Les conséquences des violences sexuelles sur les enfants s’impriment jusque dans l’ADN

Les conséquences des violences sexuelles sur les enfants s’impriment jusque dans l’ADN

 

«Si seulement je t’avais écouté et que j’étais resté à la maison, je n’aurais pas subi tout cela.»

C’est ce qu’a dit à son père l’adolescent qui a accusé le prêtre Joseph Moctee d’abus sexuel, rapporté par 5 Plus de ce dimanche 19 juillet.

Il est la victime (présumée), mais il se sent coupable. Le sentiment de culpabilité touche la quasi-totalité des enfants victimes d’abus sexuel…

enfant

Le manque de confiance, le dénigrement, la dévalorisation de soi sont également les principales conséquences psychologiques de l’abus sexuel.

Cette image de soi dégradée entraîne d’autres effets, car elle est à la base des relations sociales : une incapacité à dire non (93 % des victimes d’inceste sont dans cette situation, sondage IPSOS/AIVI en France en 2010), la propension à se mettre dans des situations de danger, une espèce de fatalisme quant à ce qu’il peut nous arriver : «De toute façon, je ne mérite pas le bonheur, je suis trop nul(le)», une justification d’autres comportements violents ou abusifs que l’on peut subir.

 

Les victimes deviennent des proies plus faciles à l’âge adulte (au travail, dans le couple). Leurs repères de protection ayant été ébranlés, elles développent une forme de victimisation, de léthargie, qui les met dans l’impossibilité de sortir de situations difficiles. Les victimes d’abus sexuels sont plus souvent susceptibles d’être à nouveau victimes au cours de leur vie.

 

Des études récentes montrent même que les mauvais traitements subis dans l’enfance peuvent entraîner des changements dans l’ADN. Le traumatisme laisse une trace biologique, qui passe de génération en génération. C’est dire si l’impact est immense.

 

«Me tirer une balle»

Un enfant abusé se sent sale, et cette crasse restera incrustée dans sa chair toute sa vie.

Il pourra en enlever certaines couches, il ne retrouvera jamais sa pureté originelle, disparue sous les mains baladeuses, les regards vicieux, les frottements de corps, les paroles qui rabaissent… Cela peut le pousser jusqu’à l’extrême, le suicide.

«Il y a des jours où j’ai envie de me tirer une balle. Heureusement que j’ai mes enfants», confie Tina, 44 ans, victime d’inceste pendant dix ans.

 

En France, 53 % des victimes d’inceste ont tenté une fois de se suicider (sondage IPSOS) et 31 % à plusieurs reprises.

Le risque de suicide est 12 fois plus élevé chez les personnes victimes d’abus sexuels et physiques durant leur enfance, d’après le Dr Gustavo Turecki.

 

Les conséquences des violences sexuelles commencent dès l’enfance et perdurent à l’âge adulte. Elles portent sur quatre aspects : psychologique, sur la vie sociale, physique, sur la vie sexuelle. Dans tous les cas «toute forme d’abus sexuel engendre de la souffrance», explique Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue et directrice de Pédostop.

 

Sentiment de peur, de honte, de culpabilité et d’abandon

A l’enfance, les conséquences psychologiques sont un sentiment de peur : peur de l’autre, des représailles, de ne pas être cru, d’être rejeté par sa famille, d’être jugé… S’ajoutent la honte et la culpabilité. Car l’agresseur sait parfaitement manipuler l’enfant, lui faire croire que c’est lui qui a séduit. L’enfant se sent coupable de ne pas avoir dit non (mais comment dire non à un adulte qui a de l’emprise sur vous, que vous connaissez et que vous aimez c’est difficile, voire impossible) et d’y trouver – parfois – du plaisir ou d’accepter une gratification.

 

Autre sentiment : la solitude (l’enfant est seul avec son lourd secret, dans un monde tellement différent de celui des enfants «normaux») ; l’abandon (puisque même les adultes censés le protéger lui causent du tort, ne voient rien ou ne le croient pas).

 

L’enfant connaît des troubles du sommeil : comment bien dormir quand on est toujours sur ses gardes, quand on angoisse à l’idée que papa vienne se glisser sous les draps, même si l’on a enfilé un jean, comme le faisait Tina, dans une vaine tentative de se protéger et de le ralentir ? Ou même si l’enfant recommence à faire pipi au lit avec l’espoir d’éloigner l’agresseur, signalant son mal-être. Il fait des cauchemars.

 

Durant la période sur laquelle se déroulent ces violences, l’enfant met en place des «défenses» psychologiques : le déni, il oublie la source de souffrance, ou la minimise ; l’amnésie ; la dissociation, il se déconnecte pour ne plus ressentir d’émotions, son corps ne devient plus qu’un réceptacle vide ; le clivage, il a un double moi ; la sidération, son cerveau disjoncte face à la frayeur et il ne peut plus rien faire, ni réagir, ni bouger, ni s’enfuir, ni crier…

 

Les fugues et actes de violence, des appels au secours

Sur sa vie sociale, cela entraîne un repli sur soi, une chute des résultats scolaires, ou au contraire, un hyper investissement dans les études pour fuir le reste. L’enfant peut développer un comportement agressif ou au contraire être complètement soumis. Il peut se sentir mal en société.

Les fugues, les vols, les actes de violence sont autant d’appels au secours.

 

Physiquement, l’enfant peut saigner au sexe ou à l’anus, développer des maladies à répétition (infections urinaires, des mycoses, maux de ventre…), des maladies sexuellement transmissibles. Le tabagisme, les prises ou pertes de poids anormales, le retard de langage ou de développement, une grande agitation, sont également des conséquences.

 

A l’adolescence, ces conséquences se font plus violentes : tentatives de suicide, troubles du comportement alimentaire (anorexie/boulimie), addictions (alcool, drogue, sexe), conduites à risque, grossesse précoce…

98 % des victimes dépressives

L’état dépressif se retrouve à tout âge. 98 % des victimes ressentent ou ont ressenti la dépression.

 

Chez les adultes aussi on retrouve l’isolement, le repli sur soi, peur des autres. Cela peut entraîner des maladies mentales comme l’agoraphobie, la timidité maladive. Les violences subies enfant engendrent aussi d’autres troubles, comme les troubles bipolaires, le syndrome de stress post-traumatique, la codépendance (ou dépendance relationnelle).

 

Les victimes ont une propension à l’autodestruction : automutilation (plus de la moitié des personnes qui s’automutilent sont des victimes d’abus sexuels), addictions au sexe, aux drogues, à alcool, conduites à risque, problèmes avec la nourriture (anorexie, boulimie, alimentation compulsive – 76 % des victimes d’inceste souffrent ou ont souffert de trouble du comportement alimentaire, contre 9 % des Français).

 

«J’ai toujours eu du mal avec mon poids. Depuis que j’ai parlé de mon inceste, mon poids s’est stabilisé. Ça montre à quel point ça a une influence sur ta vie», raconte Tina. Elle ajoute «heureusement qu’on est à Maurice et pas en Europe, sinon j’aurais pu finir avec une aiguille dans le bras».

 

Une autre victime, qui elle avait témoigné sur la page Facebook de Pédostop, fait une excellente synthèse : «Ma vie est ponctuée de périodes de dépression, d’automutilation, d’insomnies, de phases d’alcoolisme pour m’engourdir, de cures, de tentatives de suicide, de longues hospitalisations, de thérapies, de culpabilité… je suis simplement fatiguée et à bout…»

 

Grossesses précoces, prostitution…

Au niveau des conséquences sur la vie sexuelle, chez l’enfant cela peut être la masturbation compulsive et en public, des comportements sexualisés, des agressions sexuelles sur d’autres enfants, une recherche de stimulation sexuelle, ou bien un refus de se laisser toucher.

 

Au fur et à mesure que l’on grandit, ces conséquences peuvent être encore plus graves, avec de la prostitution. Comment en effet respecter son corps quand il a été exploité durant son enfance ? Quand on a pris l’habitude de n’être plus qu’un objet sexuel ? De se désincarner mentalement ?

 

A l’âge adulte, il devient quasiment impossible d’avoir une sexualité épanouie : soit la victime a un besoin constant de sexe, soit elle éprouve une complète aversion, ou encore elle peut être frigide. C’est d’ailleurs ce dont témoigne une personne sur notre site lexpress.mu, ce 20 juillet : «Moi aussi je suis victime (…). Mais cette psychose a créé de gros problèmes dans ma vie je suis devenue frigide (…)

 

Lorsque vous verrez un enfant au comportement perturbé, un(e) jeune qui se saoule et fugue, une prostituée… ne les jugez pas. Essayez de les comprendre et dites-vous que ces comportements peuvent bien être la conséquence d’abus sexuels…

 

Des questions à se poser adulte :

Si vous sentez que vous auriez pu être victime d’abus sexuel pendant votre enfance, même si vous ne vous en rappelez pas, tentez de répondre aux questions suivantes.
Elles s’appellent «la triade». Elles ont été publiées dans le Bristish Medical Journal du 18 août 2010.

L’analyse des symptômes issus des travaux du Dr Jehel, spécialiste du trauma, et du Dr Levy, médecin statisticien, ont conduit à élaborer ces trois questions. Pour les femmes, si ces trois réponses sont positives, elles ont 91 % de risque d’avoir été victimes d’inceste et 76 % pour les hommes :
1. Souffrez-vous de troubles compulsifs alimentaires ou en avez-vous souffert au cours de votre vie ?
2. Avez-vous régulièrement peur des autres ou peur de dire non, actuellement ou dans le passé ?
3. Avez-vous régulièrement des idées ou des pulsions suicidaires ?

Ces victimes collatérales…

Une victime d’abus sexuels ou d’inceste entraîne souvent dans son sillage de souffrances d’autres personnes. Dans la mesure où l’un des mécanismes de défense que peut mettre en place un enfant abusé est le déni (occasionnant l’amnésie), lorsque le souvenir refait surface, des années après, à l’occasion d’un événement déclencheur, la victime peut être en couple, avoir eu des enfants… et cette révélation peut bouleverser l’équilibre qui préexistait.

 

L’époux d’une victime, actuellement en instance de divorce, témoigne : «Lorsque son père s’est remarié avec une femme qui avait l’âge de mon épouse, c’est là que tout a explosé.» Après plus de 20 ans de mariage, la réapparition de cet abus a eu raison de leur couple. «C’est le conjoint qui en souffre, il est en première ligne, tout juste si on lui reproche pas de vouloir faire pareil à ses enfants, il devient un pseudo prédateur.»

 

Dans ce cas-ci, la place de l’homme, et donc du mari, devient difficile, car il est du même sexe que l’agresseur. Il peut être écarté. «Il y a celles qui veulent s’en sortir et font confiance à des gens diplômés et d’autres qui se disent ne pas avoir besoin de quelqu’un, qui ont un égo très fort, qui vont voir un psy, mais comme le psy ne dit pas ce qui les arrange elles le quittent… comme elles quittent le mari», s’attriste cet époux.

 

Il faut pouvoir demander de l’aide pour devenir une ex-victime. Nous y reviendrons dans notre prochain article, sur la reconstruction.

 

Source : http://www.lexpress.mu

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