Angerville-la-Campagne | Témoignage de Manon victime de son beau-père pédocriminel
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 06/11/2020
- 20:00
Actu : Aujourd’hui, comment décririez-vous l’homme qui vous a violée à de multiples reprises, alors que vous n’étiez qu’une enfant ?
Manon : C’était l’ami de ma mère, nous vivions sous le même toit, près d’Évreux. Il s’idéalisait, se considérait comme le roi du monde, et rabaissait les gens, aussi bien ses employés que la famille. Et à plus forte raison moi, petite fille de 8 ans, timide et réservée.
Dans quelques circonstances a-t-il perpétré ses actes ?
M : Il sévissait sous le toit familial, profitant de l’absence de ma mère. Elle travaillait comme comptable, et rentrait tard à la maison. Mais la plupart du temps, les agressions se déroulaient le mercredi après-midi, entre mes cours et mes entraînements de triathlon. Il a commencé par projeter des films pornographiques, puis procédé par attouchements avant que les viols ne deviennent la norme.
À 8 ans, comment perçoit-on les choses ?
M : À cet âge-là, le sexe n’est pas un domaine compréhensible. Je pleurais, j’allais prendre des douches puis, après la sidération, je basculais dans un autre monde. Il y avait la Manon qui se faisait violer, et la Manon qui poursuivait son chemin, avec sa vie à côté. Deux personnages différents, en somme : hors de la maison, je n’y pensais pas. Mais une fois arrivée, j’appréhendais.
Et lui, comment se comportait-il ?
M : Il agissait de manière très rituelle, très mécanique. Et il m’appelait la planche à pain, car je ne réagissais pas. Dans tous les sens du terme, d’ailleurs. Très renfermée, sans beaucoup d’amis, j’ai longtemps intériorisé ma douleur et mes souffrances. Seule la tenue d’un journal intime a permis de me défouler, de livrer mon ressenti, le fond de ma pensée.
Sous quelle forme ?
M : Mes mots n’étaient que colère. Je l’insultais, le traitais de salaud !
Quand, enfin, la parole a-t-elle pu se libérer ?
M : Un dimanche. Nous nous rendions, ma mère et moi, chez sa soeur. Lors du trajet, elle m’a dit qu’elle était tombée sur l’un de mes journaux intimes, rédigé à l’âge de 10 ans. Elle m’a demandé si c’était vrai, je lui ai répondu : « oui ».
Mais au préalable, jamais votre mère n’a eu des doutes, des soupçons ?
M : Elle était aveuglée par l’amour qu’elle portait à mon beau-père, elle ne voyait pas ce qu’il se passait autour.
En dehors des périodes douloureuses de viols, comment se comportait votre beau-père ?
M : Il était extrêmement inclusif, il voulait toujours savoir ce que je faisais. Il fallait qu’il contrôle ma vie, même à distance. Quand nous n’étions pas ensemble, il voulait que je lui envoie des textos matin, midi et soir. C’est l’exemple même du prédateur possessif, jouissant d’une autorité impulsive. Au fil du temps, il a réussi à prendre le rôle du père.
Un “père” incestueux ?
M : Je savais que le combat était mort, perdu d’avance. Me rebeller ? J’essayais de trouver des excuses, « J’ai mal à la tête, j’ai mes règles ». Mais il passait outre. Et surtout, il me tenait par la menace. Pour protéger ma mère, je me pliais à ses désirs. Dans le cas contraire, il l’aurait humiliée, comme parfois il pouvait le faire en public. Ou alors, il la faisait travailler jusqu’à minuit, une heure du matin, car c’était également sa comptable.
Avez-vous suivi une thérapie ?
M : Non, je n’en ressens pas le besoin. Deux ou trois fois, je suis allée chez le psy. Il m’écoutait, mais ne m’apportait pas de réponses. Honnêtement, je pense que la bulle de Manon qui se faisait violer a explosé ! Sur le plan psychologique, ça va globalement bien… même s’il subsiste des séquelles. Je ne supporte pas les hommes qui veulent avoir de l’autorité sur moi, que ce soit un oncle, un cousin ou un professeur.
Vous sentez-vous en paix ?
M : Aujourd’hui, je ne veux pas qu’on me voie comme victime, qu’on me plaigne et qu’on me résume à la Manon violée. Dans mon futur métier, je supporterai difficilement le fait qu’on me préserve et qu’on m’accorde des circonstances atténuantes. Si je travaille mal, qu’on me le dise pour les bonnes raisons. Victime, je trouve le mot dégradant…
Quels événements ont précipité la fin du calvaire ?
M : Le 3 février 2018, après ‘l’épisode’ du journal intime, nous avons déposé plainte. Au début, les gens ont eu du mal à me croire, car je ne trahissais aucun émoi. Après enquête et recueil de témoignages, mon beau-père a été convoqué le 16 avril. Chez lui, on a découvert des films pornographiques, des préservatifs, des sex-toys. Mis devant le fait accompli, il a reconnu les agressions… avant de se rétracter. Il s’est enfermé dans le déni.
Votre beau-père vient d’être jugé par la cour d’assises de l’Eure. Il a écopé d’une peine de prison de 13 ans ferme !
M : Lors du procès, qui s’est déroulé à huis clos, il a encore nié les agressions sexuelles. Mais sur les conseils de son avocat, il s’est ravisé. Mon sentiment ? Au-delà de la peine de prison ou des dommages et intérêts, je voulais qu’il reconnaisse ses crimes, il a gâché mon enfance. Pour autant, je ne cherche pas la vengeance, j’ai autre chose à faire de ma vie.
Justement, quel chemin emprunte votre nouvelle existence ?
M : Depuis trois ans, j’ai un petit ami, je suis des études pour devenir aide-soignante. Et surtout, moi qui étais timide, je me suis forgé un caractère assez dur.
Votre expérience, dramatique et douloureuse, peut-elle mettre en alerte des enfants victimes, ou sur le point de l’être, de pédophiles ?
M : Chaque cas est unique et relève tellement de l’intime et du contexte familial, qu’il me semble difficile de délivrer des messages, de donner des conseils. Toutefois, je recommande aux enfants qui peuvent vivre ce type de situation, de ne pas laisser traîner les choses. S’ils en ont la possibilité, qu’ils se tournent vers des gens qui vont les tirer vers le haut, et non vers le bas. À mon époque, malheureusement, autour de moi, cette personne n’existait pas.
Estimez-vous avoir payé, au prix fort, ce qu’on pourrait appeler la “loi du silence” ?
M : Très jeune, j’ai été enfermée dans une relation toxique, j’ai subi le concept du prédateur. Adolescente, il m’a coupée de mes amis et de mes proches, à l’exception de ma mère. Mais aujourd’hui, je pense que ma famille s’en veut de ne pas avoir su me protéger…
(*) Le prénom a été changé.
« des faits qui s’étaleraient de 2010 à 2017 »
Pendant sept ans, un couvreur d’Angerville-la-Campagne aurait abusé de sa belle-fille. Interpellé pour viol, agression sexuelle et corruption de mineure, il a été incarcéré.
En apprenant la nouvelle, certains habitants d’Angerville-la-Campagne – commune située à cinq kilomètres d’Evreux -, sont tombés de haut, d’autres n’ont pas été surpris, outre-mesure.
« Je connaissais le personnage. Ses allusions et son esprit graveleux n’indiquaient rien de bon » confesse un voisin.
Le pédocriminel a été incarcéré aux motifs de « viol sur mineure, agression sexuelle sur mineure et corruption de mineure » comme l’a confirmé le procureur adjoint de la République à Évreux, Eric Neveu.
Le mis en cause
Natif de Sassey, âgé d’une cinquantaine d’années, le pervers sexuel exerce comme couvreur. Sa société est d’ailleurs domiciliée à Angerville-la Campagne.
Côté pile, on lui connaît une passion pour les sorties en quad et les week-ends de pêche à la carpe.
Parfois même, il s’y rendait accompagné de Manon (*), âgée de 14 ans et fille de sa compagne qu’il a épousée en 2014.
« Rapports fusionnels »
« Il la connaissait depuis sept ans environ. D’une précédente union, il avait eu également deux filles. Mais je crois savoir qu’il avait coupé les ponts » poursuit notre témoin.
De l’avis de tous, Manon est une adolescente enjouée, agréable à vivre, bonne élève et sportive accomplie.
« Avec son beau-père, elle entretenait des rapports quasi-fusionnels »
« Dans son attitude, rien ne laissait supposer qu’elle ait pu subir des agressions sexuelles. »
Il y a un an, pourtant, elle et sa maman ont quitté le toit familial d’Angerville-la-Campagne. Comme un premier pas sur le chemin de la séparation, devenue inévitable depuis les révélations de Manon.
Cassettes pédo pornographiques
Sous le choc – « jamais elle n’aurait pu imaginer de telles pratiques » -, la mère de famille (âgée de 45 ans) mettra plusieurs mois avant de se décider à porter plainte. Démarche effectuée le 5 février, au commissariat d’Évreux.
Le couvreur a été interpellé à son domicile, le 16 avril dernier. Pendant sa garde à vue, il aurait reconnu les faits.
« des faits qui s’étaleraient de 2010 à 2017 » selon le procureur adjoint de la République.
Lors de la perquisition effectuée à Angerville-la-Campagne, les enquêteurs ont mis la main sur un fusil de chasse, non déclaré, et surtout sur plusieurs cassettes pédo-pornographiques, facteur aggravant s’il en est !
Déféré le 18 avril, l’homme dort aujourd’hui en prison…
(*) Le prénom a été changé.
Source(s):