Canada | Accros à la pornographie dès huit ans, l’enfance à l’ère du #Moiaussi

Comment un bambin de six ans peut-il en venir à forcer un autre enfant à lui faire une fellation ? Qui sont ces petits, aux comportements sexuels problématiques et intrusifs ? Chercheurs et intervenants s’inquiètent de ce phénomène en émergence qui traumatise des enfants exposés à la sexualité explicite. Au banc des accusés : la pornographie.

Beaucoup plus facilement accessible et explicite qu’à l’époque où il fallait se procurer un magazine que l’on cachait sous le matelas, la porno est devenue « le grand fléau », selon la sexologue Stéphanie Houle, qui travaille à la Commission scolaire des Affluents, dans Lanaudière.

Elle constate que les jeunes qu’elle accompagne ont été exposés à la pornographie par le truchement d’Internet.

Et à un âge de plus en plus bas.

« Ils sont en rupture, ils tentent de gérer le trauma, ils sont envahis par ces images qu’ils ont dans la tête.

Ils sont en réaction et ils agissent pour gérer toute cette anxiété, pour tenter de comprendre. »

L’autre problème, constate la sexologue, c’est que les enfants deviennent accros très rapidement à ces images pornographiques.

« Les enfants développent une dépendance extrêmement forte, et c’est presque instantané. »

Elle compare les émotions déclenchées par le visionnement de ces images à celles engendrées par les films d’horreur.

« Ça crée une émotion tellement forte que ça génère une hormone au cerveau.

Ce n’est pas nécessairement une émotion agréable, mais elle est forte.

L’enfant ne comprend pas ce qu’il voit.

Sur le coup, ça cause un traumatisme, une anxiété.

Ensuite, pour répondre à ses questions, il retourne voir.

Et là, ça devient très insidieux.

La dépendance s’installe très rapidement. »

La directrice des services professionnels à la Fondation Marie-Vincent le confirme : la pornographie a un « impact important » sur les enfants.

« Certains ont des symptômes de choc post-traumatique, ils ne comprennent pas du tout ce qu’ils ont vu et ils sont obsédés par ces images qu’ils ne savent pas comment classer dans leur tête. »

Elle aussi affirme avoir vu des enfants totalement accros à la pornographie.

« On voit ça ici, c’est assez troublant.

Et ça peut être très jeune, huit ans, ou moins parfois… »

« Les études sont encore récentes. Non pas que ce soit un phénomène nouveau : ça a toujours existé, les enfants qui abusent, mais c’est assez récent qu’on s’y intéresse », explique Tatou Parisien, travailleuse sociale et psychothérapeute au Centre d’intervention en abus sexuels pour la famille, un organisme qui vient en aide aux victimes et aux jeunes agresseurs en Outaouais.

« Il y a un modèle explicatif en émergence et on observe quatre facteurs de risque, précise-t-elle.

Ce sont souvent des enfants qui présentent une certaine vulnérabilité, qui vivent des difficultés sur le plan familial et qui ont été exposés à la fois à de la violence et à de la sexualité. »

Dans certains cas, les enfants qui ont des comportements sexuels problématiques ont été eux-mêmes victimes d’abus sexuels, constate-t-elle.

« Ce que je vois beaucoup plus, ce sont des enfants qui ont vu de la pornographie.

Et pas nécessairement parce qu’ils voulaient en voir.

Ils peuvent avoir tapé le mot « chat » dans un moteur de recherche, et ce sur quoi ils sont tombés n’avait rien à voir avec les petits minous… »

Les nombreux spécialistes consultés par Le Devoir s’entendent tous pour dire que, contrairement aux adultes, les tout-petits ne recherchent pas la gratification sexuelle quand ils font ces gestes.

Besoins affectifs

« Pour les enfants, les organes génitaux, ça n’a rien de sexuel, affirme la sexologue Stéphanie Houle.

Un enfant qui se masturbe de façon compulsive, par exemple, cherche souvent une façon de gérer son stress, car la sexualité apporte un apaisement. »

Dans certains cas, c’est l’expression d’une violence — un enfant veut en blesser un autre, se venger, l’attaquer ou l’intimider — qui prend une couleur sexuelle.

De façon générale, ils cherchent par la sexualité à exprimer une émotion, résume la sexologue Stéphanie Houle.

À défaut de mots, ils s’expriment par leurs comportements.

« Un enfant qui a un comportement problématique a besoin de soutien.

On doit être dans l’éducatif, pas dans le punitif », recommande-t-elle.

« J’ai des petits cocos qui se font chicaner très, très fort parce qu’ils ont demandé à un autre de baisser ses culottes ou qu’ils ont touché les parties intimes.

J’en avais un, l’autre jour, qui pleurait à chaudes larmes.

Il nous a dit : “Je ne savais pas, moi, que je n’avais pas le droit de toucher une vulve. J’avais le goût de toucher parce que c’était doux.”

Il a retenu qu’il avait fait quelque chose d’extrêmement grave, mais il ne comprenait pas pourquoi.

Il faut que l’enfant apprenne quelque chose et que ça ait du sens pour lui. »

Le message véhiculé par les parents doit être double, estime Tatou Parisien.

« D’un côté, il faut expliquer à l’enfant que ce genre de comportement est inacceptable, non seulement selon nos valeurs, mais aux yeux de la société.

À 12 ans, ce serait un acte criminel.

Il faut que ce message soit clair.

De l’autre côté, il faut dire clairement à l’enfant qu’on est là pour lui, pour le protéger et pour l’aider. »

Avant 12 ans, les enfants ne sont pas judiciarisables.

Légalement, on ne parle pas d’agressions sexuelles, un terme qui fait référence à un acte criminel.

Par contre, lorsque surviennent des cas problématiques, les écoles ont l’obligation d’appeler la police ou la DPJ.

Si les parents des jeunes victimes se sentent coupables de ne pas avoir su protéger leurs enfants, ceux des jeunes agresseurs, eux, s’inquiètent pour le futur.

« Quand on traite les enfants, on traite aussi leurs parents, parce qu’ils sont généralement totalement dépassés », explique Annie Fournier.

Services d’aide

« Ils se demandent tous : qu’est-ce que j’ai fait de pas correct ?

Suis-je en train d’élever un futur agresseur ?

On travaille avec eux pour leur dire que, non, cet enfant ne court pas plus de risques qu’un autre de devenir un agresseur.

On regarde quels besoins l’enfant exprime à travers ces gestes-là et on travaille avec le parent à combler ce besoin. »

Tatou Parisien croit aussi qu’il ne faut pas voir les enfants qui posent des gestes sexuels intrusifs comme de futurs agresseurs.

« Il n’y a rien de fixé au chapitre d’une déviance sexuelle. »

D’où l’importance, rappellent-ils tous, d’offrir des services aux enfants qui ont besoin d’aide.

Ces services, malheureusement, se font rares.

« Nous ne sommes que trois centres au Québec à offrir des services gratuitement, sinon, il faut chercher du côté du privé, et on se souhaite d’avoir de bonnes assurances ! » indique l’intervenante.

Et ces rares centres manquent d’argent.

« Trouver des bailleurs de fonds pour aider les jeunes aux comportements sexuels problématiques, ce n’est pas évident, lance Mme Parisien dans un soupir.

Pourtant, il faut traiter ce problème social à la source.

C’est vraiment triste, parce que ça reste des enfants qui ont besoin d’aide. »

Source : Le Devoir

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