J’ai été agressée sexuellement à l’âge de 12 ans, j’ai décidé d’en parler

Je m’appelle Pauline.

Ça fait des années que je pense à livrer mon témoignage sur l’agression sexuelle que j’ai subie.

Il serait peut-être temps de s’y mettre.

Image tirée du film Trust (2012).

Quand j’avais 12 ans, je suis partie en vacances en Corse chez ma meilleure amie.

C’étaient des vacances de rêve : on allait à la plage, on mangeait et on faisait des siestes.

Je connaissais bien sa famille, et m’y sentais très à l’aise.

Parfois, on regardait des vieux films, aussi.

Un après-midi, on était dans la salle TV, et on regardait un film, justement.

Ma meilleure amie Juliette, son père, et moi, assis dans cet ordre sur un gros canapé-lit.

Vers la fin du film, son père à commencé à mettre sa main sur ma poitrine de préadolescente.

Il m’a caressé les seins et le ventre.

Il a dirigé sa main vers mon pantalon et a commencé à me frotter à travers la culotte.

Et moi, j’étais mortifiée.

Juliette regardait le film et ne voyait pas ce qu’il se passait à 50 centimètres de ses yeux.

Je ne voulais pas faire de bruit, pour ne pas qu’elle se rende compte.

J’avais l’impression qu’il était déjà trop tard.

La seule chose que j’ai faite a été de prendre la main qui me touchait pour la retirer de ma culotte.

Je lui ai caressé la main, comme à un amoureux, je pense pour détourner son attention.

J’ai lâché sa main et il s’est arrêté à la fin du film.

J’ai honte d’avouer avoir eu, le soir, dans ma chambre, des pensées qui me dégoûtent envers cet homme.

J’ai imaginé qu’il viendrait me voir, ce qui, heureusement, n’est pas arrivé.

Je suis passée à autre chose, et la fin des vacances a été agréable.

On a continué de s’amuser avec sa famille.

Je n’y ai pas pensé pendant plusieurs mois.

Le père de Juliette, lui, n’a jamais eu de souci à dire à sa fille de me transmettre ses amitiés, même son amour, que je lui manquais et que j’étais parfaite.

En grandissant, j’y ai repensé de plus en plus souvent, et avec de plus en plus de dégoût pour moi-même.

La suite est très banale.

J’ai probablement découvert mon corps un peu plus tôt que mes amies, parce que mécaniquement, ce qu’il s’est passé cet après-midi-là a éveillé mes pulsions et besoins sexuels.

Je ne suis pas partie dans des extrêmes : j’ai vécu une vie d’adolescente sage.

J’ai eu ma première relation peu avant mes 16 ans.

J’ai vécu de belles histoires, et d’autres un peu moins belles, comme tout le monde.

Le facteur commun : j’ai eu besoin d’expliquer mon histoire à mes copains avant le premier rapport.

Je leur raconte en quelques phrases, je dis que je vais bien, t’en fais pas, mais j’ai besoin qu’on aille lentement, j’ai quelques blocages, et quand je dis non, c’est non.

Aujourd’hui j’ai 23 ans, un amoureux parfait et avec qui je peux parler de mon histoire en me sentant écoutée et respectée.

Grâce à sa patience et son respect, j’ai pu dépasser mes blocages.

Je ne pensais pas accepter facilement de recevoir un cunnilingus, parce que ma chatte, c’est par là que j’ai péché, et cette partie de mon anatomie ne doit pas être vue.

Maintenant, je me laisse faire.

Mieux : j’apprécie.

C’était il y a plus de dix ans, une partie de l’histoire est un peu floue pour moi, mais je sais qu’elle fait partie de qui je suis.

Je me suis construite autour et malgré elle.

Je l’ai volontairement oubliée quand j’étais ado, et elle m’est revenue en pleine gueule plus tard.

Elle me retombe dessus quand je ne m’y attend pas.

C’est une vieille copine qui ne me lâche pas.

Pendant dix ans, j’ai eu des blocages sexuels.

J’ai eu du mal à ne pas me méfier des hommes, surtout des adultes.

J’ai pensé que je n’allais jamais pouvoir faire confiance à 100 % à un homme.

J’ai pensé que j’étais dégueulasse, malsaine, tordue, immonde, d’avoir eu des pensées sexuelles après que cet homme m’a caressée.

Je sais maintenant que ce genre de désir est purement mécanique, et qu’on y est pour rien.

Ça ne fait pas de moi une vicelarde.

J’ai lu qu’il y avait des femmes violées qui s’accusaient d’avoir pris du plaisir.

Des hommes qui s’accusaient d’avoir éjaculé à la suite d’un viol.

Ça m’a pris du temps, mais je veux le rappeler à toutes les victimes : c’est mécanique.

C’est normal, et ça ne fait pas de vous des tordus.

Une agression sexuelle n’est pas juste un mauvais souvenir.

C’est une expérience qui impacte fortement, et à durée indéterminée, votre vie intime, votre confiance, votre rapport aux autres.

Ce n’est pas être une chochotte que de pleurer encore à cause d’un événement de 5 minutes qui remonte à plus de dix ans.

Aujourd’hui ,je vais beaucoup mieux.

Il a fallu plusieurs relations amoureuses, et un point de rupture pour en arriver là.

Après une discussion qui m’avait beaucoup marquée, j’ai arrêté d’avoir envie de faire l’amour, pendant plusieurs mois.

Mon amoureux de l’époque comprenait, mais devenait un peu impatient.

On s’est engueulés au téléphone, il a eu des mots durs, que je ne lui ai pas pardonnés et qu’il a regrettés immédiatement.

J’ai passé trois jours dans ma chambre, à ne parler à personne, à rester dans mon lit et à pleurer.

Je crois que j’ai ouvert des vannes qui étaient restées fermées depuis mes 12 ans.

J’étais une loque, et une amie m’a conseillée d’aller parler à la psy de l’école.

C’est le meilleur conseil que j’ai reçu.

En deux ou trois séances, la psy m’a aidée à mettre des mots sur ce qui n’allait pas, à me faire verbaliser ma peur des hommes et, surtout, à me pardonner d’avoir eu ces pensées malsaines.

En quelques heures, j’ai évacué tout ce qui n’allait pas.

Le lendemain, je retournais à l’école avec le sourire.

J’ai décidé de témoigner pour plusieurs raisons

La première, c’est de sensibiliser mon entourage sur la question.

Je ne peux faire qu’un témoignage anonyme, car je n’en ai jamais parlé à ma famille, mais je veux dire à mes amis que ça arrive partout.

Je suis issue d’un milieu assez aisé, où le harcèlement sexuel n’est pas un souci du quotidien.

Je viens d’un milieu de mecs : les filles sont minoritaires autour de moi.

La grande majorité des garçons/hommes autour de moi sont très respectueux, et n’ont jamais eu le moindre souci avec la cohabitation féminine.

Mais n’étant pas confrontés à ce sujet au quotidien, la plupart ne comprennent pas pourquoi les filles qui parlent de féminisme font un tel foin pour une question qui, en 2017, n’a plus tellement de sens.

Les copains, la question est toujours d’actualité.

Soyez délicats.

Rire et faire des blagues machos, sur le ton de l’humour, ce n’est globalement pas un problème.

Je vous demande de faire l’effort d’instaurer un climat de confiance.

De préciser de temps à autres que vous ne pensez pas vos blagues, et que vous êtes respectueux de vos comparses.

Féminines, gays, tous ceux qui sont facilement victimes d’un humour bon marché.

De faire attention, quand vous parlez des sujets du harcèlement, des agressions sexuelles.

La personne en face, statistiquement, devrait en avoir été victime.

Montrez que vous êtes prêts à être une oreille pour leurs témoignages, et confessions.

La deuxième raison pour laquelle je témoigne, c’est pour donner les conclusions de dix ans de ruminations aux autres victimes.

J’ai probablement fait une grosse erreur en ne portant jamais plainte.

J’ai fait ce choix car je ne veux pas que Juliette sache que son père est un salaud.

Elle a assez de soucis pour ne pas perdre confiance en son papa, mais en ne portant pas plainte, est-ce que je ne l’ai pas encouragé ?

Est-ce qu’une autre fille a été victime de ce type, parce que je n’ai pas ouvert ma gueule ?

Aussi, ne culpabilisez pas.

Les pensées, le désir, le plaisir, c’est chimique.

Vous n’êtes pas coupables de ce que vous pouvez ressentir après, ou pendant une agression.

Ne vous détestez pas.

Parlez-en : c’est con, j’ai mis des années à en parler, et à chaque fois que je l’ai fait, je me suis sentie infiniment mieux.

Ne perdez pas des années comme moi.

Un ami, la famille, ou au contraire une personne “neutre”.

Il y a des psy que vous pouvez rencontrer facilement.

Mettre les mots sur ce qui m’est arrivé, comprendre l’influence que ça a eu sur moi, c’est super neuneu, mais ça m’a vraiment fait avancer.

J’arrive beaucoup plus facilement à discerner qui réagit dans ma tête quand ça ne va pas : la victime, ou la femme forte et résiliente que je suis devenue en ne me laissant pas abattre.

Soyez fort(e)s, justement.

Faites-vous entendre, bien fort.

Soyez des emmerdeur(se)s.

Prenez le temps d’expliquer pourquoi certains comportements ne sont pas normaux.

Pourquoi vous avez des blocages.

Défendez les victimes de harcèlement de rue : personne ne le fera pour vous.

Donnez aux autres victimes confiance en elles.

Et peut-être, si vous en avez le courage, parlez-en à vos parents.

Je ne l’ai pas fait, alors que j’étais encore une enfant.

Je me demande parfois si j’aurais été plus proche d’eux si je ne leur avais pas caché cette grosse partie de qui je suis.

C’était un long pavé.

J’espère que mon témoignage sera utile à quelqu’un.

Moi, je vais vraiment beaucoup mieux, ça m’arrivera probablement de recroiser le père de Juliette.

Je serai fière de lui montrer que j’ai été plus forte que ce qu’il m’a fait.

Source: Konbini

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