Témoignage | Prostituée depuis ses 14 ans, elle milite aujourd’hui au sein du Nid
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 21/11/2025
- 17:52
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Ses mots sont violents, sans détour. Ils peuvent heurter.
« À 14 ans, je suis devenue la pute du collège » ,
Dit Ambre, aujourd’hui âgée de 28 ans, un petit doudou en forme de pingouin serré contre elle. « Mon petit gardien. »
À l’époque, la jeune femme est en 3e dans un collège de banlieue parisienne où elle a grandi. C’est une « ado fragile, sans doute très manipulable », dit-elle ce jour de septembre, dans les locaux du Mouvement du Nid à Paris.
« J’avais envie d’être aimée, comme tous les ados. Et de vivre quelque chose de beau, d’intense. Une histoire d’amour. »
Un garçon du collège « qui m’intéresse et que j’intéresse » lui demande son numéro de téléphone.
« C’est la première fois que je sors avec un garçon. Je n’ai pas les codes, pas les références. Il m’emmène dans un parc, me demande une fellation. Je suis surprise, étonnée, mais je me dis que c’est peut-être comme ça que ça marche. »
De retour au collège, le copain se vante et fait circuler le numéro de téléphone d’Ambre. Dans le collège, puis à l’extérieur. Les sollicitations pleuvent. Un peu, beaucoup. « On se voit ? » « J’ai toujours eu du mal à dire non. » Donc Ambre dit « oui ».
« Ça me fait prendre de l’importance. Je sors de l’anonymat. Je vais aux rendez-vous. Je suis démunie, je me dis que c’est peut-être normal, que ça se passe comme ça. »
Les rendez-vous se font dans des caves, des bâtiments, des parcs. C’est fugace. Elle n’éprouve aucun plaisir. Elle se dit que, peut-être, « c’est un moyen de rencontrer des gens, de tisser des liens ».
Ambre finit par rencontrer des hommes de tous âges, une cinquantaine en un an, hors du collège, des dealeurs, des hommes ordinaires, sans contreparties financières.
« Comme anesthésiée »
« On m’appelle « la pute ». Je suis une bête de foire. Je dis aussi, tout haut : « Ah, c’est fatigant d’être une pute ». J’ai intériorisé ce qu’ils ont projeté sur moi. »
Un garçon du collège :
« Nous, on n’a pas besoin de violer au collège, on a Ambre. »
« À ce moment-là, je suis déjà comme anesthésiée. »
Ambre est amoureuse de l’un de ces hommes. « Il me disait : « Tu peux aller voir ce pote ». Je m’exécutais. La compensation, c’était son attention. C’était ce que je pensais ».
« À l’époque, je suis déjà dans une forme de dissociation. Je ris fort, je suis très exubérante, je porte des talons, de la lingerie de grande. C’est un jeu, une manière de trouver mon identité. »
Un nombre incalculable de fois, on lui propose de la drogue. « Je n’ai jamais cédé. Ma mère fumait beaucoup. Elle me disait : « Ne commence jamais ». J’avais cette limite-là. Dans une certaine mesure, ça m’a protégée. »
Enfance « heureuse »
Rien, a priori, ne prédestine Ambre à la prostitution. Elle a des copines. Élève brillante, elle a vécu une enfance « heureuse », « choyée dans une maison, à côté d’une cité de banlieue parisienne. Je n’ai jamais manqué de rien ». Père et mère praticiens hospitaliers.
Ombre au tableau : ses parents « ne s’entendent pas ». L’année de sa 4e, ils se séparent durant un an, puis annoncent qu’ils vont partir en province à la fin de sa 3e, ce qu’elle refuse. « Toute ma vie était là. »
Un jour, des garçons de sa classe lui volent son portable. À l’intérieur, des photos intimes. Chantage : pour le récupérer, et ne pas voir ces photos sur les réseaux sociaux, il faut « payer » en nature. Une fellation. Elle rentre dans le jeu, marchande : « 20 € ? Non, 50 €. »
Elle se livre pendant deux jours à plusieurs hommes, mais ne récupérera jamais la carte mémoire de son téléphone. Et, au collège, un garçon se vante. L’affaire est ébruitée. Ambre est horrifiée. La conseillère principale d’éducation (CPE) informée, puis les parents.
Ils déposent plainte pour viols. Mais la jeune ado décide finalement d’abandonner les poursuites.
« Je ne voulais pas me retrouver au procès face à un garçon de ma classe et accusée, ensuite, d’être une balance. »
Ses parents s’inquiètent mais pensent alors à un évènement isolé. Et la famille déménage en province.
« Dans ma tête, ça descend »
Et, pendant plusieurs années, « tout s’arrête. Mais, dans ma tête, dit Ambre, ça descend ». Crise de larmes, crise d’angoisse. Sa santé mentale commence à décliner.
« Je couvre une honte gigantesque. Je me dis : Pourquoi tu as été aussi sale ? » « Au lycée, je suis assez seule. J’ai du mal à relationner. Je comprends que je suis paralysée par ce que j’ai vécu. »
Aux vacances scolaires, Ambre retourne quand même dans sa banlieue natale. Retrouve ses amies, et son prétendu « amoureux », à qui elle promet qu’elle a « arrêté de faire la pute ».
« Se cacher » sous des vêtements trop grands
Après les trois années de lycée, retour en banlieue parisienne. En classe préparatoire littéraire : hypokhâgne, khâgne. Ses parents divorcent. Sa mère est au plus bas. Et Ambre plonge vraiment.
À l’époque, elle change radicalement de style vestimentaire, s’habille en jogging, très grand,
« comme les rappeurs, les gars des cités. Je veux me cacher. Je ne veux plus être celle que j’étais à 14 ans. Je prends le pli inverse. Je m’intéresse à l’islam, suis tentée par le voile. Je veux le pardon, la rédemption. »
Puis elle rejoint la faculté. Une heure trente de trajet chaque jour. « Et là, c’est l’éclatement. Je suis débordée de travail. Et dans une grande, grande, grande solitude. Je m’écroule. » Ambre arrête la fac. Est hospitalisée. Tentative de suicide, mutilations.
« Mais à aucun moment, un médecin ne me demande si j’ai subi des violences sexuelles. Tout le monde est à côté de la plaque ».
« Sous emprise »
En licence, à 20 ans, elle retrouve le copain d’adolescence dont elle est restée « très amoureuse. Ou plutôt sous emprise », corrige-t-elle aujourd’hui. Elle rêve toujours d’une « histoire d’amour ». Mais pour le jeune homme, c’est plutôt « un plan cul ».
Ça se passe dans sa voiture, chaque semaine, ou dans des garages. Et ça finit très mal : « Dans un appartement, avec des potes à lui. C’est violent et il filme. »
Ambre finit aux urgences.
« Mais, à nouveau, je ne dis rien. Seulement que je me suis disputée avec mon copain. »
Escort girl
Dans les mois qui suivent, Ambre s’inscrit sur un site d’escort girls.
« Je ne vaux que ça, je ne sais faire que ça, autant faire de l’argent avec : c’est ce que je me dis à l’époque. » Elle rencontre « des hommes ordinaires, imbibés de porno. La violence est systématique. C’est déprimant. »
Un dépôt de plainte et l’accueil bienveillant au commissariat, après une relation particulièrement violente, provoque un déclic, même si la plainte a été classée sans suite.
Ambre découvre, au même moment, sur les réseaux sociaux, des podcasts du Mouvement du nid, qui lutte pour l’abolition de la prostitution. la Vie en Rouge délivre des témoignages de femmes qui ont connu la prostitution. Ambre s’y reconnaît. Elle comprend que d’autres ont connu le même parcours. La prise de conscience est décisive.
Ambre contacte l’association, et témoigne à son tour. « Ça a été très libérateur ». Et marqué un tournant majeur dans son parcours.
Une forme d’addiction
Depuis un an et demi, Ambre a cessé de se prostituer.
« Avant, il y a eu des rechutes, dit-elle. Il y a comme une excitation traumatique, une forme d’addiction. Une espèce d’exaltation à se détruire, à retrouver cette anesthésie, cet état second. »
Elle qui a passé « beaucoup de temps à dormir pour ne pas vivre » va « mieux aujourd’hui ». Mais les démons s’accrochent, « l’aliénation mentale » guette toujours.
« L’empreinte de la prostitution et de la relation d’emprise est gigantesque, dit-elle. C’est comme une ombre qui plane. Et qui me fait dire : si un jour je suis à la rue, je pourrai toujours m’en sortir … »
Des ruptures amicales
Ce parcours douloureux a généré des tumultes familiaux, même si ses parents ignorent encore aujourd’hui tout ce qu’elle a traversé. Mais ce sont les ruptures amicales, qui ont été les plus douloureuses.
« J’ai traumatisé des amies. C’est la double peine : on s’autodétruit et on perd des gens qui ne supportent plus de nous voir nous détruire. »
Ambre a, depuis, été diagnostiquée d’un trouble de la personnalité borderline. Sa derrière hospitalisation remonte à un an. Son dernier séjour aux urgences à trois ou quatre mois. Depuis six ans, elle est sous antidépresseurs, neuroleptiques et anxiolytiques.
« Et j’ai plein de comorbidités. Ça a bousillé ma vie sexuelle et intime. J’ai des troubles alimentaires, des maladies sexuellement transmissibles. »
Depuis juin 2025, Ambre est diplômée d’un double master de lettres et de philosophie. « Ça m’a donné des outils pour analyser ma condition. »
Elle donne des cours de danse orientale et égyptienne, qu’elle pratique depuis quinze ans. « Une passion qui m’a fait énormément de bien », dit-elle, un foulard brillant recouvrant ses cheveux et des bracelets scintillants aux poignets. Elle est « encore en train de [se] réparer ».
« Tout abîmée, mais encore là »
Elle a trouvé un chemin de sortie dans la danse mais aussi la peinture, le dessin. Auprès de psys, et entourée d’un compagnon qui connaît son histoire.
Ambre se mobilise, depuis son témoignage, aux côtés du Mouvement du nid.
« Il y a tout un vocabulaire à remettre à l’endroit dans la tête des victimes. Non, les proxénètes ne sont pas des « amoureux », ni des « potes ». Et se prostituer n’apporte pas de l’argent facile, ni une « vie facile ». Dans la prostitution, on ne trouve ni attention, ni amour. C’est un leurre, qui abîme énormément le corps et l’esprit, et dont on ne sort jamais indemne. »
Elle dit encore qu’« il faut être précautionneux avec la manière dont on se traite soi-même, et la manière dont on laisse les autres nous traiter ». Et conseille, à celles ou ceux qui traversent cet enfer, d’oser « demander de l’aide ».
« Vous savez, dit-elle, parler, c’est incroyable, parce que pendant des années, j’étais murée dans le silence ».
Elle serre encore son petit pingouin dans ses bras :
« Il est comme moi. Tout abîmé. Mais il est encore là. »
Repères
Le profil des victimes
En 2024, lors de la présentation de la stratégie nationale de lutte contre la prostitution, le gouvernement évaluait à au moins 40 000 le nombre de victimes, « dont 30 % de mineurs » . Un chiffre en forte hausse, comme s’en inquiétait en avril dernier la Fédération d’associations de terrain (Fact-S).
Ces jeunes victimes sont des filles à 84 %. Une part importante sont des mineurs étrangers.
« Pour les jeunes Français, la situation la plus fréquente est celle de jeunes filles de 13 ou 14 ans, recrutées dans les collèges, les lycées, les foyers, mais aussi sur les réseaux sociaux, par de petites cellules de proxénètes » ,
Rappellent le ministère de l’Éducation nationale et le Mouvement du nid.
Ce que dit la loi
Depuis 2016, la loi a aboli le délit de racolage et pénalise les clients. L’achat d’actes sexuels est passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende si la victime est mineure, et de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende si le mineur a moins de 15 ans.
Cependant, La Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite d’êtres humains (Ici) pointe le
« fort décalage entre la réalité de terrain et les enregistrements en commissariat ou gendarmerie » .
En 2022, 1 188 condamnations ont été prononcées pour recours à la prostitution (aggravé), au proxénétisme (aggravé) et violences sur victimes de la prostitution.
Source(s):
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