Côte d’Azur | Une jeune nigérienne dénonce un réseau de prostitution de mineures

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Le courage d’une ado pour dénoncer un réseau de proxénétisme
Illustration
Une jeune nigériane, n’avait que 14 ans lorsque des proxénètes l’ont contrainte à se prostituer sur la Côte d’Azur. Témoignage.

Elle se présente à la barre avec sa frêle silhouette, ses traits juvéniles et son courage à toute épreuve. Aya (1) vient de fêter ses 22 ans. On n’ose imaginer combien cette jeune femme faisait encore jeune fille, en août 2017, quand elle a déposé plainte contre le réseau qui l’exploitait. Elle avait alors 16 ans. Elle n’en avait que 14 lorsque des proxénètes l’ont contrainte à se prostituer sur la Côte d’Azur.

Le témoignage de cette jeune Nigériane force le respect, mardi, au premier jour du procès à Nice. Aya fut la première à dénoncer cette organisation criminelle. En vain. Sa plainte restera sans suite. Il faudra attendre janvier 2020 pour voir une compatriote briser l’omerta, à son tour. Cette fois, police et justice s’emparent de l’affaire. à la clé, un coup de filet en septembre 2021.

Adolescente, Aya travaille comme aide-ménagère au Nigéria. Son employeuse lui fait miroiter la perspective d’études en France. Un homme lui procure un faux passeport. En 2015, Aya prend l’avion pour l’Italie. Puis un bus pour la Belgique. Puis la route de Cannes. Une “mama” l’y attend.

“Elle m’a informé que trois personnes avaient payé mon voyage, que je n’allais pas reprendre mes études mais que j’allais devoir me prostituer pour rembourser une dette de 60.000 euros.”

“Privée de sa dignité”

Le montant est vertigineux. Glaçant. Aya est contrainte à vendre son corps adolescent. “30 euros la fellation. 50 euros le coït.” Me Yann Prevost, avocat de l’OICEM (Organisation internationale contre l’esclavage moderne), donne la mesure du calvaire vécu par cette ado pour rembourser sa dette exorbitante. Celle qui rêvait d’un avenir meilleur devient alors “un objet de consommation sexuelle pour des inconnus”.

“Sa dignité, on l’en a privée à tout jamais…”

Aya est l’une des deux victimes venues témoigner au procès. “Un témoignage bouleversant”, saluera Me Tina Colombani, partie civile. Aya n’est pas revenue les jours suivants. Sa vie, la vraie, l’attend. Surmontant ses blessures intimes, elle a entrepris, dixit Me Prevost, de “reconstituer sa dignité”. Et de reprendre le chemin de ces études qui l’ont conduite en Europe.

Les “mamas” exploitaient de jeunes Nigérianes à Nice et Cannes… Le procès de la prostitution sordide et de l’esclavagisme moderne

Après trois jours d’audience, le tribunal correctionnel de Nice a infligé jusqu’à six ans de prison à des femmes proxénètes.

On leur avait vendu du rêve. La perspective d’intégrer une école de mode en Italie, un salon de coiffure à Cannes, ou de devenir baby-sitter à Nice. À leur arrivée, la désillusion et l’enfer de la prostitution. Les menaces, la violence, les passes à n’en plus finir, la dette impossible à rembourser. Et un jour, enfin, la justice rendue.

Tard jeudi soir, au terme de trois journées d’audience-marathon, le tribunal correctionnel de Nice a condamné sept prévenus pour “proxénétisme aggravé”, dont quatre pour “traite d’êtres humains”. Il a infligé jusqu’à 6 ans de prison à des proxénètes nigérianes âgées de 30 à 45 ans. De 2017 à 2021, elles ont exploité de jeunes compatriotes sur les trottoirs de Nice et Cannes.

C’est l’une des particularités de cette affaire. Des hommes recrutent de jolies Nigérianes dans la précarité. Mais ce sont des femmes qui tirent les ficelles. Des “mamas”, surnom hypocritement affectueux de ces mères-maquerelles.

Avant de quitter leur pays, les recrues doivent se soumettre au “juju”.

“Un rite vaudou complètement dévoyé par ces organisations criminelles”,

explique Me Tina Colombani. Un cheveu, un bout d’ongle, un poil pubien est prélevé, pour garantir la loyauté de ces femmes très croyantes.

“Sinon, la malédiction s’abattra sur elles et leur descendance…”

“Rêve fracassé”

S’ensuit un voyage “dans des conditions épouvantables”, insiste Me Colombani. Le camion bondé. Les camps en Libye. L’embarcation de fortune jusqu’en Italie.

“Et à l’arrivée, le choc: « Maintenant, tu vas te prostituer”. Leur rêve vient se fracasser sur les trottoirs de Nice et Cannes. »

Pour recouvrer la liberté, ces jeunes exilées doivent rembourser leur périple. Les “mamas” leur annoncent une dette colossale. 30.000, 40.000, voire 60.000 euros. Seule option: la prostitution. Elles doivent acheter leur place sur le trottoir, plusieurs milliers d’euros. Les malheureuses sont regroupées dans des appartements, avenue de la Californie à Nice, rue Jean-Jaurès à Cannes. Là encore, il faut payer. Donc enchaîner les passes, dans des parkings ou chez les clients.

“Une réalité sordide, abrupte, tragique”,

déplore le procureur Delphine Dumas.

“Leur dignité, leur corps, leur libre arbitre ont été bafoués.”

L’emprise du “juju” scelle un pacte de silence. Me Sophie Jonquet, partie civile, représente une victime qui se cache, terrorisée.

“Si la police peut me protéger physiquement, elle ne peut pas me protéger spirituellement…”

Interpellés entre France et Espagne

La police finit néanmoins par démanteler le réseau. Après la dénonciation d’une ado en 2017, restée sans suite (lire ci-contre), celle d’une compatriote en 2020 sert de déclic. L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) mène l’enquête, épaulé par la PJ de Nice. En septembre 2021, huit suspects sont interpellés entre France et Espagne.

Les voici donc face au tribunal, dans le box ou à la barre. La plupart nient toute intention criminelle, malgré les écoutes téléphoniques, les témoignages, les surveillances. Les avocats de la défense plaident des relaxes totales ou partielles.

Me Anthony Joheir, avocat d’Annabel Gavin, fustige “un dossier pas suffisamment étayé”. Me Godfry Kouevi, conseil de l’autre cheffe présumée, plaide l’entraide communautaire pour Pamela Obayagbona. Mes Cécile Della Monaca et Zia Oloumi, pour Elizabeth Jolomo, et Me Laure Pons, pour Precious Ota, invoquent leur situation familiale, les risques qu’elles encourent en cas de retour au Nigéria.

Interdites de territoire français

Jeudi, 22h30. Le tribunal correctionnel présidé par Marion Menot rend son délibéré. Il condamne Annabel Gavin et Pamela Obayagbona à 6 ans ferme, Elizabeth Ojomo à 5 ans, Osatohamen Owens (défendue par Me Philippe Youlou) à 3 ans, Precious Ota à 2 ans, et Mark Herry (Me Kim Camus) à 18 mois.

Certains sont définitivement interdits de territoire français. Un souhait du procureur Dumas, qui avait requis jusqu’à 8 ans de prison. Un ex-policier écope de 18 mois ferme (lire ci-contre). L’autre prévenu libre, défendu par Me Sophie Gorse, est relaxé au bénéfice du doute.

(1) Prénom modifié afin de préserver son anonymat.

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