Corrèze | Témoignage de Christophe Deschamps victime d’agressions sexuelles par son oncle

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Victime d’agressions sexuelles en Corrèze, Christophe Deschamps se reconstruit grâce à l’écriture
Christophe Deschamps (Ecrivain et Marionnettiste) se soigne mots après maux. Photo Stéphanie para. © Stéphanie Para
Pendant des années, Christophe Deschamps a subi les agressions sexuelles de son oncle. 15 ans après les faits, ce trentenaire a réussi à briser le silence, en écrivant à ses proches. Cette passion des mots lui permet aujourd’hui de s’approprier sa lourde histoire.

Rencontre avec un homme qui a fait de l’écriture le ciment de sa reconstruction.

L’écriture a toujours fait partie de la vie de Christophe Deschamps. Déjà, enfant, ce Corrézien écrivait des poésies sur un cahier de brouillon. Cette passion l’a ensuite porté vers la musique, le rap en particulier, celui « qui a du sens » : IAM, Kery James, Grand Corps Malade.

« J’aime ces auteurs qui, à chaque chanson, racontent une histoire »,

explique le trentenaire, qui participe à des scènes ouvertes.

Lui aussi a des choses à raconter. Ses poèmes parlent de lui-même.

« Il t’a contrôlé tel un jeu / Avec ses ficelles, tu étais sa proie / Mais un jour, tu sortiras glorieux / Son oppression sur toi cessera ».

Christophe Deschamps (Marionnettiste)

Christophe est un homme victime d’agressions sexuelles intrafamiliales. De son enfance à son adolescence (*), il fut la chose sexuelle d’un oncle « amoureux ».

« Cela a commencé par des revues pornographiques, qu’il me glissait dans des Picsou magazine, puis des DVD X. Puis, il y a eu des actes de masturbation devant moi, jusqu’aux fellations »,

explique sans détour ce Briviste.

« Moi, j’ai eu l’écriture et les jeux vidéos. Cela aurait pu être l’alcool et la drogue ».

Christophe Deschamps, avec son carnet de note. Photo Stéphanie Para.

Des agressions devenues normales

Dans le bureau des grands-parents, ces abus ont duré jusqu’en 2005 (**). Christophe a alors 15 ans, il vient de rencontrer sa première petite amie. Il découvre une autre sexualité. Il comprend.

« Il avait pris l’ascendant psychologique sur moi. Ces séances étaient devenues naturelles. Maman prépare les pâtes aux lardons. Pendant ce temps, tonton me touche le zizi. C’était normal. Je ne savais pas si c’était sain ou non ».

Arrive alors la fois de trop.

« Dans le bureau, il y avait un coupe-papier et j’ai eu envie de le planter. J’ai eu peur. Je lui ai dit que c’était terminé »,

se souvient-il. C’est la fin des attouchements, mais pas de la douleur qui le ronge.

Entre 2005 et 2018, Christophe, soucieux de ne pas faire voler en éclats l’unité familiale, ne parlera pas. Il esquivera : les fêtes, les repas de famille. Trop écœurants.

« Ce monstre a volé, voilé, violé mon enfance / Ce fou du porno, de cul et porte-jarretelles / Comment puis-je encaisser… Joyeux Noël » .

Christophe Deschamps (Joyeux Noël)

Les sollicitations de son oncle, quand ce dernier revient de ses saisons, se poursuivent, mais n’aboutissent plus. Le jeune homme, lui, colmate les fissures en fuyant la réalité.

« Moi, j’ai eu l’écriture et les jeux vidéos. Cela aurait pu être l’alcool et la drogue. Avec les jeux vidéos, on est dans une bulle virtuelle, on oublie les soucis, le réel. Dans ce monde, les gens connaissaient mon pseudonyme, mais pas Christophe Deschamps. Et quand j’éteignais la console, j’étais toujours dans la même merde. Avec l’écriture, au contraire, je ne quittais pas le réel. Cela me soulageait »,

se souvient-il.

Christophe Deschamps, l’écriture pour soulager la douleur. Photo Stéphanie Para.

 

Un soulagement qui n’empêchera pas le jeune homme de faire une tentative de suicide. Mais comme pour le reste, personne n’en saura rien.

« Pourtant, j’ai toujours eu une relation de confiance avec mes parents. Je n’ai jamais manqué de rien pendant mon enfance »,

souligne-t-il.

Des poèmes pièces à conviction

Parmi ses proches, seule sa petite amie saisira le malaise croissant entre Christophe et son oncle.

« Elle est restée dans la confidence quelques mois. Elle m’a beaucoup encouragé à parler par la suite. »

La marche est haute, mais le déclic arrive.

« Lors d’un repas de Noël, en 2018, un de ses neveux a demandé à être accompagné aux toilettes. Mon oncle s’est proposé. J’ai senti le besoin de le protéger »,

se rappelle Christophe. Il se décide donc à parler. Puisque l’écriture est sa force, il rédige une lettre et un poème « Rapport de bataille », mettant en scène un général et un novice.

« C’était un général hautement gradé / Qui s’est joué d’un première classe novice / Durant plusieurs compagnies et années / A coup de ruses psychologiques et de vices ».

Christophe Deschamps (Rapport de bataille)

Tous les destinataires reconnaissent alors ce haut gradé. Beaucoup de ses proches, n’ayant rien vu pendant des années, tombent de haut.

« Quand ma tante a appris la vérité, elle s’en est beaucoup voulue. Une fois, elle m’avait ramené en voiture et ne comprenait pas pourquoi je ne voulais pas aller chez mes grands-parents, où vivait mon oncle. Mes parents ont eux aussi beaucoup culpabilisé, car ils n’ont rien vu. Ils voyaient le tonton qui amenait des bandes dessinées à son neveu. »

Aujourd’hui encore, Christophe ne peut s’empêcher d’acheter des BD, mais il est incapable de les lire.

L’épreuve du dépôt de plainte

L’épreuve suivante est le dépôt de plainte, à la gendarmerie de Larche, en mai 2019. Christophe s’y rend, accompagné d’un policier.

« Tout de suite, j’ai eu le sentiment que l’on m’écoutait. Au début, je racontais tout de manière éparpillée. Libérer tout cela a été un véritable choc. Les questions étaient crues. À l’issue des premières auditions, j’ai dû me rendre à l’hôpital pour un soutien psychologique. Lors des auditions suivantes, on a pu recoller les pièces du puzzle. Je me suis senti entouré ».

Christophe Deschamps s’est senti accompagné au moment du dépôt de plainte. photo S. Para.

 

Lors de l’enquête, les poèmes sont devenus des pièces à conviction. Ces éléments matériels d’une part, ainsi que les revues pornos et les Picsou magazine saisis chez son oncle d’autre part, ont permis de donner du crédit à la parole de Christophe. Ces éléments ont même pesé lourd, lors du procès (***).

Un carnet de bord sans fin

Depuis le début de sa reconstruction, Christophe a débuté un nouveau travail. Dans un carnet de bord, il note ses états d’âme, jour après jour.

« Il y a les bons moments, comme les mauvais. Je suis en train d’en faire un livre. Je veux raconter mon histoire, pour aider les personnes qui n’arrivent pas à parler ».

Débutée à l’aube de ses trente ans, l’œuvre cathartique de Christophe n’a pas encore de fin.

« Mon livre sera fini quand toute cette histoire sera terminée. Peut-être aurais-je 35 ans ».

Christophe Deschamps veut témoigner dans les écoles et collèges. Photo Stéphanie Para.

 

Témoigner dans les écoles

En parallèle, le « novice » se lance aussi dans la transmission orale, et souhaite se rendre dans les écoles et les collèges pour témoigner. Pour cela, il a pris contact avec l’association France Victime, qui apporte un cadre à ses interventions.

« À l’entrée des établissements scolaires, il y a beaucoup de messages de prévention contre le tabac, l’alcool. Mais rien sur les agressions sexuelles ».

Tourné vers l’avenir, Christophe Deschamps imagine déjà son intervention dans un lycée. Une première prise de parole qui pourrait mettre, qui sait, un point final à ses écrits.

« Marionnette fait une dernière révérence et claque à jamais cette porte».

Christophe Deschamps (Marionnettiste)

(*) Si les faits décrits par Christophe Deschamps se sont étalés sur plusieurs années, seuls ceux s’étant déroulés entre avril 2004 et janvier 2005 ont été retenus dans la prévention, lors du procès devant le tribunal correctionnel de Brive.
(**) Lors de l’audience, qui s’est tenue fin septembre à Brive, l’oncle a reconnu a minima les agressions sexuelles survenues entre octobre 2004 et janvier 2005, des faits aujourd’hui prescrits. En revanche, pour les faits entre avril et octobre 2004, antérieurs aux quinze ans de la victime et eux non-prescrits, le prévenu a plaidé la relaxe.
(***) L’oncle de Christophe Deschamps a été condamné à 4 ans de prison, dont deux ans ferme. Il a décidé de faire appel de la décision.

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