Témoignage | “Une partie de moi est morte à 4 ans, dans cette salle de bain” : victime d’un pédophile, Séverine se bat contre les violences faites aux enfants

Séverine Mayer, victime pendant 14 ans d’un beau-père pédophile, a lancé une pétition pour demander l’abolition de la prescription concernant les violences faites aux enfants. Elle raconte son combat, alors qu’est lancé ce 1er mars un plan de lutte national contre les violences faites aux enfants.

Elle a les yeux rieurs. Le sourire doux.

L’air d’une femme qui pose sur les choses un regard bienveillant.

“Quand on me croise dans la rue, j’ai l’air d’une personne normale.

Je parais  très forte, très souriante, très aimable”,

raconte Séverine Mayer à LCI.

Une façade.

Et derrière, un gouffre.

“Là, ça fait 4 mois et demi que je suis en arrêt maladie.

J’ai un syndrome dépressif majeur, des séquelles physiques.

On me dit clairement que je ne vais pas guérir.

Je dois vivre avec ça.”

Séverine Mayer a 45 ans.

Elle a été victime d’un pédophile, quand elle était petite.

Depuis l’âge de 4 ans, pendant 14 ans. Son beau-père.

Viols, sévices physiques, pression psychologique.

Une enfance détruite.

Longtemps, Séverine a tu cela.

Refusant de reconnaître la monstruosité des actes.

Puis, plus tard, confrontée à l’impossibilité d’en parler.

Puis, lentement, elle a tenté de se reconstruire. De parler, pour se libérer.

Mais cela a pris du temps, bien plus de 20 ans.

Entre temps, son violeur est décédé, innocent aux yeux de la société.

 

Car  aujourd’hui en France, existe un délai de prescription concernant les violences faites aux enfants : ces derniers ont 20 ans, après leur majorité, pour porter plainte.

Pour Séverine, ce n’est pas assez.

Depuis quelques années, elle se bat pour annuler ce délai de prescription.

Elle a lancé une pétition pour interpeller les candidats à la présidentielle.

“Entre le moment où les faits se sont arrêtés et celui où on a commencé à parler, à se raconter, ça peut prendre 20, 30 ans”, estime Séverine.

“Il faut encore quelques années pour se sentir assez fort pour pousser la porte d’un commissariat.

Mais c’est pourtant essentiel”, dit-elle.

“Il faut une reconnaissance du statut de victime, que la personne soit désignée comme coupable, quel que soit le nombre d’années écoulées.”

Car pour Séverine, 20 ans n’ont pas suffi pour parler.

Son “bourreau” est mort officiellement innocent.

“C’est très dur de vivre avec cette idée”, dit Séverine.

Mais le sujet reste tabou, trop peu évoqué.

“Quand un enfant est violé ou assassiné, on fait des pétitions, on allume des bougies, fait  des marches blanches.

Et puis chacun rentre chez soi, et on oublie, il ne se passe rien.

Pourtant, les victimes portent ce fardeau tous les jours.

Moi, je vis avec ça.”

C’est tard, très tard que Séverine Mayer a réussi à poser des mots sur ce qu’elle avait vécu.

A réaliser l’atrocité.

“Quand ma dernière fille a eu 5 ans, en voyant son corps de bébé, j’ai eu la nausée, avec une colère et une rage terrible, en me demandant comment on pouvait faire ça, ces atrocités vis-à-vis de ce petit corps”

Après le choc, elle a écrit en 2013 un livre, La Parole, presque une thérapie.

“Je voulais analyser ce que j’avais vécu”, raconte Séverine,

“et comment on parvient à faire taire un enfant, pendant des années, et qu’on lui fait subir le plus atroce, au point qu’il devient une coquille vide et, des années encore après, arrive encore à se taire.”

Avec ce livre, Séverine a reçu des centaines de témoignages.

Et réalisé qu’elle n’était pas la seule.

“J’espérais naïvement que ce que j’avais vécu était hors du commun, mais non”, dit-elle.

Elle s’est plongée dans les statistiques.

En a été effrayée :

“Entre 125 et 130 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année”, avance-t-elle.

La réalité des chiffres reste méconnue.

Rendant le phénomène difficile à appréhender, et donc à empêcher.

 

Alors maintenant, Séverine veut parler pour tous.

Amener les gens à ouvrir les yeux, à reconnaître ces enfants violentés, au lieu de choisir de ne pas les voir.

“Des gens auraient pu m’aider et ne l’ont pas fait”, dit-elle.

Ils ont choisi, sans doute, de ne pas gratter derrière la façade.

“J’ai grandi en devant mentir, en devant avoir l’air normal, en taisant, en masquant les coups”, raconte Séverine.

“Je passais pour une gamine dérangée, bizarre, très complexée.

J’ai fichu en l’air ma scolarité, alors que j’étais une bonne élève.

Personne n’est jamais venu me voir.”

Aujourd’hui, elle se voit comme “rescapée”.

Mais condamnée à porter, à perpétuité, un “fardeau”.

“Quand je parle de perpétuité des victimes, ce n’est pas un mot en l’air”, dit-elle.

“C’est quelque chose qu’on doit porter tous les jours, ça ne s’arrêtera jamais.”

Elle le raconte, une partie d’elle-même est morte à 4 ans et demi.

“Je porterais toujours cette petite fille morte dans cette salle de bain”

Évidemment, elle essaie d’avancer, elle en a le désir.

Elle a aujourd’hui un mari, trois enfants, de 20, 18 et 6 ans, un travail.

Mais le passé la rattrape, toujours.

“Imaginez que vous soyez attachée à un élastique”, dit-elle.

“Vous faites des efforts surhumains pour avancer, et il arrive quelque chose, le décès d’un proche, le départ d’un enfant, une agression dans la rue, et d’un seul coup l’élastique vous rattrape, et vous ramène en arrière, là où vous ne voulez pas aller.

Alors oui, on avance.

Mais avec un boulet, cet élastique, qui peut à tout moment vous projeter dans un mur.”

Sur le fil, toujours.

 

Depuis des années, Séverine navigue de thérapie en thérapie, soutenue par des anxiolytiques, doit faire avec des troubles bipolaires ou autistiques, des phobies diverses, se battre contre des phénomènes de dissociation, dépersonnalisation, des crises d’angoisses, auxquelles elle est sujette.

“Mon bourreau est mort il y a 2 ans, je le vois encore, je l’entends me chuchoter des choses”, dit Séverine.

“J’ai des crises de panique terrible, je regarde dans les placards.”

La famille, les enfants, portent eux aussi “ce fardeau” :

“Je vis dans une angoisse irraisonnée de ce qui peut arriver à mes proches.

J’ai fait une tentative de suicide en 2003, mes enfants étaient encore petits.

Actuellement encore je vis une période très difficile, ma fille a 6 ans, me dit :

‘Ne pleure pas maman, tout va bien’.”

C’est pour les enfants aussi, les siens et les autres, que Séverine continue son combat.

“Abolir ce délai de prescription, c’est une manière pour la société de reconnaître que le viol d’un enfant est un crime, et qu’elle doit prendre en charge ces victimes.”

Séverine appelle aussi à une meilleure prévention :

“Il faut en parler, former les professionnels de la petite enfance.

Et regarder les enfants dans les yeux.

Je le fais toujours.

C’est là qu’on voit ce qu’il se passe.”

Source : LCI

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