Paris | Victime des viols d’un homme qui l’a acheté, Elodie témoigne

Après le procès, la jeune femme nous raconte ses rêves et ses espoirs.

Trois jours de procès aux assises de Paris ont révélé le calvaire de la jeune Elodie*, 23 ans, victime dès l’adolescence des viols répétés de celui qu’elle croyait être son père.

Mardi dernier, cet homme de 54 ans, qui niait, a été condamné à 15 ans de réclusion.

Il a dix jours pour faire appel.

Après le verdict, Elodie a accepté de se confier.

Elle est de celles qui ont réussi à rompre le silence du viol et à porter leur histoire devant la justice.

La sienne raconte l’adolescence saccagée d’une très jeune fille pour qui la violence sexuelle, la trahison, la déscolarisation et l’enfermement se sont ajoutés au déracinement de l’exil.

Envoyée en France depuis la République Démocratique du Congo à l’âge de 12 ans sous une fausse identité, Elodie* a subi les viols et l’emprise de celui qu’elle croyait être son père durant sept ans avant de parvenir à dénoncer les faits.

« Tu as détruit ma vie mais tu n’auras pas ma haine », lui a-t-elle asséné lors du procès.

« J’ai peur qu’on ne me croit pas », avait-elle aussi dit.

En condamnant à 15 ans de réclusion criminelle cet homme de 54 ans empêtré dans d’absurdes dénégations, y compris face à une preuve ADN qui figurait au dossier, la cour d’assises de Paris a donné foi à la parole de sa victime.

« Il y a ce sentiment du vol d’une vie », avait plaidé l’avocat d’Elodie, Me Cédric Alépée, en soulignant toutefois sa confiance en son avenir :

« Je suis persuadé qu’elle va rencontrer l’amour, qu’elle sera mère, qu’elle construira sa place dans la société et qu’un jour, elle l’oubliera. »

Pour son conseil, qui l’accompagne depuis le début de l’enquête de la Brigade de protection des mineurs en 2014, ce procès représentait « la première pierre d’une reconstruction. »

Elodie attend l’expiration du délai d’appel.

Elle espère « voir noir sur blanc » la condamnation.

Elle exprime ici ses espoirs et explique pourquoi elle pense que son cas, au sein de sa communauté, n’est pas isolé.

Qu’avez-vous pensé du verdict ?

Elodie. J’ai trouvé que c’était correct.

Des gens sont condamnés pour meurtre, moi je suis vivante…

Sa réaction à lui au moment du verdict, c’était comme s’il n’était pas là…

Je sais qu’il a dix jours pour faire appel.

Le stress continue encore un peu.

J’espère un jour voir noir sur blanc sa condamnation.

Comment avez-vous vécu ce procès ?

Au début, je ne voulais pas venir.

Après ma plainte, en 2014, j’ai voulu faire marche arrière.

Je me disais :

« Tout le monde va le savoir, mon nom, les gens de ma communauté… »

Mon avocat, mes éducatrices, les psychologues, les gens qui m’entourent ont réussi à me mettre en confiance.

Il a fallu du temps mais j’ai eu du temps pour me préparer.

Vos premières impressions ?

Le plus impressionnant, c’est la salle d’audience, la composition du jury et les juges.

L’avocat général avec sa robe rouge me faisait peur ! (elle sourit)

Ce qui m’a rassurée, c’est de voir qu’il y avait des gendarmes et que lui était en fauteuil roulant (ndlr : l’accusé souffre de divers problèmes de santé).

Ils ont d’abord essayé de le faire rentrer dans le petit carré du box.

Ensuite, ils l’ont descendu (dans le prétoire).

J’ai un peu paniqué mais après ça allait.

J’ai compris que je n’avais pas à m’inquiéter.

Vous fait-il encore peur ?

Plus comme avant, non.

Il ne me fait plus peur.

Après, la crainte vient plutôt de son entourage.

(ndlr : avant le procès, Elodie a reçu de lourdes menaces. Une enquête est en cours).

Après, je m’attendais à un miracle : je voulais qu’il reconnaisse ce qu’il m’a fait.

Ça ne s’est pas produit.

Il m’a même traitée de menteuse, de prostituée…

Maintenant, je n’attends rien.

Vous avez été emmenée en France depuis la République Démocratique du Congo à l’âge de 12 ans sous couvert de faire des études et de rencontrer celui qu’on vous a désigné comme votre père. Vous dites aussi que vous pensez que votre cas n’est pas isolé : c’est-à-dire ?

Quand je dis que je pense que je ne suis pas seule, c’est parce que tout commence déjà par l’histoire des papiers : quelqu’un a déclaré que j’étais sa fille et m’a fait venir en Europe.

Des « papas » congolais – nous on dit « des tontons »- qui vivent seuls et qui proposent ça, il n’y a pas une mère qui dirait non, même pas pour des études mais pour que sa fille ait une vie meilleure.

Quand il te fait venir, tu es chez lui, à sa merci.

A l’église où je vais, on parle entre nous les jeunes : il y a des filles qui ont été violées elles aussi, parfois une seule fois, mais qui n’ont jamais parlé parce qu’il n’y a pas de preuves et parce qu’elles n’ont pas le courage de le dire.

Avez-vous revu votre mère, restée à Kinshasa ? Vous soutient-elle ?

Non, je ne l’ai pas revue depuis 2006.

Si je pouvais la ramener ici tout de suite, je le ferai !

Je m’inquiète pour elle parce que les menaces d’avant le procès la visaient aussi et qu’en Afrique c’est facile, il suffit de payer quelqu’un…

Oui, bien sûr, elle me soutient à 100 % !

Je l’avais tous les soirs au téléphone pendant le procès :

« Tu ne lâches rien ! »

J’ai la chance d’avoir une mère qui a compris ce que j’ai subi.

On est seules au monde, loin des yeux mais près du cœur (elle sourit).

Pensez-vous retourner un jour à Kinshasa ?

Oh oui, quand ce sera fini.

Ce que je veux faire c’est retrouver mon identité : j’ai mon vrai prénom mais pas mon vrai nom, ni mon vrai âge.

Avec mon avocat, on s’occupera ensuite de ça.

Quelle est votre situation aujourd’hui ?

J’ai trouvé un CDI dans un magasin de vêtements, j’y travaille depuis un an mais avec mon diabète, c’est parfois compliqué.

Mon hébergement dans le cadre d’un contrat jeune majeur avec l’Aide sociale à l’enfance vient de se terminer mais j’ai trouvé une colocation, pour ne pas vivre seule.

J’ai toujours un suivi.

Mon rêve, ce serait de retourner au lycée, d’avoir un bac !

Je ne sais pas encore pour quoi faire exactement mais j’aime les contacts avec le client.

Travailler à la SNCF, dans une gare, pour vendre des billets, peut-être que cela me plairait !

Source : Le Parisien

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