Évreux | La vie après l’inceste : le témoignage de deux sœurs

Ces deux sœurs de la région d’Évreux ont été violées par leur oncle pendant leur enfance.

Condamné fin juin à 10 ans de réclusion, il a été incarcéré.

Elles racontent.

Laura et Victoria sont deux beaux brins de fille.

Peut-être le seraient-elles un peu plus sans les profonds cernes noirs creusés années après années par les viols répétés de leur oncle.

« Il » a été condamné fin juin devant les Assises de Caen à 10 ans de prison au terme de cinq ans de procédure et d’un procès éprouvant.

Un patriarche manipulateur

Du « patriarche », « intelligent », « charismatique » et « manipulateur » ne subsiste aujourd’hui qu’un vieillard voûté de 73 ans dans le box d’un tribunal.

Il laisse dans son sillage une vieille odeur d’anis et de cigarillo qui donne toujours la nausée à ces deux sœurs de la région d’Évreux.

Au moins peuvent-elles aujourd’hui partager leur calvaire.

« On pensait qu’on était seule à vivre ça, chacune de notre côté. On a gardé ça pour nous pendant 10 ans » confie Laura, 30 ans.

Il faudra que sa petite sœur soit hospitalisée pour que les langues se délient.

« Dans ma tête c’était un peu de ma faute »

Nous sommes en 2012, Victoria a 21 ans.

Elle pèse 35 kilos :

J’ai compris que je rejetais mon corps et ma féminité.

Je me faisais vomir.

Dans le bureau d’un psychologue, elle lâche son secret : de ses 7 ans à ses 12 ans, entre 1998 et 2002, le « frère préféré de sa mère » l’a violée.

« Il avait deux chiens, j’aimais bien les promener, mais lui, il aimait autre chose… »

Quand ses parents, son frère et sa sœur découvrent la vérité, Laura fait à son tour des révélations : elle aussi a été violée par son oncle de ses 13 à ses 17 ans.

Pourquoi n’avoir rien dit ?

« Dans ma tête c’était un peu de ma faute aussi. Il me disait qu’on était amoureux, pour moi j’étais comme sa maîtresse. C’est des années de manipulation. Quand je pensais à mes ex, je le comptais… » révèle Laura.

Chez nous, la famille c’est important, on ne voulait pas faire de mal, pas créer d’histoire

Quand sa tante les surprend, elle pense que son cauchemar tire à sa fin.

Mais la tante referme la porte et les yeux.

Elle les réinvitera aux prochaines vacances, chez eux, près de Caen.

Traitées de menteuse

Ensemble, les deux sœurs vont porter plainte à la gendarmerie d’Évreux :

« À aucun moment, je n’ai senti qu’ils remettaient en question ce que j’ai dit.

Si ça avait été le cas, je serais partie ».

Un adjudant spécialisé dans les crimes sexuels les interroge, il faut rentrer dans les détails :

« Combien avait-il mis de doigts ? C’était lesquels ? De quelle couleur était votre culotte ? »

Les accusations de viol sont graves et difficiles à prouver.

Il faut le plus d’éléments possible.

Les gendarmes interrogent les frères, les sœurs de l’oncle, les voisins, les anciens collègues, les amis des deux sœurs.

« Certains n’y croyaient pas, d’autres disaient qu’il avait bien tripoté quelques collègues… »

Certains membres de la famille traitent les gamines de menteuses.

Leur grand-mère adorée, leur « deuxième maman », estime que c’est « de leur faute » :

« Je n’avais pas à aller promener les chiens et Laura, c’était une aguicheuse »…

Des précédents

Une « rumeur » remonte alors des abysses de la mémoire familiale.

Il y a bien cette nièce qui habite à La Réunion.

Et puis la fille qu’il a eue avec sa première femme.

Elles aussi avaient relaté les viols subis.

Mais la famille, protégeant son patriarche, avait accusé les deux femmes d’inventer tout ça afin de lui soutirer une confortable pension alimentaire.

Laura et Victoria subiront le même sort pendant ces cinq ans de procédure :

« Ils ont essayé de nous salir un maximum ».

Mais cette fin juin à Caen, elles sont trois sur les bancs de la partie civile.

Les faits étant prescrits, la fille de l’accusé ne pourra que témoigner, privée de son statut de victime.

Victimes

Un statut difficile à porter. Victimes.

C’est ce qu’a dit la justice en condamnant leur tortionnaire à 10 ans de réclusion criminelle malgré ses dénégations.

« La société l’a reconnu mais j’aurai aimé que, lui, le reconnaisse, il nous regardait et il mentait. »

Victimes : « C’est dur de le dire tout haut » souffle Laura.

Les deux sœurs avaient mis leurs émotions dans une boîte hermétique pour continuer d’avancer.

Elle s’est ouverte pendant le procès.

Les jours d’après, je n’arrêtais pas de pleurer, j’ai pensé que je ne me relèverai pas.

Cinq ans de combat, et puis le vide.

Le temps d’un autre combat.

Celui de l’oubli.

De l’oubli de cette odeur d’anis et de cigarillo, l’oubli de son fantôme qui hante Victoria à chaque fois qu’elle veut avoir des rapports intimes, l’oubli de l’angoisse qu’elles ressentent « quand elles croisent un grand-père avec un enfant », l’oubli « des trahisons ».

Elles racontent leur histoire pour dire que même si elles ont cru qu’elles ne pourraient « pas passer outre », cette histoire a une fin.

Elles sont allées le dire à la grand-mère en posant sur sa tombe le jugement du tribunal.

Source : La Dépêche

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