Aujourd’hui âgée de 36 ans, Angélique Legendre brise le silence

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D’autres victimes n’ont pas souhaité porter plainte
Angélique Legendre image Actu.fr
Près de Rouen (Seine-Maritime), Angélique Legendre a écrit un livre sur son enfance meurtrie par des violences sexuelles. (©ML/76actu)

Son livre ne fera pas peut-être pas autant de bruit que celui de Camille Kouchner, mais il aura été une véritable thérapie pour Angélique Legendre, 36 ans, une habitante d’Isneauville, près de Rouen (Seine-Maritime).

Entre ses six et ses 12 ans, Angélique Legendre a été violée et attouchée par son cousin par alliance, « le fils du mari de ma tante », raconte, non sans émotion, la jeune femme.

On habitait dans la Manche et on passait souvent les mercredis et les samedis ensemble, chez eux ou chez nous. Ma mère et ma tante étaient toutes les deux mères au foyer, on se voyait très souvent.

Des violences sexuelles et physiques

Ce cousin avait 4-5 ans de plus qu’elle.

Il avait donc dix ans quand tout a commencé et 16 ans quand les agressions ont cessé.

« Je ne sais pas combien de fois c’est arrivé, mais c’était très régulier, surtout quand on était chez lui, il avait une chambre pour lui tout seul. C’est arrivé aussi chez mes parents quand il y avait possibilité de s’isoler. Il y a eu des violences sexuelles, mais aussi physiques pour me contraindre », assure cette femme, qui a aujourd’hui deux enfants, âgées de 11 et sept ans.

« À 12 ans, j’ai réussi à lui dire non. J’ai dû commencer à comprendre, à sentir que ça allait trop loin. Mais en fait, depuis le début, je trouvais cela dérangeant, mais je ne savais pas vraiment pourquoi. Son discours était rôdé et j’étais sous son emprise. »

Dépression, crise de panique

Si Angélique arrive aujourd’hui à parler sans détour de cette enfance meurtrie, c’est le fruit d’un très long travail. Car, après avoir réussi à lui dire non, les agressions cessent et Angélique referme le couvercle sur ce passé.

Elle enfouit ces événements dans un coin de son cerveau, n’en parle plus jamais et essaie de vivre normalement.

« C’est comme si mon cerveau avait fait en sorte que j’oublie tout. À 15 ans, j’ai été diagnostiquée dépressive chronique, souligne-t-elle. Ce n’était pas anodin. Mais à l’époque, on a mis ça sur le compte de la crise d’ado. »

Malgré ses plaies, Angélique avance.

Elle passe une formation d’assistante sociale au Havre et intervient dans le service d’aides aux victimes de la gendarmerie et de la police à Rouen.

« Je me suis mariée, j’ai eu deux enfants, j’avais une maison, un travail, un chat, un chien… Tout ce que les gens rêvent d’avoir. Mais je n’étais pas bien, j’étais tout le temps frustrée, je faisais des crises de panique quand il y avait de la foule… »

J’avais beau faire semblant, ma prise de poids de 35 kg à 22 ans quand je suis arrivée à Rouen, mes grossesses compliquées, la panique quand j’ai su que mon premier enfant était une fille… ne pouvaient pas rester inexpliquées.

Son travail, qui l’amène parfois à être proche des victimes de violences conjugales, lui font remonter des mauvais souvenirs.

« Des médecins, des thérapeutes ont tenté de me faire parler. Mais je ne voulais pas, je n’y arrivais pas. C’est seulement à 30 ans, après avoir essayé de vivre normalement pendant tant d’années, que j’ai décidé d’arrêter de me voiler la face. »

Le réveil de la mémoire traumatique

Angélique contacte alors son agresseur par Facebook.

« J’avais tellement enfoui ce qu’il s’était passé que tout était flou pour moi. Je lui ai alors posé des questions. Il m’a dit qu’il y avait eu des attouchements et que c’était parfois allé plus loin. À ce moment-là, quand j’ai voulu en savoir plus, il a coupé court à notre conversation. »

Mais cette discussion réveille la mémoire traumatique d’Angélique.

Des souvenirs lui reviennent, de plus en plus précis.

« J’avais des flashs la nuit », explique-t-elle.

Angélique prend alors son courage à deux mains et mène son enquête, se replonge dans son passé.

Elle interroge ses proches.

« Quand j’ai reparlé de tout ça, cela a été difficile pour eux. Certains s’en doutaient, d’autres savaient. D’ailleurs, aujourd’hui, on n’en parle jamais. »

Une lettre au procureur de la République

Elle découvre qu’il y a eu d’autres victimes, elle les contacte.

« Aucune n’a souhaité porter plainte. Moi, je suis allée au bout. J’ai écrit une lettre au procureur en 2014. Je ne veux pas qu’il aille en prison, ce n’est pas ça mon souhait. Mais je veux être reconnue comme victime et qu’il ait des soins. Car un pédocriminel récidive toujours… »

Le dossier est alors instruit par le tribunal de Cherbourg-en-Cotentin.

« J’ai eu ma première audition avec le juge, qui a transmis mon dossier aux Assises. Nous sommes en attente. »

Pour effectuer toutes ces démarches, Angélique a été suivie de près par un psychiatre spécialisé dans les traumatismes.

« J’avais dû mal à lui parler, peut-être parce que c’était un homme, je ne sais pas. Il m’a conseillé d’écrire. J’ai alors beaucoup écrit. Tous les souvenirs revenaient en pagaille. »

Un livre thérapeutique

Cette thérapie par l’écriture a donné lieu à un livre en autoédition Pardonner pour ne plus souffrir.

La sortie de ce livre est un grand événement pour la trentenaire.

« C’est une véritable renaissance qui me donne de la force. Je veux aller plus loin en aidant les victimes d’inceste. Le parcours que j’ai mené depuis mes 30 ans a été salutaire, mais aussi très difficile. Gérer les relations avec ses proches quand on leur apprend la vérité, appréhender les auditions avec les juges si on décide de porter plainte, recevoir les insultes de la famille de l’agresseur… J’aimerais vraiment ouvrir un cabinet pour accompagner les victimes dans toutes ces démarches. »

Car si Angélique semble aujourd’hui puiser dans une force inépuisable, la plongée dans ce passé traumatique n’a pas été sans conséquence.

« Cela aura valu un divorce, élude-t-elle. Ce sont des parcours compliqués, il faut être soutenu ; j’ai d’ailleurs manqué moi-même d’accompagnement. C’est pour cela que je voudrais organiser des conférences, mais aussi des formations à destinations des professionnels, des proches des victimes. »

« Que nos enfants ne vivent plus dans cette normalité »

En parallèle, Angélique Legendre applaudit l’arsenal législatif qui est en train de se mettre en place.

« La proposition de loi visant à instaurer un crime sexuel sur mineur de moins de 13 ans, qui a fait beaucoup polémique, est en fait une vraie avancée, car auparavant, il n’existait pas d’âge de consentement légal en France. On pouvait être consentant à six ans ! On met le doigt sur un vide juridique. »

Angélique souhaiterait cependant que cet âge soit repoussé à 15 ans, l’âge de la majorité sexuelle.

« Mais dans tous les cas, que ce soit le livre de Camille Kouchner, l’indignation des gens sur le crime sexuel sur les moins de 13 ans, c’est positif, on en parle ! »

« Quand je vois les chiffres hallucinants du nombre de victimes d’inceste, je me dis qu’en fait mon histoire est banale. Il faut vraiment que les langues se délient, que des choses se mettent en place pour que nos enfants ne vivent plus dans cette normalité. »

Infos pratiques :
Pardonner pour ne plus souffrir, le livre d’Angélique Legendre est disponible en commande sur le site Ulule.fr. Tarif : 18 euros. Pour contacter Angélique Legendre : pardonnerpourneplussouffrir@gmail.com ou via la page Facebook.Source de l’article Ici

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