France | Prostitution de mineures : l’inquiétante expansion d’un phénomène.
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- 24/06/2021
- 08:00
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Les professionnels de l’enfance sont unanimes : la prostitution des mineures est un phénomène en expansion en France. Policiers, magistrats, associations, médecins et psychologues semblent débordés face à un fléau qui pourrait concerner près de 10 000 adolescents en France.
Le cas d’Helena (lire ci-dessous), cette adolescente de Toulouse, âgée de 16 ans aujourd’hui, est emblématique des affaires d’exploitation de mineures. Un passé traumatisant, une rupture des liens familiaux, un placement dans un foyer de l’enfance et des fugues à répétition à travers la France.
Le piège se referme alors sur ces jeunes filles qui tombent amoureuses d’un petit copain, bien souvent ex-délinquant ou trafiquant de stupéfiants, qui, par appât du gain, n’hésite pas à livrer à la prostitution ces jeunes filles en perte de repères. Les passes se font dans des appartements ou des chambres loués sur internet.
Le gouvernement a décidé de se pencher sur ce fléau. D’ici la semaine prochaine, Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et de la Famille, devrait rendre publics les résultats de nombreux travaux pour tenter d’éradiquer ce phénomène qui avance masqué.
Car pour les victimes, le mot proxénétisme ne fait pas partie de leur vocabulaire.
Un spécialiste de l’enfance en danger commente :
« Elles ne se prostituent pas, elles michetonnent et se sentent protégés par leur lover boy ».
Dans certaines juridictions, comme en Île-de-France, les professionnels ne cachent plus leur inquiétude face à la montée du phénomène qui prend de court policiers et magistrats déjà touchés par le manque de moyens.
L’essor des réseaux sociaux et leur surutilisation par des adolescentes vulnérables ne font qu’accentuer une dérive menacée de banalisation.
Phénomène qui inquiète tous les services d’enquête français, la prostitution des mineurs explose.
Dans un rapport daté de fin mai 2021, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, recense dix fois plus de victimes mineures de proxénétisme en 5 ans.
Helena, 16 ans, (prénom d’emprunt) fait partie de ces très jeunes victimes. Durant plus d’un an, elle a suivi par amour un homme de trois ans plus âgé qu’elle. La réalité est plus crue.
Jennifer, 33 ans, la mère d’Helena qui est parvenue au terme d’un véritable parcours du combattant à extraire sa fille « sous emprise » des griffes de son proxénète, explique :
« Ce garçon est aujourd’hui visé par une enquête pour incitation à la prostitution, agression sexuelle et violences aggravées, en attendant son procès ».
« Ma fille était censée être sous la protection des foyers de l’enfance, en région parisienne. Elle fuguait pour retrouver cet homme qui lui a imposé des sévices. Elle n’avait que 14 ans. Moi, j’étais incarcérée dans le cadre d’une affaire de drogue ».
Durant près de 2 ans, Helena, en rupture de lien avec sa famille, garde espoir que sa relation avec son petit copain s’arrange. Fragile, elle est maintenue sous sa coupe. Livrée à la prostitution sous différents pseudos, on lui fournit un téléphone portable, l’inscrit sur des sites de rencontres tarifées, 100 € les 30 minutes, dans une chambre louée à chaque fois pour trois jours.
Jennifer confie :
« Son copain attendait avec un couteau dans la salle de bain… ».
Lorsqu’elle quitte la maison d’arrêt de Seysses, près de Toulouse, cette mère opiniâtre n’a qu’une obsession, retrouver sa fille dont elle obtient légalement la garde dès le printemps 2020. Mais le dossier d’Helena, dont les fugues successives compliquent les recherches, s’égare dans les juridictions.
Elle raconte :
« J’ai parcouru les commissariats de Seine-et-Marne, pour expliquer que ma fille, toujours recherchée, était sous emprise et en danger. Les policiers me répondaient que le dossier n’était pas chez eux. Personne ne voulait m’écouter. Ma fille était toujours en fugue. C’est finalement le commissariat d’Argenteuil (Val d’Oise) grâce aux différentes localisations, photos et témoignages que j’avais recueillis sur ma fille, qui parvient à la retrouver. Elle était enceinte ».
Depuis six mois, Helena s’est stabilisée. Elle a mis au monde un petit garçon.
Jennifer, jeune grand-mère qui travaille en banlieue toulousaine, heureuse d’avoir retrouvé sa fille, reprend :
« On ne sait pas qui est le père ».
Me Laurent De Caunes, qui représente Helena, ajoute :
« Elle s’est battue pour lui ouvrir les yeux. Cette jeune fille était dans une sorte d’aveuglement infantile par rapport à ce garçon. Adolescente précoce, elle ne voyait pas le danger ».
Le principal suspect, placé en détention provisoire, nie les faits de proxénétisme. L’instruction qui débute à peine est suivie par un juge de Pontoise.
Les associations estiment qu’entre 6 000 et 10 000 mineurs sont exploités sexuellement en France.
Jennifer prévient :
« Les réseaux sociaux sont un véritable danger pour toutes ces jeunes filles placées en foyer et dont la parole a peu de poids. Elles n’ont pas de lieu pour les aider à se reconstruire ».
Lancés en septembre dernier par le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et de la Famille, Adrien Taquet, les travaux pour mieux lutter contre la prostitution des mineurs devraient être restitués lundi 28 juin.
Après 9 mois d’échanges avec tous les intervenants, associations, hauts fonctionnaires, enquêteurs, psychologues et médecins, des pistes concrètes doivent permettre de mieux cerner et d’empêcher ce fléau qui concernerait 6 000 à 10 000 adolescents en France.
Lanceur d’alerte, l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) mène un travail d’accompagnement auprès des victimes. Arthur Melon, secrétaire général de cette structure, décrypte les contours de ce phénomène inquiétant, qui est en nette augmentation en France.
Que constatez-vous parmi les profils de ces jeunes victimes de la prostitution ?
On a affaire à des victimes qui présentent les mêmes caractéristiques. Il s’agit d’adolescents ou préados, en rupture de lien familial, en vulnérabilité affective. Ils sont en général dans des foyers chargés de la protection de l’enfance.
Lorsqu’il s’agit de jeunes filles, souvent en fugue, ce sont leur petit copain qui profite de l’emprise affective qu’ils peuvent avoir sur elles. Ils ne parlent jamais de proxénétisme mais de plans, ou de travail comme un autre. Ils adoucissent le terme et promettent une prétendue ascension sociale par les revenus que cela entraîne.
Ces jeunes filles ont-elles conscience du mal qu’elles s’infligent ?
En réalité ces jeunes filles sont embrigadées sans le savoir. Certaines ont déjà été victimes de violences physiques ou ont vécu un trauma important au sein d’un contexte familial difficile. Donc il y a une sorte de dépendance à l’autre, surtout si elles éprouvent de sentiments amoureux pour leur petit copain auquel elles ne peuvent dire non.
Elles ne vivent pas leur sexualité comme un plaisir mais comme une satisfaction tournée vers l’autre avec pour seul repère, l’influence de la pornographie où certaines disent avoir appris par ce biais.
Quelles sont les solutions pour s’en sortir ?
La prostitution des mineurs est interdite. Les actions de prévention dans les écoles permettent de prévenir les risques. Mais toutes victimes gardent forcément un traumatisme important avec un risque de retourner à la prostitution. D’où la nécessité d’être suivi par un psychologue ou des professionnels des addictions.
En France, tous ces services sont débordés et il y a un manque de moyens financiers et humains conjugué à un déficit de structures d’accueil pour encadrer ces adolescents qui requièrent des soins et des mesures d’urgence. Pour les auteurs, c’est un peu le même schéma.
Les tribunaux pour mineurs regorgent de ce type d’affaires, notamment à Bobigny. Les procès n’arrivent que 2 à 3 ans après les faits, et les réponses pénales sont trop tardives.
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