Japon | La prostitution des jeunes garçons japonais dont on ne parle jamais (vidéo)

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Boys for sale
photo d'un jeune garçon de type asiatique de dos
Immersion dans le monde des Urisen, ces jeunes japonais prostitués à des clients beaucoup plus âges.
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Lorsqu’on étudie le monde de la prostitution au Japon, on se focalise généralement sur la prostitution féminine dans les bars à hôtesses, les salons de massages ou les soaplands… Normal, c’est la plus visible ! Poulpy y avait d’ailleurs consacré un article. Nous avons aussi pointé le phénomène Joshi Kosei Busines, soit l’exploitation sexuelle organisée de jeunes lycéennes sous couvert de « tenir compagnie en tout bien tout honneur » à un client.

Pourtant il existe une autre forme de prostitution dont on ne parle pas, celle où des jeunes hommes vendent leurs corps à des clients souvent bien plus âgés qu’eux. Le documentaire « Boys for Sale » (2017) jette une lumière crue sur cette réalité qui frappe le Japon.

Trois années de production dont deux en immersion à Shinjuku 2-chome, le quartier gay de Tokyo, ont été nécessaires aux producteurs Ian Thomas Ash et Adrian Storey pour réaliser « Boys for Sale », un documentaire relatant les conditions de vie et de travail des « urisen ». Les quoi ?

Ce nom est donné aux jeunes hommes se prostituant dans des bars à l’apparence et au fonctionnement similaires à ceux des bars à hôtes, la prostitution en plus. Deux années pour se faire des contacts acceptant leur projet, gagner la confiance de dix jeunes hommes prostitués qui ont donné leur accord pour être interviewés en leur assurant de protéger leur identité.

Le quartier où ils ont enquêté compte 800 établissements et emploierait environ 1000 prostitués. Au final, il ressort de « Boys for Sale » des témoignages d’expériences personnelles poignantes, le fonctionnement caché de l’industrie du sexe masculin mais aussi la mise en lumière de la condition de l’homosexualité masculine qui se doit de rester cachée au Japon (ce qui alimente paradoxalement le milieu).

La vie d’un Urisen

La survie économique est évidemment le moteur qui pousse de jeunes hommes en situation de précarité et d’isolement à se prostituer : certains aident leur famille, de nombreux autres ont tout perdu suite au tsunami de 2011, d’autres encore n’ont pas le profile pour entrer dans le moule hyper-cadré de la société nipponne.

Et pourtant, contrairement aux jeunes hommes travaillant dans les bars à hôtes, ils ne retirent pas un revenu très important de cette prostitution. Ils sont payés en moyenne 7 000 yen de l’heure (environs 56 euros) avec des horaires de travail compris entre 16h et minuit (voir 2h du matin), tous les jours de la semaine, avec, selon l’enquête, seulement trois jours de repos par mois.

Et la moitié de leurs revenus mensuels (entre 200 000 et 1 million de yen, soit entre 1 607 et 8 035 euros) revient au bar où ils travaillent. Leurs clients sont souvent âgés, 80 ans ou plus, alors que les urisen n’ont rarement plus de 26 ans. Ils ont même souvent moins de vingt ans, l’âge de la majorité au Japon, mais ce fait ne semble choquer personne, ni concernant les filles d’ailleurs.

 

Dortoir pour Urisen

La perspective de l’argent gagné aide l’esprit à motiver le corps pour avoir une érection sans désir, sur demande. En témoignent leurs propres paroles crues, livrées à la caméra :

« L’argent aide à vous rendre dur »

Ou quand un jeune homme qui n’a pas encore 20 ans déclare :

« Je ne veux pas vivre longtemps »

Une phrase qui semble trahir un désenchantement et une vision profondément pessimiste de l’existence. Les témoignages ont été recueillis discrètement dans les petites pièces dédiées aux relations sexuelles avec les clients dans plusieurs bars à urisen. Le temps des urisen était précieux et les producteurs ne disposaient que d’une heure pour réaliser l’interview discrètement, sans se faire entendre de l’extérieur malgré la finesse des murs.

Certains des dix jeunes hommes interviewés ont choisi de parler à visage découvert, d’autres ont préféré dissimuler leur identité derrière un masque. Les producteurs estiment qu’en plus de se cacher, le port du masque a permis à ces garçons de parler plus librement de leur expérience que ce soit les bons moments de camaraderie – les urisen vivent dans le bar pour lequel ils travaillent et dorment ensemble entassés dans un petit dortoir – ou des passages les plus durs comme des actes forcés qu’ils ont pu subir. Le viol fait également partie des risques quotidiens des prostitués.

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Tabou de l’homosexualité et des MST

Si les « urisen » ont des relations sexuelles avec des hommes, il ne faut pas pour autant en conclure qu’ils sont homosexuels. Au contraire, la majorité se définit comme hétérosexuel. Certains ont d’ailleurs des petites amies. Consigne leur est justement donnée par les patrons de bar de faire croire à leurs clients qu’ils sont hétéros. On touche alors à un tabou japonais auquel les bars à urisen ont apporté une réponse.

Dans la société japonaise actuelle, il est pratiquement impossible de vivre librement son homosexualité surtout si l’on est un homme. Un « vrai » Japonais doit se marier, avoir des enfants, subvenir aux besoins de sa famille sans quoi il n’aura pas de crédibilité en société, sera considéré non-fiable dans son travail.

On le comprend rapidement, tout ce qui sort de la norme est rejeté. Les minorités sexuelles ne font pas exception, malgré des avancées remarquées ces dernières années.

Ce genre de relation tarifée apparaît alors comme un triste palliatif à ce quasi-interdit social. C’est ainsi que des japonais, peut-être même mariés, viennent consommer une homosexualité parfois refoulée depuis leur plus jeune âge, sur des hommes qui ont ordre de préserver les apparences. Les apparences sont ainsi sauvées aux yeux d’une société toujours rebutée par l’homosexualité.

Ainsi, on comprend mieux pourquoi alors que la prostitution féminine soit elle aussi interdite au Japon (officiellement dans les salons de massage et soaplands la relation fille-client ne peut aller plus loin qu’une fellation), celle de la prostitution masculine ne l’est pas. Car « elle n’existe pas ».

 

La « carte » des Urisen

Pour les urisen hétéros, ce décalage entre leur sexualité et leur travail peut conduire à une lutte interne pour concilier leur sexualité avec les attentes opposées de leurs clients. Outre des problèmes psychologiques, le tabou de l’homosexualité entraine aussi une méconnaissance des risques de maladie sexuellement transmissibles.

Les producteurs ont ainsi été choqués lorsqu’un urisen leur a demandé si les hommes aussi pouvaient attraper des MST, comme si celles-ci étaient réservées aux relations hétérosexuelles. Une ignorance d’autant plus glaçante que les relations sexuelles ne sont généralement pas protégées selon la volonté du client.

Pourtant les patrons de bars affirment informer leurs recrus sur les risques de maladies alors que plusieurs urisen témoignent du contraire. Aussi des urisen déclarent avoir été trompés sur la nature de leur travail au moment de leur embauche : le patron leur ayant assuré qu’ils devraient simplement tenir compagnie à des hommes ou des femmes…

Qu’importe qui l’on est tenté de croire (encore que), il n’en reste pas moins que la société japonaise accuse un retard certain en matière d’éducation sexuelle. Un manque qui met en danger la vie de nombreux travailleurs du sexe comme les urisen.

 

Conclusion

Que retirer de cette plongée dans la prostitution masculine ? De son coté le producteur Adrian Storey relève le coté obscur et les diversités d’une société japonaise qui se veut lisse et homogène à première vue. Son collègue Ian Thomas, lui, trouve des mots particulièrement justes :

« Il aurait été honteux pour nous de partir en nous disant ‘je suis triste pour eux, quelque chose comme ça ne risque pas de m’arriver’. Je pense que nous avons plus de choses en commun avec ces personnes que de différences. Nous avons beaucoup à apprendre sur ce que signifie être humain et avoir de l’empathie. Et de ne pas juger les gens pour les choix qu’ils ont dû faire. »

 

S. Barret

 

Source : japanization.org

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