Perpignan| Jean-Pierre Lacz a enfoui les sévices subis enfant dans une amnésie traumatique
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 08/02/2021
- 10:00
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Après avoir été violenté à l’âge de 4 ans par son père, presque au quotidien, Jean-Pierre Lacz témoigne aujourd’hui à visage découvert. Dans les pas de Camille Kouchner qui a dénoncé le viol de son frère par son beau-père Olivier Duhamel.
Au hashtag #metooinceste, Jean-Pierre Lacz préfère un hurlant “plus jamais ça”. Même combat.
Détruit par l’inceste, quelquefois encore victime de pulsions destructrices, “des fugues à Barcelone, à la recherche de plans culs violents”, il commence à se reconstruire.
Avec une conviction dans la voix qui s’adresse d’abord à lui-même, il s’exclame :
“J’ai 63 ans, il me reste des petites séquelles mais je me sens enfin en vie. Je ne subis plus, j’existe ici et maintenant, je tire un trait sur le passé”.
À force de traitements, de longues années de séances EMDR (la gestion neurologique de la mémoire par des mouvements oculaires), renforcées par une thérapie cognitive et comportementale, le Perpignanais renaît. Guéri d’une amnésie traumatique sans fin, mais dont les stigmates restent indélébiles. C’est qu’il n’était pas bien âgé, Jean-Pierre, lorsque l’irréparable est survenu.
“J’avais entre 4 et 5 ans, on habitait Argut-Dessus dans la Haute-Garonne, mes parents faisaient construire une maison. Un jour, on jouait avec mes six frères et sœurs, mon père m’a demandé de monter le voir à l’étage. Une fois dans la chambre, il m’a pris contre lui, il m’a appelé Éliane et il m’a mis ses doigts dans l’anus.”
Comme si c’était hier, Jean-Pierre se souvient de la sidération qui l’envahit. De l’avertissement, aussi, qui tombe sur ce premier viol.
“J’étais l’avant-dernier de la fratrie, mon père m’a prévenu que si j’en parlais à maman, ça deviendrait pire pour moi”.
Il se revoit prostré.
“J’étais sous le choc, tétanisé. Je savais qu’il venait de se produire quelque chose de pas normal mais je ne comprenais pas”.
Surtout, le petit garçon a très peur.
“Quand on faisait une bêtise, on avait droit aux coups de martinet, on se tenait à carreau ; ça criait beaucoup entre nos parents, mon père aimait les femmes, il trompait tout le temps ma mère, ils s’engueulaient”.
Or, entre les cris d’adultes, les gestes incestueux se multiplient.
Jean-Pierre, qui raconte avoir manifesté en vain son immense souffrance, avoue :
“C’était régulier, pas tous les jours mais presque”.
Il se met à vomir tous ses repas, fait l’école buissonnière, accumule les mauvaises notes.
“Je me disais qu’il y avait un truc qui n’allait pas chez moi, j’avais honte.”
Après deux années de sévices, le garçonnet accueille le déménagement familial avec soulagement.
L’entreprise paternelle ayant fait faillite :
“On est partis s’installer à Toulouse. Là-bas, mon père n’a plus jamais recommencé”.
Le pré-adolescent se croit sauvé. Et même s’il reste sur le qui-vive, change de trottoir “dès qu’un homme marche derrière moi”, Jean-Pierre tente de retrouver l’insouciance perdue. Le sport l’y aide. La piscine notamment, jusqu’à une sortie de bain qui vire au cauchemar.
“J’avais 12 ans, un monsieur m’a proposé des bonbons en m’entraînant dans la cabine des vestiaires. Là, il m’a touché, m’a imposé de lui faire une fellation…”
Sous la menace de tout révéler à ses parents, le violeur lui ordonne de venir trois mercredis d’affilée chez lui.
“Je culpabilisais, j’avais l’angoisse que mon père l’apprenne, qu’il dise que c’était ma faute et me jette dehors”.
Psychologiquement contraint et forcé, il se rend au domicile de l’inconnu. En ressort en pleurs.
“Il me pénétrait, ça me faisait très mal”.
Alors, pour essayer d’oublier son calvaire, souvent le gamin se promène au jardin des plantes.
“Je me ressourçais dans la nature”.
Il ignore que la colline est un repaire de pédophiles et subit deux nouvelles agressions sexuelles.
“Je ne m’en rendais pas compte, mais inconsciemment, je devais rechercher ces situations depuis que j’avais ressenti de la douleur mais aussi du plaisir avec l’homme de la piscine”.
Refusant cette inclinaison qui développera plus tard en lui des pulsions irrépressibles, Jean-Pierre Lacz aspire “à redevenir normal. Je n’arrêtais pas de me demander ce que j’avais fait pour devenir une proie, endurer ça encore et encore.”
Son départ pour l’internat d’un lycée où il décroche un CAP d’ébénisterie ressemble à une libération. Il commence même à regarder les filles.
Mais le sort s’acharne et, cette fois, il prend les multiples visages d’un viol collectif. Comme d’habitude, Jean-Pierre n’en dit rien à personne. La honte. Le refus de se dévaloriser toujours plus. La culpabilité.
Il se ronge de l’intérieur. Et la vie continue. Il décroche un emploi, tombe amoureux d’une femme qu’il épouse et avec qui il a deux enfants. La petite famille s’installe à Perpignan.
“Notre histoire a duré vingt ans, mon épouse acceptait mes aventures avec des garçons.”
Un coup de foudre rompt le couple.
Jean-Pierre reconnaît son homosexualité et part avec Gérard. Ses blessures restent béantes.
“Comme des élans qui me poussent vers des plans violents.”
Les mauvaises rencontres s’obstinent. Au Bocal du Tech, il est menotté, violé et relâché après avoir eu le dos et la gorge tailladés au couteau.
L’éternelle victime, qui sombre alors dans une anorexie morbide, s’émeut aujourd’hui encore :
“J’avais un comportement suicidaire, j’ai d’ailleurs fait plusieurs tentatives de suicide, je n’en pouvais plus”.
.Hospitalisé, Jean-Pierre Lacz enchaîne quinze ans d’allers-retours en psychiatrie.
“C’est là que mes souvenirs sont remontés, j’ai découvert la vérité, j’ai revu mon père me voler mon innocence.”
Trop tard pour en parler avec lui, il est mort, “ma mère aussi”. Sans rien savoir.
“J’ai malgré tout enfin compris pourquoi il pleurait chaque fois qu’il me voyait avec Gérard. Aujourd’hui, je n’ai plus de colère contre mon père, je sais qu’il n’a jamais touché mes frères et sœurs, je suis arrivé au pardon mais il me manquera toujours une réponse : pourquoi il m’a fait ça ?” Et pourquoi, “quand il abusait de moi, il m’appelait Éliane”.
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