Témoignage | Victime d’un pédophile, je me bats pour que la République protège mieux ses enfants

Raphaël Emeth : Ingénieur, père de 3 enfants et auteur de “Ce sera notre secret – Éditions Max Milo”. La Société Française doit se donner les moyens de mieux combattre la pédophilie.

Illustration.

Jean habitait près de chez moi en banlieue nord de Paris.

Il était infirmier dans ma colonie de vacances.

Il était un peu mon père et mon frère.

Il m’a proposé de nous revoir à la rentrée scolaire et j’ai accepté avec plaisir.

Mon père et ma mère l’ont reçu à plusieurs reprises et l’appréciaient.

Pour eux, il était un modèle de réussite sociale, un étudiant en médecine parti de rien.

Il était charmant et, chose importante pour mes parents, il était toujours bien habillé.

Nous allions nous promener tous les deux: nous avons visité l’hôpital franco-musulman de Bobigny (aujourd’hui l’hôpital Avicenne) où il était externe, nous allions au cinéma à Paris.

Il venait parfois me chercher en Jaguar qu’il avait dénichée je ne sais où.

Je vivais avec lui dans un monde imaginaire, loin de l’autorité de mon père.

Il n’y avait pas de tension, pas de problèmes, la vie était limpide.

J’étais un enfant solitaire et introverti.

J’évoluais en dehors des autres, de mes camarades de classe ou des professeurs du collège, dans un monde de lecture et de rêve.

Je n’aimais pas les cadres imposés par la société.

Je me sentais différent.

Jean était celui qui m’a tendu la main, qui m’a guidé: il était mon tuteur (sans jeu de mots).

Je l’écoutais.

Un jour, nous étions dans sa voiture, il m’a proposé de faire mon éducation sexuelle.

Il a ajouté que cela m’aiderait par la suite avec les filles.

J’ai dit que j’étais d’accord, comme souvent quand on ne veut pas perdre un ami.

“Pendant 2 ans, chez moi (le jeudi en l’absence de mes parents) ou chez lui (le samedi dans sa chambre d’étudiant) j’ai subi une parodie d’initiation:

2 ans de viols, 2 ans de dégoût”.

Après la première fois il m’a dit: ce sera notre secret*.

J’étais sous influence comme l’est un enfant de 11 ans, je me lavais le sexe avant son arrivée.

J’étais sa chose, son déversoir à fantasmes.

Une après-midi, quand il me prenait, il m’a dit qu’il voulait essayer de jouir 2 fois de suite, pour épater les filles.

J’avais honte de ce que je que je subissais.

J’ai encore l’odeur de son parfum (33 brut de Fabergé) sur mon corps et de son sperme dans ma bouche.

Puis nos chemins se sont séparés, j’ai fait ma vie.

Une vie à la dérive, une vie d’alcoolisation et de drogues, de périodes dépressives, de marginalisation, de déscolarisation, …

Tant bien que mal, j’ai eu une vie professionnelle et familiale.

A 38 ans, soit 27 ans près les viols, j’ai été pris dans la rue d’une crise de panique aigue: je ne pouvais plus avancer car il m’était impossible de regarder les enfants, de les croiser.

J’avais peur de les toucher et d’abuser d’eux.

Je n’avais pas oublié ce que j’avais subi, mais ma mémoire avait placé ces viols sous anesthésie.

Je me suis mis de nouveau à boire de façon compulsive, j’étais saoul tous les soirs.

Je n’étais rien, de la merde tout simplement.

J’avais perdu toute estime de moi.

Pour ne pas sombrer dans la folie, j’ai contacté un psychiatre en urgence.

J’ai survécu grâce à la bienveillance et à l’intelligence de tous les thérapeutes, et de ma famille.

Je pensais que les sévices sexuels étaient de ma faute puisque je ne m’y étais pas opposé.

Une sorte de viol avec consentement.

J’ai développé de nombreux TOC (phobies du suicide, des enfants bien sûr, de la foule, des pièces closes…).

Je ne pouvais pas avoir de tendresse pour mes propres enfants et mon épouse.

Le pédophile est un pervers qui avance masqué, un prédateur sexuel.

Il arrive à développer chez sa victime un sentiment de culpabilité: je me suis longtemps senti fautif.

Il m’a demandé une seule fois de ne rien dire car il savait que je ne parlerai pas.

 

Ma vie a changé maintenant.

Elle est devenue un combat contre la pédophilie qui porte sur trois axes principaux:

1. L’Assemblée nationale a voté le mardi 15 mai 2018 le premier article du projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes.

Le délai de prescription passe désormais à 30 ans au lieu de 20 après la majorité.

C’est une avancée mais la question de l’imprescriptibilité devra être soulevée et la loi fait fi de l’amnésie post-traumatique.

Last but not least, l’article 2 ne prend pas en compte l’âge minimum de 15 ans pour la qualification en viol.

2. Il existe plusieurs casiers judiciaires.

Le casier judiciaire n°3 est exclusivement destiné aux magistrats.

Le casier n°2 est réservé au listing des condamnations et peut être blanchi au bout d’un certain délai.

Il se peut également que, sur demande de l’avocat plaidant, le magistrat dispense de l’inscription au casier n°2 pour que la possibilité d’entrer dans la fonction publique demeure.

En ce qui concerne ce qui a trait aux infractions sexuelles, toute personne ou association souhaitant embaucher une personne au contact d’enfants doit demander à l’administration référente de vérifier si ce candidat ne figure pas sur la liste interdisant le contact avec les enfants (par exemple le ministère de la jeunesse et des sports).

3. Il faut refuser le droit à l’oubli proposé par le Syndicat de la Magistrature:

“Le droit à l’oubli est la reconnaissance, par la société qui a failli en ne poursuivant pas l’auteur d’un délit (ou – rarement – d’un crime), que cet homme a le droit – au bout de plusieurs années et souvent parce qu’il a changé – de poursuivre son existence sans être suspendu à des poursuites ou à une condamnation intervenant alors même que le temps a fait son œuvre” (sic).

La pédophilie est une bombe à retardement.

Elle fait aussi des dégâts collatéraux qu’il est difficile de quantifier.

La République doit protéger ses enfants, son avenir, par des actions de prévention et de répression.

Elle doit être inflexible.

Raphaël Emeth – Ce sera notre secret – Éditions Max Milo

Source : Huffington Post

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