Masny | Proxénétisme, une jeune fille de 14 ans revendue de “mac” en “mac”

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“Des hommes s’enrichissent sur le corps d’une enfant”
Proxénétisme. Nous l’appellerons Lola. C’est le pseudo qu’elle utilisait lorsqu’elle se prostituait pour le compte de plusieurs hommes, à l’hiver 2020-2021. Elle avait alors 14 ans. Lola avait sombré dans l’enfer de la prostitution un an auparavant, pour un autre proxénète.

En février 2021, la jeune femme est arrêtée par des policiers hollandais, à Rotterdam, car elle est mineure.

Elle est à bord d’une voiture, dans laquelle se trouve aussi trois jeunes hommes de moins de 30 ans : Ali, Tahir et Kamel (prénoms modifiés).

Les policiers suspectent alors une affaire de prostitution de mineure, mais les trois hommes ne sont pas inquiétés.

A ces trois-là s’en ajoutent deux autres : Manu et Fabien (prénoms modifiés).

Cinq prévenus pour une affaire de proxénétisme, jugée en correctionnelle au tribunal de Valenciennes, mardi 8 août. Une de plus.

Car le mal se déploie avec force, ces derniers mois, dans le Valenciennois. Tous affirmeront qu’ils n’ont rien à voir avec cette histoire. C’est un malentendu, un complot, le hasard, des coïncidences.

Un contexte de trafic de drogue

Tous sauf un, Fabien. Ce dernier va expliquer que son appartement de Masny était devenu le lieu de squat de cette bande de dealers de drogues.

A l’époque, il était fragile psychologiquement, et avait besoin de sa dose de cocaïne.

Ali et Tahir sont en effet connus de la police pour être des trafiquants, couronnés de 17 et 16 mentions sur leurs casiers judiciaires.

Le premier en a même pris pour 8 ans de prison. Une peine qu’il est actuellement en train de purger.

“Je n’avais plus mon mot à dire, je n’étais plus maître chez moi. J’étais un cadavre ambulant“, explique Fabien.

Un cadavre de 42 kilos. Dans ce contexte de trafic et de consommation de drogues surgit Lola. L’appartement de Fabien va alors aussi devenir un lieu de passes, quand les proxénètes de Lola en auront marre des réservations de chambres dans les hôtels Première Classe du secteur, notamment à Rouvignies.

Fabien ne dit rien. On lui donne 30 euros et de la cocaïne. Lola se confie un peu à lui.

Elle aurait d’abord travaillé pour Tahir, qui l’aurait revendue à Ali, avant que lui-même ne la revende à Kamel. Pour finir par travailler “à son compte”.

Des explications fantaisistes

Combien valait la jeune femme : 5 000 ? 8 000 ? 30 000 euros ? Plusieurs sommes sont énoncées, mais on ne sait pas.

Un jour, la mère de Fabien retrouve son fils décharné et reclus dans son appartement. Elle lance l’alerte. Fin de la récré.

Dans la foulée, les protagonistes sont interpellés. Dans ses dépositions, Lola ne mentionne ni Ali, ni Kamel, mais identifie clairement Tahir comme ayant été son mac.

Un mac violent, humiliant et maltraitant.

Pourtant, plusieurs témoins, dont Fabien, et des clients du trafic de stupéfiants, affirment qu’Ali, Kamel et Manu faisaient bien partie du business autour de Lola.

Ils auraient été vus souvent dans les salles de bain des chambres ou sur le parking des hôtels où travaillait la jeune fille.

Leurs téléphones bornaient systématiquement au même endroit que le sien.

Tour à tour, les prévenus se sont dédouanés avec aplomb, se jouant d’un tribunal pas dupe quant à leurs explications fantaisistes.

Kamel dormait à l’hôtel car il faisait la fête avec ses amis…

Des témoignages précis

Tahir ne respectait pas son contrôle judiciaire en cours, donc il dormait à l’hôtel, Manu payait des nuits d’hôtel à Lola par charité et Ali est mêlé à tout ça parce que certains voudraient se venger de lui, à cause de contentieux liés aux stupéfiants.

Tous les quatre osent même affirmer qu’ils connaissaient à peine Lola. Pourtant, dans ses explications, cette dernière est très précise :

Manu était le pigeon de Tahir, dit-elle, mon chauffeur. Il assurait aussi la sécurité.

Au sujet de Tahir :

“C’est lui qui gérait tout“, y compris les gifles, si elle se montrait réticente avec certains clients.

La jeune fille a indiqué qu’elle travaillait H24.

“Ça défilait. J’étais enfermée tout le temps.”

Le mis en cause qualifiera la victime de mythomane, agissant ainsi pour se venger de lui, en amoureuse éconduite. Et d’ajouter cette phrase superbe :

“Je suis un opposant au sexisme. J’ai quand même un certain respect pour la femme“. Un certain.

“Des hommes s’enrichissent sur le corps d’une enfant”

Lola n’était pas présente à l’audience. Pas la force. La jeune femme âgée de 17 ans aujourd’hui entreprend sa lente reconstruction, entrecoupée de tentatives de suicide.

Ça ne sera pas simple, mais elle s’accroche.

“Cette audience va laisser un goût amer, notera son avocat, maître Dubois.

Car aucun n’assume les faits.

” Aucun n’assume de s’être enrichi, jusqu’à s’acheter une voiture, “sur le corps d’une enfant” de 14 ans recevant 10 à 15 clients par jour ! “C’est de l’esclavage. On parle de la vente d’une femme. On est au XXIe siècle, on croit rêver !”

La procureure de la République lâchera le terme : trafic d’être humain. Très en vogue car lucratif et moins risqué que les stups.

Elle prononcera des réquisitions lourdes à l’encontre des prévenus. Des réquisitions qui feront bondir les avocats de la défense, mais qui seront en partie suivies par la présidente du tribunal.

Tous plaideront le manque de preuves objectives et techniques ne permettant pas de condamner leurs clients.

“Vous n’avez pas le don de savoir si une personne ment ou pas, en l’absence de preuves“, dira maître Bensoussan, l’avocat de Tahir, au tribunal.

Des peines lourdes

“Au bout de deux ans d’instruction, je ne sais toujours pas ce que je fais ici, dira, quant à lui, l’avocat de Kamel. Mon client n’est même pas mentionné par la victime.”

Idem pour Ali, victime de son casier judiciaire, selon son avocate.

“Mon client est mis en cause par trois toxicomanes. Il y a beaucoup d’interprétations dans ce dossier. Lorsqu’elles se confient entre elles, les copines de galère ne mentionnent jamais son prénom.”

Quant au “pigeon”, Manu, son avocat, maître Guillominot, indique qu’il ne savait pas que Lola était mineure.

“Il n’a pas le casier judiciaire d’un grand bandit. Seulement deux peines, il y a plus de 20 ans. Cinq ans pour un pigeon, ça fait beaucoup. D’autant qu’il a déjà passé 28 mois en détention provisoire.”

Manu a écopé de trois ans de prison, avec maintien en détention.

La même peine pour Kamel.

Fabien a écopé d’une peine de 18 mois.

Ali a été relaxé entièrement des faits qui lui été reprochés.

Enfin Tahir a été condamné à une peine de 5 ans de prison, avec maintien en détention, et interdiction de paraître dans le Nord pendant 5 ans.

 

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