubry, de l’AIVI :

« L’enfant sent lui-même, lorsqu’il révèle cette agression, que la famille risque d’exploser. Il est capable de revenir sur ce qu’il a dit et de se taire pour ne pas faire exploser la famille, de ne révéler les faits que très tard…

C’est ce qui ressort de milliers de témoignages sur le site de l’association. »

Comment faire intervenir la justice ?

Le cas de l’inceste entre frère et sœur pose selon plusieurs expertes un problème particulier.

Résoudre le problème au sein de la cellule familiale n’est pas toujours la meilleure solution, pour Catherine Brault, avocate de l’antenne des mineurs du Barreau de Paris :

« J’aurai tendance à dire que de le régler en famille ce n’est pas une bonne idée, je pense que la réponse judiciaire c’est important.

En plus, pour les mineurs, l’inscription sur les fichiers n’est pas automatique, il faut qu’elle soit ordonnée par le juge. »

Cependant elle ajoute à cela quelques réserves :

« J’ai des cas d’incestes. La plupart du temps, ce sont les garçons qui restent au sein de la famille et les filles qui partent en placement.

Généralement, la famille prend parti pour le garçon, c’est donc une double sanction pour elles. »

Ce fait est corroboré par Emmanuelle Piet, du Collectif féministe contre le viol :

« Le cas du frère c’est une catastrophe, car la famille choisit le frère et le juge aussi.

J’ai suivi une jeune fille, elle avait été violée par son frère et c’est elle qui a été placée en famille d’accueil. Quand elle revenait le week-end, il était là. Ça avait dû commencer quand elle avait 7-8 ans… »

Ici comme dans beaucoup d’autres cas, la culture du viol fait donc sa loi. Et la meilleure façon de mettre fin à son règne, ne serait-ce pas… d’éduquer ?

Ce témoignage est extrait des plus de 70 textes que nous avions reçus, après avoir lancé un appel à témoins, le 26 juillet 2017.

*Les prénoms ont été modifiés

Source : Madmoizelle

 

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