Montréal | Des violences sexuelles dans les écoles ne sont pas prises au sérieux

90 % des participantes disent avoir déjà subi des attouchements dans les écoles, dont 20 % de manière répétitive

Les adolescentes ont parlé de fellations faites sous la menace, d’attouchements et d’autres formes d’agressions sexuelles commises par des élèves entre les murs des écoles. Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir

Société

Des élèves d’écoles secondaires de Montréal et des intervenantes communautaires lancent un cri du coeur : des violences sexuelles surviennent dans les écoles, mais ne sont pas prises au sérieux.

Selon ce que Le Devoir a appris, 7 élèves, accompagnées de deux intervenantes, sont venues livrer des témoignages troublants en pleine séance du conseil des commissaires de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), mercredi soir.

Elles ont raconté des histoires qui ont bouleversé les commissaires. Les filles ont parlé de fellations faites sous la menace, d’attouchements et d’autres formes d’agressions sexuelles commises par des élèves entre les murs des écoles.

Ces étudiantes proviennent de trois écoles secondaires publiques de la CSDM, d’une école secondaire privée et d’une autre école pour des élèves ayant des besoins particuliers.

Émilie Martinak, une des intervenantes qui ont accompagné les sept élèves lors de leur témoignage devant le conseil de la CSDM, mercredi, explique:

« Les violences sexuelles dans les écoles sont tellement courantes qu’elles deviennent banalisées »

Mme Martinak et son équipe ont décidé d’alerter les commissaires pour secouer l’apathie du milieu scolaire — directions d’école, enseignants et autres membres du personnel. Les plaintes d’élèves restent généralement sans suite, selon elle.

Urgence d’agir

Mme Martinak coordonne un programme de prévention de l’exploitation sexuelle à la Maison d’Haïti, un organisme communautaire du quartier Saint-Michel, à Montréal. Le projet accompagne chaque année entre 112 et 129 élèves de Montréal.

Son constat est accablant : 90 % des participantes disent avoir déjà subi des attouchements dans les écoles, dont 20 % de manière répétitive.

Presque toutes les filles disent avoir déjà reçu des photos non sollicitées d’organes génitaux de garçons. Et les cas de fellations obtenues sous la menace et l’intimidation ne sont pas rares, déplore Émilie Martinak.

Le gouvernement a fini par agir contre les violences sexuelles dans les universités quand des femmes ont dénoncé les agressions. Il faut maintenant agir contre les violences sexuelles dans les écoles secondaires.
— Marjorie Villefranche, directrice de la Maison d’Haïti

Comme à l’université, elle estime qu’un protocole clair est essentiel dans toutes les écoles secondaires pour accueillir les plaintes, mener les enquêtes, sanctionner les agresseurs et accompagner les victimes.

« Les filles qui dénoncent un attouchement ne sont pas prises au sérieux, dit Émilie Martinak. Elles se font dire par les surveillants “Je n’ai rien vu” ou “Tu l’as cherché”. Les écoles ont tendance à fermer les yeux et à blâmer les victimes. »

Les directions d’école collaborent néanmoins avec la Maison d’Haïti et d’autres groupes communautaires pour prévenir les violences sexuelles, souligne l’intervenante.

Émilie Martinak et Marjorie Villefranche, de la Maison d’Haïti, soutiennent du mieux qu’elles le peuvent les jeunes filles victimes de violences sexuelles à l’école. Mais c’est l’école et la commission scolaire qui devraient être en première ligne, expliquent-elles.

La CSDM interpellée

La présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, dit avoir été émue par ce qu’elle a entendu mercredi soir.

« Les élèves ont été très courageuses. Elles voulaient des ressources, elles ont été entendues », dit-elle au Devoir.

Mme Harel Bourdon précise qu’une sexologue vient d’être embauchée pour former le personnel des écoles et « mieux outiller nos milieux » pour faire face à ce type de situation.

Car elle le reconnaît, il est possible que les plaintes des victimes ne soient pas bien reçues dans certaines écoles.

« On travaille beaucoup à outiller, parce qu’on a 16 000 employés, donc en fonction de la personne à laquelle la jeune fille va parler, c’est important que le plus grand nombre soit outillé. Et ce qu’on veut, de plus en plus, c’est cibler auprès des jeunes vers qui ils peuvent aller. »

En ce moment, les écoles de la CSDM traitent ces cas à l’aide du protocole contre l’intimidation et la violence. En fonction de ce protocole, selon les dossiers, les victimes seront accompagnées pour porter plainte à la police et seront soutenues sur le plan psychologique.

« Mais il faut qu’elles dénoncent, répète Mme Harel Bourdon. Et ce que les jeunes filles sont venues nous dire , c’est que parfois elles ont peur, elles ne comprennent pas bien leurs sentiments et leurs émotions et ne vont pas dénoncer. […] Le mouvement #MeToo, ça a touché tout le monde. Si des femmes adultes ont peur de dénoncer, imaginons une jeune fille de 13-14 ans, qui n’a pas tous les outils et qui est dans une crise d’adolescence. »

Réflexion sur les moyens

Est-ce que les écoles secondaires pourraient avoir un protocole spécifique pour traiter les violences sexuelles, comme c’est désormais le cas dans les cégeps et les universités ? C’était aussi une demande du groupe Citoyenneté Jeunesse lors des consultations sur le projet de loi 151, qui s’applique dans les établissements post-secondaires.

Catherine Harel Bourdon n’est pas fermée à l’idée. « Ça va être beaucoup aux intervenants et à la sexologue de nous guider. Si on voit qu’on a beaucoup de jeunes qui dénoncent des événements et qu’on sent le besoin de pousser plus loin le protocole pour bonifier certaines interventions plus précisément sur la question des agressions sexuelles, on va le faire. »

La présidente de la CSDM souligne également que les violences sexuelles ne sont pas uniques à un quartier ou à une école, mais que c’est « un phénomène social qui peut arriver dans tous les milieux ».

Un phénomène répandu

Au Centre d’aide aux familles latino-américaines, un organisme qui accompagne les jeunes dans plusieurs écoles de Montréal, on confirme qu’il s’agit d’un phénomène bien présent dans les écoles secondaires.

« Oui, il y a des agressions, on ne peut pas le cacher, et ce n’est pas juste dans une école, mais dans plusieurs écoles », répond la directrice, Cecilia Escamilla.

Selon elle, lorsque les jeunes femmes portent plainte, la réponse est bonne.

« Les travailleurs sociaux font le suivi, et vite, on ne laisse pas les jeunes filles dans le vide. Mais ce qui manque, dans les écoles, ce sont des programmes de prévention contre les agressions sexuelles. »

La commissaire indépendante Violaine Cousineau dit avoir été « bouleversée » par les témoignages des élèves.

« Elles sont venues nous dire qu’il y a des agressions sexuelles dans nos écoles, c’est extrêmement troublant. Ça nécessite une réponse musclée et immédiate, comme l’an dernier dans les universités », dit-elle.

Source: ledevoir.com

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