Meaux | Laxisme judiciaire pour le beau-père incestueux… Peine de prison en semi-liberté

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Pédocriminel En liberté

Les « papouilles » sexuelles sur sa fille de 13 ans étaient « un jeu »
Au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), Franck, 57 ans, a enfin reconnu les agressions sexuelles sur sa fille, longtemps considérée comme une menteuse par sa famille. Il s’est excusé d’avoir détruit la vie d’Eva* qui a ressenti un profond soulagement, même si jamais elle ne pardonnera.

Une fois n’est pas coutume, c’est d’abord à la présidente Teyssandier que l’on rendra hommage. Au palais de justice de Meaux, collègues, greffiers, avocats louent fréquemment sa délicatesse et son sens de l’équité. Juge des enfants dès 1998 (avec un bref détour par le parquet en Seine-Saint-Denis), Emmanuelle Teyssandier est une magistrate qui écoute et sait faire parler prévenus et victimes. Cela n’a l’air de rien, pourtant c’est tout un art de ne pas brusquer les uns et les autres, de ne pas bloquer leur parole.

En déployant ses qualités, lundi 24 octobre 2022, elle a permis à Eva*, qui a désormais 23 ans, d’évacuer la honte qui la submergeait depuis 2010, de se libérer des troubles qui l’ont rongée, du désespoir qui l’a menée à tenter trois fois de se suicider.

Elle a aussi conduit Franck, le père incestueux, à reconnaître la gravité des délits. Deux avocates l’y ont aidée : Me Valérie Delatouche, qui a préparé Eva à supporter l’audience difficile ; Me Valérie Rovezzo, qui a fait évoluer son client au fil de l’instruction.

Franck, cheveux blancs, tee-shirt bleu assorti à son jean, s’avance à la barre de la 3e chambre correctionnelle. La nuit est tombée, les autres dossiers ont été jugés, seule reste la presse dans la salle. L’homme, extrêmement mal à l’aise, n’ose pas regarder sa fille assise à 1,50 mètre. La jolie jeune femme, venue avec son mari, s’est promis « de ne pas pleurer devant [celui] » qui les a adoptés, son frère et elle, orphelins d’un père mort trop jeune.

La présidente Teyssandier lit le rapport des faits, perpétrés de 2010 à 2013 sur mineure de 13 ans et de plus de 15 ans – les deux qualifications pénales sont passibles de dix années de prison. L’affaire est examinée en 2022 pour deux raisons : la première plainte a été classée sans suite ; la seconde a fait l’objet d’une longue information judiciaire.

Eva écoute. Son époux pose une main rassurante sur sa cuisse. En 2010 au collège, elle se confie à deux amies : le mari de sa mère « touche » ses seins, son clitoris et tire sur son pantalon de pyjama devant la maisonnée, qui en rit. La mère est convoquée :

« C’est quoi, ces conneries ? », s’insurge-t-elle.

Franck est interpellé.

« Fais ce qu’il faut pour arranger les choses », intime la mère à sa fille.

Eva se rétracte :

« Je ne voulais pas qu’il ait des ennuis et que maman se retrouve de nouveau seule ».

Le dossier est abandonné aux archives.

Le père continue de « s’amuser avec la gamine », la sommant de :

« Ne rien dire à maman, sinon elle se ferait des idées ».

À 16 ans, Eva choisit de vivre en pensionnat pour lui échapper. Elle ne réintégrera jamais le foyer. Le 18 juin 2018, elle trouve la force d’aller à la gendarmerie. Avec sa mère, qui a réalisé l’ampleur du traumatisme de sa fille et les dégâts irréversibles qu’il a provoqués. En garde à vue, et devant le magistrat instructeur, Franck nie les accusations. À la barre, il ne les rejette plus mais les minimise.

« C’était un jeu qui avait cours dans la famille, leur frère l’avait instauré », explique-t-il, haussant les épaules, comme si, ma foi, tout cela n’était pas si grave.

Cependant, jamais il ne s’en est pris à la cadette, née du mariage avec la mère des aînés adoptés.

La présidente :

« – Pincer les tétons et baisser la culotte de votre fille, c’est normal ?

– Pour moi, c’étaient des câlins, des papouilles. J’arrêtais si elle disait non.

– Caresser le clitoris sous la couette de votre fille, c’est encore un jeu ?

– Non… Je ne sais pas…

– Vous cessiez lorsque sa mère rentrait à la maison, n’est-ce pas ?

– Ouais, peut-être…

– Donc vous saviez que c’était interdit ?

– Oui », murmure-t-il.

Un pas vient d’être franchi : jusqu’à présent, il admettait seulement « avoir touché son sexe par accident ».

Eva témoigne assise, auprès de son mari qui lui insuffle de l’énergie.

« Les attouchements journaliers n’ont pas été un jeu, pour moi. J’ai souffert de ne pas être crue par ma mère, ma famille. Ces agressions m’ont bouffée ! J’ai été dépressive, sous traitement, longtemps… Mes tentatives de suicide étaient plus des appels au secours que des envies de mourir, mais bon… »

Mais bon, elles prouvent son mal-être. L’époux confirme qu’elles auraient pu la tuer.

Le psychiatre qui a expertisé Eva évoque « sa grande fragilité, sa colère ». Si elle se porte mieux, c’est grâce à l’amour de son conjoint, au bébé qu’ils attendent, à la justice qui l’a entendue. Emmanuelle Teyssandier :

« – Que pensez-vous, Monsieur, de ce qui vient d’être exprimé ?

– Je veux m’excuser. J’ignorais son état. J’ai fait une grosse bêtise…

– Non, cela constitue un délit ! Vous êtes sûr que vous êtes avec nous ? J’ai l’impression que vous ne vous remettez pas vraiment en cause.

– … »

L’étude de sa personnalité révèle un casier judiciaire vierge, six enfants de deux unions, la séparation d’avec la mère d’Eva, une compagne à qui « je n’ai pas tout dit. Je lui aurais fait de la peine », et beaucoup d’alcool. Il ne boit plus, se retranche derrière les abus passés pour se défendre.

Il a été licencié après avoir plusieurs fois écarté le pull de collègues afin de voir leurs seins.

« C’était une blague », dit Franck.

L’assesseure Cornelia Vecchio :

« – Apparemment, vous êtes un marrant !

– Je l’étais !

– Ma remarque était ironique, Monsieur. »

L’expert psychologue l’a trouvé « obsessionnel, égocentré, rigide ». Quant au psychiatre, il a vu en Franck « un tripoteur manipulateur », syndrome inconnu des magistrats et avocats. On saisit toutefois l’idée. Au nom de la partie civile, Me Valérie Delatouche le :

« Remercie d’avoir reconnu les faits, il était temps ! Vous avez détruit l’adolescence de votre fille, les images du père et de la mère protecteurs. Aujourd’hui, un chemin heureux s’ouvre à elle ».

La procureure Myriam Khouas regrette qu’Eva :

« Ait dû s’extraire à 16 ans de la cellule familiale pour fuir » sa situation, « un dommage irréparable ».

Elle s’inquiète d’une « réitération sur ses petits-enfants », requiert cinq ans de prison dont trois ferme avec incarcération à la barre, une obligation de soins, l’interdiction de voir Eva, l’inscription au Fijais (fichier des auteurs d’infraction sexuelle).

En défense, Me Valérie Rovezzo insiste :

« Sur sa prise de conscience, peu à peu. Quand je l’ai connu, il ne parlait que de “guili-guili”. Je ne peux pas laisser dire que le travail mené n’a servi à rien. Il n’arrivait pas à formuler ce qu’il a fini par avouer ».

Elle estime que :

« La permissivité familiale est à l’origine des attouchements », allusion à l’épouse « qui râlait s’il touchait leur fille. Quelle mère râle en voyant ça ? Quelle mère ne dit pas “ça suffit, c’est impossible !” et ne quitte pas son conjoint ? »

A ses yeux, la détention est inutile :

« L’essentiel est de démontrer que Madame n’était pas folle et qu’elle soit reconnue victime. »

Elle le sera, à 21 h 20. Les juges condamnent Franck à quatre ans de prison, deux avec sursis. Il effectuera la partie ferme sous le régime de semi-liberté – il dormira donc chaque nuit en cellule. Peine exécutoire qui s’applique à présent. Les autres réquisitions sont suivies, et son nom figurera au Fijais jusqu’en 2042. Enfin, il versera 10 000 euros à Eva.

Le couple quitte la salle, enlacé. La jeune femme s’autorise enfin à pleurer.

*Prénom modifié

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