Canada | Le Système Miller : Des jeunes filles, de l’argent, des hôtels …

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Pédocriminel En liberté

« J’ai fermé les yeux et j’ai essayé de penser à autre chose »
Robert G. Miller | Radio Canada
Pendant plus d’une décennie, un milliardaire québécois a mis sur pied un véritable système de recrutement de jeunes filles – parfois aussi jeunes que 14 ans – pour son usage sexuel exclusif.

Robert G. Miller, le fondateur de la multinationale Future Electronics, payait des adolescentes en échange de relations sexuelles; certaines ont même été chargées d’en recruter dans leur école pour alimenter son réseau.

L’homme d’affaires et sa garde rapprochée ont déjà fait l’objet d’une enquête du SPVM, mais aucune accusation n’a été portée contre eux.

Je passais La Presse, j’étais camelot. Mais c’est pas en étant camelot qu’on se fait 1000 piastres. Je ne pouvais pas ramener cet argent-là à la maison et dire : “Tiens maman, tu vas payer ton hypothèque.”

Sophie* avait 14 ans lors de son premier rapport sexuel avec Robert Miller, qui, lui, frisait la soixantaine. Il ne s’est pas protégé. C’était vraiment dégueulasse, dit-elle. J’ai fermé les yeux et j’ai essayé de penser à autre chose. La rencontre a eu lieu dans une suite de l’hôtel Reine Elizabeth, au tournant des années 2000. Sophie était accompagnée de l’amie qui l’avait recrutée, mineure elle aussi.

Pendant près d’un an, Enquête a fouillé l’histoire de Bob Adams, le pseudonyme utilisé par Robert G. Miller en présence des jeunes filles. Fondateur de Future Electronics, une compagnie de distribution de composantes électroniques, Robert Miller est l’un des hommes d’affaires les plus riches du Québec. Il est également l’un des plus méconnus : il n’accorde pratiquement jamais d’entrevues et trouver une photo de lui relève de l’exploit. Une discrétion qui l’a d’ailleurs bien servi, car la plupart de ses victimes ne connaissaient pas le vrai nom de cet homme qui leur donnait rendez-vous dans de chics hôtels de Montréal et, plus tard, dans une maison de Westmount.

Une dizaine de femmes ont confié leurs histoires à Enquête; six d’entre elles affirment avoir eu des relations sexuelles avec Robert Miller lorsqu’elles étaient mineures. Toutes nous ont décrit des expériences semblables impliquant des faveurs sexuelles rémunérées à coups de milliers de dollars, de voyages et de sacs de hockey remplis de cadeaux. Selon nos sources, il s’agissait d’un système bien rodé, dans lequel seraient passées de nombreuses adolescentes et de jeunes femmes entre 1994 et 2006.

L’avocat du principal intéressé, aujourd’hui âgé de 79 ans, écrit à Enquête que les allégations sont fausses et vigoureusement contestées. Il ajoute que Robert Miller n’est pas en mesure de nous accorder une entrevue; il serait trop malade, aux derniers stades de la maladie de Parkinson.

Toutes les victimes ont requis l’anonymat pour nous parler, par crainte des conséquences. Enquête a accepté de protéger leur identité, notamment parce que certaines d’elles étaient mineures au moment des faits. Tous les noms des victimes ont été remplacés par des noms fictifs.

Un mystérieux milliardaire

Si vous n’avez jamais entendu parler de Robert Miller, c’est que le puissant homme d’affaires multiplie les efforts pour limiter les informations sur lui accessibles au public. Il possède deux jets privés dont les déplacements ne sont pas traçables avec les outils publics de suivi des vols, et sa luxueuse demeure de Westmount a été brouillée sur Google Street View.

Né en 1943, l’entrepreneur montréalais a fondé Future Electronics alors qu’il n’avait que 25 ans. Il a depuis transformé l’entreprise en l’un des plus importants fournisseurs de composantes électroniques au monde. Future Electronics, une entreprise privée, compte des succursales dans 44 pays, emploie environ 5500 personnes et approvisionne certains des plus importants producteurs d’appareils technologiques au monde. Forbes estime que la fortune de Robert Miller s’élève à près de deux milliards de dollars américains.

Au sein de l’entreprise, l’homme d’affaires est considéré comme un visionnaire. Notre propriété intellectuelle la plus précieuse est le cerveau de Robert Miller, affirmait un des vice-présidents de Future dans un article publié en 2010. L’homme d’affaires souhaite d’ailleurs prolonger la durée de vie de cet atout. Selon un article(Nouvelle fenêtre) de Forbes publié en 2014, Robert Miller est fasciné par la cryogénie et a investi d’importantes sommes dans cette technologie qui prétend pouvoir préserver les corps dans de l’azote liquide.

« Il les aimait jeunes, jeunes, jeunes »

En 1995, un entremetteur, Raymond Poulet, présente à Robert Miller une jeune fille. Jeanne* a 17 ans et elle est en fugue d’un centre jeunesse. Jeanne, aujourd’hui dans la quarantaine, croit avoir été parmi les premières filles à fréquenter Robert Miller.

Lors de cette première rencontre, à l’hôtel, le milliardaire lui demande de se déshabiller, et la prend en photo. Pour cette séance photo, Jeanne reçoit 1000 $, une somme qu’elle trouve impressionnante.

À la fin des années 1990, mille dollars pour une couple d’heures, c’était énorme

, affirme-t-elle.

Puis, à 18 ans, elle aura une relation sexuelle complète avec lui, en compagnie d’une autre jeune femme dont elle ignorait l’âge.

Jeanne n’a pas recouché avec le milliardaire, mais elle est restée dans son orbite en recrutant d’autres jeunes filles. Elle aurait ainsi eu connaissance d’une succession d’adolescentes mineures qui lui ont rendu visite à leur tour, par l’entremise de Raymond Poulet. La plus jeune, selon elle, n’avait que 14 ans, un quatorze ans avec un baby face, puis des petites boucles, elle aussi fugueuse d’un centre jeunesse.

Elle décrit Miller comme un homme ni agressif ni violent, mais qui semblait obsédé par la nouveauté et la jeunesse : Robert n’aimait pas coucher avec les filles très longtemps, il fallait qu’il y ait une variété, dit-elle. Sur chacune des filles, il y avait une date de péremption.

Julia*, recrutée dans le réseau de Robert Miller alors qu’elle avait 17 ans, appuie ces propos : Il les aimait jeunes, jeunes, jeunes. Dans son entourage, au début des années 2000, elle dit que plusieurs de ses camarades d’école secondaire ont eu des relations sexuelles avec l’homme d’affaires alors qu’elles étaient aussi mineures.

Il aimait les filles les plus jeunes possibles, avec un beau corps mince, dit-elle. C’était vraiment plus le style “petite fille”.

Lorsqu’elle s’est retrouvée dans la suite de Robert Miller, Samantha*, avait, elle, 15 ans. Après avoir été recrutée par Raymond Poulet, elle accepte d’aller prendre un bain avec le milliardaire. Ils passent une heure à regarder ensemble les photos d’une jeune fille nue et c’est ensuite qu’il précise sa demande :

Il fallait que je le lave au complet, puis il allait me laver au complet. Il a commencé à me laver partout, même les organes génitaux. Il m’a lavée en me rentrant le doigt.

La voix de Samantha se brise en racontant cet épisode, auquel elle n’avait jamais consenti.

Excusez-moi, je n’ai pas raconté ça souvent. […] Je pense que j’étais traumatisée, en fait.

En sortant du bain, Robert Miller lui demande de le rejoindre au lit. Et c’est là que Samantha panique :

Comment je vais faire pour m’en sortir? Comment je me sauve? Je suis piégée.

Elle annonce à Robert Miller qu’elle ne pourra pas continuer. Il la laisse partir et lui remet les 1500 $ promis. La moitié de cette somme ira dans les poches de l’entremetteur Raymond Poulet.

Près de 30 ans plus tard, Samantha est encore ébranlée. Est-ce que ça valait vraiment la peine pour cet argent-là? Vraiment pas, dit-elle. Tu gardes ce souvenir-là toute ta vie. T’es pas fière de ça, donc t’en parles pas à personne.

« À qui peux-tu en parler, à cet âge-là, en plus? lâche Sophie. Je ne serais pas allée voir ma mère pour dire : “Hey maman, je ne me sens vraiment pas bien, j’ai couché avec un vieux monsieur pour de l’argent, peux-tu m’aider?” »

  • Sophie 

Je me suis mise dans une position comme ça toute seule, ajoute Sophie. Je pense qu’à l’époque, à quatorze ans, j’avais pas toute la maturité, toutes les connaissances nécessaires […] pour être capable de prendre mes jambes à mon cou et m’en aller.

Sophie raconte que son âge a fait d’elle une cible facile pour les techniques de manipulation utilisées par Miller et ses complices.

L’homme d’affaires se vantait de connaître plusieurs célébrités et disait avoir contribué à leur succès. Il savait que je faisais du mannequinat et qu’il allait pouvoir m’aider à devenir une “supermodèle”, dit-elle.

Sophie était convaincue que l’homme d’affaires était son ami, qu’il prendrait soin d’elle et de son avenir. Mais son nouveau mentor avait des demandes. Il lui fait une autre proposition, la même qu’à plusieurs des jeunes filles à qui nous avons parlé :

Il m’a dit que je pourrais me faire plus d’argent, que je pourrais lui amener d’autres filles à la place.

Sophie estime avoir attiré au moins une dizaine d’amies, la plupart recrutées à l’école. Il m’a même demandé de lui amener quelqu’un qui n’avait pas fait l’amour encore, dit-elle. J’ai refusé, je lui ai dit d’oublier ça. Aujourd’hui, elle ne se pardonne pas.

Une grosse partie de la culpabilité que je vis aujourd’hui, c’est d’avoir entraîné d’autres personnes là-dedans

, dit-elle.

Plusieurs femmes ont confié à Enquête avoir recruté certaines de leurs amies pour éviter les contacts sexuels avec l’homme d’affaires.

Quand on emmenait une fille, c’était avec la fille qu’il avait des relations sexuelles, pas avec celle qui les avait amenées, explique Sophie.

Et la proposition de Miller de l’aider à devenir mannequin s’est-elle matérialisée? Elle jette un regard désabusé.

Il m’a manipulée […] Au fond, il ne voulait rien savoir de moi, il voulait juste que je lui amène plus de filles.

Le « Fuck Tub »

À l’hôtel Intercontinental, un des lieux montréalais de prédilection de M. Miller, les activités illicites de l’homme d’affaires ne sont pas passées inaperçues.

Donna Loupret, ancienne directrice de la sécurité de l’hôtel, se souvient qu’en 1999 et 2000, Robert Miller était un client plus que régulier. Même s’il habitait à 15 minutes de l’hôtel, M. Miller louait deux suites au 25e étage à longueur d’année, sans jamais y passer la nuit : une pour lui-même, l’autre pour Raymond Poulet.

Il avait même fait rénover la salle de bain : M. Miller voulait une immense baignoire dans la salle de bain, alors il l’a fait installer, il l’a choisie, raconte-t-elle. Il a payé toutes les rénovations qui ont été faites dans cette salle de bain.

Un bain qui accueillait facilement deux personnes, d’après Loupret, qui se souvient que les employés de l’hôtel l’avaient surnommé le « Fuck Tub » : le bain de la baise.

L’avocat de Robert Miller nous écrit que le milliardaire louait la chambre pour avoir un endroit où se reposer et que le bain avait été modifié en raison de sa maladie.

Mais ce n’est pas l’impression qu’avaient les employés de l’hôtel.

M. Miller, pour une raison ou une autre, avait beaucoup de visiteurs, beaucoup de très jeunes femmes

, se rappelle Donna Loupret.

Mon équipe de nuit me livrait des comptes rendus, parce que c’était leur responsabilité de faire ça, et je me souviens d’un jeune homme qui m’avait dit : “Donna, c’est terrible. Ces filles sont si jeunes.”M. Poulet occupait la chambre 2500, dit-elle. Il y amenait les filles et puis il les accompagnait à la chambre de Miller. Lorsqu’elles avaient terminé, elles retournaient à la chambre de Poulet avant de partir.

Donna Loupret ajoute que les interactions entre ses employés et Raymond Poulet ont fini par se corser. À un moment donné, elle dit avoir reçu un appel téléphonique directement de M. Miller, qui se plaignait du personnel de l’hôtel qui dérangeait Raymond Poulet. Pendant cette conversation, elle dit l’avoir confronté au sujet de ses nombreuses invitées.

En passant, M. Miller, ces filles ne sont pas un peu jeunes?

, lui aurait-elle dit.

L’homme d’affaires aurait rétorqué qu’il s’agissait de ses nièces.

J’ai dit : “Vos nièces? Vous en avez, des nièces!” Puis il a raccroché. Il savait très bien de quoi je parlais.

Malgré les inquiétudes de son équipe, Donna Loupret sent qu’elle a les mains liées : les jeunes femmes qui visitent Robert Miller ne se sont jamais plaintes auprès de l’hôtel.

J’aurais aimé voir une des filles pleurer pour que je puisse aller la voir et lui offrir mon aide, dit-elle.

La maison du vice

Au début des années 2000, Robert Miller délaisse les hôtels de Montréal. Il relocalise ses activités dans une maison cossue de Westmount, le 380, avenue Olivier.

C’est une maison qu’il n’habite pas, mais qui semble avoir été aménagée pour attirer les jeunes filles. Au rez-de-chaussée, Robert Miller les reçoit dans un somptueux salon où il leur sert souvent un verre d’alcool, du Baileys par exemple. Julia se souvient de ce rituel préliminaire : Tu allais d’abord boire un verre, il te demandait si tu voulais manger quelque chose, raconte-t-elle. Il voulait parler, parler, parler.

Le milliardaire pose des questions sur leurs études, veut connaître leurs rêves et leurs ambitions, mais révèle très peu de détails sur lui-même. Il se vante d’écrire des discours pour des politiciens et de fréquenter plusieurs célébrités. Plusieurs jeunes femmes nous ont dit avoir eu l’impression que cet homme – qui dit s’appeler Bob Adams – était un homme d’affaires américain de passage à Montréal. À d’autres, il a plutôt fait croire qu’il était propriétaire d’une station de radio en Californie.

Il aimait beaucoup Céline Dion, dit Jeanne. C’était son artiste préférée, il nous passait des CD de Céline Dion.

C’était la première étape d’un rituel qui ne variait pratiquement jamais. Après le verre, la séquence se poursuivait avec une visite au sous-sol, véritable caverne d’Ali Baba remplie de cadeaux. Julia décrit une immense collection de bijoux, de faux sacs à main Louis Vuitton et Christian Dior, de vêtements Victoria’s Secret, de CD et même de téléphones cellulaires.

C’était un magasin pour nous autres, dit-elle. Des fois, tu voyais des filles à l’école et, sans leur parler, tu savais qu’elles voyaient Bob, parce qu’elles portaient les mêmes bijoux que toi.

Julia décrit la suite de l’itinéraire :

Puis après, tu allais prendre ta douche, dit-elle. Il fallait se laver, les filles avaient leur salle de bain avec tous les produits qu’on voulait. On ouvrait tout : pâte à dents, brosses à dents neuves, les savons, tout était flambant neuf pour chaque fille, à chaque fois.

On allait le voir quand on était prêtes, avec la robe de chambre.

Il aimait ça avec les deux filles, se souvient Julia. À deux, on s’encourageait un petit peu mutuellement à être un peu plus fortes pour faire ça. Mais ça passait relativement vite.

Après une heure ou deux, Robert Miller sort des enveloppes préparées à l’avance, qui contiennent des montants impressionnants : de 1500 $ à 4000 $.

Aujourd’hui, Julia dit être consciente de l’habileté du stratagème, qui les amenait à se sentir redevables : Quand t’es jeune, de l’argent, des vêtements et des bijoux, tout ce que tu veux, c’est sûr, c’est de la manipulation.

Certaines femmes décrivent avoir vécu un genre de syndrome de Stockholm : Miller avait réussi à les convaincre qu’il était un mentor bienveillant. Surtout ses favorites qui avaient parfois droit à un traitement de vedette : limousines, boutiques et restos de luxe, voyages tous frais payés avec leurs copines.

Plusieurs filles nous décrivent le sentiment d’abandon qu’elles ont ressenti quand Robert Miller a cessé de les rappeler.

C’est un engrenage, explique Julia. C’est difficile de te sortir de ça parce que tu as pris goût à l’argent. Puis aller travailler après, dans le temps à 10 $ de l’heure, c’était pas facile.

Julia dit avoir vu plusieurs filles dans son entourage abandonner leurs ambitions universitaires pour se lancer dans l’industrie du sexe; certaines sont tombées dans la consommation. Il y en a beaucoup qui ont mal fini, se désole-t-elle.

Sophie s’en est bien sortie. Mais elle considère que cette expérience a ruiné sa jeunesse. J’ai acheté de la drogue, beaucoup d’alcool. J’ai donné mon argent, dit-elle. J’ai perdu ma dignité.

Garde rapprochée

Pour mettre en place son système, Robert G. Miller s’est entouré d’un groupe d’hommes payés pour organiser et dissimuler ses activités illégales. Plusieurs avaient un lien direct avec Future Electronics.

Sam Joseph Abrams travaille avec Robert Miller depuis plus de 50 ans. Il a gravi les échelons et occupe maintenant le poste de vice-président exécutif chez Future. Mais, selon nos sources, il semble avoir eu d’autres tâches connexes : louer les chambres d’hôtel, approuver la sélection des jeunes filles, organiser les voyages et remettre des enveloppes d’argent supplémentaire à certaines d’entre elles. Les filles l’appelaient Joseph.

Sur LinkedIn, l’entremetteur Raymond Poulet se présente lui aussi comme un employé de Future Electronics, au poste de conseiller privé de Robert Miller. Lorsque nous avons cherché à contacter Raymond Poulet chez Future, la réceptionniste n’en a pas trouvé trace dans sa liste d’employés.

Ils étaient très intelligents dans le sens où il y avait toujours des intermédiaires, explique Jeanne. Raymond Poulet ramassait les jeunes filles puis les présentait à Joseph, qui était l’homme de main, c’était jamais Miller. Puis Joseph, il va être capable de dire que Miller ne savait pas que les petites filles étaient mineures.

Mais Miller savait que le recrutement se faisait dans une école secondaire, nuance Jeanne. Il était très conscient de ça. C’est une discussion entendue. Donc si ça se fait dans les écoles secondaires, c’est sûr qu’elles sont mineures.

Mis au fait de ces allégations, Sam Abrams et Raymond Poulet ont refusé nos demandes d’entrevue. M. Poulet n’a pas souhaité nous rencontrer parce qu’il n’était pas au courant de ce dont vous parlez.

« On va vous donner 300 000 $ » pour mettre fin à l’enquête

L’enquêteur privé John Westlake raconte qu’en 2006, l’ex-femme de Robert Miller l’a contacté pour lui demander d’enquêter sur son mari, qu’elle soupçonnait d’inconduite sexuelle avec des mineures.John Westlake et son équipe ont donc lancé une opération de surveillance qui a rapidement porté fruit. Après trois ou quatre jours, mon équipe et moi on ne revenait pas de ce qui passait là!Pendant 21 jours, les détectives ont observé le va-et-vient régulier de plusieurs jeunes filles, qui entraient dans la maison et en sortaient, souvent avec des sacs de hockey.John Westlake en avait vu d’autres. Ancien policier du SPVM, il avait passé la majorité de sa carrière dans des dossiers policiers liés au crime organisé, à la mafia et aux gangs de rue. Il dit cependant que le cas de Robert Miller est un des dossiers les plus impressionnants qu’il ait eu à fouiller.Selon le détective, le milliardaire a par la suite eu vent de leurs démarches. John Westlake a alors été contacté par deux hommes : le détective privé Terry Corcoran et l’ex-policier Stephen Roberts, embauchés par Robert Miller pour assurer sa sécurité. Les hommes veulent en savoir plus sur l’enquête que mènent Westlake et son équipe.John Westlake refuse, mais Corcoran et Roberts reviennent à la charge quelques semaines plus tard. Ils auraient fait une proposition concrète au détective et à son associé :

Stephen Roberts nous a dit : “On va vous donner 300 000 $ pour cesser l’enquête et nous donner ce que vous avez recueilli”

, dit John Westlake.Il affirme que son partenaire et lui se sont immédiatement rendus au poste de police pour dénoncer cette affaire.En réponse aux questions d’Enquête, un avocat représentant Terence Corcoran, Stephen Roberts et le National Criminal Investigation Service nous a écrit que ses clients nient vigoureusement les allégations, qu’il qualifie de fausses et non fondées. Joint au téléphone, Stephen Roberts nie avoir offert quelque montant que ce soit à John Westlake.

Une enquête policière, mais aucune accusation

En mai 2009, Donna Loupret a été contactée par l’escouade d’Exploitation sexuelle des mineures du SPVM, qui menait une enquête sur le milliardaire. Les enquêteurs se sont même déplacés pour venir l’interroger dans le petit patelin rural où elle habite maintenant, à des milliers de kilomètres de Montréal.Ils ont filmé mon témoignage, dit-elle. Donc je me suis dit : “Ça y est, ça va arrêter”.En novembre 2009, la même escouade débarque au siège social de Future Electronics. Mais selon nos sources, la perquisition vise les bureaux du National Crime Investigation Service, la firme des responsables de la sécurité de Robert Miller, située dans le même immeuble. Les détails de cette perquisition demeurent scellés.Nous avons obtenu des photos prises par les policiers dans le cadre de cette enquête. On y retrouve Robert G. Miller, son bras droit Sam Abrams, l’entremetteur Raymond Poulet et les responsables de la sécurité Terry Corcoran et Stephen Roberts, qui avaient été convoqués au poste de police pour y être photographiés.Selon des sources du milieu juridique, ces photos étaient destinées à faciliter l’identification de Miller et de ses complices auprès des victimes.Le SPVM n’a pas voulu commenter cette enquête, mais des sources confidentielles nous disent qu’ils auraient rencontré plus d’une dizaine de présumées victimes. Sophie faisait partie du groupe.Un soir, deux détectives cognent à sa porte :

Je les laisse entrer et tout de suite […] ils voulaient que je leur parle de Robert Miller. Sinon ils allaient m’arrêter, moi. La discussion que j’allais avoir avec eux allait déterminer s’ils m’arrêtaient ou pas, pour avoir tenu un réseau de prostitution juvénile. Ça, c’était leur entrée en matière.

Sophie a recruté des jeunes filles pour Robert Miller lorsqu’elle avait entre 14 et 18 ans. Au moment où les policiers l’approchent, elle a terminé ses études et occupe un poste important. Elle n’a pas envie de se replonger dans cette histoire, mais elle sent qu’elle n’a pas le choix. Elle accepte à contrecœur d’aller rencontrer les détectives et procureurs assignés au dossier.

Ils nous ont presque traitées comme des criminelles

Ils étaient quatre ou cinq personnes dans une grande salle de conférence, c’était vraiment pas cordial, très agressif comme rencontre. Je me suis sentie comme une merde totale, comme si dans le fond, tout ça, c’était tout de ma faute à moi […] se rappelle-t-elle en contenant mal sa colère. On m’a dit qu’on s’en foutait de l’âge que j’avais, que je serais jugée en adulte et que j’aurais des peines d’adulte. Dans le fond, moi et ma carrière, ce n’était pas grave.Jeanne, qui a participé elle aussi à l’enquête de police, renchérit : Ils nous ont presque traitées comme des criminelles, dit-elle.Il fallait faire des empreintes digitales, prendre nos photos : profil, face. Quand t’agis comme ça avec des victimes, c’est hyper intimidant.

Elle avait une autre raison d’être intimidée : un avocat retenu par Robert Miller est présent dans la pièce lorsqu’elle parle aux policiers. Son rôle, d’après moi, c’était de s’assurer qu’on ne parle pas

, dit Jeanne.Des sources confidentielles nous ont confirmé la présence du même avocat pendant l’interrogatoire de plusieurs victimes.Moi, je n’ai rien raconté, dit Jeanne. J’avais peur. J’avais vraiment peur.Sophie affirme de son côté avoir tout révélé aux policiers, en plus d’accepter de témoigner à un éventuel procès. Il semble que ça n’ait pas été suffisant, car aucune accusation n’a été déposée. Le SPVM a mis fin à l’enquête en 2010.Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a refusé de commenter le dossier, citant des raisons de confidentialité. Le DPCP invite toutefois les personnes concernées à contacter le SPVM si des éléments qui n’avaient pas été portés à l’attention des policiers initialement sont maintenant connus.

Robert G. Miller nie tout

Dans une lettre à Radio-Canada, l’avocat de Robert Miller avance que son client n’a jamais eu de relation sexuelle avec une personne qui n’avait pas l’âge du consentement, soit 14 ans au moment des allégations. Le Code criminel précise toutefois que toute relation sexuelle payée avec une mineure est un acte criminel. Plusieurs juristes nous le confirment : le consentement de la victime mineure est invalide parce qu’elle a été rétribuée.Robert Miller offre aussi une défense d’ordre médical : il serait impuissant depuis plus de 20 ans. Son avocat a fait parvenir à Enquête la lettre d’un médecin montréalais, qui affirme connaître Miller depuis 1996. L’éminent neurologue y témoigne des difficultés érectiles très sévères de Robert Miller, un problème qui peut survenir lorsqu’on souffre de maladie de Parkinson, selon lui.Donna Loupret, l’ancienne directrice de la sécurité à l’hôtel Intercontinental, dit être hantée par ce dossier. Toutes ces informations, toutes les preuves, tout ce qui a été enquêté et rien ne se passe, ça disparaît? se désole-t-elle.Le détective John Westlake est tout aussi déçu. Quand c’est un vol, un meurtre, quelqu’un de blessé, ça t’affecte émotionnellement pendant quelques jours et puis tu t’en remets, dit l’ancien policier. [Cette histoire] est toujours restée avec moi et mes collègues.Si l’enquête devait être remise sur les rails, Sophie dit ne plus avoir l’intention de collaborer après avoir été traitée de cette façon par les policiers.Jeanne, elle, espère redonner du courage à celles qui ont longtemps eu peur de parler : Dénoncez-le, dénoncez-le. Portez plainte, rappelle-t-elle à ses victimes. Bob, c’est Robert Miller. Il s’appelle Robert Miller.

Vous pouvez joindre le journaliste daniel.tremblay@radio-canada.ca(Nouvelle fenêtre) pour laisser votre témoignage ou en allant directement sur le site de l’émission Enquête.

*Toutes les victimes ont requis l’anonymat pour nous parler, par crainte des conséquences. Leurs noms ont donc été remplacés par des noms fictifs.

Le reportage de Brigitte Noël, de Pasquale Turbide, de Daniel Tremblay et de Jacques Taschereau est diffusé à Enquête le jeudi à 21 h sur ICI Télé. Il est aussi disponible en rattrapage sur ICI Tou.tv(Nouvelle fenêtre).

Enquête pour avoir couché avec des mineures: Robert G. Miller démissionne de son poste de PDG

Le fondateur de Future Electronics Robert G. Miller a démissionné définitivement de ses fonctions vendredi sous prétexte de «problèmes de santé très graves», au lendemain d’une enquête journalistique révélant qu’il aurait couché avec des mineures.«M. Miller nie catégoriquement et avec véhémence les allégations malveillantes portées contre lui et confirme qu’elles sont fausses et totalement infondées, et qu’elles résultent d’un divorce amer. Ils sont maintenant répétés pour un gain financier», a indiqué Future Electronics dans un communiqué.

Cette démission survient au lendemain de la publication d’une enquête de Radio-Canada, qui a révélé que le milliardaire aurait payé pour coucher avec de jeunes filles – souvent mineures – pendant plus de 10 ans.
Les événements auraient eu lieu entre 1994 et 2006 dans de grands hôtels de Montréal et dans une résidence de Westmount. L’homme avait fait l’objet d’une enquête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à ce sujet en 2008 et 2009, mais n’avait pas été poursuivi.

Même s’il n’était plus impliqué dans les opérations depuis plusieurs années, l’homme de 79 ans a annoncé vendredi qu’il quittera définitivement ses fonctions de président et de chef de la direction pour se concentrer «sur ses très graves problèmes de santé» et «consacrer son attention à la protection de sa réputation», a poursuivi la compagnie par écrit.

Enquête en cours

De son côté, le Service de police de la Ville de Montréal invite toute personne qui aurait été victime du milliardaire québécois Robert G. Miller à contacter ses services.Les personnes peuvent se manifester à leur poste de quartier, en téléphonant au 514 280-8522 ou en communiquant avec le 911.«Quiconque souhaite fournir de l’information de façon anonyme et confidentielle peut également le faire en contactant Info-Crime Montréal au 514 393-1133 ou par le formulaire disponible sur le site infocrimemontreal.ca», peut-on lire dans un communiqué publié également vendredi.

Actualisation du 26 février 2023 :

Action collective contre un milliardaire québécois qui aurait payé des adolescentes pour du sexe

On réclame au moins 1,5 M$ par présumées victimes du résident de Westmount

Une demande d’action collective a été déposée hier contre un milliardaire québécois qui aurait orchestré tout un stratagème lui permettant de payer pour coucher avec de jeunes filles mineures pendant des années.

Le recours, piloté par le cabinet Consumer Law Group, vise Robert G. Miller et l’entreprise Future Electronics, dont il est le fondateur.

Il est mené par une de ses présumées victimes, qui veut représenter toutes les personnes de moins de 18 ans qui ont eu des rapports sexuels avec Miller en échange d’argent ou d’objets de valeur.

On réclame au moins 1,5 M$ par présumées victimes du résident de Westmount.

« Maintenant, elle réalise qu’elle n’est pas seule et souhaite aller de l’avant pour aider les autres à obtenir justice », lit-on dans le document judiciaire obtenu par Le Journal.

La plaignante, qui avait 17 ans lors de ses rencontres avec Miller, raconte dans la requête s’être sentie « honteuse », « coupable » et « dépressive », en plus de s’auto-médicamentée avec des drogues et de l’alcool.

Rappelons que Robert G. Miller aurait payé des adolescentes pour leurs faveurs sexuelles entre 1994 et 2006, selon l’émission Enquête de Radio-Canada. Certaines d’entre elles n’avaient que 14 ans.

Entremetteurs

Les jeunes femmes prenaient un verre en sa compagnie, étaient couvertes de cadeaux et devaient se laver, décrit le reportage.

Après les relations sexuelles, on leur remettait une enveloppe contenant entre 1500 $ et 4000 $. En général, les filles lui étaient présentées soit par un entremetteur, soit par une jeune fille qui avait recruté l’une de ses connaissances, allègue l’émission.

Dans le cas de la plaignante, c’est via une annonce cherchant de jeunes modèles dans le journal qu’elle aurait rencontré Miller.

Pour chaque rencontre, il lui donnait de 1000 $ à 2000 $. Le montant a même atteint 3000 $ à une occasion.

Lors du dernier rendez-vous, l’homme d’affaires a donné à la plaignante une montre.

Il a également présenté un test négatif pour le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) qui affichait un nom différent duquel elle le connaissait, soulevant de sérieuses inquiétudes chez la jeune femme.

Le Service de police de la Ville de Montréal a déjà enquêté sur Miller et des hommes de son entourage, mais aucune accusation n’avait été déposée.

– Par Michaël Nguyen

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