Amnésie traumatique | Les victimes de viol qui retrouvent la mémoire

L’amnésie traumatique touche 40% des enfants agressés sexuellement

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Mie Kohiyama

Elles ne se sont souvenues du crime que des années après. Désormais, elles tentent de vivre avec la révélation et de faire reconnaître ce syndrome de l’amnésie traumatique.

Elles sont neuf femmes, dans une petite salle du 18e arrondissement de Paris. Agées de 19 à 50 ans, elles viennent de tous les milieux, de toute la France, avec un point commun : l’amnésie traumatique.

Chacune d’entre elles a été victime d’agression sexuelle, de viol ou d’inceste et ne s’est rappelé des faits que plusieurs années voire décennies après. Le ventre et la gorge “noués”, avec “un peu le trac”, elles prennent la parole l’une après l’autre et se livrent, enfin.

L’amnésie traumatique touche 40% des enfants agressés sexuellement

Elles ont fait la démarche de contacter l’association Moi aussi amnésie, qui souhaite faire reconnaître ce syndrome devant la justice et supprimer les délais de prescription dans la loi contre les violences sexuelles et sexistes. Des amendements ont été adoptés en ce sens au Sénat.

La bataille continue désormais à l’Assemblée dès lundi, où le texte passera en commission mixte paritaire. La petite structure a été montée il y a seulement quelques mois par Mié Kohiyama, victime d’amnésie traumatique comme 40% des personnes agressées sexuellement durant l’enfance. Elle s’est décidée à organiser des groupes de parole après avoir reçu des centaines de témoignages similaires au sien.

J’ai dépensé plus de 30.000 euros en thérapies

Ce dimanche, c’est la quatrième session organisée par l’association. Carmen* prend la parole la première.

“Je ne suis pas timide, je n’ai pas de mal à parler de moi. J’ai dépensé plus de 30.000 euros en thérapies”, rigole-t-elle.

Ça y est, la glace est brisée. Dans un français ponctué d’un accent colombien, elle décrit ses premières crises d’angoisse survenues après la naissance de sa fille. Elle interroge sa famille et le couperet tombe. Sa mère lui annonce que son frère a été violé durant son enfance. Et tout remonte. Durant des années, les deux enfants ont été abusés par un oncle adoré de la famille.

Le déni était tellement fort que Carmen a failli appeler son enfant du nom de l’agresseur.

Dans tous les récits, on retrouve le même schéma : après une agression sexuelle ou un viol, le cerveau de la victime bloque les souvenirs et ce n’est que lors d’un choc émotionnel qu’elles se souviennent par flashes d’une partie ou tout des événements traumatiques.

La révélation chamboule une vie mais peut aussi être vécue comme un soulagement après des années de souffrance. Et presque à chaque fois, elle est rendue invisible voire niée par les proches de peur de faire exploser la structure familiale. Christine, cheveux courts et lunettes carrées, a raconté les faits à sa mère le soir de Noël.

“Y a pas vraiment de bon moment pour dire ce genre de choses”, s’exclame-t-elle.

Après la révélation, la prise en charge

Après la révélation, il faut aussi penser à la prise en charge. Elles ont toutes multiplié les visites chez des thérapeutes pour trouver quelqu’un qui accepterait simplement de les croire. Muriel Salmona, psychiatre spécialiste du sujet, estime qu’en moyenne, il faut treize ans pour que la victime obtienne une prise en charge adaptée.

Laura, 19 ans, est suivie par trois thérapeutes différents. Cette bonne élève potasse et révise les méthodes pour “s’en sortir”. Cela ne fait que quelques mois qu’elle a mis le nom de son père sur le souvenir flou de son agresseur. La jeune fille parle très vite, en mâchant ses mots comme si, si elle s’arrêtait un instant, elle ne pourrait plus continuer du tout.

A mesure que son récit avance, les yeux des autres femmes s’embuent. Elle est jeune, très jeune. Lorsqu’elle finit par lâcher qu’elle vit encore chez son père, Carmen ne tient plus et s’écrie :

“Là, l’urgence pour toi, c’est de fuir. Tu dois absolument partir!” Mié tente de temporiser : “Chacun vit la situation à son rythme.”

Dernier tour de parole. Mié demande à toutes ce qu’elles retiendront de cette séance. Pour l’une, ce sera “plus de courage pour la suite”, pour une autre, “la satisfaction de repenser à lorsque je pleurais toute seule dans ma cuisine à 5 heures du matin et de savoir que maintenant je ne suis plus seule”.

Un mois après la session, elles sont restées en contact à travers une chaîne de mails et pour toutes, le groupe de parole semble avoir enclenché une dynamique positive.

Pour Laura, la séance lui a permis de faire un véritable “bond en avant” : en septembre, elle habitera seule “dans son propre studio”.

* Les prénoms ont été changés.

Source : lejdd.fr

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