Les réseaux pédocriminels n’existent pas | Round 34 | Réseau Forteto
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 12/05/2018
- 00:00
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Podcast – Réseau Forteto (15′)
Des victimes dénoncent la complicité des autorités, politiques compris, des services sociaux et de la justice qui auraient protégé la secte durant tout ce temps.
La communauté, devenue une coopérative agricole dans les années 90, est créée par de jeunes libertaires en 1977 sous le nom de “Il Forteto” à Prato, près de Florence (voir ici la page wikipedia des procédures menées).
Deux ans plus tard le groupe déménage à Vicchio, à quelques kilomètres à l’est de Florence, et la région rachète la première ferme pour 300 millions de lires (60 millions d’euros).
La “philosophie” de ce groupé fondé par une trentaine de jeunes, se situe dans la veine des idées post-soixante-huitardes de libération sexuelle, comme une alternative à la famille traditionnelle.
Les fondateurs ont au départ conçu cette communauté comme une sorte d’église non conventionnelle, une “expérimentation sociale”, qui s’est transformé peu à peu en un centre de réhabilitation pour des jeunes maltraités ou en rupture.
Une fondation a donc été créée dans cet objectif.
En parallèle, les dirigeants distillaient divers préceptes en matière d’éducation, avec un écho important dans le pays.
Et nombreux ont été les “spécialistes” à écrire sur cette “expérimentation”, dans laquelle des enfants ont été victimes de maltraitances et d’abus sexuels pendant plus de trente ans.
Une étrange vision de l’éducation
A l’origine de la communauté, les relations hétérosexuelles étaient même interdites, si bien qu’aucun enfant ne naissait.
Du coup, les adultes de la secte sont devenus familles d’accueil, et les enfants passaient d’un parent adoptif à l’autre.
Souvent maltraités, obligés de travailler parfois dès 8 ans au même rythme que les adultes, les enfants étaient aussi des proies sexuelles.
En effet, dans cette secte, tout le monde était incité à avoir des relations sexuelles, dès l’adolescence et parfois avant, car les abus sexuels sur les enfants étaient courants.
Mais en même temps “les hommes et les femmes vivent divisés: ils dorment, mangent, travaillent séparément, même mariés”, expliquait une victime lors d’une audience au tribunal.
Le gourou, Roberto Fiesoli appelé “le Prophète”, a été condamné avec son bras droit pour “actes de libido violente et mauvais traitements d’enfants handicapés, et il a été définitivement condamné en 1985” à deux ans de prison [1].
Parmi les faits qu’on lui reprochait, il y avait des faits “de nature sexuelle”.
Mais, miracle à sa sortie en 1979 il a pu être famille d’accueil, quant à Goffredi, il a carrément pu adopter deux enfants.
En 2000, Fiesoli a encore été arrêté et reconnu coupable de corruption de mineurs.
Il avait déjà fait un petit tour en prison en 79.
Puis fin 2017, lors de la procédure d’appel à sa condamnation de 2013 (17 ans de prison), il a pris 15 ans et 10 mois de prison, et 22 autres personnes ont été condamnées avec lui.
Quand la police est venue le chercher chez lui, “Fiesoli a paru surpris: il ne s’attendait pas à ce que l’ordre soit exécuté”.
Pensait-il que sa “maladie” lui épargnerait la prison?
On dirait.
En tout cas, ses avocats veulent en appeler à la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour que leur client sorte de prison, au nom d’un “procès équitable”.
Le principe de la secte était la “rééducation”, et ses théories ont été publiées dans des ouvrages, discutées dans des conférences à travers la région et le pays, et ont obtenu une légitimité de la part des intellectuels plutôt situés à gauche, des politiciens, des magistrats, des psychiatres, des travailleurs sociaux, et même par les autorités locales.
Des scientifiques réputés ont même écrit sur les méthodes du Forteto encore dans les années 2000.
Les dirigeants de la “coopérative”, nous dit un journal italien, “ont été invités à d’importantes conférences pour expliquer leur modèle “éducatif”,
et la justice pour mineurs a continué à envoyer à Mugello des enfants issus de familles tombées dans la violence morale, physique et sexuelle”.
Une fois les enfants arrivés dans la communauté, les fratries étaient automatiquement séparées et les relations entre frères et sœurs étaient désapprouvées.
Les enfants étaient confiés à des parents du même sexe, puisque les hommes et les femmes étaient strictement séparés.
Quand une mère se montrait trop proche de son enfant, il lui était retiré.
La communauté passait cependant pour une référence : Il Forteto était
“un centre d’excellence en Toscane et l’un des meilleurs centres italiens pour le rétablissement des mineurs maltraités, abusés et déviés.
Et il était devenu l’un des centres préférés du tribunal pour mineurs, qui lui confiait des garçons maltraités”.
D’autant plus un centre “préféré”, qu’il ne demandait pas les frais de placement familial.
Mais, il touchait d’autres subventions publiques [2] sont certaines font l’objet d’enquêtes pour fraude.
La coopérative, selon Fiesoli, avait un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros par an.
La secte avait des pratiques d’humiliation publique, les “confessions”, auxquelles les mineurs étaient soumis.
Certaines victimes parlent de “viol psychologique”, de “lavage de cerveau violent et systématique“, et on pourrait aussi parler, semble-t-il de conditionnement.
Il y avait aussi des punitions comme l’enfermement dans une chambre froide durant des heures.
D’autres disent avoir été violées dès 12, 13 ans par Fiesoli et Goffredi.
Selon Fiesoli, les abus sexuels sur les enfants étaient destinés à les “libérer de la matérialité”, et leurs parents adoptifs ainsi que toute la communauté les éduquait comme cela (ou faisait la même chose), si bien qu’eux-mêmes étaient convaincus que c’était à la fois normal et bien.
“Nous avons tous dû essayer de mûrir par la confrontation”, se souvient Donatella,
et la “confrontation”, dans le vocabulaire inversé du prophète, “était une relation sexuelle homosexuelle”,
expliquait une victime en 2013, ceux qui étaient attirés par le sexe opposé étaient insultés,
“humiliés devant tout le monde, soumis à des “éclaircissements”.
“Ils vous mettaient sur une chaise le soir et faisaient un procès.
Tu devais avouer être en proie à des obsessions sexuelles même si ce n’était pas vrai, ou avoir souffert de la violence de la famille d’origine même si cela ne s’était jamais produit “.
Ceux qui se rebellent ou s’opposent souffrent de “punition””.
Au comité scientifique du Forteto, qui se donnait donc une apparence de sérieux, on trouvait notamment lors de la création en 1998:
- l’ex-président du tribunal pour enfants Gianfranco Casciano,
- le juge pour mineurs Antonio Di Matteo,
- le politicien local Eduardo Bruno,
- le professeur Giuliano Pisapia (aujourd’hui maire de Milan, qui dirigerait alors le procès de cassation qui a condamné Fiesoli en 1985)
- Mariella Primiceri, alors officier au quartier général de la police de Florence.
Les victimes parlent de protections
Les faits étaient connus depuis 35 ans, selon une association qui réclame des “excuses” de la part des autorités politiques, mais aussi de la justice et des services sociaux, car personne n’a agi.
De fait, la lenteur de la justice a été manifeste, et personne n’avait envie d’éclaircir ces affaires d’abus divers et variés.
Des victimes qui ont porté plainte en 2011 sont enfin parvenues à faire bouger la justice, mais une grande partie des faits étaient déjà prescrits.
Par exemple, les 6 ans de prison auxquels a été condamné le bras droit et “idéologue” de Fiesoli, Luigi Goffredi, ont été annulés pour cause de prescription.
Suite aux plaintes de 2011, le parquet de Florence a été particulièrement lent et réticent à ouvrir une enquête sur les presque 40 ans d’abus commis dans cette secte.
Ceci dit, selon les victimes les contrôles des services sociaux étaient inexistants à l’époque des abus.
Si la justice a bougé, c’est probablement parce qu’une commission a été mise en place par la Région en 2012, et qu’elle a auditionné quelques témoins et victimes, et reconstitué une partie du puzzle de cette affaire [3].
La presse locale évoque
“tout un système de pouvoir en Toscane, fait de complicités cachées et de soutien explicite, de “court-circuitage institutionnel”,
de “ligne de crédit illimitée” ouvert par la Région, la ville de Mugello, le tribunal pour enfants, les services sociaux”.
Ambiance.
Vu de France, on pense à des associations comme le Coral, le Cheval pour Tous, l’École en Bateau, les Tournelles…
D’ailleurs, comme au Coral, diverses personnalités politiques et magistrats défilaient au Forteto.
“Fabrizio Braschi, ancien maire de Calenzano, a raconté “plusieurs assemblées à la Casa del Popolo” où – après les condamnations de Fiesoli et Goffredi – “le président de la cour des mineurs de l’époque, Giampaolo Meucci, est venu justifier quelque chose d’injustifiable…
” A Forteto, les présidents du tribunal des mineurs étaient à la maison – tous les témoins le disent – ils sont venus déjeuner”,
pouvait-on lire en 2014 dans un journal régional, qui citait une série de politiciens [4].
Des instructions de vote étaient même données aux membres de la secte.
35 ans d’occasions manquées
Un des magistrats les plus proches de Fiesoli était Gian Paolo Meucci, président du tribunal des mineurs de Florence depuis 1966 et jusqu’à sa mort en 1985, qui a contribué à la grande réforme du droit de la famille.
Malgré qu’il ait suivi la procédure contre le Prophète et son bras droit, il a continué à confier des mineurs au Forteto.
Ce juge Meucci n’a pas hésité, le jour de la libération de Fiesoli, à lui remettre un enfant trisomique.
Il a toujours dit que sa condamnation n’était due qu’à un complot.
En 1998, deux psychiatres avaient dénoncé le fait que les liens des enfants avec leurs familles d’origine avaient été réduits au strict minimum.
Peu après, quand un enseignant a tenté d’alerter sa hiérarchie sur le malaise dans les relations avec leurs familles, il a été convoqué face à Fiesoli et s’est vu retirer les élèves de la coopérative.
En 2000, les directeurs du Forteto sont envoyés devant la cour européenne des droits de l’homme par les parents de deux enfants hébergés dans le centre.
Ils ne sont jamais parvenus à ramener leur fils chez eux, celui-ci étant manifestement sous l’emprise de Fiesoli.
En 2002, des parents portent plainte contre le chef de la police locale qui refusait d’enquêter sur le Forteto.
Ils se sont vus eux-mêmes poursuivis pour calomnie par le parquet.
Les parents avaient aussi écrit au sujet de Fiseoli au tribunal des mineurs et au maire de la Ville.
Puis en 2009, un nouveau couple porte plainte.
Le procès en première instance de 2013 avait permis de pointer du doigt
“les manquements à la justice, les défaillances dramatiques des services sociaux publics et la bienveillance inexplicable qu’une certaine partie politique, culturelle et même judiciaire accorde à un homme depuis des décennies”.
Les rapports réalisés par les services sociaux, par exemple, étaient d’une rare complaisance et ont été tournés au ridicule lors du procès en raison, notamment, de leurs “incohérences”.
On apprenait aussi que le dossier judiciaire contenant la procédure de 1977 – 1985 contre Fiesoli et Goffredi avait disparu des archives du tribunal avant de réapparaître mystérieusement en novembre 2013.
Des magistrats l’avaient vainement cherché en 2012 quand ils ont commencé à travailler sur les plaintes de 2011.
Par ailleurs, si une partie des victimes a quitté la communauté, certaines d’entre elles travaillent toujours pour la coopérative et restent donc dépendantes de ce système.
D’autres vivent toujours dans la communauté.
Celles qui ont pu fuir totalement semblent être une minorité.
Fiesoli et les responsables du Forterto, selon la commission d’enquête régionale, étaient en permanence occupés à faire des relations publiques, à la recherche de nouveaux contacts pour étoffer leur carnet d’adresse et accroître leur influence.
Quelles suites?
Aujourd’hui, la coopérative dit qu’elle condamne ces faits qui sont anciens, et que plus personne parmi les dirigeants n’est en lien avec l’affaire.
L’équipe dirigeante aurait été totalement renouvelée après le procès de 2013.
Pourtant, des victimes qui ont parlé ou soutenu d’autres victimes qui parlaient ont subi des représailles depuis ce procès.
En 2015, une deuxième commission d’enquête régionale a été établie, cette fois-ci pour étudier la question des défaillances institutionnelles, et comprendre comment les autorités ont pu cautionner cette structure qui:
- N’était pas un centre éducatif: pas de personnel qualifié, pas d’éducateurs, pas de formation…
- N’était pas un foyer familial ou un centre familial: la communauté était même hostile à toute notion de famille.
- N’a pas respecté la loi sur la garde des mineurs, en les maltraitant et en les coupant de leurs familles.
Au final, la commission a recommandé la formation d’une commission d’enquête parlementaire, au niveau national, et une inspection approfondie de la cour des mineurs de Florence.
En outre, le Conseil a identifié certains dirigeants parmi les fonctionnaires et envoyé l’autorité compétente une demande d’évaluation des mesures disciplinaires qui peuvent amener à leur destitution.
En mai 2017, le Sénat a donné son feu vert pour la création de cette 3e commission, au niveau du Parlement italien cette fois.
Il a fallu deux ans pour dépasser le refus du parti démocrate.
La commission devrait porter sur l’ensemble des événements qui se sont produits à Fortato.
Cependant, on l’a bien vu avec les commissions d’enquête parlementaires sur l’affaire Outreau, ou sur Dutroux: ces machins sont surtout des super blanchisseuses destinées à laver plus blanc les dossiers les plus pourris.
Elles sont là pour fermer certaines pistes qu’elles n’abordent jamais, insister sur des détails sans intérêt en comparaison des scandales sous-jacents, et finalement en dehors des témoignages de certains protagonistes généralement étouffés et pas pris en compte, ces commissions ne vont pas au bout des choses et il n’en ressort rien de bien pertinent.
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Dans cette affaire, il est manifeste que les autorités ont commis des manquements graves, et cela de manière répétée et systématique pendant près de 40 ans.
Pourquoi?
On sait qu’il y avait des amitiés, des collaborations, une proximité avec nombre de personnes bien placées, et cela aussi bien dans la politique, que dans le monde judiciaire et académique.
Est-ce qu’il y a eu des complicités de la part de gens qui savaient ce qu’il s’y passait?
Oui.
Étaient-ils conscients de ce qu’il se passait, certains ont-ils participé?
Officiellement rien ne semble permettre de le dire.
[1] L’un des juges qui a mené la procédure contre Fiesoli et Goffredi est devenu un juge antiterroriste très réputé, connu pour sa justesse et son sérieux.
A cette époque, il y a aussi l’affaire du “monstre de Florence”: en 1984, un jeune couple est assassiné et retrouvé mort à Vicchio pas très loin du Forteto.
On attribue à ce tueur jamais attrapé sept doubles meurtres, des couples abattus entre 1968 et 1985 dans la province de Florence.
[2] La Région Toscane, par exemple, a versé 1,2 million d’euros par an entre 1997 et 2010.
En 2014, une subvention de 700.000 euros a encore été relevée de la part de la Région.
C’était apparemment la dernière.
[3] La commission a mis des années avant d’être établie, en raison notamment de l’opposition du parti démocrate.
[4] Le journal cite l’ancien membre du Pdci Edoardo Bruno, Piero Fassino, Vittoria Franco, Massimo D’Alema, Antonio Di Pietro (magistrat et homme politique), Claudio Martini, qui appréciaient beaucoup de se faire prendre en photo à côté de Fiesoli.
D’autres citent parmi les visiteurs Susanna Camusso, Rosi Bindi , Livia Turco, Michele Gesualdi (Président de la province de Florence), Stefano Tagliaferri (Président de la Communauté de Montagne du Mugello), Alessandro Bolognesi (maire de Vicchio), Livio Zoli (maire de San Godenzo et Londa), Rolando Mensi (maire de Barberino di Mugello).
Bref, le lieu était couru et ça faisait bien de se montrer au Forteto.
Un documentaire réalisé par la chaîne de télévision T7 a été sous-titré en français.
De nombreuses victimes y témoignent de l’ambiance, des règles et des viols.
Plusieurs livres ont aussi été écrit en italien sur le Forteto.
La société immature : l’affaire Forteto par Maria Cristina Franzoni.
Secte d’État : l’affaire Forteto par Francesco Pini et Duccio Tronci.
Ci-dessous d’autres témoignages de victimes et une vidéo où Fiesoli a été “tamponné” dans la rue.
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