
Bouches du Rhône, Essonne, Yvelines | Attaqués en justice pour faute en responsabilité
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 02/05/2025
- 17:08

Ce mercredi 30 avril, une trentaine de familles d’adolescents placés portent plainte derrière l’avocat marseillais Maître Michel Amas contre trois présidents de départements en France.
Les présidents des départements de l’Essonne, des Yvelines et des Bouches-du-Rhône sont visés par trois recours pour faute en responsabilité.
Ces trois recours sont déposés ce mercredi par des familles qui accusent ces élus de ne pas avoir su protéger des enfants tombés dans la prostitution contre les réseaux de proxénètes alors qu’ils étaient placés sous leur responsabilité.
C’est auprès de sa mère qu’Ilona, 16 ans, parvient aujourd’hui à témoigner.
Alors qu’elle était placée auprès de l’Aide sociale à l’enfance, la jeune fille a été livrée à la prostitution.
Un calvaire de plusieurs années qui a débuté dès son arrivée au foyer, explique-t-elle, lorsqu’elle avait 12 ans :
“J’ai passé à peine une nuit là-bas [et] la fille qui m’a forcée à me prostituer est venue me voir”, se souvient l’adolescente.
Ilona aurait alors été menacée et contrainte à se prostituer :
“On sortait dans des tenues dans lesquelles il ne fallait pas sortir, on rentrait avec de l’argent”, raconte-t-elle encore. “J’étais petite, donc, en soi, si je ramenais beaucoup d’argent, il fallait se poser des questions”,
Poursuit-elle, interrogeant la responsabilité des adultes. Elle affirme pourtant que les éducateurs ne sont pas intervenus.
“On m’a garanti qu’on protègerait mon enfant”
A ses côtés, sa mère dit en vouloir aux institutions auxquelles sa fille a été confiée.
“On m’a garanti qu’on protègerait mon enfant, mais pas du tout… Là, on a envoyé des enfants dans la gueule du loup”, dénonce-t-elle, auprès de France 2.
“Je leur en veux parce qu’ils n’ont pas su protéger mon enfant et des enfants.”
Me Michel Amas, avocat chargé de la défense d’une trentaine d’enfants placés, vient, en plus du département des Bouches-du-Rhône, de mettre en demeure celui de l’Essonne, en région parisienne, lequel vient d’ouvrir une enquête administrative.
“À 22h, elles sortent en string, et les voitures des clients défilent.”
Au micro de France Info, Jennifer Abitbol raconte le quotidien sordide des adolescentes placées, auquel elle est confrontée comme éducatrice spécialisée.
Le constat est sans appel.
“A Marseille il n’y a pas un foyer où je n’ai pas mis les pieds, où il n’y a pas de prostitution”, assure-t-elle. “Les gamines à partir de 22 heures se préparent, il y en a même qui sortent en string. C’est filmé, il y a les voitures qui défilent avec leurs plaques”, témoigne cette éducatrice.
“Et quand on leur dit ‘attend, mais tu ne vas pas les laisser sortir les jeunes filles’ et qu’on me dit qu’on ne peut pas les retenir, moi je suis allée là-bas en mission, personne ne sortait” des foyers.
Lors de ses missions au sein de ces structures gérées par l’Aide sociale à l’Enfance (ASE) départementale, cette lanceuse d’alerte a bien essayé de tirer la sonnette d’alarme, de dénoncer le système. En vain.
“On me dit que les filles, on ne peut pas les retenir”.
Face aux proxénètes qui les prennent sous leur aile, le combat est trop inégal.
Jennifer Abitbol rappelle qu’Il s’agit de “gamines, on parle de bébés, donc si vous avez un comportement qui est carré, qui est rassurant, elles vous suivent”.
Ainsi, pour elle “c’est pour ça que je suis contre le placement”.
Séquestrée dans un Airbnb et contrainte à des passes
Dans les Bouches-du-Rhône toujours, “Lilas” [prénom d’emprunt] fait partie des plaignantes.
Victime de violences conjugales, cette jeune mère dépose plainte contre son mari en 2018, mais les services sociaux décident de placer en foyer ses deux filles de 8 et 10 ans.
Elle raconte à France Info la descente aux enfers de sa fille ainée, les fugues. Le réseau de prostitution qui la happe quand elle a 13 ans.
Et ce message Whatsapp en octobre 2022 :
“Maman je suis en danger, ne m’appelle pas ou ils vont me frapper”.
La fille de Lilas est séquestrée dans un Airbnb à Toulon par des proxénètes.
“On l’a forcée à prendre de la cocaïne, à faire des passes”.
La mère parvient à prévenir la police, sa fille est placée dans un foyer d’accueil d’urgence. Il lui faudra du temps pour soigner une vie déja cabossée.
“Ma fille se fait du mal, elle préfère être seule et elle est déscolarisée, elle fait des crises de stress, c’est très dur”, se désole Lilas.
“Nous livrons les enfants aux chiens”
Maître Michel Amas défend une trentaine d’enfants, c’est lui qui dépose aujourd’hui ces recours aux tribunaux de Marseille, Versailles et Evry.
Il dénonce un “phénomène national”.
“Nous lançons l’alerte pour que tout le monde sache qu’en France, à l’heure actuelle, des petits garçons et des petites filles se prostituent en très grand nombre, dans l’inaction totale des président de département”, affirme cet avocat.
“L’Etat a échoué dans la protection de l’enfance, lance-t-il. Le fait qu’il n’y ait pas de réaction, d’organisation de la réponse de l’État, c’est ça que nous dénonçons. Nous livrons les enfants aux chiens.”
“On a beaucoup de proxénètes qu’on pourrait qualifier de multicartes. Ils sont aussi dans le trafic de stupéfiants”
Qui se cache derrière de telles méthodes ?
Les proxénètes ont changé de visage. Ils sont aujourd’hui en lien avec le narcotrafic.
Ils vendent des filles comme ils vendent des stupéfiants.
Un marché très lucratif qui peut leur rapporter “jusqu’à 15 000 euros par mois par mineure”.
“On a beaucoup de proxénètes qu’on pourrait qualifier de multicartes. Ils sont aussi dans le trafic de stupéfiants”, répond, catégorique, Cédric Politowicz, délégué départemental d’UN1TÉ, premier syndicat de la police nationale.
Me Sarah Nabet-Claverie, avocate au Barreau de Toulouse ayant défendu plusieurs proxénètes, connaît bien l’opportunisme de ces trafiquants de drogue et nous dévoile, sans filtre, leur mode de fonctionnement :
“Ils utilisent les jeunes filles comme un complément de revenu. Ils prennent un Airbnb avec une pièce qui va servir au conditionnement du trafic de stupéfiants et une autre pièce nourrice pour mettre les objets interdits. Alors ils se disent ‘pourquoi ne pas utiliser la deuxième chambre avec telle ou telle jeune fille ?’. Très souvent, ils louent des appartements avec plusieurs chambres. Et, sur une ou deux semaines, ils vont avoir tendance à rentabiliser au maximum cette location-là.”
Si les trafiquants cherchent autant à diversifier leurs activités, c’est d’abord parce que, depuis plus d’un an, les opérations de police se multiplient sur les points de deal, le gouvernement ayant élevé au rang de priorité absolue la lutte contre le narcotrafic.
“Si toutes les forces de police sont concentrées sur le trafic de drogues, il n’y a pas de raison que les trafiquants ne s’essayent pas à d’autres activités criminelles. Cette espèce de diversification est même probablement liée aux coups portés au trafic de stupéfiants”, analyse Frédéric Ploquin, journaliste et co-auteur du livre De l’OAS au grand banditisme.
Le proxénétisme est moins sévèrement puni que le trafic de drogue.
“Aujourd’hui, la plupart de ces affaires sont jugées en correctionnel, avec de petites peines, voire simplement des rappels à la loi quand ce sont des mineurs, déplore Nadia Maaz, juriste pour l’association Nos ados oubliés. Nous, ce qu’on demande, c’est vraiment une criminalisation de ces peines.”
D’autant que le milieu du proxénétisme présente un autre avantage par rapport à celui du narcotrafic : il connaît très peu de règlements de comptes.
Ce qui fait dire à Jennifer Pailhé, membre de la même association, que, pour ces criminels,
“la jeune fille est un investissement moins risqué, puisqu’il n’y a pas de lieu de deal à défendre, donc pas de rixe” à craindre.
“Les narco-proxénètes rôdent autour des foyers pour repérer les jeunes filles fragiles”
A Toulouse (Haute-Garonne), vous ne verrez pas de narcotrafiquants marseillais vendre de la drogue. Mais ils n’en sévissent pas moins dans la Ville rose, où ils s’essayent à de nouvelles activités, comme le proxénétisme.
Une mère de famille, ayant vu sa fille, placée dans l’agglomération toulousaine, tomber sous leur emprise à l’âge de 13 ans, livre anonymement ce témoignage,
“Ils sont venus la recruter. Les proxénètes rôdent autour des foyers pour repérer les jeunes filles fragiles et les embrigader.”
Deux ans plus tard, sa progéniture, désormais âgée de 15 ans, est prostituée à Marseille, malgré ses efforts pour l’extraire de leurs griffes.
Cette femme, affirmant avoir reçu des menaces, cite nommément la DZ Mafia, cartel marseillais tentaculaire ayant acquis, ces deux dernières années, une sulfureuse notoriété.
“On lui loue des Airbnb, puis il y a quelqu’un qui met des annonces en ligne et là elle se prostitue, poursuit-elle. Un homme m’a envoyé des photos de ma fille nue, pour m’intimider je pense… Ils font partie de la DZ Mafia, j’en suis convaincue. Je crois que presque toutes les gamines sont un peu dirigées par la DZ.”
Si le rôle de cette organisation n’est pas établi à ce jour, plusieurs sources policières confirment qu’il s’agit de narco-criminels marseillais.
Lesquels se déplacent maintenant un peu partout en France, comme ici à Toulouse, pour recruter aux abords des foyers des jeunes filles en perte de repères, qu’ils convainquent de les suivre à Marseille en leur promettant un salaire et un logement.
Avant que leur situation ne se dégrade rapidement, une fois sur place.
“Ils leur retirent les téléphones, ils les coupent de leur famille, témoigne à son tour une autre maman toulousaine, dont la fille a été enrôlée dans ces réseaux à l’âge de 14 ans. Il y a une manipulation psychologique. Ils sont très forts. Ce sont des gamines, elles sont jeunes, des proies faciles.”
Cette mère montre ensuite à notre caméra les vidéos reçues sur son téléphone, attestant que sa fille a été parfois violentée par ces proxénètes :
“Elle a été séquestrées dans une cave, on l’a retrouvée avec des traces de coups.”
“L’Etat a échoué dans la protection de l’enfance”, M.Amas
“On est aujourd’hui face à un vrai scandale d’Etat”,
Assure sur franceinfo Vincent Fritsch, éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et membre du bureau national du SNPES FSU, syndicat national des personnels de l’éducation et du social.
Il dénonce l’inaction de l’Etat.
“Les avancées sont vraiment minimes, il y a un problème de moyens, de contrôle et de volonté”, assure Vincent Fritsch.
“Le principal problème, c’est la formation des éducateurs et éducatrices qui travaillent dans ces établissements”, dit-il. “On confie ces enfants à des structures et en face d’eux, on a des gens qui ne sont pas compétents, il y a un problème de recrutement.”
Enfin, Vincent Fritsch salue la volonté de Gérald Darmanin d’instaurer des contrôles dans les foyers de l’ASE et de demander à la PJJ d’organiser ces contrôles.
Aujourd’hui, les foyers sont contrôlés tous les cinq ans par les départements, ceux-là même qui les financent.
La chancellerie demande à chaque parquet de vérifier d’ici la fin de l’année l’ensemble des structures de placement, avec en moyenne 35 visites par trimestre pour chaque juridiction.
Localement, les départements tentent de réagir contre le recours.
Essonne : Une enquête administrative ouverte
Après les révélations de franceinfo, concernant des faits de prostitution de mineurs placés, le département de l’Essonne
“diligentera une enquête administrative pour connaître et garantir la sécurité des jeunes enfants et apporter toutes les réponses attendues”, peut-on lire dans un communiqué mercredi. “Cette enquête permettra aussi de savoir si toutes les conditions de sécurité et de protection des enfants sont réunies”,
Poursuit le communiqué qui rappelle qu’”en Essonne, la protection de l’enfance est une priorité absolue” et que les structures d’accueil “font l’objet de contrôles réguliers”.
Ils indiquent que l’ASE est le “premier poste budgétaire du département, en constante augmentation pour répondre à une pression croissante : 3 866 mineurs et jeunes majeurs sont aujourd’hui pris en charge, soit une hausse de 40% en dix ans”.
En tout, 245 millions seront consacrés à ce secteur en 2025.
Bouches du Rhône : “Plusieurs actions” mises en place, se défend le département
Sollicité par “ici Provence”, le département des Bouches-du-Rhône indique qu’Il n’est “pas en mesure de se prononcer” sur les procédures judiciaires évoquées, “faute d’avoir eu accès aux pièces constitutives du dossier”.
Il se dit toutefois
“Conscient du véritable drame humain qui se joue pour ces enfants, tombés aux mains de réseaux sans scrupules, ainsi que pour leurs familles souvent impuissantes”.
Le département des Bouches-du-Rhône tient par ailleurs à préciser qu’il a “mis en place plusieurs actions ces dernières années pour tenter de limiter le phénomène”.
Il évoque ainsi un “partenariat avec une association pour assurer un suivi individualisé des mineurs accueillis en Maison d’enfants à caractère social (Mecs)”, la “création, avec le parquet et le tribunal pour enfants de Marseille, d’une fiche permettant de communiquer le plus tôt possible à la justice des informations utiles”.
L’institution met également en avant le “financement de maraudes en centre-ville” effectuées par l’Addap 13 (Association départementale pour le développement des actions de prévention).
Le département indique enfin avoir “signé en 2021 un protocole de lutte contre la traite des êtres humains (TEH)”, et “participé à la mise en place d’une ‘commission mineurs’ par le parquet de Marseille en 2024 pour exfiltrer ces jeunes victimes de trafic”.
Le département des Bouches du Rhône met en place une cellule d’alerte sur l’enfance en danger : 119 : le numéro de l’aide à l’Enfance en danger
Sur le terrain, à ce jour, les actions les plus efficaces restent celles d’associations.
L’Amicale du Nid aide les mineures prostituées à s’en sortir
À Marseille, Lyon, Paris et dans quelques autres établissements français, l’association “l’Amicale du Nid” accueille et accompagne depuis près de 80 ans les femmes et hommes victimes des réseaux de prostitution. Elle dispose désormais d’un service dédié à la lutte contre la prostitution des mineurs.
Les membres de l’Amicale du Nid parcourent les réseaux sociaux pour identifier les adolescents victimes.
C’est sur ces sites spécialisés qu’elles sont d’abord repérées par les réseaux de proxénètes, puis recherchées par les clients.
Ces jeunes mineures y sont présentées comme des marchandises, notées et leurs prestations commentées.
Grâce à sa “maraude numérique”, l’association établit un contact avec ces victimes, pour les amener à se confier, les signaler aux autorités et les guider dans une action en justice.
Philippe Andrès le directeur de l’antenne héraultaise de l’association explique que tous les mineurs pris dans les filets des proxénètes ont un profil identique.
Victimes de violences intrafamiliales ou sexuelles, avant d’être recrutées souvent au moment du placement dans le foyer.
“Il y a une volonté mais il faut passer aux actes”, La Voix de l’Enfant.
“Il faut que les autorités prennent le sujet de la prostitution des mineur(e)s à bras le corps. Il faut que la justice poursuive les clients”,
Martèle sur franceinfo ce mercredi Martine Brousse, présidente de l’association La Voix de l’Enfant.
“La mineure est victime, elle ne se prostitue pas, on la prostitue”, rappelle Martine Brousse.
“Il faut que tout le monde travaille ensemble”, assure Martine Brousse. “Il y a une responsabilité des départements, il faut que les départements prennent des mesures, qu’il y ait des contrôles dans les établissements”, dit-elle.
Elle dénonce aussi un manque de travailleurs sociaux pour accompagner les jeunes.
“Nous sommes en pénurie dans le social. Il faut prendre à bras le corps l’aide sociale à l’enfance”, assure la présidente de l’association La Voix de l’Enfant.
“Il y a une volonté mais il faut passer aux actes”, juge-t-elle.
Martine Brousse appelle enfin à :
“Repenser l’accueil d’enfants abandonnés de faits, et pas de droit, dans des familles qui peuvent tendre après vers une tutelle ou une adoption simple. Il faut offrir à des enfants, dont les familles ne peuvent plus les prendre en charge, une seconde chance et une seconde famille.”
Vous êtes victimes ? Parent ou proche de victime ? Témoin ? Les autorités ont mis en place une plateforme nationale d’écoute téléphonique, avec un service dédié à la prostitution des mineurs.
Le numéro est gratuit, et joignable 24/24 7/7.
Dans les Bouches-du-Rhône, vous pouvez également c contacter la Cellule départementale de recueil des informations préoccupantes des Bouches-du-Rhône, en composant le 04 13 31 13 31.
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