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Mise à jour du 10 janvier 2025
La bouleversante lettre d’une victime à sa proxénète :
« Tu as fait de ma vie un enfer » :
Valérie avait 14 ans lorsqu’elle a été livrée à la prostitution au Bois de Vincennes, quatre jours après son arrivée en France, en juillet 2015. Au procès de Madame Wiseborn, la terrible mère maquerelle, elle a fait lire par son avocate un message dans lequel elle revient sur son avortement forcé.
« Titi, avant de nous demander pardon, tu devrais commencer par assumer la responsabilité de tes actes. »
Le message lu ce jeudi par Me Catherine Daoud, avocate de Valérie (le prénom a été modifié) s’adresse à l’accusée.
14 ans, des joues d’enfant, une voix fluette, mâchouillant son cordon de survêtement comme une ado… On l’a vue à l’écran, son audition à la BRP a été diffusée au procès.
240 nuits précisément, relève Me Daoud, où les clients n’ont pu ignorer qu’elle était mineure.
C’est le quatrième procès depuis 2020, autant de fois à devoir raconter les sévices, l’enfance volée, la peur des représailles, le VIH pour l’une, l’impossibilité d’avoir des enfants pour d’autres…
« C’est simple, nos clientes nous demandent de ne plus leur dire à l’avance qu’un procès est prévu mais de les prévenir une semaine avant seulement, sinon, elles ne peuvent plus avancer, elles ne peuvent plus travailler », explique Me Kathleen Taïeb pour plusieurs d’entre elles.
Valérie en a perdu la voix. Le son ne sort plus, elle est obligée de chuchoter pour s’exprimer. Les médecins n’ont trouvé aucune anomalie ORL, c’est son corps qui bloque.
Chaque annonce de procès, c’est revivre « la peur, la nuit dans le Bois, à 14 ans. Les menaces, les privations de nourriture, les coups, la terreur et l’effroi, jusqu’à cet avortement clandestin sans son consentement ».
« J’étais encore vierge à mon départ du Nigeria »
L’avocate lit le message in extenso.
« Hier, j’ai entendu l’expert psychologue dire que tu n’étais pas présente à la maison lors de mon avortement, et que ma grossesse avait démarré au Nigeria. Comme tu le sais parfaitement, j’étais encore vierge à mon départ en mai 2015, à mon arrivée à Paris le 12 juillet et lorsque j’ai commencé à travailler pour toi le 16 juillet. Tu ne te souviens pas que, lorsque je t’ai dit que je n’avais pas eu mes règles au mois d’août, tu m’as donné deux comprimés d’Ampiclox et une bière Guinness pour les avaler ? Plus tard, lorsque nous avons été expulsés de votre appartement de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et que je n’avais toujours pas mes règles, tu m’as emmenée dans une clinique où j’ai fait un test de grossesse sous une fausse identité et le test disait que j’étais enceinte de cinq semaines. Alors, comment peux-tu déclarer que j’étais enceinte depuis le Nigeria que j’avais quitté quatre mois avant ? »
Elle revient sur ce jour où l’ « avorteur » a été appelé, parce que les « doses massives de Cytotec », un médicament depuis retiré du marché, ne faisaient pas effet.
« Tu étais assise dans le salon avec (eux), tu leur as apporté du whisky (…) comment peux-tu dire que tu n’étais pas à la maison au moment où on m’a fait avorter et que je criais de douleur ? »
Elle rappelle que sa dette – de 35 000 euros pour le passage en Europe – a été augmentée de « 5 000 euros pour l’avortement ».
« Quels actes inhumains tu ne m’as pas faits ? »
« Tu m’as fait payer un loyer pour l’hébergement et la nourriture, alors même que tu me privais souvent de l’un et de l’autre. Et le nombre de fois où tu m’as confisqué mon téléphone pour m’empêcher de parler à ma famille, tu t’en souviens ? Je ne veux plus parler des maltraitances, ni que tu as fait de ma vie un enfer sur terre… Titi, dis-moi quels actes inhumains tu ne m’as pas faits ? »
Et de demander à l’accusée, devenue mère de quatre enfants depuis :
« Comment te sentirais-tu si quelqu’un faisait à ta fille ce que tu m’as fait à moi ? Alors, commence par reconnaître tes actes et ensuite, demande pardon et tu seras pardonnée, car toutes les deux nous connaissons la vérité. Tu connais la vérité, Titi, et tu sais très bien tout ce que tu m’as fait. »
Valérie vit toujours en France. Elle a décroché un CAP de cuisine et intervient auprès des victimes de traite d’êtres humains.
La salle est figée, l’accusée, aussi. Lorsque le président lui demande, en fin de procès, si elle veut ajouter quelque chose, elle présente des excuses. « Je voulais m’excuser », dit-elle en prononçant notamment le vrai prénom de Valérie.
« Qu’elles cherchent une place dans leur cœur pour me pardonner, je suis très très désolée ».
L’avocat général a requis contre elle treize ans de réclusion, suivi par La cour d’assises de Paris a condamné jeudi soir Miriam Wiseborn pour proxénétisme en bande organisée, traite des êtres humains et avortement forcé entre 2014 et 2016, à 13 ans de prison et une interdiction définitive du territoire.
Pour fixer sa condamnation à 13 ans, la cour a tenu compte des peines prononcées contre les autres membres du réseau, de 8 à 18 ans.
C’est Omos Wiseborn, dont Miriam avait partagé la vie, qui a écopé de la sanction la plus lourde.
Celle qui a dit oui, celle qui a dit non
Six mois après son passage en France, Madame Wiseborn est devenue à son tour Mama, Madame maquerelle.
« Mais elle est où la liberté sous les coups de ceinture, quand on se fait frapper au quotidien ? » a questionné Me Clot, ouvrant la porte à cette lourde question de l’emprise et de la liberté de choix. Miriam Wiseborn, une enfance miséreuse et une trajectoire similaire à celle des victimes, pouvait-elle faire autrement ? Celle qui a présenté ses excuses, à la fin du procès, aurait-elle pu refuser de devenir maquerelle il y a dix ans ?
La réponse est oui, cent fois oui, pour l’accusation.
« Elle a sa place dans cette organisation, une place d’hébergeuse, une place de maquerelle, qui facilite, organise et bénéficie de la prostitution d’autrui », a développé l’avocat général, rappelant au jury qu’une autre jeune femme a su dire non.
Celle qui a dit non, c’est Joy.
Une fois sa dette de 35 000 euros remboursée, le boss, Omos, a proposé à cette adolescente de faire venir des filles pour elle, si elle avançait la somme évidemment.
Il lui a dit qu’elle pourrait se faire beaucoup d’argent.
Joy a refusé et est allée voir le Bus des Femmes pour tout raconter.
C’est elle qui a fait tomber le réseau.
« Elle va voir une association, et elle dit ce qu’ont dit certains, dans l’histoire de France à des moments cruciaux, elle a dit non ! Miriam Wiseborn, elle, a dit oui. »
Assises deux rangs au-dessus de son avocate, Me Celine Le Goff, Joy écoute chaque mot.
Elle n’a pas besoin de la traductrice, elle est parfaitement bilingue. Elle est aujourd’hui devenue maman.
Hasard du calendrier, c’était son anniversaire le jour d’ouverture du procès. Elle travaille dans la restauration et intervient auprès des victimes de traite.
Elle a aussi entendu l’avocat général exhorter les jurés à ne plus qualifier les victimes du réseau de « prostituées ».
« Qu’on n’accole plus le nom de prostituées à celles-ci, elles étaient des esclaves », a insisté Jean-Christophe Muller.
Des esclaves sexuelles, à la merci de clients du Bois de Vincennes, des milliers d’hommes qui ont payé « 20 ou 30 euros » pour disposer du corps de celles qui avaient seulement 13 ou 14 ans, et encore des joues d’enfants.
Sources
Article du 19 décembre 2024
Victime, elle aussi, ou bourreau comme les hommes ?
Celle que tout le monde appelle encore Madame Wiseborn, du nom de celui dont elle a partagé la vie plusieurs années — et qui a été condamné à 18 ans de prison pour avoir piloté un réseau de proxénétisme international entre le Nigéria et l’Europe de 2014 à 2016 —, paraît bien seule dans le grand box de la salle Voltaire, au palais de justice de Paris.
Âgée de 34 ans, Miriam, parfois Jennifer ou Titi, cheveux courts et regard triste, encourt vingt ans de réclusion pour proxénétisme et traite des êtres humains en bande organisée… Même si cette fois, elle est jugée toute seule.
Quand les policiers sont intervenus à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), en mars 2016, Miriam n’était pas là.
Visée par un mandat de recherche, elle avait été condamnée par défaut à la peine maximale en 2020 : vingt ans de prison dans ce qu’on a appelé l’ « affaire Wiseborn », premier procès jugé devant la cour d’assises de Paris.
Et quand Miriam a été interpellée en 2022 en Allemagne, où elle a refait sa vie et donné naissance à trois enfants — un quatrième est né en prison —, elle a fait opposition, si bien qu’elle est rejugée comme si c’était son premier procès.
« Au juge d’instruction qui l’a interrogée, elle a dit qu’elle se prostituait sous la coupe de Wiseborn, avec qui elle avait fait un mariage de papiers », résume le président Christophe Petiteau.
C’est en Libye que le tandem s’est formé. Issue d’une famille pauvre, l’accusée quitte l’école à 6 ans pour vendre du poisson avec sa mère, se fait exciser de force à 7 ans, et espère trouver une vie meilleure en Libye, sans penser que la guerre civile fait rage.
La suite s’écrit en Europe. Le même trajet que celui des victimes, même si plusieurs ont failli mourir, comme les passagers du bateau pneumatique noyés sous leurs yeux, lors de la traversée de la Méditerranée.
Des ados avec une dette de 35 000 euros à rembourser
« C’est la première fois que je voyais d’aussi jeunes mineures », convient à la barre le major de la BRP (brigade de répression du proxénétisme), dix ans de métier.
À ces adolescentes, d’à peine 13 ans, on avait vendu une formation de coiffure, des études, un poste de nourrice.
Elles se sont retrouvées route de la Pyramide (Paris XIIe), en plein bois de Vincennes, pour des passes à « 30 euros la pipe et l’amour », et cette dette de 35 000 euros à rembourser pour leur passage en Europe
Pas question d’y déroger, elles ont toutes prêté serment avant de partir lors de la « cérémonie du Juju », une cérémonie rituelle, où la candidate au voyage jure obéissance et soumission à son passeur ou sa « mama », sous peine de représailles.
À charge aussi pour elles de payer le loyer de l’appartement à Saint-Denis, environ 400 euros, rembourser les vêtements achetés au marché de Sarcelles (Val-d’Oise)… Et l’avortement pour celles qui tomberaient enceintes, pratiqué avec des ciseaux quand les médicaments ne marchaient pas. Même au-delà de trois mois.
Les jurés auront quatre jours pour déterminer le rôle précis de Madame Wiseborn dans ce procès où l’évocation des avortements, donne des haut-le-cœur, même si elle n’est pas poursuivie pour ça.
Des coaccusés, dont Omos, toujours en prison, témoigneront depuis leur cellule.
Pour eux, l’affaire est définitivement jouée, leur condamnation en appel à des peines de 8 à 18 ans est définitive.
Décideront-ils de dire la vérité ? De charger Madame Wiseborn ou de la dédouaner ?
Cinq victimes ont aussi prévu de revenir témoigner, comme elles l’ont fait lors des deux premiers procès
Je ne veux pas voir ce visage
Première à la barre ce lundi, une jeune femme de 31 ans, qui vit toujours en France. Elle arrive tremblante, on lui tend une chaise, une avocate l’aide à enlever son manteau. Elle ne regarde pas le box.
Elle explique par la voix d’une traductrice qu’elle pouvait gagner entre « 500 et 1 000 euros les bonnes journées », qu’elle se prostituait « tous les jours, même quand elle avait ses règles ».
« J’ai pardonné », tient-elle à ajouter.
« J’ai l’impression que vous avez peur », lui demande Jean-Christophe Muller, l’avocat général.
Elle se racle la gorge, expire deux fois. « Oui… Je ne veux pas voir ce visage, à cause de toutes les méchancetés qu’elle a faites. »
Le président lui propose de développer.
« Je ne veux pas me souvenir du passé. Mais oui, elle a été violente, de beaucoup de façons. Elle criait, elle tapait. Tous les deux étaient violents, mais avec elle, c’était pire. »
« Pourquoi n’avez-vous pas évoqué les violences avant ? » demande alors Me Nicolas Clot, avocat de la défense.
« Je voulais laisser le passé derrière moi », répond-elle, avant de s’effondrer à l’extérieur de la cour d’assises.
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