Harcourt | Agressions sexuelles entre élèves : une famille décide de briser le silence
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 17/12/2025
- 11:51
Sarah sentait depuis un moment que sa fille n’allait pas bien. Un mal-être dû au stress, à quelques jours de monter à cheval pour la première fois en cours d’équitation, pensait-elle.
Mais le mardi 7 octobre 2025, « la tête et le corps ont dit stop », raconte la maman domiciliée à Thibouville. À bout et en pleurs, Margaux*, âgée de 10 ans, reste enfermée le temps du midi à l’intérieur des toilettes de l’école d’Harcourt, où elle est alors scolarisée.
« Une employée de la cantine a réussi à entrer pour venir auprès d’elle, raconte Sarah. Ma fille lui a dit qu’elle n’en pouvait plus et qu’elle subissait des attouchements de la part d’un camarade sur la poitrine et les parties intimes au-dessus des vêtements. »
Le garçon concerné, dix ans lui aussi, appartient à la même classe de CM1-CM2 que Margaux.
Un mot est inscrit dans le cahier de liaison par l’agente, qui tient à avertir directement la mère de famille lorsque celle-ci se rend à la garderie en fin de journée. La découverte des faits est un vrai choc. « Je me suis dit : mais qu’est-ce qu’il se passe ? ».
« Ce n’était pas simplement du touche-pipi. C’était une agression sexuelle. »
En discutant avec sa fille, Sarah prend conscience que la situation se répète depuis la rentrée en septembre, aux toilettes, mais aussi dans la cour :
« Elle ne voulait pas en parler, car elle pensait qu’on n’allait pas la croire et qu’elle pourrait gérer les choses toute seule. Le garçon était un ami à elle. Il a reconnu les faits et disait que c’était un jeu. Ma fille ne voulait pas jouer et elle se défendait, mais il continuait ».
Sarah et son mari Grégory rencontrent la directrice deux jours plus tard.
« On avait l’impression qu’elle était gênée par la situation »
, confie la maman, surprise de voir que la page du cahier de liaison, où l’épisode du mardi était relaté, avait été arrachée.
Elle décide de s’adresser aux services de l’Éducation nationale et ne tarde pas à recevoir un appel de l’inspecteur de la circonscription de Bernay, Jean-Yves Mary.
« Il a compris que c’était sérieux, m’a rassurée en me disant qu’un protocole serait mis en place, mais que personne ne devait être mis au courant. »
Les deux élèves sont séparés le temps du midi et ne partagent plus le même groupe de cantine.
Confrontée aux regards désagréables de certains camarades, Margaux fait face à un contexte anxiogène, des rumeurs se répandent, elle qui est déjà sujette à des crises d’asthme.
Certains lui tournent le dos. Jeudi 9 octobre, le garçon l’apostrophe sous le préau et lui promet de « régler ça » avec elle.
J’ai renvoyé un mail à l’inspecteur pour lui dire que si ce gamin s’extirpait comme cela des radars, je ne pourrai pas remettre ma fille à l’école. Il m’a répondu au téléphone que si je faisais ça, il ferait un dossier pour absence injustifiée.
Le lendemain, la fillette s’entretient avec deux personnes spécialement formées au programme national de lutte contre le harcèlement (Phare), dont une psychologue.
« Cela s’est bien passé », confirme la maman, qui s’enquiert de l’avancée du dossier le lundi suivant auprès de la directrice de l’école.
« J’apprends le soir qu’une réunion se tiendra le lendemain matin à 8 h 15 »
, souffle la mère de famille, déconcertée de ne pas avoir été prévenue plus tôt.
La réunion dure près de deux heures, en présence des parents de Margaux, de l’équipe en charge du protocole, de la directrice, de l’inspecteur de l’Éducation nationale. Lequel fait le point sur l’enquête et les auditions menées.
Un troisième élève, considéré comme témoin, a déclaré :
« que ma fille était d’accord avec ce genre de gestes, alors qu’il disait le contraire quelques jours plus tôt »
, s’étonne Sarah.
Il est question d’un suivi psychologique pour la fillette et d’une vigilance renforcée autour de certains espaces, en particulier les toilettes.
« Je me suis tournée vers mon mari et je lui ai dit : c’est tout ? », se souvient la mère de famille qui s’attendait « au minimum » à ce que l’auteur des attouchements soit immédiatement déplacé dans l’autre classe de CM1 – CM 2.
Mais selon l’inspecteur, à la vue des témoignages, il n’y avait pas besoin d’en venir à cette solution et qu’il fallait se rendre compte des conséquences que cela allait avoir. En gros, l’affaire allait se savoir.
À force d’insistance, ce changement de classe, vécu comme un soulagement, est bien acté le jeudi 16 octobre.
Depuis plusieurs jours déjà, la fillette était accueillie par une amie de la famille, Nathalie*, durant les temps périscolaires pour lui éviter d’être en contact avec le camarade à l’origine de ses soucis.
Mais le 16 octobre, un autre bouleversement survient : Margaux doit quitter son groupe de cantine afin de faire de la place au garçon, celui-ci mettant « tellement de bazar dans le sien ».
« Elle est sage et elle ne comprenait pas pourquoi on lui faisait subir ce changement »
, soupire la mère de famille, qui n’est pas au bout de ses surprises.
Elle se rend compte que la commune d’Harcourt, pourtant en charge des temps périscolaires, n’est pas informée des détails du dossier.
Ils n’étaient pas au courant de cette inversion dans les groupes de cantine alors que cette responsabilité leur revient, insiste-t-elle. Ils ont juste reçu un mail leur disant qu’une décision était prise pour des raisons confidentielles.
Une rencontre se tient le lundi 20 octobre, où se retrouvent des élus d’Harcourt et de Thibouville, les deux villages faisant partie d’un regroupement scolaire avec La Neuville-du-Bosc.
« Ils étaient bouche bée devant cette histoire, affirme Sarah, reconnaissante de leur soutien. Le maire de Thibouville a dit être prêt à payer des frais de scolarité si on voulait changer d’école. Et le maire d’Harcourt a demandé à son adjointe de contacter immédiatement la commune du Neubourg pour faire les démarches et accélérer le transfert. »
La décision de la famille est prise : Margaux va quitter l’école d’Harcourt, et sa sœur, inscrite en moyenne section, aussi. Sarah choisit alors de prévenir plusieurs parents d’élèves, habitués à échanger sur un groupe WhatsApp.
Eux aussi ignorent tout de la situation. Ils ont bien remarqué une évolution dans la surveillance des espaces sensibles, par exemple l’interdiction faite aux enfants d’aller sous le préau, mais sans en connaître la raison.
« Nous pensions qu’il s’agissait d’un simple chahut lors des récréations. Nous avons été choqués quand nous avons appris la vérité, témoigne l’un d’entre eux auprès de notre journal. Contrairement à ce que l’on peut croire, nous ne sommes pas à l’abri de ce genre de choses dans une petite école à la campagne. »
Comme l’explique cet interlocuteur, « nous aurions aimé connaître ce dossier au global ».
Mais le protocole de traitement des situations de harcèlement est strictement encadré et « la loi n’autorise la communication de l’ensemble des informations qu’aux seuls parents d’élèves (victimes et auteurs) concernés par la situation de harcèlement traitée », lui a répondu dans un courrier l’inspecteur de la circonscription de Bernay auquel il s’était adressé par écrit.
«Ce silence volontaire est malsain », pense Sarah, rejointe par son amie.
« Quand on est parent, c’est un silence qu’on ne peut pas accepter »
, affirme Nathalie, inquiète pour la sécurité des autres élèves.
« Quel est le suivi pour le garçon auteur des attouchements ? Quelle a été la sanction ? S’il s’en est pris à une petite fille, il peut recommencer et l’année prochaine il ira au collège. »
Une plainte a été déposée à la gendarmerie de Brionne par la mère de famille.
« Ma fille n’a pas encore été auditionnée, mais on m’avait prévenue que ce serait très long.»
Margaux est aujourd’hui scolarisée au Neubourg, où elle a retrouvé de la sérénité. Elle va mieux et « le suivi par une hypnothérapeute, financé à nos frais, a été très efficace, s’exprime sa maman. Grâce à l’hypnose, elle ne fait plus de crise d’essoufflement. Par contre, je n’ai pas de nouvelles du suivi mis en place par l’Éducation nationale ».
Quelques affaires sont restées à Harcourt, le départ s’étant fait dans la précipitation. Mais le contact est rompu.
« J’ai été virée comme une malpropre de l’application Educartable par l’école », déplore-t-elle à propos de cet outil numérique qui permet de suivre la scolarité de son enfant et d’échanger avec les enseignants.
Sarah se remet petit à petit de cette situation tourmentée. Les événements, elle les a d’abord enfouis, en proie à des crises d’angoisse.
« Je pensais que je n’avais pas le droit de me plaindre, tellement de gens vivent des choses graves »
, admet-elle.
Partager cette histoire est une manière d’avancer, une forme de thérapie.
« On a touché à mon enfant et j’ai dû me battre pour des choses qui sont avérées. C’est injuste. »
Nous avons contacté le service communication du rectorat de la région académique de Normandie à propos des attouchements subis à l’école d’Harcourt par une petite fille de 10 ans. Quelles ont été les mesures mises en place après la révélation des faits ?
« Dès connaissance de la situation, un signalement a été transmis au Procureur de la République au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, assure le rectorat. L’équipe de l’école d’Harcourt a immédiatement déclenché le protocole Phare. L’enquête menée par la circonscription a établi que les faits relevaient d’une situation de harcèlement sur le temps périscolaire. »
« Bien que les événements se soient produits hors du temps scolaire, l’école et l’équipe de circonscription ont pris des mesures concrètes pour y répondre, ajoute le service communication.
Des rencontres ont été organisées avec les familles afin de recueillir les éléments rapportés et de mettre en place sans délai les protections nécessaires. Une séparation systématique des élèves concernés a ainsi été instaurée dès la pause méridienne. Pour rétablir un climat serein, il a ensuite été décidé de changer l’élève mis en cause de classe.
Parallèlement, la surveillance des espaces identifiés comme sensibles – notamment les récréations et l’accès aux sanitaires – a été renforcée, conformément au protocole interne. L’ensemble de ces actions avait pour objectif d’assurer la sécurité et le bien-être de tous les élèves, tout en poursuivant l’accompagnement éducatif et le dialogue avec les familles. »
*Le prénom a été modifié
NDWP : Nous déplorons que les presses utilisent encore le terme “attouchements”, car ce terme minimise les agressions sexuelles.
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