Paris – Seine-Saint-Denis – Val d’Oise – Nigéria | La mère maquerelle face aux prostituées

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Elle encourt 20 ans de réclusion pour proxénétisme en bande organisée et traite des êtres humains
Introuvable depuis 2016, cette femme a été interpellée en Allemagne, en 2022, où elle avait refait sa vie. Elle est jugée jusqu’à jeudi par la cour d’assises de Paris.

Victime, elle aussi, ou bourreau comme les hommes ?

Celle que tout le monde appelle encore Madame Wiseborn, du nom de celui dont elle a partagé la vie plusieurs années — et qui a été condamné à 18 ans de prison pour avoir piloté un réseau de proxénétisme international entre le Nigéria et l’Europe de 2014 à 2016 —, paraît bien seule dans le grand box de la salle Voltaire, au palais de justice de Paris.

Âgée de 34 ans, Miriam, parfois Jennifer ou Titi, cheveux courts et regard triste, encourt vingt ans de réclusion pour proxénétisme et traite des êtres humains en bande organisée… Même si cette fois, elle est jugée toute seule.

 Quand les policiers sont intervenus à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), en mars 2016, Miriam n’était pas là.

Visée par un mandat de recherche, elle avait été condamnée par défaut à la peine maximale en 2020 : vingt ans de prison dans ce qu’on a appelé l’ « affaire Wiseborn », premier procès jugé devant la cour d’assises de Paris.

Et quand Miriam a été interpellée en 2022 en Allemagne, où elle a refait sa vie et donné naissance à trois enfants — un quatrième est né en prison —, elle a fait opposition, si bien qu’elle est rejugée comme si c’était son premier procès.

« Au juge d’instruction qui l’a interrogée, elle a dit qu’elle se prostituait sous la coupe de Wiseborn, avec qui elle avait fait un mariage de papiers », résume le président Christophe Petiteau.

C’est en Libye que le tandem s’est formé. Issue d’une famille pauvre, l’accusée quitte l’école à 6 ans pour vendre du poisson avec sa mère, se fait exciser de force à 7 ans, et espère trouver une vie meilleure en Libye, sans penser que la guerre civile fait rage.

La suite s’écrit en Europe. Le même trajet que celui des victimes, même si plusieurs ont failli mourir, comme les passagers du bateau pneumatique noyés sous leurs yeux, lors de la traversée de la Méditerranée.

Des ados avec une dette de 35 000 euros à rembourser

« C’est la première fois que je voyais d’aussi jeunes mineures », convient à la barre le major de la BRP (brigade de répression du proxénétisme), dix ans de métier.

À ces adolescentes, d’à peine 13 ans, on avait vendu une formation de coiffure, des études, un poste de nourrice.

Elles se sont retrouvées route de la Pyramide (Paris XIIe), en plein bois de Vincennes, pour des passes à « 30 euros la pipe et l’amour », et cette dette de 35 000 euros à rembourser pour leur passage en Europe

Pas question d’y déroger, elles ont toutes prêté serment avant de partir lors de la « cérémonie du Juju », une cérémonie rituelle, où la candidate au voyage jure obéissance et soumission à son passeur ou sa « mama », sous peine de représailles.

À charge aussi pour elles de payer le loyer de l’appartement à Saint-Denis, environ 400 euros, rembourser les vêtements achetés au marché de Sarcelles (Val-d’Oise)… Et l’avortement pour celles qui tomberaient enceintes, pratiqué avec des ciseaux quand les médicaments ne marchaient pas. Même au-delà de trois mois.

Les jurés auront quatre jours pour déterminer le rôle précis de Madame Wiseborn dans ce procès où l’évocation des avortements, donne des haut-le-cœur, même si elle n’est pas poursuivie pour ça.

Des coaccusés, dont Omos, toujours en prison, témoigneront depuis leur cellule.

Pour eux, l’affaire est définitivement jouée, leur condamnation en appel à des peines de 8 à 18 ans est définitive. Décideront-ils de dire la vérité ? De charger Madame Wiseborn ou de la dédouaner ?

Cinq victimes ont aussi prévu de revenir témoigner, comme elles l’ont fait lors des deux premiers procès

Je ne veux pas voir ce visag

Première à la barre ce lundi, une jeune femme de 31 ans, qui vit toujours en France. Elle arrive tremblante, on lui tend une chaise, une avocate l’aide à enlever son manteau. Elle ne regarde pas le box. Elle explique par la voix d’une traductrice qu’elle pouvait gagner entre « 500 et 1 000 euros les bonnes journées », qu’elle se prostituait « tous les jours, même quand elle avait ses règles ». « J’ai pardonné », tient-elle à ajouter.

« J’ai l’impression que vous avez peur », lui demande Jean-Christophe Muller, l’avocat général.

Elle se racle la gorge, expire deux fois. « Oui… Je ne veux pas voir ce visage, à cause de toutes les méchancetés qu’elle a faites. »

Le président lui propose de développer.

« Je ne veux pas me souvenir du passé. Mais oui, elle a été violente, de beaucoup de façons. Elle criait, elle tapait. Tous les deux étaient violents, mais avec elle, c’était pire. »

« Pourquoi n’avez-vous pas évoqué les violences avant ? » demande alors Me Nicolas Clot, avocat de la défense.

« Je voulais laisser le passé derrière moi », répond-elle, avant de s’effondrer à l’extérieur de la cour d’assises.

 

 

 

 

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