Valence | Damien, victime de prêtres, témoigne de son amnésie traumatique
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 02/12/2025
- 12:24
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“Cette photo-là, ce sont les douches telles qu’elles étaient à l’époque. C’est là que ça s’est passé pour la première fois”.
Sur un grand tableau accroché au mur de son bureau, Damien Maes pointe du doigt une photo de la colonie dans le Jura à laquelle il a participé alors qu’il avait six ans. Le retraité de 66 ans, résident à Saulce-sur-Rhône (Drôme), se souvient avoir été abusé par deux prêtres pendant son enfance, dont plusieurs fois durant ces vacances.
“C’est des douches que j’ai décrites d’une manière très précise. C’était un box avec deux parties, mais avec une seule entrée. On était deux par douche dans mes souvenirs. Le prêtre est arrivé et il est venu nous rejoindre dans les douches”
, renchérit le Drômois.
“Je n’avais pas conscience que j’avais été agressé sexuellement”
Ces souvenirs, Damien les a longtemps occultés. Il faut attendre 50 ans pour que ses flashs inexpliqués se transforment en faits avérés qu’il a vécus. Le retraité gardait jusque-là en mémoire l’image d’un garçon avec quelques difficultés comportementales dans son enfance, mais que le mariage avec Bénédicte avait apaisé.
Puis vient cette année 2011. La famille décide d’accueillir des enfants issus de foyers sociaux.
“Et là, ça se réveille, mais c’est un tsunami”
, explique Damien.
“Je vois plus précisément toutes les scènes d’agression, tout ce qui s’est passé aux presbytères, tout ce qui s’est passé aux colonies, à l’école, dans d’autres lieux. Tout ça se réveille”.
Tout prend sens. Ses cauchemars, ses flashs, le retraité est désormais en mesure de les expliquer.
“Je commence à me dire, mais en fin de compte, ce n’est pas mon esprit tordu, ce n’est pas mon esprit pervers. J’avais quand même des flashs dans lesquels je voyais, alors je vais être un peu cru, un adulte avec la tête entre les jambes d’un enfant”
, confie le retraité.
Et le plus difficile arrive : il se rend compte que l’enfant, c’est lui.
“C’est quelque chose d’impressionnant parce que je n’avais pas conscience que j’avais été agressé sexuellement, mais là, je prends conscience de ça et je prends conscience de la violence de tout ça”
, ajoute Damien.
Le déni familial
Le Drômois n’est pourtant pas aux bouts de ses peines. Il met immédiatement au courant sa femme et ses enfants qui le soutiennent. Les choses se compliquent lorsqu’il en parle au reste de sa famille et notamment à sa mère.
“Sa première réaction, ça a été de dire ‘non, ce n’est pas possible, pas chez nous’. Après, ça a été de dire ‘mais que vont penser les autres ?’. Et sa troisième réaction, ça a été de dire ‘mais tu as tout oublié jusqu’à présent, pourquoi tu ne continues pas d’oublier ?”
, explique le sexagénaire en quête de vérité.
Des informations, il n’en aura pas de ses proches. Et puis, sans qu’il sache pourquoi, le déclic se produit.
Le sexagénaire se souvient avoir été envoyé dans une maison isolée à 800 kilomètres de ses proches peu de temps après les faits.
“Pendant ce temps-là, je pense que ma famille a dû construire quelque chose pour garder ce silence. Il y a eu un black-out complet sur ce qui m’est arrivé”
, déplore Damien qui aujourd’hui a coupé les ponts avec beaucoup de membres de son entourage familial.
De très bon élève à cancre
Déterminé à comprendre ce qui lui est arrivé, encouragé par sa compagne, Damien entreprend une vaste enquête.
C’est comme un puzzle que vous avez fait tomber par terre. Il y a quelques pièces du puzzle qui sont à l’endroit, tout le reste est à l’envers. Les pièces qui sont à l’endroit, ce sont les flashs. Et il faut reconstituer ce puzzle. Il faut aller prendre pièce par pièce pour savoir ce qu’il y a derrière, essayer de rassembler toutes les pièces pour avoir une image plus grande de la situation.
En fouillant dans ses anciens bulletins de notes, certificats de santé et autres documents de son enfance, en se remémorant les différentes rencontres sur ces périodes, le Drômois parvient à déterminer une date à laquelle les agressions ont commencé : entre 1966 et 1967.
“On voit bien dans le schéma des bulletins de notes CP, un très bon élève, avec des prix de lecture. J’étais dans les trois premiers de la classe et en CE1, c’est terminé, je passe dernier. Je me suis dit, il s’est passé quelque chose”
, explique Damien.
Il se souvient avoir régressé dans son développement à ce même moment en faisant à nouveau pipi au lit.
Des preuves accablantes découvertes sur le terrain
Mais cela ne suffit pas. Avec sa femme, ils repartent sur les traces de son enfance à Lille, font du porte-à-porte, se plongent dans les archives de presse et réalisent une première découverte : un article illustré par une photo sur lequel on aperçoit Damien, aux côtés de sa mère et de ses deux sœurs, lors de la soirée de cette fameuse colonie dans le Jura.
Première preuve qu’il a bien participé à cette colonie.
Il parvient ensuite à identifier quelques prêtres qui gravitaient autour de lui sur cette période.
“Il a fallu retracer leur parcours. Pour un prêtre, la seule chose que l’on savait, c’est qu’il avait été condamné pour pédocriminalité en 2007, et quand j’ai pris contact avec le diocèse de Lille, ils m’ont confirmé tout ça, sans difficulté”
, explique Damien, qui a mis en place, chez lui, un véritable mur d’enquête où il a punaisé toutes ses trouvailles.
“C’était vraiment pour me permettre d’y voir clair. C’était pour me dire ce que je devais chercher puisqu’à chaque fois qu’on montait dans le Nord, on faisait ça sur huit jours. J’avais toujours un objectif de me dire ‘cette semaine, on cherche ça, sur telle période’ et ainsi de suite”
, renchérit le Drômois.
Damien s’est même rendu sur les lieux du crime, cette fameuse colonie où tout a commencé. Sur place, le retraité s’est retrouvé partagé entre l’euphorie de prouver que le lieu ancré dans sa tête était bien réel et ce mal-être lié aux souvenirs douloureux remontant à la surface.
Une souffrance reconnue
En 2023, ses agressions ont été reconnues par une commission officielle de l’église. L’un des prêtres est mort en 1978 et l’autre a été condamné pour des abus sexuels sur d’autres enfants. Damien Maes n’a jamais porté plainte, préférant conjurer lui-même le passé avec le soutien de son épouse.
Ce n’est pas tellement la réparation de l’injustice que j’avais besoin. Ce qui m’a fait vraiment du bien, c’est la reconnaissance par le diocèse de ce que j’ai pu leur démontrer, et le fait qu’ils ont reconnu que mes deux agresseurs étaient déjà identifiés pour ça”
, souligne le retraité, dégoûté par la censure dont il a été victime.
” Si je devais faire un procès, ce n’est pas à l’église que je le ferais, c’est à tous ceux qui sont dans le silence, à tous ceux qui n’ont rien dit, à tous ceux qui ne disent rien encore aujourd’hui, qui le savent et qui ne disent rien”.
“Je suis tatoué de l’intérieur”
Comme lui, 330 000 personnes ont été reconnues victimes de prédateurs sexuels dans le milieu religieux catholique depuis les années 1950. Près de 80 % des victimes de membres du clergé sont des jeunes garçons. Il s’agit des conclusions du rapport Ciase dit “Sauvé” paru en octobre 2021.
Malgré la reconnaissance de leur souffrance, “la blessure, elle est encore là”.
Pire encore, “le constat que je fais aujourd’hui, c’est qu’en fin de compte, elle ne disparaîtra jamais et ça, il faut que je l’accepte”, affirme Damien qui est suivi par un psychologue.
“Il m’a souvent dit, ‘cette blessure, on ne peut pas l’effacer, mais il faut la recouvrir pour qu’elle ne me fasse plus mal. En fait, je suis tatoué de l’intérieur”
, ajoute le sexagénaire, soutenu au quotidien par son épouse.
“Je pourrai faire tout ce que je veux, je ne pourrai pas l’aider plus si ce n’est qu’il sache que je suis là. Je suis un peu une béquille pour lui”
, renchérit Bénédicte, sa compagne.
Pour que ces violences cessent d’exister, Damien Maes invite les victimes et les témoins à parler. Et si le défi est insurmontable, le retraité rappelle qu’il existe une plateforme, Coabuse, mettant en lien de manière anonyme les victimes d’un même bourreau, en fonction des indications, du nom de l’agresseur, du lieu, de l’époque signalée.
Interview réalisée par Léo Chapuis.
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