Sarcelles | A. Cauchy dénonce les violences sexuelles subies par les jeunes
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 11/10/2024
- 23:45
L’histoire d’Angélique Cauchy tient dans un livre de 315 pages.
Des mots que l’on imagine tapés frénétiquement au clavier de son ordinateur, presque d’un jet, pour s’en débarrasser.
Ils racontent l’emprise de son entraîneur de tennis, les nombreux viols, les humiliations qu’il lui faisait vivre sur le court, alors qu’elle n’était qu’une enfant, et le silence de ceux qui y assistaient et ne disaient rien.
À 37 ans, maman d’un petit Milo âgé de 4 ans et demi, Angélique Cauchy se libère tout juste de “cette culpabilité d’avoir gardé le silence”, confie-t-elle. Témoigner, comme elle le fait depuis quelques années, agit sur elle comme une thérapie et la sortie de son récit autobiographique (Si un jour quelqu’un te fait du mal, Ed. Stock), ce 9 octobre, est un nouveau cap dans sa reconstruction.
L’emprise s’installe en quelques semaines
Son enfer commence en septembre 1999.
Angélique a 12 ans.
Joueuse de tennis prodigieuse, numéro 2 au classement junior, elle prend une licence au club de tennis Sarcelles, l’un des meilleurs du Val d’Oise.
C’est ici qu’elle rencontre son futur bourreau : le directeur sportif récemment nommé, Andrew Geddes, qui entraînera aussi sa petite sœur.
La première fois qu’elle le voit, “il lui fait peur”, dit-elle.
L’encadrant sportif crie sur certains élèves mais se montre très aimable avec elle.
Conscient du manque de reconnaissance dont souffre l’adolescente, il vient combler ses vides affectifs.
À l’entraînement suivant, Andrew Geddes lui apprend à jongler avec sa raquette pour ramasser la balle et flatte son potentiel.
“Tu es un diamant brut de chez brut, et je vais te polir”, relate Angélique, qui rappelle le contexte de l’époque.
Lui aurait-il dit.
J’ai grandi dans les années 90, une époque à laquelle on entendait dire que le numéro 1 de la fédé sortait avec une gamine de 15 ans.
Il avait plus de 40 ans, était son entraîneur, ça ne choquait personne.
L’emprise s’installe en à peine trois mois.
Andrew Geddes invite l’adolescente à assister à un match de son équipe de foot préférée, le PSG.
Une fois, deux fois et puis, il finit par proposer qu’elle reste dormir chez lui, à 30 km du domicile familial, pour éviter les allers-retours.
La famille fait confiance à l’entraîneur
Les parents d’Angélique font confiance à l’entraîneur.
Une fois, la mère l’accompagnera même à un rendez-vous médical, comme s’il était de la famille.
“Ce sont des mécanismes qui instaurent une emprise sur un enfant, mais aussi finalement sur une famille”, reconnaît aujourd’hui Angélique.
À la demande du coach, qui avait exigé qu’Angélique le tienne informé de ses résultats aux matches, les parents achètent à leur fille un téléphone portable.
Andrew Geddes appelle régulièrement la joueuse, en journée comme en soirée.
“Entre mes bips et ses coups de fil, il ne reste de la place pour rien d’autre. Il n’y a plus que lui, l’école, le tennis et lui”, écrit-elle dans son autobiographie, rédigée à la façon d’un journal intime de son enfance.
Les premiers sévices sexuels se déroulent dans le huis clos de l’appartement de l’entraîneur sportif.
Lorsqu’il reçoit Angélique, Geddes dort d’abord sur le canapé, puis la rejoint dans son lit, réclame un câlin.
À travers ses yeux d’enfants, ces situations semblent étranges.
La jeune fille pense alors que “comme il n’a pas d’enfants, ça doit lui manquer. Peut-être que certains papas font ça.”
Il me demande de le serrer fort dans ses bras comme si j’étais sa fille. Il me répète souvent que je suis comme sa fille.
À 12 ans, Angélique est vulnérable, intimidée par l’autorité de cet homme qui exerce sur elle un ascendant psychologique.
Selon elle, il lui disait : “Il ne faut pas que tu en parles, si tu en parles j’irai en prison parce que les gens ne comprendraient pas qu’on s’aime… Et si tu en parles, je ne pourrai plus t’entraîner et tu ne deviendras jamais forte.”
Sur le court, Andrew Geddes est tantôt encourageant, tantôt humiliant.
Près de 400 viols et agressions en 2 ans
Lorsqu’ils se retrouvent tous les deux, à son appartement, dans sa voiture ou le local de matériel du club, l’adulte caresse la fillette sur tout le corps, se masturbe à côté d’elle, lui impose des fellations, procède à des pénétrations digitales et péniennes sans consentement.
Ces moments d’horreur arrivent plusieurs fois par semaine, voire plusieurs fois par jour.
L’adolescente se met à chercher des “stratagèmes” pour y échapper.
Elle estime aujourd’hui à 400 le nombre de viols et d’agressions sexuelles commises par son ex-coach, entre ses 12 et 14 ans.
À l’été 2000, Angélique vit ce qu’elle appellera “les quinze pires jours de [sa] vie”.
Pour ses 13 ans, en mars, Andrew Geddes lui offre une “tournée à La Baule”, commune balnéaire de Loire-Atlantique d’où il est originaire et où il organisait des tournois pour jeunes joueurs et joueuses de tennis.
Les parents d’Angélique n’auraient jamais eu les moyens de payer les 4 000 francs d’inscription.
Les deux sœurs Cauchy ne sont jamais parties en colonie de vacances,
“Parce que Maman ne veut pas qu’on parte dormir ailleurs avec des gens qu’on ne connaît pas. Il se passe des choses dans les colonies, selon elle”, écrit l’ancienne joueuse de tennis.
À La Baule, elle a subi trois viols par jour pendant deux semaines.
Parmi les adultes, il y en a plein de gens qui ont vu ou auraient pu voir ce qu’il se passait.
Ils ont fait semblant de ne pas voir ou peut être n’ont-ils pas voulu prendre la responsabilité d’être celui qui va parler.
Silence chez les adultes
Chez les adultes, l’omerta règne.
Alors qu’Andrew Geddes avait débarqué avec sa compagne de l’époque, Sophie, en Espagne où la famille Cauchy était en vacances, cette dernière avait relevé l’attitude ambiguë qu’il entretenait avec l’adolescente.
À la plage, Sophie aurait dit à la mère d’Angélique :
“Si elle était plus grande, il voudrait être avec elle et pas avec moi.”
Au club de Sarcelles, il n’y avait que “des yeux aveugles” regrette Angélique.
Seule une femme a alerté le président du comportement violent et humiliant d’Andrew Geddes envers les jeunes.
Ce à quoi il aurait répondu :
“Je sais, mais il nous ramène des titres”.
Pour Angélique Cauchy, le domaine du sport serait un terrain propice au développement de ces relations malsaines entre adulte et mineur.
“Dans le sport, notamment en haut niveau, le jeune passe la plupart de son temps avec son entraîneur. Il est déscolarisé parce qu’il fait des tournois, des déplacements, dort à l’hôtel. Il n’a plus d’autre référent adulte que cet entraîneur qui, s’il n’est pas bienveillant, peut amener à des violences”, analyse-t-elle.
Quand tu es sportif, ton corps est massé par le kiné ou l’entraîneur après la séance. C’est très difficile de dire que tu ne donnes pas ton consentement. Comme ton corps est ton outil de travail, c’est comme s’il ne t’appartenait plus.
Ces situations d’emprise, comme celles qu’ont vécues Angélique Cauchy ou encore la patineuse Sarah Abitbol avec son entraîneur, ont été constatées dans d’autres milieux que le sport : le cinéma, la littérature…
“Dans les années 90, les relations entre adultes et enfants paraissaient permises, voire étaient incitées. Les baby-boomers et leur soi-disant libération sexuelle ont eu des déviances très graves. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’elles sont reconnues en tant que crime”, souligne-t-elle.
La pression de “ne pas décevoir”
Au moment des faits, la petite Angélique s’enferme dans le silence.
Son père, qui aurait été suspicieux à l’égard de l’entraîneur au tempérament violent, avait l’habitude de répéter qu’il “ferait justice lui-même” envers quiconque ferait du mal à ses filles.
De nombreux parents pourraient prononcer ces mots, sans forcément réfléchir à leur sens.
Rongée par la culpabilité, Angélique cherche, dès son jeune âge, à protéger l’équilibre familial, préserver ses parents du choc et épargner sa sœur dont elle s’est éloignée, malgré elle, durant leur adolescence.
Le poids de la famille et les sacrifices des parents empêchent les enfants de parler. On sait très bien, par exemple, que des familles ne partent pas en vacances parce qu’il faut économiser pour les tournois. Les parents ont des attentes, les enfants ne veulent pas les décevoir.
Des signaux d’alerte
Aujourd’hui, Angélique estime que des “signaux-faibles” auraient dû être perçus par les adultes de son entourage pour la protéger.
Pour elle, ces signaux se traduisaient par des comportements violents sur le court, la tricherie pour gagner les matches, un désintérêt soudain pour l’école, une imitation de son entraîneur : elle mangeait les pizzas sans les croûtes, comme lui, alors qu’avant elle adorait ça.
“Ce sont des comportements qui normalement sautent aux yeux. C’était d’ailleurs le cas, mais en fait personne n’allait plus loin”, regrette-t-elle.
Dans un petit carnet, Angélique collectionnait les autographes des joueurs du PSG qu’elle allait voir au Camp des Loges ou au Parc des Princes.
Entre les feuilles, elle griffonnait sa détresse :
“C’est trop, je n’en peux plus”, “Je veux que ça s’arrête”.
Plusieurs fois, elle a pensé à se suicider pour mettre fin à son calvaire.
À ses 14 ans, elle a eu un nouveau portable dont Andrew Geddes n’avait plus le numéro et a demandé à changer d’entraîneur.
Je veux dire aux adultes que l’on ne doit plus être des yeux aveugles, mais des témoins actifs.
Séquelles physiques et psychologiques
Si elle s’est tirée de cette emprise, Angélique a dû apprendre à vivre avec ses traumatismes.
De ses 13 ans à 18 ans, elle a cru avoir le Sida, contaminée par son agresseur comme il lui avait fait croire, à une époque où la méconnaissance du virus était source d’inquiétude.
Elle a réalisé un test de dépistage seule, à sa majorité, sans ne rien dire à personne.
Au-delà des séquelles physiques, cette période a eu de graves conséquences psychologiques.
Il lui aura fallu quinze années pour oser raconter tout ce qu’elle a vécu.
Un soir, une ancienne coéquipière de tennis, Astrid, l’appelle.
Elle a été une victime d’Andrew Geddes, juste après Angélique.
Il l’a aussi emmenée voir des matches du PSG et violée.
Astrid va déposer plainte, avec Angélique qui franchira ce cap un an plus tard, à l’âge de 28 ans, et deux autres victimes, Mathilde et Margaux.
Le procès a eu lieu après sept longues années.
En 2021, Andrew Geddes a été condamné en appel à 18 ans de réclusion criminelle, assortis d’une interdiction d’exercer une profession en contact avec les mineurs, pour les viols et agressions sexuelles des quatre jeunes filles.
Elles étaient âgées de 12 à 17 ans au moment des faits, entre le début des années 2000 et 2014.
Il a partiellement reconnu les faits.
Écrire pour se libérer l’esprit
Angélique est hypermnésique.
Ce trouble rare, qui pourrait parfois être perçu comme une chance, est un fardeau pour celle qui se souvient de chaque détail des scènes traumatisantes qu’elle a vécu.
Pendant la procédure judiciaire, un rendez-vous avec un expert psychiatre la convainc de coucher tous ses souvenirs sur le papier pour mieux les oublier.
“Je me suis dit que si c’était écrit quelque part, je pourrais me permettre de laisser de la place à tout ce que j’ai d’autre dans ma vie”, indique-t-elle.
Il m’est paru évident de publier mon récit parce que c’est mon histoire, mais aussi celle de centaines d’autres enfants. Même si l’on en parle davantage des violences sexuelles sur mineurs depuis quelques années, elles sont encore très largement sous-évaluées.
Intitulé “Si un jour quelqu’un te fait du mal”, son récit autobiographique est “pour tous les enfants” qui ont vécu, vivent ou pourraient éviter de vivre la même chose qu’elle.
L’ouvrage s’adresse aussi à sa petite sœur.
Ce sont tous les mots qu’elle n’a jamais réussi à lui dire lorsqu’elle avait 12 ans.
“Même à la barre ou lors du dépôt de plainte, je ne suis jamais allée si loin dans les faits que dans ce livre”, confie celle qui, aujourd’hui, “n’attend rien” de ses proches dont elle s’est éloignée.
Angélique se souvient avec déception de la réaction de ses parents, lorsqu’elle leur a annoncé le dépôt de plainte contre son ex-entraîneur.
“Oh non… J’espère qu’il n’a pas touché ta sœur”, a réagi sa mère, alors qu’Angélique espérait une première pensée pour elle. “Mes parents manquent cruellement de mots. J’espère que ce livre réparera des choses et permettra à nos relations d’être meilleures”, continue-t-elle.
Nouveau départ pour trouver l’apaisement
Angélique Cauchy et sa compagne Perrine se sont installées à côté de Bayonne, il y a cinq ans, à quelques mois du premier procès.
“Les crises d’angoisse étaient de plus en plus fréquentes à Paris. J’avais le sentiment d’être étouffée. À chaque fois que je venais au Pays Basque, je me sentais en liberté”, raconte celle qui a trouvé l’apaisement au bord de l’océan, a arrêté le tennis pour se mettre au padel.
Quand j’étais petite, je voulais faire des sciences politiques. Je suis devenue professeure d’EPS parce que je voulais être cet enseignant bienveillant qui aide à construire, à rendre autonome, à épanouir les élèves. Je voulais être celle que je n’avais pas eu la chance de croiser à 12 ans.
Professeur de sport dans un collège, l’ancienne sportive a quitté son poste en juin dernier pour se consacrer à l’association Rebond, qu’elle a co-fondée en 2017 avec Margaux, Astrid et Mathilde, afin de venir en aide aux jeunes sportifs victimes de violences sexuelles comme elles.
L’association forme les fédérations, licenciés de tout âge et entreprises à ces sujets, elle accompagne aussi les victimes à libérer leur parole et se reconstruire.
Des violences encore aujourd’hui minimisées
Plus de 20 ans après ce qu’elle a vécu, Angélique Cauchy a fait de la protection des mineurs son combat.
Elle a participé à une commission interministérielle sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité dans de nombreux domaines dont le sport.
Le rapport doit sortir dans quelques jours.
“Des victimes nous ont expliqué avoir été confrontées à des entraîneurs qui avaient peur que ces affaires salissent l’image de la fédé. Ils disaient ne pas vouloir passer 2000 ans sur des histoires de voleurs de pommes pour parler de viol sur mineur”, déplore celle qui considère, tout de même, qu’il “y a du mieux aujourd’hui”.
La publication de son livre est un bon baromètre.
“À partir du moment où j’ai commencé à l’écrire, j’ai accepté que cette histoire ne m’appartienne plus complètement et qu’elle puisse être accueillie de différentes manières, songe-t-elle. Peut-être que certains ne comprendront pas la façon dont j’ai voulu l’écrire… Cela voudra certainement dire qu’il y a encore une partie de la population qui n’est pas prête.”
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