Suisse | “Ces abus sexuels ont été mon 11 septembre”

L’ancien directeur d’internat du Collège Beau Soleil de Villars-sur-Ollon (VD) sera jugé aujourd’hui à Vevey. David, la victime qui a eu le courage de le dénoncer, témoigne.

C’est un long chemin de croix que David, architecte de 28 ans, binational suisse et britannique, a dû traverser pour se présenter ce matin devant le Tribunal de l’Est vaudois, à Vevey. Son agresseur y sera jugé pour actes sexuels avec des enfants et contraintes sexuelles. Image: Jean-Guy Python

«Ces abus sexuels que m’a imposés Mister Luc* alors que j’avais 15 ans ont été mon 11 septembre. Ils sont venus d’un homme que je respectais, aimais et craignais comme un père. Et ils m’ont dévasté. Avoir finalement réussi à m’extirper de la honte et de la colère en parlant puis en faisant traduire mon agresseur en justice m’a aidé à me reconstruire. J’aimerais que mon histoire puisse aider d’autres victimes à sortir du silence.»

C’est un long chemin de croix que David, architecte de 28 ans, binational suisse et britannique, a dû traverser pour se présenter sereinement ce matin devant le Tribunal de l’Est vaudois, à Vevey. Son agresseur y sera jugé pour actes sexuels avec des enfants et contraintes sexuelles.

D’après l’acte d’accusation, en 2003-2004, alors qu’il était scolarisé au collège international huppé Beau Soleil de Villars-sur-Ollon, David a été victime à deux reprises d’attouchements sexuels de la part de ce prof d’histoire canadien de 57 ans qui était à l’époque le très craint et respecté chef d’internat. David et un autre élève ont porté plainte contre lui en septembre 2014. L’enquête a permis de trouver trois autres victimes. David est convaincu qu’il y en a au moins cinq autres.

Un Dr Jekyll et Mister Hyde

Mister Luc a fait valoir son droit au silence tout au long de la procédure. «Suite à ma plainte, je lui avais demandé des excuses. Il ne m’a jamais répondu. J’y vois le signe que je lui ai restitué la honte qu’il m’avait forcé à porter à l’époque.»

Ce personnage charismatique et manipulateur, tour à tour autoritaire et séducteur, avait un groupe de chouchous.

Le soir venu, au mépris des règles rigides qu’il faisait respecter aveuglément le jour, il leur mettait de l’alcool à disposition dans son appartement. Parfois, il ordonnait aux plus ivres de rester dormir dans sa chambre, prétextant des raisons de sécurité et c’est là qu’il sévissait.

Lors des vacances de Pâques en 2004, suite à une violente bagarre alcoolisée avec deux élèves, Mister Luc est renvoyé du jour au lendemain du collège. David, dont les résultats scolaires s’étaient détériorés depuis ses abus quelques mois auparavant, trouve le courage de parler. Aucun des adultes à qui il s’adresse ne se montre à la hauteur.

«Le directeur, soucieux de la réputation de son école, a minimisé. Une mère d’élève m’a sermonné, une coupe de champagne à la main, sur le mode «ce n’est pas bien de parler de ces choses». Quant à mes parents, ils ont été aussi choqués qu’impuissants et je n’ai pas pu m’appuyer sur eux. Tout cela m’a donné l’impression de ne pas être cru.»

David change d’école et prend le parti de laisser cette histoire derrière lui. «J’étais ainsi totalement en adéquation avec cette pseudo-force de caractère que Luc et le collège mettaient constamment en avant. Aujourd’hui, j’ai compris que la véritable force, c’est de parler et de chercher de l’aide.» Les années passent. David croit «avoir tourné la page en la déchirant».

À l’âge adulte, un mal-être s’installe en lui. «Je me réveillais léthargique, incapable de sortir du lit et ne comprenant pas pourquoi. Parfois, je me mettais à pleurer.» En société, le jeune homme s’efforce de faire bonne figure et tente d’anesthésier son «profond désespoir» dans l’alcool. Ses relations amoureuses en pâtissent.

À l’époque, le sexe dégoûte même un peu David et les filles semblant sensibles à son charme aussi. «Je ne m’aimais pas et, inconsciemment, je me disais qu’elles devaient être nulles pour être attirées par moi.»

Et puis une colère profonde le visite à l’improviste. «Un jour, j’ai détruit une poubelle à coups de pied parce que je venais de louper le bus. Quand une crise d’angoisse m’a empêché de boucler un exposé à l’uni, j’ai décidé de consulter un psy.»

Au fond de son inconscient

À sa grande surprise, dès sa première séance, David exhume le souvenir de Mister Luc. Au fil du temps, le jeune homme comprend à quel point il a été manipulé par son «mentor».

Il prend conscience que sa colère cache de la honte, puis que cette honte cache de la souffrance. Cette souffrance, il n’avait jamais voulu la regarder en face.

Pourtant, elle téléguidait sa vie. Un soir de lecture, David est frappé par cette phrase de l’alpiniste Christophe Profit:

«Le secret dans la vie, c’est de se faire confiance.» «Et j’ai décidé de porter plainte, de confronter les protagonistes de l’époque et de suivre mon intuition qui me disait que c’était la voie à suivre.»

Pour continuer à se reconstruire, David devait être reconnu comme victime. Paradoxalement, cela l’a aidé à ne pas s’enfermer dans ce rôle et à transformer son combat personnel en «une cause» le dépassant.

«Il n’y a qu’une façon pour toi de t’en tirer, c’est en disant la vérité. Dans notre situation, personne ne gagne. Heureusement, ce n’est pas ce que je cherche. Ce que je veux, c’est trouver la paix», écrivait David à Mister Luc en 2014.

Le quinquagénaire ne lui avait jamais répondu. Résidant au Canada, il ne se présentera pas devant ses juges ce matin… Il encourt 10 ans de prison.

Source : lematin.ch

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